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Toutefois on voyait, dans la partie aujourd'hui démolie de la rue de Chaillot ancien numéro lii, des vestiges d'une ancienne maison reli^'ieuse. * C'est alors que M""» de La Vallière dit ;ï propos du roi Autrefois, il venait me chercher lui-même. » Ku elTet, neuf ans auparavant, Louis XIV s'était rendu au couvent de Saint-Cloud, en menaçant de faire enfoncer les portes si on ne rendait pas M"» de La Vallière. 3 Lettre de M°" de Sévigné, du 12 février 1671. * C'est vers celte époque qu'un contemporain de M"'^ de La Vallière lit un sonnet où elle reproche au roi son inconstance. Ce sonnet, qui circula alors en manuscrit, paraît avoir été imprime pour la première fois dans la Vie de la Duchesse de La Vallière, par"', Cologne, Hido; in-12, p. 299. En voici quelques vers Tout se flétrit, tout passe cl le cœur le plus tciuiie Ne peut d'un même objet se contenter toujours. Le passé n'a point eu d'éternelles amours, Et les siècles futurs n'en doivent point at'endre. Amour, b qui je dois tout mou ni;il cl mm bien, Ouc ne lui donuiez-vous un Cdur cunirne If mien, Uu jue ne l'aisiez-vous le mien comme les autres ? CHAPITRE SEPTIEME 48"> Elle se résignait languissamment, depuis trois ans, à tenir un rôle de subalterne vis-à-vis l'altière fille des Mortemart. En définitive, on ne remuait, avec cela, que de la tristesse et de la honte; au vue de la jeune reine, M"^ de La Vallière était tombée dans l'ombre et elle s'y traînait. Grandeur déchue, pour elle le chantre futur d'Athalie venait murmurer de doux vers et charmer sa mélancolie ; il lui composait son chant du cygne Je vivrai; je suivrai vos ordres absolus. Adieu, seigneur! régnez je ne vous verrai plus. Je l'aime, je le fuis '. Ce fut tout un événement. M""^ de La Vallière n'avait pas encore de grand parti pris ; et, comme elle hésitait, les so- ciétés et les cercles qui ont toujours un fond de raillerie, plaisantèrent de ses tergiversations, en arguant des anciennes mobilités, au temps de sa première fuite au couvent de Saint-Cloud. En définitive, l'odieux de ces évolutions fémi- nines rejaillissait sur Marie-Thérèse d'Autriche, puisque ' Donnons la suite des vers de Racine. Jugez de ma douleur, moi dont l'ardeur extrême, Je vous l'ai dit cent fois, n'aime en lui que lui-même; Moi qui loin des grandeurs dont il est revêtu, Aurais choisi son cœur et cherché sa vertu ! Ah! cruel! est-il temps de me le déclarer? Qu'avez-vous fait? Hélas! je me suis crue aimée Ignoriez -vous vos lois, Quand je vous l'avouai pour la première fois? A quel excès d'amour m'avez-vous amenée? Que ne me disiez-vous Princesse infortunée. Où vas-tu rengager, et quel est ton espoir? Ne donne point un cœur qu'on ne peut recevoir! Eh bien! régnez, cruel, conteniez votre gloire; Je ne dispute plus. J'attendais, pour vous croire, Que cette même bouche, après mille sermens D'un amour qui devait unir tous nos momens. Cette bouche à mes yeux, s'avouant infidèle. M'ordonnât elle-même une absence éternelle. Moi-même j'ai voulu vous attendre en ce lieu. Je n'écoute plus rien Et, pour jamais, Adieu! {Bérénice, de Racine. 486 MADAME DE LA VALLIEIIE après tout, c'était la dignité et le repos de son royal ménage dont on faisait Lon marché. Louis XIV chargea Golbert de ramener la duchesse de La Vallière à Versailles. Golbert y réussit * mieux que le maréchal de Bellefonds, mais à la condition que ce retour donnerait lieu à mille malins commentaires, dont M"" de Sévigné se ht l'écho. Ce que devait et pouvait dire Marie- Thérèse d'Autriche de ces allées et venues, on l'imagine. La duchesse de La Vallière, ramenée à Versailles par Gol- bert, le roi causait une heure avec elle et pleurait fort ; M""" de Montespan allait au-devant d'elle les bras ouverts et les larmes aux yeux ^. M™^ de La Vallière était do nouveau toute rétablie à la cour, disait-on ^, beaucoup mieux qu'elle n'y avait été de- puis longtemps. Le roi l'avait reçue avec des larmes de joie, M""* de Montespan avec des larmes devinez de quoi *, comme parle M""" de Sévigné. La reine pouvait-elle être très-satis- faite, de penser qu'on avait eu avec l'une et l'autre La Val- lière et Montespan des conversations tendres ^ ? » Il était triste de s'apercevoir que l'unique préoccupation ' • Le 11 février, dit d'Ormesson, M"" de La Vallière se relira à Chaillot, liez les reii^'ieuses de Sainle-Marie, et laissa une lettre pour le roy, où elle lui annonf-oit sa retraite et qu'elle n'emportoit que son habit gris, laissant le surplus comme estant au roy. Le roy lui envoya M. de Bellefonds et ensuite M. de Golbert, avec ordre de la mener à Versailles, où il allait; ce qu'il fit, et la dame y alla sur la parole que le roy trouveroit bon qu'elle se retirast si elle persévéroit. » {Journal, t. II, p. 610. C'est probablement à cette sortie du couvent de Chaillot, qu'elle dit aux religieuses qu'elle embrassa en pleurant Lettre du 18 février 1671, de M™" de Sévigné. — . A l'égard de M"" de La Vallière, nous sommes au désespoir, continue M™» de Sévigné, de ne pouvoir vous la remettre à Chaillot; mais elle est à la cour beaucoup mieu.\ qu'elle n'a été depuis longtemps; il faut se résoudre a l'y laisser. » CHIAPITRE SEPTIÈME 4S7 du grand monde en 1671, était de savoir si M""'^ de La Val- lière resterait ou ne resterait pas à la cour. Gomment ne déclarai t-on pas à la recluse momentanée de Cliaillot, que si elle voulait rentrer dans l'ordre, dans le repos, et dans la dignité, l'honneur et le devoir lui prescrivaient de ne plus paraître à la cour? Et de qui érftinait ce bizarre cérémonial, que l'abhé de Maucroix, un des spirituels' compagnons de La Fontaine, constata à Fontainebleau où il se trouva en septembre 1671 ? Il vit le roi monter en voiture; on partait pour la chasse ; et quelles personnes s'y trouvaient-elles avec le roi ? La reine ? non — M. Barrois et moi, dit Maucroix, ayant vu les carrosses de Sa Majesté, nous attendîmes près d'une heure ; et enfin, nous vîmes le roi monter en calèche, M"^*' de La Vallière placée la première, le roi après, et en- suite M""*^ de Montespan, tous trois sur un même siège * . » Tromperies sur tromperies I Marie-Thérèse d'Autriche était bafouée, mais M""^ de La Vallière était jouée en même temps, pendant qu'on l'endormait avec une menteuse éti- quette, et qu'on lui réservait la place d'honneur dans les voitures. C'est qu'on ne pouvait pas avoir en cette circon- stance un sentiment différent de celui des amis de la reine. M"° de Montpensier convenait elle-même, avec discrétion, qu'il y avait ici une comédie lamentable. Nous allâmes à Versailles, dit-elle ; tout le chemin se passa en pleurs, le roi,. M""^ de Montespan et moi ; je pleurois de compagnie ; les deux autres pleuroient M""' de La Vallière, qui les con- • Mémoires de Maucroix, chap. xx, publiés par la Société des hibliopliiles do Reims. De iMaucroix avait été député par le chapitre de Reims pour com- plimenter Le Tellier, qui, de coadjuteur, avait été nommé archevêque. De Maucroix se rendit pour cet objet en août 1671, avec trois autres chanoines, ses collègues, à Fontainebleau, où la cour était alors. Le roi, poursuit Maucroix, était fort bien vôtu, d'une étoffe brune, avec beaucoup de passe- ments d'or; son chapeau en élait bordé, il avait le visage assez rouge. La Vallière me parut fort jolie e*; avec plus d'embonpoint qu'on ne me l'avait figurée. Je trouvai M"" de Montespan fort belle; surtout elle avait le teint admirable. Tout disparut en un moment. Le roi étant assis, dit au cocher Marche; » ils allaient à lâchasse au sangher. Mémoires, ch^i. xx. 488 MADA5IF- DK sola bientôt. Elle revint; tout le monde dit qu'elle en avoit usé fort sottement, ou qu'elle devoit demeurer, ou faire ses conditions, et elle revint comme une sotte *. » M"* de Mont- pensier ajoute Quoique le roi eût pleuré, il auroit été très-aise de s'en défaire dès ce temps-Là. L'on parla bien différemment de cette retraiffe, des motifs et des gens qu'on accusoit de la lui avoir conseillée. Cette affaire m'étoit in- différente je ne m'attachai point à en vouloir apprendre les particularités, outre que dans ces sortes d'affaires chacun dit son sentiment et fait son raisonnement à sa mode, sans presque jamais dire ni trouver les véritables raisons. » Cependant l'heure approchait, où la situation établie de- puis dix ans entre la reine et M""*^ de La Vallière allait enfin recevoir une modification considérablement et nettement accusée. Si le chemin suivi par chacune de ces deux femmes n'avait fait jusque-là que les éloigner l'une de l'autre, le temps était venu, en l'année 1673, où la reine pourrait se rencontrer sur un terrain commun avec la duchesse de La Vallière. Elle va se trouver en des circonstances qui lui permettront de pardonner les délires des trop longues années écoulées depuis 166'2. Mais ce moment du rapprochement entre M""^ de La Vallière et Marie-Thérèse d'Autriche, étant un des épisodœ les plus considérables de la vie de ces deux femmes, mérite d'être raconté avec quelque détail. Comment M""^ de La Vallière en était-elle arrivée à pren- dre l'attitude qu'elle eut? Y avait-il dans ses antécédents, dans son caractère, dans son éducation, des indices de la défaillance qui devait faire écrouler ^on honneur de femme ? S'était-elle annoncée comme personne faite pour la lutte? » Un auteur parle d'un tableau du temps de la régence, qui repre'sente M"" de Vallière renouant une guirlande de rose? à la jupe de M°" de Mon- tespan. La scène est dans le parc de Versailles, le roi tient sous son poing la main de la marquise et regarde La Vallière d'un air distrait. Pour le voir, la pauvre ddiaissèe lève les yeux à la dérobée et semble oublier ce qu'elle fait. M""> de Montespan la regarde à rrmvre, comme .si c'était la chose du monde la plus simple. Voy. dans M"' de La Vallière, par Arsène Houssaye, p. 244. CflAPITRE SEPTIÈME 489 OU bien n'y avait-il pas pluLôt en elle une nature helle, délicate , généreuse , essentiellement poétique ? N'est-elle pas la plus intéressante des victimes de l'entraînement de Louis XIV, et, dans la fatalité des circonstances où elle fut jetée, bien qu'elle n'ait pas fait plier en définitive le sentiment devant les arrêts de la conscience, n'avait-elle pas eu cependant à lutter entre l'amour humain et sincère au- quel elle consentit et les scrupules d'une conscience qu'elle finit par endormir, au moins en apparence? Telles sont les questions que soulève la situation de M" de La Vallière vis-à-vis de Marie -Thérèse d'Autriche, à la date des années 1672 et 1673 ; l'histoire de ce qui a été exjDOsé et de ce qui reste à dire, répond de manière à ne pas diminuer le sym- pathique intérêt que M""" de La Vallière a su exciter auprès de la postérité. Il eût fallu à M"^ de La Vallière une mère autre que M"^ la baronne de Saint-Remi ; il lui eût fallu une maré- chale d'Albret. Celle-ci ne voulut pas, en 1661, laisser à la cour M"^ de Pons ^, sa parente ; elle vit quels dangers courait une jeune personne, avec des gens aussi entreprenants que le comte de Guiche '^, le marquis de Vardes, Fouquet et tous les autres, et le roi lui-même. Louis XIV balança un instant entre M"* de Pons et M"^ de La Vallière. C'est alors que la maréchale d'Albret donna la seule preuve d'éclatant courage ' M" de Pons épousa le marquis d'Heudicourt ; elle fut l'amie de M""» de Montespan et de Maintenon. 2 On n'a pas oublié le complot de la lettre, écrite en espagnol à la reine, dans lequel le comte de Guiche était entré pour perdre M"* de La Vallière, dont il croyait avoir à se plaindre. Le comte de Guiche avoua dans la suite à Louis XIV la part qu'il avait prise à cette intrigue. La proposition de la . lettre m'a esté faite, disait-il, par M. de Vardes, a qui M""" la comtesse de » Soissons avoil donné le dessus du paquet du roy d'Espagne. Il désira m'en » donner part, parce qu'il ne pouvoit s'en passer, et que la Reine ne savoit » pas encore assez bien lire le francois. . . Je me laissay aller à une complai- » sance très condamnable... L'une des raisons estoit de perdre W'^de La » Vallière, et si j'ose dire, la seule qui m'y ail fait entrer... > Escrit donné au Roy par M. le comte de Guiche. Bibl. Imp., Mss. Baluze, vol. 215. Papiers des armoires, paquetS; fol. 133 et suivants. iOO MADAME DE Là VALLŒllE qu'on puisse" donner en de telles rencontres la aile. Si l\}^' de Saint-Remi avait exigé de M""^ de La Vallière un acte de semblable vaillance, celle-ci ne serait probablement pas sortie de la voie de la vertu. Mais il ne paraît pas que M'"^ de Saint-Remi ait rien demandé de pareil à sa fille ; on l'a re- présentée, d'après les mémoires du temps, comme une femme intrigante et ambitieuse, qui ne vit dans la faiblesse de sa tille qu'un moyen d'assurer l'élévation de sa famille et l'agrandissement deea maison i. Quoi qu'il en soit, après la faute, vint le mouvement de retour au bien ; et il faut redire l'itinéraire de cette femme remontant à la lumière et au devoir. La nouvelle duchesse n'avait guère eu le temps de réfléchir sur sa vie, depuis qu'elle avait accepté, après la mort de Mazarin, les dégra- dantes laveurs de la cour. Dans le premier moment de sa nouvelle et éclatante situation, en 1667, elle ne semblait pas mieux disposée à réfléchir encore. Le public, avec sa finesse instinctive, soupçonna, dans cet acte de Louis XIV, le pré- lude d'une disgrâce prochaine. Les dignités et les biens, venant d'une manière tardive en 1667, semblaient un adieu du roi prenant congé de celle qu'il n'aimait plus, de passion du moins. C'était le sens d'une lettre supposée écrite par M'"*^ de La Vallière à M""' de Montausier, et qui circula à cette époque. La lettre n'émanait point de la nouvelle du? chesse ; les malins du temps en chuchotèrent dans les salons. Le duc de Lauzun élait-il incapa]le d'avoir inspiré ce fac- tum? on ne l'affirmera pas. L'autorité poursuivit cette pré- tendue lettre, et le gouvernement français dut demander aux bourgmestres de la Hollande d'en interdire l'impression. Mais les pressentiments que cette lettre apocryphe exprimait, étaient parfaitement dans la logique d'un cœur qui s'écoute. Nous connaissons tous la défiance qu'inspire une prospérité * Louis XIV euipùoliait M"» de La Valliùre devoir sa mère qu'il n'eslimait pas el dont il se dcliail. M'"'' de Geiilis, après M"'^ deMontpensier, a accrcdilo la tradition peu favorable sur le compte de la marquise de Saint-Kcmi. CHAPITRE SEPTIÈME 491 trop constante, et rien n'est plus voisin des pleurs que le rire. Voici cette lettre qai faisait parler M"»-' de La Valliôre de la manière suivante A madame de Montausier, Le 24 mai 1667. » » Madame, les inquiétudes nouvelles causées par ma nou- velle grandeur me tiennent si fort éloignée de l'état tran- quille que je pense me préparer par cette élévation, que m'estant impossible de la cacher plus longtemps, j'ay recours a vostre confidence et veux vous communiquer, a la des- cbarge de mon cœur, les réflexions que j'y ai faites. C'est une coutume, parmy les gens raisonables, aux changements qu'ils font de leurs domestiques, d'en prévenir le congé par le payement de leurs gages, ou par des recon- naissances de leurs services. J'ay peur qu'il ne m'en ar- rive de mesme, et que le roy, par un honneur si grand, ne prétende m'apprivoiser a la retraite, et me jetter tant de vanité dans l'esprit que, l'ambition l'emportant sur mon amour, je soufTre les mespris avec plus de modération. » Je sçays encore que la fortune a un terme d'élévation limité, au-dessus duquel on ne monte point, et que le degré où je me vois assise estant le plus haut où puisse monter une personne de ma naissance, il est difficile d'y subsister long- temps sans quelques traverses, qui ne peuvent être autres que la froideur .du roy i. » Or, soit que ce mal m'advienne par l'un ou l'autre de ces moyens, je le prévois inévita"ble. Mais le roy se trom- pera, s'il croit que l'ambition effacera mon amour. Elle n'en * Le bruit courut bien à cette époque que la faveur dont M™» de La Val- liôre venait d'être l'objet annonçait une disgrâce prochaine. Mais si cette crainte attrista en effet l'esprit de la nouvelle duchesse, ce fut pour peu de temps. Notice par .M . Pierre Clément, p . lxxxiv. 492 .MADAME DE LA a pas esté la mère ; elle n'en sera pas le tyran ; et ce brillant de nouvelle grandeur ne commettra pas un par- ricide. Tout le royaume de France, et je peux dire toute l'Eu- rope, n'ignore point combien mes amitiés, et dans leur naissance et dans leur progrès, ont été désintéressées, et qu'en considérant le Roy, sa couronne, parmi ses autres qualités, m'a paru la moins aimable. » J'ay reçu beaucoup de bien de ses mains libérales. Je nepouvois les refuser sans crime, comme j'ay toujours cru ne pouvoir les demander sans importunité, une grande pré- venance ayant a mon égard légitimé tous ses bienfaits. » Les nouvelles amertumes que l'on m'a faites du ma- riage du marquis de Vuardes avec moi i, justifient mon ap- préhension et mes soupçons l'accueil et le bon visage que j'ay de la reine me paraît une prière tacite d'y consentir. Mais elle ne sait pas que mon cœur y a des répugnances plus grandes que celles de l'antipathie, et que je suis inca- pable de manquer au serment que j'ay fait, de ne jamais clianger d'amour et de ne prendre point de mary. Permettez-moy, madame, de faire une petite digression sur le subject de ce mariage. J'enchaisneray mon amour pour quelque temps, et feray parler ma raison suivant les lumières médiocres que la nature m'a données. Je porte maintenant la qualité de duchesse de Vaujours. Je jouis de toutes les prérogatives attribuées à la duché. J'ay le tabouret chez la reyne. Je marche au rang des duchesses. J'ay cessé d'être La Valliere. Le roy a reconnu le fruit de nos embrassemens ; ma iille est légitimée. Il ne me reste qu'à choisir un mary pour en ûiire un grand du rovaume. ' On répandit le bruit qu'on allait marier M™ de La Vallière à Fran- çois-René du Bec, marquis de Vardes, capitaine des Cent-Suisses, qui fut marié à Callierine de Nicolai, et qui avait trempé, on l'a dit, avec la comtesse de Soissons et le comte de de Guiclie, dans le complot de la lettre l'ontre .M"' La Vallière. CHAPITRE SEPTIÈME 493 » Non, madame, je me trompe, je ne suis point duchesse. La duché est un présent royal fait à ma fille reconnue et légitimée par le roy son père mon administration et la jouissance des prérogatives de sa duché n'est qu'un estât trompeur et ruyneux a mes affaires, si je les appuyois sur ce fondement. Il faudra tout rendre, quand elle sera en âge, et je ne demeureray que La Valliere. » Où est le gentilhomme assez sot qui voudroit épouser une duchesse, sans devenir duc ; estre beau-pere d'une fille naturelle du roy, sans avoir de qualité qui y corresponde?.. . Il y a tant de contraires a assembler pour reunir a la fois ce qui regarde les intérêts du roy, de ma fille, de celui que j'epouserois et les miens, qu'il ne faut que conclure avec vous, que la chose est impossible, et qu'il y a du ridicule a en faire des propositions. » Je m'en resjotiis, et remettant mon amour en liberté, je m'inspire [me persuadé] que tout ce qui s'est fait en cecy est une marque plus assurée de la constance de mon amant, qui a voulu donner, sous ce faux jour, au monde, quelque témoi- gnage de son désintéressement, en estreignant plus fort, par cette politique amoureuse, les liens de notre bonne intelli- gence et les nœutls d'un commerce que la seule mort peut dissoudre. » Vous voyez mon faible, et vous le pouvez accuser; je l'ay commun avec les autres amans, dont l'ordinaire est de se flatter et de sentir plutost leurs disgrâces que de les pré- venir. » Cependant, si vous prenez la peine de considérer avec moi l'état de mes affaires, vous me regarderez comme un exemple de compassion et plaindrez par advance les incon- véniens où je suis exposée. » Leroy est mortel, il va faire la guerre. S'il luy arrivoit quelque chose de funeste, ou si, par des exercices violens, il contractoit une maladie mortelle qui nous le ravisL, que deviendrois-je, madame, alors? llu'yauroit point de millieu Mi MADAME DR LA VALUKRR a prendre. 11 faudroit s'acheminer a Vanjours, et en prove- nir l'ordre infaillible, pour me conliner dans une province éloignée, fixer ma demeure dans une maison champêtre, et passer le reste de mes jours auprès de la duchesse ma iille, en regrets et en larmes, sans consolation de personnes et sans aucun support. Helas! je sens Lien en moy mesme, qu'après un pareil accident je n'àurois ny force ny confiance pour survivre, et mesme qu'il y auroit de la générosité a mourir. » Mais que deviendroit le sang royal que je sens depuis cinq mois se mouvoir dans mes flancs?.... Le roi s'est pro- mis un garçon de ma grossesse, sans avoir rien fait pour l'enfant ni pour la mère. Ah! que cette pensée est mortelle a tous mes plaisirs ! Quelle différence de frère et de sœur ! Celle-cy duchesse légitime, l'autre Lastard sans reconnais- sance. » Je ne me prépare pas à ce coup, qui ne se peut adoucir par la prévoyance, et dont la moindre pensée redouble mes inquiétudes, mais j'ay trop de confiance au Dieu des.... *. que non-seulement je reverray mon Roy sain et glorieux, mais avec autant d'amour qu'il en ait jamais eu. » Avec tout cela, les événemens sont incertains et mes ennuis inévitables. Je n'auray point de courrier à l'avenir qui ne me fasse trembler, et mon imagination oi^i déjà la crainte a établi son empire, ne me représente que les images fascheuses de tout ce que je peux encourir de disgrâces. Le sommeil, qui a le don de charmer les peines, n'a de la vertu que pour m'en faire; et si je ne trouvois véritables à mon réveil, les illusions fausses de mes songes, j'en tirerois des conséquences contraires à bon sens, et d'une peine imaginaire je me ferois un véritable supplice. Tantost je vois la Reyne me faire des reproches et m'imputer les indillérenceidu Roy, tantost commander que j'aye à monter ' Le mot manque dans le volume de M. Matter. CHAPITRE SEPTIEME 403 sur le champ en carosse et me retirer à Vaujours, avec deffenses de ne jamais revenir à la cour, tantost ordonner qu'on me jette dans un monastère; et enfin mille autres choses dont le sommeil a accousLumé de travailler les esprits inquiets et appréhensifs. » Le. mien est de ce nombre, madame, et je voudrois pouvoir me reprocher qu'il fust moins éclairé et ne vist pas de si loiiig les désordres qui peuvent arriwr à ma fortune. Je ne me rendrois pas malheureuse devant le temps, et me confierois en- la bonté du Roy ; je demeurerois dans la croyance que, quoiqu'il survînt, il auroit du temps suffi- samment pour assurer l'establissement des maisons de ses enfans et de la mienne. J'ay tous les besoins du monde de votre assistance et de votre sage conseil, et je m'en suis si bien trouvée que je vous conjure de m'ayder à sortir de ce mauvais pas. 11 y va quelque chose de vostre intérest, vous n'en doutez pas, puisque je procureray sans cesse votre avancement, et que vous avez et aurez toujours occasion de reconnoistre que je suis, madame ma très-chère, vostre trè^-fidèle amie et servante. » La duchesse de Vau jours *. » Cette lettre curieuse provient, quant à sa composition, • On voit, dans les Lettres et pièces rares et inédites^ publiées par M. Maltor, p. 320 et suivantes, cette lettre supposée que la duchesse de La Yallicre au- rait écrite à 11"= de Montausier, au sujet de l'érection de Vauxjours en du- ché-pairie. Le manuscrit sur lequel M. Matler a copié cette lettre se trouve à la bibliothèque de Munich; Cod. Gallic, 307, in-4». On lit sur le premier feuillet de la copie, ces mois Paraphé lé 21 novembre 1670. De la Reynie. Thubeuf, » preuve officielle que la pièce avait été poursuivie. Elle est intiln- lée Lettre de j¥°>e la duchesse de Vauxjours à M"'" de Montausier sur le sujet dn don qui Iwy a esté fait par le roy de la dtiché de Vaujours. — W. P. Clément, à qui nous empruntons ces ryiseignements sa Noiice sur M""' de La Vallière , à la lin du t. 11, fait remarquer que celle lettre est citée dans le volume CLVllI des Mélanges CUrambauU, Mbs. de la Bibl. imp., p. 3201. 496 MADAME DE LA VALLIÈRE d'un personnage du temps. M""^ de La Vallière n'aurait pas, ainsi, jeté elle-même, au gré du vent, les craintes qui op- pressaient son âme, à l'heure même de sa plus grande élé- vation. Mais la lettre supposée, rédigée avec les éléments pris dans la situation, permet, à distance, d'interpréter, d'après les préoccupations publiques, les sentiments qui ani- maient la nouvelle duchesse. Le serpent de la méfiance venait la piquer, lorsqu'elle semblait atteindre le sommet de la félicité. On voit tout dans cette lettre révélatrice la crainte, l'attente, la honte, un remords mal étouffé; on dé- couvre les tortures de ce nouveau paradis de délices, la lame froide et cruelle du soupçon qui traverse le cœur, ces coups d'oeil jetés sur un avenir qui effraye, ces éventualités peu rassurantes, cet aveu que l'on commence à se faire à soi- même, qu'on est perdu ici-bas aux yeux des hommes ; que tout dépend d'un fil, d'une vie fragile, d'un boulet lancé de quelque ilace, de Lille ou de Tournay. Étranges joies, celles de M"^ de La Vallière, dans sa promotion à de nouveaux honneurs, elle qui avait rêvé de s'épanouir dans un amour sans ombre, de posséder, selon l'expression de Dante, Senza brama, sicura ricchezza '. La poésie des belles années de Blois s'était, hélas ! enfuie bien loin. Enfin, M"' de La Vallière, parvenue à être du- chesse, mesure le chemin parcouru. C'était l'heure des aperçus rétrospectifs, des regrets, des remords. Heure de mélancolie immense. Elle était toute battante d'or, comme s'exprimait iM"^ de Maintenon, sous ces toilettes magnifiques de duchesse. Enfin, la réalité se fait jour et la conscience parle. C'est que le bonheur n'est pas long dans une situation illogique et mauvaise. 1 J^osséJcr sans crainlo les ri^•lles^es qui ne piuvfiU t'-tre CHAPITRE SIfFflÉME 497 M""' de La Vallière était arrivée de province avec ses idées chevaleresques sur les filles d'honneur, telles qu'elles étaient sous Catherine de Médicis, sous les Valois, sous Henri IV. Elle savait que la reine et les princesses s'oc- cupaient des filles d'honneur comme de leurs enfants ou de leurs sœurs ; les reines choisissaient, pour elles, comme mari, un nohle et beau gentilhomme, parmi tous ceux qui s'étaient distingués aux combats, dans les carrousels, en por- tant les couleurs de la demoiselle aimée discrètement der- nier vestige des temps de chevalerie, dont Cervantes avait chanté, en les précipitant, les funérailles 1 M™^ de La Val- lière avait espéré donc une vie régulière, modeste et ho- norée , sous l'empire des lois conjugales. Un homme d'un grand égoïsme et d'un grand prestige, qui avait dans les veines du sang autrichien et espagnol, qui s'était nourri de romans, en décida autrement, et M""* de La Vallière vit bientôt à terre l'échafaudage de ses premières espérances, et les ruines entassées par le dono infelice di bellezza. Elle avait connu, en son temps, le mot delà reine à M"" de Montausier ^k Je sais plus qu'on ne croit ; » déclaration de clairvoyance et de douleur cachée dans son âme, que Marie-Thérèse avait jetée à M""^ de Montausier, à l'occasion delà décadence commencée, de l'abandon relatif de M°"^ de La Vallière, et de la prise de possession du cœur de Louis XIV par M""^ de Montespan. Toutefois, ne semble-t- on pas pouvoir compter encore sur le présent? Le 2 octobre 1667, la duchesse de la Vallière donnait le jour au comte de Vermandois. Cela se passa, dit M"^ de Montpensier, avec les mêmes précautions que pour la fille ; tout le monde soupçonna ses couches ; on le sut, et elle voulait qu'on n'eût rien appris. Après tous ces mystères, il fut légitimé au par- lement de Paris, sous le nom de comte de Ver'mandois, et la fille sous le nom de W^^ de Blois. Ils furent mis entre les mains de M"^ Colbert, où ils ont été élevés. » Mais aux jours de prétendu bonheur et de confiance avaient 32 498 MADAME DE LA VALLIEHE succédé des jours de doute et de crainte, remplacés enfin par la plus terrible des certitudes. M™*' de La Vallière n'était plus aimée. Elle put être trompée quelque temps; mais il était impossible de prolonger l'illusion. La nouvelle incli- nation du roi eut bientôt trop de publicité ; et les forfante- ries du marquis de Montespan, furieux de la conduite d sa femme, un trop grand éclat. D'ailleurs la nouvelle du- chesse s'en était expliquée avec le roi; elle s'était plainte, avec un accent passionné ; et Louis XIV lui avait répondu, avec toute la sécheresse de la absolue, ce mot impi- toyable, qu'il avait déjà dit à sa mère Qu'il ne voulait pas être gêné et qu'il n'aimuil pas pi'on le contrariât. » Il y a une lumière dans le désenchantement. Quatre ou cinq faits étaient venus dans les dernières années, pré- parer le réveil de M""-' de La Vallière. Anne d'Autriche avait fait entendre à son fils un langage qui ne fut pas écouté au moment môme, mais dont la portée se fait sentir, lorsque la raison retrouve son empire et il est à penser que la jeune duchesse dutprendre sa part des pieuses remon- trances de la reine mère affligée. Lorsi^ue la reine mère mourut, il était également inévitable que cet événement ne donnât des idées sérieuses à M™'' de La Vallière. Les funérailles d'Anne d'Autriche ne furent pas les seules en 16GG ; une autre sainte existence s'était éteinte. M'°'^ la du- chesse de Montmorency mourut le 5 juin, à Moulins. Le peuple, en regardant sa dépouille mortelle à travers les grilles du couvent, criait que c'était la sainte qu'ils voyaient *. Il est plus émouvant qu'on ne veut le dire, de voir partir de ce monde ces nobles femmes, doflt la vie a été un tissu de pureté, de charité et de patience. Et, dans cet ordre d'émo- tions, la seule attitude digne et fière, résignée et souffrante 1 Voir une Vie de ta duchesse, imprimée i'i Taris en lC8i. M"" de Monlmo- rency avait vécu dans le mariage; elle mourut dans le cloître; elle avait été un modèle pour les jeunes filles, pour les femmes mariées et pour les reli- gieuses. Elle porta dans les dillVrents étals, un esprit convenable et une con- duite juste. CHAPITRE SEPTIEME 499 do Mario -Thérèse, ajoiiLait aux impressions de M'"e de La Vallière. L'opinion publique avait également fait entendre ses ré- clamations, d'abord d'une manière timide, plus tard avec amertume*. On imprima en Angleterre et en Hollande de nombreux pamphlets, qui, à travers les mensonges et le persillage, ne laissaient pas de révéler un état, une situation intolérable. La plume mordante • de Bussy-Rabutin sus- citée par la justice populaire, vint flageller le monarque et sa complice. Moins exagéré, plus respectueux de la dé- cence, il aurait peut-être moins amusé cette partie de la nation qui a soif d'anecdotes scandaleuses ; mais il eût, à coup sûr, plus touché ceux qu'il raillait avec la viru- lence moqueuse de Juvénal. M""*^ de La Vallière était traînée dans la boue, réduite presque au vil rôle des courtisanes de l'antiquité. Comment ne pas sentir douloureusement ces coups de l'opinion 2 ? Il y avait une chose plus grave ; le mauvais effet des in- trigues amoureuses de la cour commençait à affecter les classes moyennes des provinces. Un bourgeois de Reims, qui a laissé des Mémoires, raconte les caquetages que l'hu- miliante élévation de M™"^ de La Vallière produisait hors de Paris. Il disait, à la date du mois d'août 1665, que les per- sonnes qui avaient été exilées de la cour, à cause de la dame Vallière, venaient d'y être rappelées, pour ôter le scandale, qui courait parmi le peuple pour telle chose frivolle. » — ' • Il est constant, disait un pamphlétaire inspiré par l'envie, que M""^ de La Vallière n'étoit pas d'une extraction fort noble. Ses ennemis avoient ac- coutumé de dire, après que le roi l'eut fait duchesse, qu'il n'y avoit que quelques mois qu'elle ëloit roturière; et Madame qui avoit été jouée par le roi à son occasion, ne l'appeloit jamais que la petite bourgeoise de Tours. » * Quoi de plus triste pour une nature au fond vertueuse, que de savoir, qu'on est regardé au dehors comme une femme de mauvaises mœurs, comme une prêtresse du désordre. — Un jeune homme disait à son camarade, au sortir du tliéàtre Vois-tu, mon bon..., les comtesses. . . elles sont toutes comme cela. » — La pièce mettait en scène une mauvaise femme. La Vallière avait à redouter d'être enveloppée ainsi dans un mépris universel. 300 MADAME DE LA VALLIKHI- Cette dame Vallière, ajoulail-il, osl accorLe, ••omplaisante, et belle et gaillarde ^ » Lorsque M""' de La Vallière se vit l'objet des satires du public, elle fut obligée do s'avouer qu'elle méritait, jusqu'à un certain point, ce supplice. Et, dès cette époque, comme s'il s'agissait d'un être abstrait, elle chercbait dans sa fierté Idessée quel avait été le premier principe de ses dévia- lions. Claude Lequeulx rapporte qu'elle rapprocha deux faits qui se trouvent, par concomitance, dans les lois mys- térieuses de l'économie morale orgueil et défaillance des mœurs. Dans sa jeunesse, ou plutôt dans sa tendre adoles- cence, le démon de la vanité avait par^é, un instant, à son âme, c'en était assez pour la duchesse. Elle voyait, dans l'accueil fait par elle au témoignage éclatant que Gaston d'Orléans avait rendu à la régularité de sa conduite, et qu'elle avait savouré avec orgueil, l'origine mystérieuse d'où étaient nés tous ses désordres. Elle se redisait le raffine- ment de complaisance vaniteuse avec lequel elle avait ac- cueilli ces compliments; elle pensait retrouver dans cette secrète présomption, à laquelle elle s'était livrée, l'explica- tion des jugements providentiels. Parce qu'elle avait voulu monter haut dans sa propre estime. Dieu avait permis, se disait-elle, qu'elle descendit si bas ^. Au fond, l'histoire de M"" de La Vallière est proprement l'histoire d'une âme, et l'on se demande si le cœur d'une femme aimée illégitimement ne doit pas se lasser à la longue, * Bcmensiana, in-32, Reims, 1840, p. 289, 2 Elle a avoué depuis, dit Claude Lequeulx, que ce témoignage éclatant rendu à la régularité de sa conduite fut pour elle une blessure mortelle. Elle était persuadée }ue par une terrible punition oe Dieu, les sentiments de com- plaisance en elle-même qu'elle en conçut, furent la cause funeste de ses malheurs et de sa cliute. — En effet, voici ce que disait M"° de La Vallière après sa conversion Si dés mes premières années, je m'tilais consacrée au service de Dieu, j'aurais acijuis la douce habitude de glorifier son saint nom sans qu'aucun objet eût pu me distraire de mon Seigneur et de mon Dieu; mais loin d'écouter sa voi\ ]ui se faisait entendre à mon cœur, j'ai mis ma cunliaiice eu iiioi-mcme et, les richesses de sa grâce ont fondu dans mes mains. • CHAPITRE SEPTIÈME 501 ne serait-ce qu'en vertu de cette justice lente, à l'état latent, que le ciel a mise jusque dans un cœur troublé, et qui finit par rendre à chacun selon ses œuvres. Molière a beau dire Et serail-ce un bonheur de respirer le jour. Si d'entre les mortels on bannissait l'amour ! Non, non, tous les plaisirs se goûtent à le suivre Et vivre sans aimer, n'est-ce pas ne pas vivre ? » Cette rhétorique de Molière, impuissante et usée, n'em- pêcha pas Ce portrait, que l'on conservait au château de Versailles, a été gravé par Nanteuil. * Ainsi passe la gloire du monde. 504 MADAME DE LA VALLIÈIU- chir ; el il fallut bien que cette femme se posât enlin la juestion de conscience. Qu'en disait M'"*-' de La Vallière, avec son primo amor del cor mio ? Qui ne conviendrait que dans ces quatre ou cinq années de rivalité nouvelle, non plus avec la reine, mais avec M""" de Montespan, rivalité tantôt ouverte, tantôt dissimulée, M""" de La Vallière manqua de dignité ? Sa faiblesse de caractère l'entraîna à un rôle étrange. Mais elle se réveille en 1671, elle disparaît, quitte la cour et se transporte, comme il a été dit, au couvent de Ghaillot, dont elle fut ramenée. C'était un mouvement de conversion, un instant interrompu, mais qui devait se^ développer et grandir ^ Bossuet allait offrir son concours à la reine et à la duchesse de La Vallière. C'était la deuxième année que l'évêque de Condom était précepteur du dauphin. N'avait-il, comme évoque catholique, aucun devoir envers la compagne de Louis XIV, dont la condition d'épouse était si triste? Quand un prélat ne se montre qu'environné des maximes et des lumières du christianisme, il est sûr d'entraîner et de subjuguer les esprits. Il était digne de la reine d'avoir un pareil avocat. Et quel homme, au xvn siècle, pouvait avoir un sentiment plus élevé de la dignité chrétienne du ma- riage et comprendre la portée sociale de l'échec queLouisXIV lui faisait subir? N'était-il pas, en France, un des plus pénétrants interprètes des doctrines de saint Paul ? Qui clait plus convaincu que Bossuet que le mariage est d'ordre sacré; et que s'il était d'ordre purement civil, il perdrait toutes ses splendeurs? Bossuet n'avait-il pas maintes fois, à la suite de saint Paul, représenté l'amour du céleste chef pour son corps mystique ou l'Église, comme le modèle du mariage terrestre et du pur amour avec lequel l'homme et la femme doivent se donner l'un à l'autre? N'avait-il pas expliqué comment ' Depuis le retour de Cliaillut, la duchesse de La Vallière vivait plus reti- rée qu'à l'ordinaire et l'on remarquait qu'elle s'habillait Irès-modestement. [Mémoires de i>i" de Monlpensier. CHAPITRE SKPÏIEMK 305 le mariage chrétien produit dans l'homme le sentiment de sa valeur et de sa dignité ? Le mariage est comme une Kgiise en petit, il forme le germe d'où sortira d'aLord et se JL'veloppera l'Église domestique. Les diverses Églises domes- iques constituent une chrétienté, et l'ensemble des chré- tientés foi-me le grand édifice de l'Église chrétienne univer- selle, l'épouse, le corps du Christ. Le mariage donne donc à l'homme la conviction que l'individu, dans la société con- jugale, est quelque chose de meilleur que l'individu isolé ; qu'il fait partie d'un tout plus saint et plus élevé, d'une alliance dont le modèle n'est autre que l'union de l'Église avec son Sauveur. Voilà la doctrine de Bossuet. Mais on pourrait se demander et on a demandé depuis, si Bossuet, inconséquent avec lui-même, ne demeurait pas l'indifférent et inerte spectateur des attentats continuels qu'on commettait sous ses yeux contre la loi du mariage. On a même demandé, en thèse générale, comment des évê- ques d'une grande piété et de grandes lumières, tels que Bos- suet, Fléchier, Fénelon, pouvaient demeurer au milieu de cette cour où régnaient l'adultère et la concupiscence, les mauvais désirs et de si tristes scandales*. Mais les grands évêques restaient à la cour, malgré ces scandales, parce qu'ils s'y donnaient une mission à remplir-, ils savaient que dans l'âme de tous ces hommes passionnés et de toutes ces femmes pécheresses, il y avait deux parts bien distinctes, celle de l'entraînement et de la fougue des passions ; puis la croyance, l'aiguillon du remords, la foi et la crainte que les récompenses et les châtiments de l'autre vie inspiraient à tous. Ils ne désespéraient jamais de la conversion du pécheur, dit un historien, de ce besoin du salut qui était dans toutes les ' Lamartine, après avoir flétri avec amertume, les de'sordres de la cour de Louis XIV, ajoute avec une visible exagération, que les ministres, môme les plus sévères de l'Église, vivaient dans cette atmosphère de faiblesse qu'ils se voilaient seulement le visage pour ne pas voir ces inconvenances contre leur habit. 506 MADAME DI- LA VALLlERli âmes ; et les dogmes catholiques avaient pour cela des grâces infinies. Il y avait pour préparer ces solennelles conversions et ces repentirs, le Carême, les Pâques, l'Avent, les fêtes de Noël, sans compter les époques extraordinaires, telles que le jubilé; les confesseurs reprenaient leur ascendant. Si l'Avent était prêché par Bourdaloue devant le roi et la cour, si le Carême était fourni par Bossuet, des paroles graves re- tentissaient jusqu'au fond des entrailles de l'auditoire. Elles obtenaient presque toujours de bons résultats, un hommage à la morale parla cessation au moins momentanée des scan- dales. Si les passions mauvaises l'emportaient encore, les •coupables se souvenaient de leur salut; plus tard l'Église re- [irendrait ces âmes égarées ; elle ne désespérait pas d'elles. Nulle occasion n'était perdue pour les évêques ; une oraison funèbre racontait la vie tout entière de celui qui était là, étendu dans le sépulcre, et du sein de la mort s'élevait le can- tique du repentir; le cadavre secouant son linceul venait dire les vanités de la chair. Fléchier, Bossuet surtout, étaient admirables dans ces oraisons funèbres qui osaient châtier ces coupables, grands et petits. Une prise dévoile était encore l'occasion d'un de ces admirables tableaux des plaisirs impuissants du monde pour produire le bonheur, et de ces raille voix célestes de la vertu qui entraînaient l'innocence vers les joies infinies de la solitude et de la piété, ou pro- clamaient le bonheur de la pénitence * . On attendait donc que Bossuet, sortant de ses grandes synthèses, vhit dénouer la querelle pendante entre les deux femmes qui nous occupent. Sans doute, il ne pouvait que prononcer discrètement le nom de la reine , dans ces dé- bats orageux de la conscience ; mais on voit par un de ses discours, comment il appréciait la position et sa complexité. Il a dit son sentiment sous une forme générale, alors qu'il caractérisait la femme prudente des livres sacrés, à l'occasion ' M. Caji-'llgiu', Vie de M'"'' de La l'dllière. CHAPITRE SEPTIEME 507 lo Marie-Thérèse. Il ne faut pour l'entendre, dit-il, que considérer ce que peut dans les maisons la prudence tem- i rée d'une femme sage pour les soutenir, pour y faire fleu- rir dans la piété la véritable sagesse, et pour calmer des ons violentes qn'une résistance emportée ne ferait qu'ai- On a émis, sur le compte de Marie-Thérèse, jiiLiements contradictoires. La reine mère, Anne d'Autriche, iiouvait que Marie-Thérèse n'était pas assez tolérante pour les faiblesses de Louis XIV ^; beaucoup de modernes disent m contraire, qu'elle endurait avec une grande facilité les !ii-ences du monarque ^, sauf à ajouter qu'elle pleurait t'njours, sans expliquer l'origine de ses pleurs. Ne faut-il [is s'en rapporter au sentiment de Bossuet prenant un mi- liLMi, et nous affirmant que Marie-Thérèse faisait tout ce pTelle pouvait humainement, pour ôter tout prétexte il iloignement à Louis XIV, puisqu'elle avait cette pru- il Mice patiente et vertueuse » qui calmait des passions vio- qu'une résistance plus emportée n'eût fait qu'aigrir l;ivautage? Mais il était temps que Bossuet intervînt d'une manière l'Ilicace, et prêtât son ministère à M"" de La Vallière elle- inôine; il était temps de voir la duchesse, dont le cœur rencontra quelqu'un qui ne la valait pas , sortir d'une vie non définie, mettre la main à l'œuvre et travailler à se I 'lever de sa chute. Trois questions se dressèrent devant l'Ile, en l'année 1673 la question de situation temporelle; 1 'lie de la justice divine à satisfaire ; la question de réhabi- litation sociale. L'évêque de Gondom l'aida puissamment ilans la solution de toutes trois, et contribua au dénoûment. La question de situation, parce que dans un changement lo vie, tel que l'impliquait le désir de M""^ de La Vallière, l'âme se posait avec anxiété le problème de savoir que devenir. • Orais. funôb. de iMarie-Thérèse. = Mémoires de M""= de Motteville. ' M. Hippolyle Babou, dans les amoureux de M"'- de Sévigné, et autres. 5i»8 MADAME DK LA VALLIERE On iisail qu'elle pouvait être aimée encore; on parla de plu- sieurs propositions de mariage * ; mais ou ignorait, avec ces combinaisons vulgaires, ce jui lermentait dans cette âme exquise. Elle n'en était plus à rêver d'être aimée; elle n'avait plus la niaiserie de croire à une éternité terrestre de sourires, de ces sourires qui éclairent la nature, disent les romans. La juestion de justice divine se réveillait surtout, parce qu'elle avait dans l'àme de M'"^ de La Valliôre des échos retentissants. 11 ne manquait pas, autour de cette femme, de personnages qui n'eussent voulu, dans le mouvement de re- traite delà duchesse, que des proportions mesquines et hour- gooises. On lui aurait conseillé de porter sa tente ailleurs, et de jouir d'une façon épicurienne, de la fortune qu'elle avait acquise. Bossuet ne pouvait abonder dans ce sens ; et M"'' de La Vallière, avec le tact des choses religieuses, n'oubliait pas que par delà les préoccupations temporelles, nous portons, à l'égard de la justice divine, le poids redou- table de la responsabilité de nos méfaits, 11 y avait à expier ces fêtes de Fontainebleau, de Ghambord, de Ver- sailles, de Saint-Germain ^^, ces échanges devers, ces préé- ' On parla du duc de Lauzun, du duc de Longueville, qui, disait-on, au- raient irigud d'épouser M"» de La Vallière. Les plus dévots de la cour, à la tète desquels était le duc de Beauvilliers, exhortaient M°"= de La Val- lière à donner un grand exemple. D'autres moins sévères, lui con,-cillaient de se retirer simplement dans une communauté, comme M"" de la Motte, pour y vivre religieusement, mais sans engagement. La mère de M"» de La Vallière aurait désiré qu'elle tînt son rang et sa maison avec elle, et qu'elle élevât ses enfants sous ses yeux ; mais le roi, qui ne l'estimait pas, ne la croyait point propre à sauver la réputation de sa fille des dangers d'un pareil état, et celle-ci pensait elle-mèni,' qu'il lui fallait des liens qui l'attachassent irrévocablement à la vertu. On lui proposa donc de choisir, en prenant le voile, un ordre où elle pourrait parvenir aux dignités que le cloître n'exclut pas. Elle répondit modestement que n'ayant pas su se conduire elle-même, elle ne devait pas songer à conduire les autres. » 11 se présenta des mariages, comme il a été dit; mais le duc de Saint-Simon soupçonne à Louis XIV cette pensée orgueilleuse » qu'après avoir été à lui. M"»" de La Vallière ne devait plus être à personne qu'à Dieu. • — Voyez Anquetil, Louis XIV, sa cour, etc., t. i, p. 128. ^ Reconnaissons que M" de La Vallière porta à la cour ce cœur extrême- ment tendre et sensible, dont elle parle si souvent dans ses lettres. Celte CHAPITRE SEPTIÈME JJ09 m inences obtenues au détriment de la reine, ces violations ili's lois morales. Mais comment acquitter cette dette, et sous quelle forme? La question de réhabilitation sociale pesait aussi dans la Le monde a des bizarreries dont on a droit de se l»laindre, mais avec lesquelles il faut compter pourtant. Tour à tour tolérant et difficile, il est le premier à passer l'é- [•onge sur bien des infamies, et à se montrer sévère à l'excès i];ingereuse sensibilité, si utile cependant et si favorable quand elle se porte Ylifs des objets dignes de l'affection d'une âmeimmortelle faitepour posséder Dieu, la séduisit et la trahit. Elle plut à Louis XIV. Elle-même osa concevoir pour son roi des sentiments que les belles qualités de ce prince firent naître 'lafis son âme, que le respect et le devoir auraient dû lui interdire, qu'elle aurait voulu pouvoir se cacher à elle-même, et qu'elle n'eut pas la force et la prudence de dissimuler. » Vie pénitente de AP^' delà Valliére, par l'abbé Claude Lequeulx. Les violences, les combats que M" de La Vallière sup- jiurta au dedans d'elle-même, dans les premières atteintes de son cœur, sont altistes par le même écrivain ; il est constant qu'elle eut plus d'une année il lésislance et de combat entre son devoir et sa faiblesse. Si cette malheu- !• victime de sa propre sensibilité se laissa aller à ces funestes engage- inints qui allaient porter tant de troubles dans l'intérieur de la cour, il faut iliie que» c'est sans art et sans étude • qu'elle avaitsubjugué Louis XIV. Ibid. iornme la manie d'écrire en vers était répandue à cette époque, Louis XIV el M" de La Vaflière a; employé cette forme, au temps du règne de la lille d'honneur de Henriette, alors que l'un et l'autre se promettaient ce que lu poéie raille avec une amertume immense Se promettre de rendre une autre vie heureuse ! Une seule est si douloureuse ! > Tantôt le roi envoyait une chanson, avec un bouquet de fleurs V. chap. IV, Tantôt M" de La Vallière répondait par une épître versifiée dans laquelle elle disait avec vivacité qu'elle pensait à Louis XIV avec un plaisir extrême, » et qu'elle regardait comme bien amoindris Les plaisirs sans ce qu'on aime. " D'autres fois, cette muse de mélancolie affectueuse adressait au roi, des tirades d'un grand charme de pensée et d'un sentiment exquis ; comme par exemple, ces vers cités dans un chapitre précédent, quand, après une ilia^se à Fontainebleau, ou Saint-Germain, s'étant trouvés l'un l'autre sépa- ra s par accident, le roi lui avait écrit sur le blanc d'une carte à jouer, qui élait un deux de carreau. M"" de La Vallière, se servant d'un deux de cœur lui envoya sur-le-champ la réponse qu'on a déjà citée au chapitre quatrième, où l'on trouve à la fois la grâce et l'esprit. Voyez le chapitre IV. Un raconte également, d'après une tradition locale, qu'à Ghambord, M"'' de La Vallière demanda le sacrifice des vers si connus de François I"'. Voyez le ohap. V'-. olO MAOAMK Di- LA VALLIKHI' envers des êtres plus faibles que niécliauts, plus entraînés jue provoca'teurs. On opta pour les moyens héroïques de réhabilitation. Une lois l'idée d'entrer au cloître et de se vouer à une vie austère entrée dans l'esprit de M"'*' de La Vallière, elle ne devait plus en sortir. L'exécution pourra présenter des lenteurs; mais la rupture complète avec le monde, la rupture totale, éternelle avec la société temporelle pour se vouer à une vie de repentir, telle fut la satisfaction que la jeune duchesse, dans la splendeur de ses vingt-neuf ans, crut devoir offrir à la société humaine dont elle avait offensé les convenances et les lois. Les écrivains de l'école moderne ne tiennent pas toujours compte de ces trois éléments qui expliquent la révolution accomplie chez M'"'^ de La Vallière. Soit' distraction , soit faute du milieu intellectuel qui nous est fait, des cri- tiques et des historiens, d'ailleurs judicieux, ne compran- nent en aucune sorte le sentiment qui tenait le plus de place dans les esprits aux siècles de foi religieuse", savoir la justice de Dieu. On a déclaré de nos jours, avec bonne foi , qu'on ne pouvait pas s'expliquer que le couvent eût une raison d'être quelconque dans la société ancienne '. D'autres, sans être aussi radicaux, et sans rester étrangers au cercle des idées catholiques, assignent, à l'existence du cloître, dans ses rapports avec le cœur humain, un rôfe tan- tôt mesquin, tantôt très-incomplet. On voudrait laisser aux femmes, dit un écrivain considérable de ce temps-ci, les pardonnables défaillances de la passion irrésistible à l'homme, digne de ce nom, on demande une lutte plus vi- rile et d'autres exemples. i\lais la Vénus païenne, celle qui s'attache tout entière à sa proie, comme l'a dit le poète, ne fait pas ces différences; et l'expérience nous apprend qu'il ^ Quelqu'un, en 1819, faisant dans un journal une réclame en faveur de l'eau de me lisse des Cannes, ajoutait, quel aveu dans un siècle éclairé! qu'il ne comprenait pas quelle place les ordres religieux pouvaient avoir dans la société ancienne. CHAPITHE SEPTIÈME - 511 n'est de guérisoa à ces maladies ou tout au moins de dénoû- ment à ces romans de l'amour désespéré, que dans les murs d'un cloître. Le roman de Manon Lescaut ne finit pas Des Grieux reste. — Mourir à Gondokoro, comme le héros d'un roman de M. Du Camp, ce n'est pas une vraie fin, c'est un coup de théâtre. Avouons-le, la sœur de René finit mieux, et, d'une façon plus tragique, dans sa sainteté même. Le comte de Comminges, sous son capuchon, avec son cilice, a meilleur air. Je ne demande pas à M. Du Camp, et pour cause, de mener ses personnages au couvent. Mais voilà les vrais martyrs de l'amour désespéré ! Ils ont mis Dieu entre leur désir et leur idole i. » De tels points de vue, ré- pétons-le, sont historiquement et philosophiquement défec- tueux. Le cloître n'était pas seulement l'ancien refuge des cœurs blessés ; la détermination à la vie claustrale n'était pas une démarche purement négative; elle était quelque chose de positif; par un aspect, elle était la guéri- son du cœur malade, et par un autre, elle était dans l'homme la grande préoccupation de la justice de Dieu. Et voilà bien la lacune de l'esprit moderne. Quand l'homme s'est égaré, quand il a été plus ou moins inique en ce monde, on oublie, par une distraction déplorable, qu'il y a quelque chose à faire envers la justice éternelle. — M™^ de La Vallière ne l'oublia pas. ' Réflexions de M. Cavillier-Fleury, de l'Académie française, à propos d'un roman de M. iMaxime du Camp. — Il ajoute, au même endroit De not, jours, je le sais, on ne conseille le cloître à personne. Un homme dans la force de l'âge, n'entre plus en religion, comme Rancé, pour y pleurer M"e d' Monlbazon. Oratoriens, Dominicains, Jé-uites, les Lacordaire, les Ravignan, les Gratry, ne se vouent à la vie cloîtrée que pour retrouver dans une forle discipline, l'action énergiijue qui est le devoir de tous les membres de la société humaine. Personne n'a plus le droit d'échapper à cette loi. Le suicide de l'esprit est presque plus coupable que celui du corps. L'un prend à Dieu plus que l'autre. Gomme refuge de la douleur ou de l'impuissance morale, les cloîtres ont fait leur temps pour les hommes. Ils étaient autrefois, dans les romans d'amour, les plus beaux des dénoùments. Où le stoïcisme lui-même est sans force, où la massue d'Hercule se change en quenouille, le christia- nisme Iriompbait par le renoncement, par le sacrifice. » rjl2 MADAMl* lF. \A 11 y a également malentendu sur la question de réhabili- tation sociale que se posa M"" de La Vallière, et l'illustre auteur du livre sur la duchesse de Longueville est une frappante preuve dos préoccupations exclusives auxquelles peuvent s'abandonner des esprits éminents. Une nuance fondamentale séparait, on le sait, les premiers protestants d'avec les catholiques, sur la question théologique de la jus- tification, ou réconciliation de l'âme pécheresse avec Dieu. Selon le protestant, il suffisait que l'homme, pour la répa- ration de sa conscience, ^ cessât, interrompît ses désordres ; selon le catholique, il fallait, outre la cessation du désordre, une expiation, une réaction énergique contre le passé, une punition personnelle. Or il est arrivé à M. Cousin, par suite de son engouement historique, de comparer M" de Longueville à M" de La Vallière, et de se montrer protes- tant dans sa manière de comprendre la réhabilitation. Ne nous laissons pas abuser par ces fausses et sophistiques exposi- tions des choses, qui altéreraient la vraie grandeur de M"^de La Vallière. Elle eut un sentiment vif et profond de la justice divine ; et voilà pourquoi ses longues expiations, ses longs renoncements font sa réhabilitation et sa gloire. Lisons cependant le parallèle de M^^^ de Longueville et de M""" de La VaUière, tracé par cette belle plume de M. Cousin; d'au- tant plus que la comparaison est prise à la ibis dans la vie séculière et dans la vie pénitente de ces deux femmes, qui, toutes deux, ne vécurent, après leur conversion, que pour le devoir et le repentir, s'efforcant de mourir à tout ce qui naguère avait rempli leur vie, les soins de leur beauté, les tendresses du cœur, les gracieuses occupations de l'esprit, et gardant, néanmoins, ce que jamais elles ne pouvaient perdre, un angélique visage, et une grande délicatesse d'âme et de caractère. Nous ne croyons pas rabaisser M"'- de La Vallière, en comparant avec elle M'"'' de Longueville. Il est certain que les amours de M"'' de La Vallière sont bien au- trement touchantes que celles que nous aurons à raconter. CHAPITRE SEr'TIfMl M"' de Montpensier ne consigna pas, dans ses Mémoires, de grands détails sur cette affaire voici ce qu'elle en dit Comme M'° de La Vallière n'a jamais été autant de mes amies que M™" de Monlespan, j'ai oublié plus volontiers ce qui la regarde. Depuis qu'elle était revenue à la cour, du cou- vent de Chailiot où elle n'avait été que douze heures, elle avait mené une vie plus retirée qu'à l'ordinaire; elle faisait comme une personne qui se vou- lait retirer tout à fait ; elle s'iiabillait plus modestement. Je devais avoir dit qu'elle avait eu deux garçons, dont un était mort de la peur qu'elle avait eue d'un coup de tonnerre... Je crois que l'on s'en consola, aussi Lien que du dessein que la mère avait pris de se retirer tout à fait. • On disait que la lettre qu'elle avait écrite au roi lorsqu'elle s'en alla ;'i Sainte-Marie, était de la façon de M. de Lauzun, qui la lui avait faite, et qui croyait rallumer l'amour du roi par cette retraite. Le maréchal de Belle- fonds, qui est fort dévot, s'attacha fort à la voir; on croyait même qu'il lui avait indiqué le /ère Cazar pour la conduire, qui lui conseillait de se faire carmélite. » On disait que son dessein avait été de demeurer dans une maison où elle put vivre avec beaucoup de régularité et y faire élever ses enfants; on la trouva trop jeune pour cela, le roi n'en fut pas d'avis — On disait que c'était sa mère, qui y trouvait son intérêt, qui lui avait inspiré ce dessein. » M"" de La Vallière jouissait d'un gros bien, avec beaucoup de pierreries et de meubles. Depuis que le roi ne l'aimait plus, il avait couru un bruit que M. de Longueville en était amoureux; on le fit cesser bientôt. {Mémoires, 4* partie, Montpensier. 2 L'ordre des Carmélites est un des ordres religieux de femmes les plus sévères. C'est là qu'on mortifie le corps par une vie dure, les privations, les veilles, les longues prières, les cilices, les chaînes de fer. On sait que sainte Thérèse est la fondatrice ou réformatrice de l'ordre. S20 DE LA VALLIÈRE chasse la chasse de Fouquet par ses ennemis , pour le faire tomber au filef; la chasse de La Vallière, pour la livrer au roi ; les complaisants y travaillaient '. » M"'p de La Vallière fut prise ; et la seule différence entre 1G73 et 1G62, est que, d'abord, c'était l'étourdissement avec l'impuis- sance de penser ; tandis qu'à douze ans de distance, on pouvait penser etréflécbir. Et, à cette heure, la malheureuse duchesse proteste, avec sa nature, au Ibnd vertueuse, contre les séductions qui l'entraînèrent. Elle avait abjuré, depuis l'âge de dix-sept ans jusqu'à l'âge de vingt-neuf, les idées et les puretés de son adolescence. Mais elle trouvait en- îore, dans les ressources de son âme naturellement pudique, l'énergie de s'inscrire contre sa propre révolte et contre sa chute. Combien tout était changé pour M""" de la Vallière 1 Elle se souvenait des premiers sentiments de son cœur ; elle revoyait en imagination le château de Blois avec ses habitants, avec tous les souvenirs gracieux de la pre- mière jeunesse ; elle rêvait de son modeste château de La Vallière, avec sa belle foret qui le défendait des vents du midi, avec ses douces et tutélaires figures de parents. Toute- fois elle n'osait plus dire avec Dante Il bel ovile ov'io dormii agneîlo ? Ni avec Pétrarque Oie nutrido fui si dolfemcido. Pourquoi avait-olle quitté la province et le pays natal? Le meilleur sera toujours de vivre dans son propre milieu, terrain naturel des bonnes affections, qui n'auront pas à re- • Voici un excellent témoin, Mulicre, adressant aux résistances de M'i" de La Vallière, ces reproches de Montespan, s'acharnaient encore à prétendre que M'"" La Vallière n'annonçait une si étrange résolution que pour attendrir le roi, beaucoup d'autres s'en alarmaient; et Benserade vint dire à la duchesse, que sans prendre un semblable engagement, elle pouvait vivre partout avec autant de régularité que dans un couvent, et qu'elle devait rester dans le monde pour l'édifier. M"'^ Scarron, elle-même, la femme de haute raison, désapprouvait complètement le chois du couvent 522 MADAME DE LA VALLII^HE biographe a oljscrvé avec justesse que les humiliations et les douleurs du délaissement ne lui donnèrent jamais l'idée d'emJH-asser la vie religieuse. Mais lorsque commença à se faire sentir le besoin d'oll'rir un grand exemple, de faire à Dieu un sacrifice volontaire et réiléchi, et de ne point se donner à lui par désespoir, c'est qu'un autre ordre de con- sidérations était intervenu. Tant que son cœur l'ut souillé par une passion criminelle, la duchesse n'éprouva que le désir de se retirer dans la solitude. Mais quelle est la vision qui lui était apparue, quand elle se crut détachée des coupables attachements? La Palatine, lui demandant un jour l'explication de sa patience à supporter les humiliations de la cour Je fai- sais pénitence , dit-elle. — Ainsi, déjà, la duchesse de La Vallière, dont l'idéal terrestre était si tristement brisé, in- capable de vivre de la vie banale des femmes délaissées , avait cherché, au milieu même de sa passion et de ses éga- rements, l'idéal nouveau auquel elle demanderait de ne pas la tromper. Son sacrifice commença longtemps avant sa re- traite ; elle fit alors de toutes ses pensées, de tous ses actes, de sa vie entière, une sorte d'antithèse absolue, dirigée contre les souvenirs qui la poursuivaient. Ah! la mémoire! s'écriait-elle, la mémoire impor- tune! » p]t elle courbait son beau front, elle abaissait dans la poussière sa tête charmante, elle devenait la servante de sa rivale; mais son âme p'était point re]Osée; elle res- semblait aujourd'hui à la souriante Ophélia, le lendemain à la Madeleine en pleurs *. On a voulu savoir à quel moment précis l'idée de prendre des Carmélites. Mais la reine Marie-Thérèse n'était pas de l'avis de la future reine M"" de Maintenon. — Comment pourrez-vous vous acioutumer à de telles austérités, dit M°" de Maintenon à M"" de La Vallière ? » La reine au- rait pu suggérer la réponse, si, comme on l'a vu plus haut, Louise de La Vallière ne l'eût instantanément trouvée de Genlis, la cause occa- sionnelle de cette vocation serait assez dramatique. Quand la cour eut aban- donné le séjour de Saint-Germain, la douce et intéressante La Vallière vint y chercher la paix dont avait besoin son cœur si cruellement agité. Elle vou- lait racheter ses fautes à force de bienfaisance, et tâchait d'oublier, dit-on, ses malheurs en soulageant ceux des autres. Elle apprend un jour qu'un vil- lage, près de Saint-Germain, vient d'être en partie consumé par les flammes; elle fait prier le pasteur de ce lieu de se rendre auprès d'elle, pour lui re- mettre les secours qu'elle destine à ses malheureux paroissiens. Le curé se pré- l'ecclésiastique qui lui adonné les premiers principes rejigieux, et lui a tracé une ligne qu'elle a si mal suivie ? Ce qu'elle était autrefois, pendant sa pieuse adolescence, ce qu'elle fut depuis,' ce qu'elle est en ce moment, son innocence, ses erreurs, son repentir, tout frappe à la fois son esprit. Elle tombe aux pieds du curé, verse d'abondantes larmes, lui peint ses remords, ses tourments, et lui demande des conseils et des prières. Le pasteur ne voit d'asile pour elle que le sein d'un Dieu qui pardonne. La Vallière l'entend; sa résolution est prise; c'est au couvent des Carmélites, à Paris, que s'écouleront, dans la pénitence et les larmes, les jours qui lui seront encore réservés. Un artiste, M. H. Baron, a peint cette scène, que, Abel Goujon Histoire de Saint-Germain en Laye, Uulaure, dans son Histoire des environs de Paris, M" de Genlis, dans sa Vie de AP^" de La Vallière, sem- blent accréditer, malgré la petite invraisemblance qui s'y trouve. 524 MADAMI- DK LA VALLIKUE Strasbourg. Cependant, M™^' de La Valliôre, qui était re- mise de sa maladie et avait pu suivre la cour, écrivait de Tournay au maréchal de Bellel'onds, une lettre, datée du 9 juin 1673. Déjà cette tête et celte âme avaient fermenté, à l'issue de la grave maladie qu'elle avait eue dans les pre- miers mois de cette année, et les spectacles de Flandre ne durentqu'accélérer l'éclosion du projetde se retirer au désert. La duchesse vit la jeune reine, toujours négligée, toujours trahie. Elle vit les scandales de M™" de ]\Iontespan, contre la- quelle on eut de nouvelles preuves relatives aux sanglants outrages laits à Marie-Thérèse. Et M""** de La Vallière se voyait forcée de convenir que l'initiative de ces tristesses lui appartenait. Gela acheva- t-il de porter à maturité l'idée des Carmélites? On ne sait. Une lettre du 4 novembre 1G73, vient enfin tout éclairer, et nous renseigner sur ce qui se passa dans l'intervalle entre le mois de juin et le mois de novembre. La duchesse nous apprend positivement qu'à cette date elle est à peu près dé- cidée à se faire religieuse au couvent des Carmélites. Vous me donnez une grande joie de m'assurer que je serai reçue, quand j'aurai la force de me tirer d'ici, » écrivait-elle au ma- réchal de Bellefonds. Une lettre de Bossnet, du 25 décem- bre 1673, traite aussi ce chapitre delà vocation de M^^de La Vallière; il a vu plusieurs fois la duchesse, dit M. de Con- dom, et il la trouve dans les meilleures dispositions, qui, espère-t-il, auront leur effet. » Cette décision de la duchesse était un grand événement, et, à peine formée, la nouvelle s'en répandit avec la rapidité de la foudre. M""" de La Vallière écrit, en effet, le 21 no- vembre de cette même année, à son grand ami, le maréchal de Bellefonds J'ai vu, depuis votre départ, les personnes auxquelles j'espère aller bientôt me joindre pour toujours... J'ai vu M. de Condom et lui ai ouvert mon cœur; il admire la grande miséricorde de Dieu sur moi, et me presse d'exé- cuter sur-le-chami sa sainte volonté... Depuis les deux jours CHAPITRE SEPTIÈMK 525 que je ne l'ai vu, le bruit de ma retraite s'est si fort répandu, que tous mes amis et mes proches m'en ont parlé. » Elle écrit encore, le 6 décembre 1673 ic Vous serez surpris d'ap- prendre par d'autres que par moi les bruits qui courent dans le monde sur ma retraite aux Carmélites ; cela s'est publié depuis dix à douze jours, sans que j'aie rien fait que ce que vous avez vu avant votre départ. » ^ La jeune reine, étant partie intéressée dans ce débat in- time, n'avait aucun conseil à donner. Abandonnée à elle- même, on peut présumer de quel côté elle aurait penché , avec ses habitudes et ses doctrines sur les grandeurs mon- daines. Retirée dans la majesté de sa réserve, elle devait se borner à suivre avec sympathie et amour la crise régénéra- trice que traversait M""^ de La Vallière. Mais la reine et M""" de La Vallière étaient si bien faites pour s'entendre, sans cette lamentable passion, qui s'était jetée à la traverse. Dès le début, Marie-Thérèse reçut, par la faute de M""" de La Vallière, les plus terribles coups qu'un cœur de femme puisse recevoir ; €t cela dura sept ou huit ans. Autrement, ces deux femmes avaient une nature assez identique ; même naïveté d'âme, même droiture; cœur également chaud; même fond de foi et de tendresse religieuse. Aussi, quand on eut bruit à la cour de la détermination de M""^ de La Vallière de se retirer pour toujours derrière les grilles d'un couvent, la reine, qui avait ses assiduités à la rue du Bouloi, ne fut pas la dernière à entendre cette grave nouvelle. Son âme touchée s'inclina, se rapprocha; la réconciliation, sans être exprimée en formules extérieures, était consommée dans son cœur royal. Cette jeune duchesse de trente ans veut mourir, mais non mourir par le prompt suicide, arme des esprits malades, qui ne savent ce qu'ils font, ou des lâches qui ne veulent pas expier leur passé. Elle veut mourir d'une mort toujours vivante, d'une agonie sans fin ; elle veut la mort avec la lente souffrance , elle veut mourir au monde, à la cour, aux 826 MADAME DE LA palais somptueux, aux sociétés aristocratiques et brillantes, aux choses qui l'avaient enchantée; aux caresses, aux ap- plaudissements profanes. Comment la jeune reine n'aurait- elle pas été attendrie de tant d'héroïsme? Sa dignité la re- tint à l'écart ; mais elle pria pour celle qui, repentante de ses torts, songeait à se choisir une Thébaïde. fl fut décidé qu'après toutes dispositions prises, M" de La Valliôre se retirerait de la cour et ferait son entrée au couvent des Carmélites do la rue Saint- Jacques, dans le mois d'avril 1674. Un véritable intérêt s'attache aux derniers moments que M™^ de La Vallière passa avec la reine, quand elle dut prendre congé d'elle. On a trop oublié l'ensemble des éléments qui concoururent, au xvii'-' siècle, à nous donner M'"" de La Vallière avec son type de pénitente aimée et bénie ; on a trop oublié que la reine Marie-Thérèse a réagi sur M""*^ de La Vallière, sur sa détermination d'embrasser la vie du cloître ; et qu'ainsi nous devons à son intluence indirecte la Madeleine de l'Occident. L'histoire doit ici bien rattacher les eUets aux causes et faire la part de tous et de chacun. Si la duchesse de La Vallière sentit enfin un vent nouveau se lever, enfler ses voiles, si elle doubla son cap des tempêtes pour rentrer brisée et meurtrie dans l'Océan pacilique, on doit tenir compte du visage attristé de Marie- Thérèse pour comprendre ces résolutions finales de la du- chesse. Par conséquent, quand il s'agit des premiers actes que nécessitèrent sa conversion et la réalisation de ses idées nouvelles, il est indispensable de raconter sa dernière en- trevue avec la reine, alors que la future carmélite allait prendre congé de la société humaine; entrevue qui fut un de ces moments dramatiques et touchants, rares dans l'his- toire. La Vallière avait ]esoin de voireniin cette femme auguste, et d'entendre une parole do pardon et de pitié sortir de cette bouche qui avait exprimé longtemps contre elle de trop justes plaintes. Elle demanda en secret une au- dience particulière à Marie-Thérèse, à Versailles, selon les CHAPITRIi SEPTIÈME 327 uns, à Saint-Germain, selon d'autres ; elle reçut la permis- sion de se rendre au château, au déclin du jour. La peinture moderne a reproduit la cérémonie de réception aux Carmé- lites, et ce sujet a inspiré un artiste de mérite en lui four- nissant une belle page. Il serait désirable qu'un autre Lesueur eût célébré, dans une immortelle toile, les adieux de M°"^ de La Vallière à la reine Marie-Thérèse. On voit dans Marthe et Marie, tableau de Lesueur dont Toriginal est à Munich, une belle tête de femme, dont le regard suppliant implore le Christ. Cette figure a une magnifique expression de tristesse et de repentir aimant*. C'est ainsi que devait paraître M"''' de La Vallière devant la reine. M'^e cle La Vallière voulut cette audience, parce que c'était un devoir et un besoin de cœur pour elle. Elle était fragile, mais elle n'était pas vicieuse. Les deux choses dont nous nous occupons le moins, et qui devraient nous pénétrer le plus, selon Leibnitz, la vertu et la, santé, la duchesse voulait enfin les prendre en grande considération, du moins, et surtout, la santé de son âme. Elle qui n'en voulait à per- sonne, et ne prétendait se venger de qui que ce fût, elle qui, dans le temps, déplora la disgrâce des Navailles, du comte de Guiche, du marquis de Vardes, elle qui avait donné des larmes sincères aux chagrins de Madame, et s'était accusée d'être la première cause de tous ses malheurs, semblait pouvoir compter sur la clémence de Marie-Thérèse. L'expédition de Franche -Comté était décidée. Déjà le maréchal de Navailles opérait avec un corps d'armée depuis le milieu de l'hiver et prenait diverses places aux Espa- gnols. Il avait été résolu que Louis XIV se rendrait lui- même, au printemps, sur le théâtre de la guerre, avec la reine. On était vers le milieu du mois d'avril, et la reine allait partir. C'est le 18 avril 1^074, très-probablement, ou le 19, que la duchesse de La Vallière fut introduite chez ' On en trouve, au Louvre, la copie gravue par Calamalta, directeur de 1';.- cadëmid de Bruxelles. 528 MADAMf- DK LA VALLIERK Marié-Thérèse. Elle Lioiiva la princesse seule dans sou ca- binet. Quelle entrevue 1 Une estampe représente la reine assise dans son fauteuil; elle était là, avec cette dignité et cette hauteur naturelle que lui donnait le sang de Charles- Quint '. » On voit La Yallière vêtue d'une robe de bure noire, le visage couvert d'un voile, se précipitant aux genoux de la reine -. La reine la relève avec bonté. La duchesse en entrant avait relevé son voile, et découvert un visage inondé de pleurs ^. Un historien du xvn*^ siècle nous apprend que la reine i'ondit en larmes *, qu'elle ne put s'en empêcher en voyant M"""-' de La Yallière lui demander pardon 5. » Ce que M"'» de MoUeville disait d'Anne d'Autriciie. '" Un jour que le roi parlait pour un voyage, elle La Vallière entendit la messe du roi, demanda pardon à la reine, humblement prosternée à ses pieds, » {Mémoires de M" de Montpensier. 3 Quelles paroles furent échangées, dans ce moment solennel ? Les Mémoires du temps ne sont pas très-explicites à cet égard. Le silence ému est toujours la grande éloquence de ces heures paliiéliques. L'émotion remplace les dis- cours. On repasse l'espace de temps parcouru depuis 1661 jusqu'en 1674; on voit les débuts et le dénoùment. On ne sait qui fut la plus grande, dans cette circonstance importante, ou de M"* de La Vallière, qui s'humilie et pleure dans la spontanéité d'un cœur brisé par le repentir, ou de Marie-Thérèse qui, oubliant complètement ses longues douleurs, pardonne, plaint et aime la belle et douce La Vallière. Cette charmante repentie s'avance en chancelant et joignant les mains, et se jetant à genoux devant Marie-Thérèse • Je viens, dit-elle, implorer un gé- néreux pardon... Ohl Madame, ne me repoussez pas. .. , dans quelques heures, je serai pour jamais renfermée dans le couvent des Carmélites. » — A ces mois, la reine profondément attendrie, relève la duchesse et l'embrasse étroitement. — avril 1074, peignant à vif les sentiments du beau monde de Versailles. CHAPITRE SEPTIÈME 529 Quand le moment de la séparation fut arrivée pour ces deux femmes, on raconte que M'"'^ de La Vallière, appuyant sa bouche sur la main de la reine, et serrant fortement cette main contre son cœur, lui dit d'un ton touchant et ferme à la fois — Adieu, Madame; — qu'elle s'inclina profondé- ment, et qu'elle sortit avec précipitation. Ce qui est cerlain, c'est que Marie-Thérèse, en la regardant partir, voyait se réaliser, sous ses propres yeux, la définition que saint Gré- goire de Nysse a donnée de l'homme ; savoir — que l'homme est un être qui a la faculté de se repentir. — M""^ de La Val- lière, ayant la résolution de mettre entre elle et le monde une barrière insurmontable, n'était pas de nature à chercher le derni-jour douteux entre le boudoir et le sanctuaire, » ni cette mélancolie des âmes tendres et vertueuses, station entre deux mondes, comme a dit une dame célèbre ^, où l'on sent encore ce que cette terre a d'attachant, mais où l'on est plus près d'une félicité plus durable. » M""" de La Vallière était cause que tout était mort pour Marie-Thérèse en affec- tion conjugale ; aussi estima-t-elle que c'était justice de de- venir une morte à son tour. Quand elle sera entrée chez les Carmélites, et qu'à la fin de son noviciat, elle aura prononcé ses vœux, elle sera morte au monde pour toujours ^. Celle lellre commence ainsi La duchesse de Vaiijours, impatientée de ce qu'on ne s'occupoit plus d'elle, et peu satisfaite de la considération dont elle jouissoitàla courdepuisqu'elle avoit sacrifié sa réputation à la gloire d'être mai- tresse du roi, vient de donner unecomédiefortplaisanteà la der- nier, aviint de se rendre aux Carmélites de la rue Saint-Jacques, elle fit ses adieux à la reine en pleurant et lui demanda pardon publiquement des cha- grins qu'elle lui avoit donnés et du tort qu'elle lui avoit fait. La maréchale de La Mothe lui fit observer, qu'elle ne devoit pas s'exprimer ainsi devant tout le monde; elle lui répondit que comme ses crimes avoient été publics, il falloit que la pénitence le fût aussi. La reine la baisa au front, et l'assura qu'elle lui pardonnoit. Satisfaite d'avoir obtenu le pardon qu'elle avoit l'or- gueil de demander publiquement, elle sortit de chez la reine, appuyée sur le bras de M'" de La iMothe » M. Arsène Houssaye qui cite celle lettre, dit qu'elle n'est pas signée, ni d'une écriture connue. iH"e de La Vallière et M"'^ de Moniespan, p. 228. * M"» de Kriidner. 2 Aussi Gregorio Leti, disait-il, dans son Teatro G, illico La duchessa de La Valiera morta ai mondo per sempre. » t. II, p. 112. 34 530 ' MADAME DK LA VALLIÈUE M**^ de La Valliore se rendit aux Carmélites le 20 avril 1674. C'était un événement en quelque sorte national; aussi les plus grands personnages de la cour y assistèrent. Lorsque la duchesse de La Vallière baisa pour la dernière fois, dans un embrassement inénarrable, les deux enfants de ses entrailles, M"" de Blois et le comte de Vermandois*, qui ne comprenaient rien à la retraite de leur belle-maman ^ et que M'"" Colbert attendait pour les ramener, lorsque restée seule, après le départ des dames et des cavaliers qui l'avaient accompagnée, elle eut passé le seuil du cloître pur se jeter aux pieds de la prieure, et pour lui dire Ma mère, je viens remettre entre vos mains, pour ne la plus reprendre, ma volonté dont j'ai fait un si mauvais usage toute ma rie 3, » il y avait un hommage public, rendu devant la France entière, à des institutions qu'on avait méconnues *. La première action de. M"e de La Vallière, en pénétrant dans l'intérieur du couvent de la rue Saint-Jacques, avait été de s'aller prosterner au pied des autels, de s'y dépouiller d'une parure superbe dont elle s'était vêtue à dessein pour la dernière fois, et de la donner à l'église ^. La pécheresse repentante y offrait sa vie à Dieu; le sacrifice était entier. Tout ce qut avait rempli la période de 1661 à 1667 était désavoue. En tout temps une réception de carmélite est un acte grave, mémorable et austère. Ces maisons étranges dont toutes les ouvertures, sauf une porte blanche, sont murées, dont fenêtres du rez-de-chaussée, fenêtres du premier étage, 1 Li 20 aprile nel convenlo del Garmelitane seaize, accompagnata dal suo figlivolo e dalla figlivola. — Tealro gnlluo, t. II, p. 89. LeUre do M""= de Sévigu*; du 12 janvier 1674. 3 Lettre circulaire de la sœur Mideleiae du Suint-Esprit, prieure des Car- mélites de Paris en 1710. * Passata dal Duca di Montosior, governatore di questo Delfino dopo es- potogli il suo pensiere licbbe in ritposta Madama, queslo c un' Esempio délia maggiore edificalione clie putra farsi nel inonda, e mi maraviglio che iina Dama di cosi graa spirilo hab'tia tanlo ritardalo a iigliar lai santa risolutione. Tealro gai lico, t. II, p. 90. ' Gregorio Leti, Tealro Gallico, t. I, p. 89. CHAPITRE SEPTIEME 331 lucarnes du grenier, soupiraux des caves, tout a été fermé par la main du maçon *, •» ces maisons ne paraissent avoir rien d'attirant ; et c'est grand événement quand une femme, qui sacrifie quelquefois beauté, jeuneese, jjrillant avenir, fortune, haute naissance, s'en va habiter ces lugubres de- meures, ce tombeau de vivantes. L'entrée de M""^ de La Vallière aux Carmélites avait, outre celle-là, une autre signification. Non-seulement elle venait prendre place parmi ces héroïques femmes, membres d'honneur de la fa- mille humaine, qui portent dans leurs mains pures le dra- peau du spiritualisme chrétien ; son admission parmi les carmélites était aussi une protestation contre sa gloire anté- rieure. Elle déclarait qu'elle venait chercher la vraie vie après avoir vécu de 1^ vie fausse les honneurs dont elle avait joui pendant douze années n'étaient que boue et crime ; elle en faisait son med culpd devant le monde entier. Il y a deux jours que je suis ici, écrivait-elle à un ami, le 22 avril 1674, de sa cellule de la rue Saint-Jacques ; j'y goûte une tranquillité si pure et si parfaite que je suis dans une admiration des bontés de Dieu qui tient de l'en- » thousiasme. Mes liens sont rompus par sa grâce ; et je vais » travailler sans cesse à lui rendre toute ma vie agréable, » pour lui marquer ma reconnaissance. Je n'entrerai dans aucun détail aujourd'hui ; il vous suffira de me savoir en ' Un moderne traçait ainsi le tableau de ces maisons Nul ne pénètre dans ce tombeau, sinon le médecin. Seule une chapelle est ouverte à la piété ou plutôl à la curiosité et à la pitié publique; cette chapelle ne laisse rien voir de l'intérieur mystérieux et redoutable de l'étrange demeure; on n'a- perçoit que des grilles derrière lesquelles passent dans le lointain des ombres, des grilles dunt les losanges étroites sont armées de pointes; un siège duquel le confesseur communique avec les recluses par une sorte de crible dont les ouverture,*, calculées pour laisser passer la voix, le sont aussi pour empêcher de voir les traits du visage. La communion se donne par un guichet qui laisse paraître à peine une bouche qui s'ouvre et une langue qui s'avanoe pour recevoir l'hostie. Et quel régime? jamais de viande, jamais de vin, jamais de bas ni de souliers; en toutes saisons, elles vont nu-jambes et nu-pieds sur les dalles froides; point de lit, car on ne peut guère donner ce nom à ces instruments en bois... 332 MADAME DE LA VALLIÈRE » sûroté ; remerciez Notre-Seigneur pour moi , je le prierai » avec ardeur pour vous. Faites quelques compliments à M. de Grenoble, de la demi-penitcnte *. » Que de cœurs attendris, que de larmes coulèrent lorsqu'on vit M'"'' de La Vallière à la cérémonie de la véture, prendre le voile ordinaire de la novice sous le nom de sœur Louise de la Miséricorde ! En présence d'une grande multitude, dit un écrivain du temps, elle reçut l'habit bénit par l'archevcque de Paris. Ensuite elle se retira avec les reli- gieuses, prit le cilice, mit l'habit blanc de laine grossière sur la chair, et, nus pieds, avec des sandales, elle retourna devant l'autel-. » Au moment où ses cheveux blouds, si ad- mirés, tomljèrent sur les dalles, une pitié douloureuse s'était x^einle sur le visage de tous les assistants ^. » Je fus bien touchée, dit la princesse Palatine, de voir cette char- mante créature prendre une pareille résolution, et, lors- qu'on la mit sous le drap mortuaire, je me mis à pleurer si amèrement que je ne pus me laisser voir davantage ^. Toutefois, lorsque M" de La Vallière eut franchi le seuil du cloître, les premières impressions du public furent très- diverses. Quant aux religieuses de la rue Saint- Jacques, elle les étonna par le peu de ménagement qu'elle avait pour elle-même, comme elle avait déjà surpris étrangement ceux qui l'avaient vue dans le monde. Tout accoutumées qu'elles étaient à de pareils sacrifices, elles ne pouvaient s'empêcher > Lettre au maréchal de Bellefonds. 2 lu preseriza d'una moltitudino i>en grande di popolo, riceve l'abito ma rilirata'/â poi da parte con le sole iiionache preso il cilicio, spogliata délia camicia islessa vesti l'abito bianco di panne rozzo a carne nuda, e nudi piedi con sandali, e ritornatainnanzi l'altare. » {Tealro Gallico de Gregorio Leti, t. II, p. 88-89. 3 La duchesse de La Vallière, par R. Clément, de l'Institut, p. cxx. ^ Sans attendre la fin de son noviciat, et le jour même de son entrée dans le cloître, elle lit couper ses cheveux autrefois l'admiration do tous ceux qui ont parlé de sa personne. L'arbre cliarmant ne voulut pas attendre le ferme de la saison sacrée, et il avait lu'ite de se dépouilkT de sa dernière couronne. • {Saillie- Beuve. ' Correspondance compirle, t. Il, p. ll'J. CHAPITRE SEPTIÈME 533 de l'admirer, et il n'y en eut aucune qui ne jugeât que des commencemeats si fervents et une correspondance si fidèle aux premières grâces dont Dieu avait Lien voulu la favo- riser, seraien£ suivis d'une persévérance à l'épreuve de tout ce qui pourrait s'y opposer. • Les gens du monde en jugeaient d'une manière bien .différente; ils la regardaient comme la victime d'une mo- rale outrée qui ne ménageait rien, et qui exigeait de la fai- blesse des hommes ce que Dieu lui-même n'en demandait pas. D'autres ne pouvaient s'empêcher de craindre que sa santé et la délicatesse de son tempérament ne fussent pas à l'épreuve des austérités qu'elle allait embrasser. Quelques- uns même lui prédisaient des repentirs, des dégoûts, de tristes retours vers le monde qui troubleraient la tranquillité de sa vie. Pour M°"^ de La Yallière, elle-même, elle était persuadée que l'unique moyen d'apaiser la colère de Dieu était de s'engager dans une pénitence qui ne finît qu'avec sa vie, et qu'il n'y avait que la profession qu'elle embrassait qui con- vint aux sentiments que Dieu lui avait inspirés. C'est ce qui lui faisait dire Je ne sais si ma vie pourra plaire à Dieu, et si la satisfaction publique que je veux lui faire trouvera grâce devant lui; mais je sais bien que j'ai frappé à la seule porte qui m'était ouverte, et que je ne pouvais rentrer que jarlà dans la paix de Jésus-Christ i. » Mais il faut se hâter d'arriver à la célébration de la cérémonie qui devait, l'année suivante, d'après les statuts, consacrer à jamais la réconciliation et l'embrassement de Marie-Thérèse et de M""^ de La Yallière. 11 faut raconter cette scène mémorable de la rue du Faubourg-^aint- Jacques, où la jeune duchesse devint définitivemefit l'idole des généi-ations sensibles, et comme la statue de la pudeur repentante. » Franchissons ' Voir le Récit abrégé de la vie pénitente de M'^' de La Vallière, Paris, clicz Savoie, 1754 , page 20. S34 MADAME DI'] LA VALLIEHK ces retarJeinents *, ces plaisanteries moqueuses -, ces règle- ments de fortune^, ces oppositions sysLématiquesde la cour^ 1 Bossuet écrivait de Saint-Germain-cn-Layc , le 25 décembre 1G73 M"" la duchesse de La Vallière m'a oblige de traiter le chapitre de sa vo- cation avec M'"°de Montespan. J'ai dit ce que je devais, et j'ai, autant que j'ai pu, fait connaître le tort qu'on aurait de la troubler dans ses bons des- seins. On ne se soucie pas bi aucoup de la retraite, mais il semble que les Carmélites font peur. On a couvert, autant qu'on a pu, cette résolution d'un grand ridicule. J'espère que la suite en fera connaître d'autres idées. {Lelire au maréchal de Bellefonds. * M"> de Sévigné raillait la pécheresse repentante • M^^ de La Vallière ne parle plus d'aucune retraite; c'est assez de l'avoir dit. Sa femme de chambre s'est jettée à ses pieds pour l'en empêcher; comment résister à cela? . {Lettre du lo octobre 1673. — Ce qui faisait naître la défiance de M™» de Sévigné, sur les femmes qui restaient dans le monde après leur con- version, et qui semblaient aspirer à la gloire de lui servir d'exemple et de modèle, c'est, dit M. Walckenaër, la comparaison qu'elle faisait d'elle avec ces grandes pécheresses, dont la subite transformation, opérée par une grâce toute divine, excitait à la fois sa surprise et son admiration. Les railleries de M^e de Sévigné font voir qu'elle croyait peu à la sincérité de certaines con- versions, malice était excitée par ces femmes, qui, après avoir été célèbres par leurs aventures galantes, se faisaient remarquer par leur grande dévotion, mais c'était de cette dévotion fastueuse qui s'ajinonçait à tous par l'absence du rouge, par de grandes manches, et une mise particu- lière, par une affectation de pratiques rigoureuses, par un grand renfort de directeurs et de confesseurs. V. Mémoires sur 31""' de Sévigné, par Walcke- naër. 4" partie, p. 216 » D'après M. de Condom et d'après Gregorio Leli, Colbert, qui avait sans doute des ordres, créait dans le principe des difficultés pour les affaires tem- porelles de la duchesse. Sa fortune passait pour être considérable. Elle avait possédé notamment à Versailles, un terrain où elle avait fait élever un pavil- lon donnant sur la rue de la Fompe. Louis XIV racheta ce terrain en 1672 pour y faire construire les écuries de la reine. Le pavillon dont il s'agit sert aujourd'hui de magasin pour les grains de la guerre. Histoire anecdolique des rues de Versailles, par M. Le Roi. J'ai eu communication, par M. le duc d'Uzès, de deux pièces écrites de la main de Louis XIV ; le roi y donne ordre à. l'intendant du comte de Verman- dois, à la date de 1674, de remettre livres pour la liquidation des affaires de M""= de La Vallière, ïe rendant aux Carmélites. Toujours est-il que Colbert, qui était alors tout dans les intérêts de M™» de Montespan, ne lirait d'affaire M"'" de La Vallière que fort lentement, au rap- port de Bossuet. On voit par les É\als du comptant de l'année 1673 Archives de l'Empire, K. 119 que Louis XIV donnait, pour " l'entrételiement de la maison du comte de Vermandois et de M"'^ de Blois » 80,000 livres, soit, en monnaie d'aujourd'hui, environ 320,000 tr. par an. Il avait donné dans la même année pour achat de vaisselle d'argent, chevaux, carrosses et meubles pour l'éta- blissement de leur maison, 30,000 livres Notice sur M"'" de La Vallière, par M. P. Clément, de l'Inslilut. * S'il fallait s'en rapiiorler à une interprétation qui est contredite par les CIIAPITRI;; SKPriÈME 533 qui regardait la fuite de M""^ de La Vallièro au cloître comme un éclatant reproche jeté à la licence de Versailles *. Franchissons ce jour d'entrée aux Carmélites, en 1674, jour navrant pour tous, excepté pour notre héroïne 2, jour de déchirement, puisque d'après Gregorio Leti, M" de La Val- lière était généralement aimée de tout le monde, à cause de son désintéressement et de sa Lonne nature V^aliera amala generalmente da tutti 3. Le 4 juin 1675, l'église des Carmélites de la rue Saint- Jacques était trop petite au gré des fidèles et des curieux que la cérémonie du jour y avait attirés. On venait voir com- ment une femme délicate, nourrie dans la mollesse des cours, allait se vouer à toutes les mortifications, comment elle savait se punir, comment elle savait se sacrifier et des- faits indiques dans la note suivante, cette retraite de M""' de La Vallière satisfit également le roi et M™" de Wontespan, p'arce qu'après tout, la présence d'une maîtresse abandonnée reprochoit à tous momens au roi son inconstance, et les protestations qu'il lui avoit faites de l'aimer toujours; parce que, d'un autre côté, M""= de Montespan appréhendoit que xM"^ de La Vallière, dont l'esprit lui étoit connu, ne rentra dans les bonnes grâces du roi. » {Les In- trigues de la cour de France, t. II, p. 60,- Cologne, 1693. 1 M™ de La Valliôre écrivait, le 6 décembre 1673, les contrariétés qu'elle éprouvait Je ne sais pas encore quand je sortirai dici. On me fait mille difficultés pour le temps... Vous serez surpris d'apprendre les bruits qui courent dans le monde de ma retraite aux Carmélites. » Lettre au maréchal de Bellefonds. On s'explique pourquoi la cour, notamment M"^ de Montespan et le roi, voyait de mauvais œil cette entrée aux Caruiéliles. Le clioix d'un ordre aussi austère, constituait en quelque sorte un reproche qui retombait en plein sur M"» de Montespan, bien plus coupable à raison du double adultère. M, P. Clément. Étude sur M'^" de Montespan, dans la Revue des questions histo- riques, l" avril 186!^, p. 468. La nouvelle favorite, dit Lamartine, se refu- sait à consentira l'ensevelissement trop rigoureux de l'ancienne; elle trou- vait l'exemple trop auslère et trop périlleux pour elle-même. De là, les perplexités douloureuses exprimées par la duchesse de la Val- lière elle-même dans ses lettres au maréchal de Bellefonds, peu de temps avant son entrée en religion il faut que j'importune le maître et vous savez ce que c'est pour moi. .. il faut que je parle au roi, et voilà toute ma peine » 8 février 1674. Ainsi, M° de La Vallière ajoutait à ses tristesses l'ennui d'avoir à solliciter l'agrémeat du roi, qu'il n'était pas commode, à ce moment, d'obtenir. 2 L'abbé de Fromentières, depuis évéque d'Air, prononça le discours à la cérémonie dite de la vèture. ' Teatro Gallico, t. Il, p. 133. 536 MADAMF. DE LA VALLIERE cendre vivante dans le toniJjean. Cotait comme le dernier acte d'nn drame intime, qui, commencé dans les renonce- ments les plus terriLles pour une femme, dans les conditions surtout où se trouvait M"'" de La Yallière, s'achevait dans les vœux solennels, dans ces serments irrévocables qui met- tent le sceau à une séparation éternelle et consacrent une décision humaine de tout le poids irrévocaljle de l'immua- hilité de la tomjje ^ D'abord M"'"' de La Vallière avait dû, le cœur tout saignant, aviser à ces préliminaires pénibles, que supposent toujours les démarches importantes, et qui, simples avenues du sacrifice, sont souvent plus déchirants que le sacrifice lui-môme. M""^ de Montpensier, qui vit tous ces apprêts, ces adieux, ces adoptions de vie nouvelle, ces transplantations de la cour de Versailles dans le cloître, n'a pas l'air de soup- çonner à travers quelles sensations émouvantes se produisit alors le déchirement des fibres. Voici avec quel sang-froid elle raconte ce qui se passa, comme si on ne sentait que ce qui est exclusivement personnel Enfin M^'^ de La Vallière se mit auxCarmélites, et s'y retira un jour que le roi partait jour un voyage. Elle entendit la messe du roi, monta dans son carrosse, alla aux Carmélites ; j'allai lui dire adieu le soir chez M'-"° de Montespan, où elle soupait. Elle prit l'ha- bit pendant que la cour était dehors, et, au bout de l'an, elle fit profession où la reine alla, et j'eus l'honneur de l'y accompagner. Depuis ce temps-là on n'a plus parlé d'elle ^.w C'était, de la part de M"e de Montpensier, parler d'une ma- ' Ce n'était iilus le temps des facéties du duc de Roquelaure. On avait plaisanté de la première fuite de I\l" de La Vallière au couvent de Saint- Cloud, et dans laquelle il y avait eu des larmes de part cl d'autre. Louis XIV, accouru à la grille du monastère, avait pleuré. M"'-' de La Vallière, interpellée par le roi, avait voulu répondre; mais ses pleurs répondirent pour elle. Quelques religieuses présentes à celte tendre scène, n'avaient pu aussi s'em- pêcher de tirer leur mouchoir. es effrayées de ce qu'on viole leur refuge, M™» de La Vallière échevelée, qui se jette aux pieds de la croix, tout cela fit eflet. Ce tableau fut gravé par Gudin et Chaponnier, d'après un dessin du peintre. M™" de La Vallière toute noyée dans sa chevelure, dit M. Arsène Houssaye, est une figure charmante qui rappelle les créations de Lawrence. •• Elle ne sera plus mèliie aux événements du dehors; elle ne fournira plus d'aliment aux nouvellistes comme en 1607 • Nouvelles vinrent, dit d'Ormesson en 1607, que la reync; estoit mandée d'aller à Avesnes, où le roy se rcndoil... chacun fait des commentaires sur ce voyage; on dit que c'est pour recevoir des places qui veulent reconnoistre la reyne. M''" de La Yal- lière y a esté aussi, et l'on a prétendu qu'elle n'estoit pas mandée. — Jour- nal d'Ormesson, t, II, p. 507.; CHAPITRE SEPTIÈME oi9 gue se turent ; la belle église de la rue Saint-Jacques rede- vint silencieuse, la communauté s'en retourna en deux lignes; le voile impénétrable s'abaissa sur la grille, derrière laquelle disparaissent les religieuses. C'en était fait, la reine regagna son palais, partagée entre l'admiration et les pleurs. .M™'^ de La Vallière, la timide fille d'honneur, chantait son Super flumina Babijlonis, elle venait de ceindre sa couronne d'é- pines. Elle abdiquait sa propre vie, parce qu'elle avait jugé que la mort seule opérerait sa religieuse et sociale réhabi- litation. Elle avait marché par des chemins semés de fleurs, traînant l'or et la soie; elle voulut gravir les âpres sentiers du Carmel. M"*^ de La Vallière retrouvait dans ces déserts des com- pagnes de pénitence et d'austérité Judith de Bellefonds, la prieure; M"'' d'Épernon, qui avait refusé d'être reine de Pologne. D'autres viendront bientôt l'y joindre M""^ Stuart, M'' du Janet, etc. La reine surtout viendra visiter sœur Louise de la Miséricorde et passer des heures entières avec elle. Les luttes sont finies ; les deux rivales se rapprochent; Après leurs destinées brisées, la reine et la duchesse ne pouvaient retrouver le calme qu'en Dieu. Ce qu'allait devenir sœur Louise de la Miséricorde, et que l'histoire va redire, touche et attendrit. Elle marchera à pas de géant dans sa nouvelle carrière, priant, souffrant, aimant, se purifiant, se perfectionnant ; elle édifiera tous ceux qui la verront ou l'entendront; et cela pendant trente- cinq années. En un mot, elle ^dvra et elle mourra comme une sainte ; c'est pourquoi M" de La Vallière va grandir dans l'estime des honnêtes gens et dans l'imagination populaire. Bossuet fit d'avance son oraison funèbre, le jour de sa pro- fession. L'illustre prélat avait écrit à la mère Agnès de Jé- sus-Maria la joie sensible qu'il éprouvait de pouvoir porter à cette âme d'élite une bonne parole *. * Lettre du 19 mars 1673. Bossuet dit encore dans cette lettre , de .M""» de La Yallière, qu'il n'avait pas vue depuis quatre mois - Selon ce qu'on peut oSO MADAME DE LA VALLIl-RE C'est de M"'*' de La Vallière, considérée à ce moment de sa vie, qu'un écrivain moderne a dit Dans quel généreux esprit, M"*^ de La Vallière, au moment où elle renonce au monde, prie Dieu d'enchaîner sa vaine gloire et son ambi- tion, qui, comme des chevaux furieux, dit-elle, entraînent son âme dans un précipice. Terrible attelage, en ellet, que celui de nos passions! Gomme elles nous emportent malgré nous ! On voudrait ar- rêter, enrayer, dételer non ! non ! jamais on ne dételle, — que pour changer de passions ! — Une passion chasse l'autre, » disait l'abbé de Ghoisy. — Ce sont des relais éche- lonnés sur toute la route de la vie. Chaque poste, chaque âge a les siennes à la jeunesse, l'amour, la jalousie; à l'âge mûr, l'ambition, la haine; à la vieillesse, l'envie ou l'ava- rice, la gourmandise ou la luxure; oh! les indomptables coursiers ! Que Platon a raison de les nommer farouches ! Mais Platon ne parle que de deux coursiers dans l'attelage de notre âme; nous en avons bien plus, tantôt trois, tantôt quatre, qui nous précipitent, nous rouent, nous brisent le corps et le cœur ! Plus l'attelage est nombreux et rapide , plus vite on touche au but, qui est la mort. Combien il se- rait préféralle d'aller à pied tranquillement, entre l'étude et l'amitié I Mais si par hasard on met pied à terre, ce n'est que pour quelques minutes, — le temps de changer de chevaux. » M'"" de La Vallière, cependant, avec le secours de son ami le maréchal de Bellefonds et de son directeur Bossuet, mit pied à terre et se tint à la croix. Après sept années de bonheur coupable, et après sept autres années de jalousie, de tourments, d'humiliations sous les pieds de sa triomphante rivale, M""*-* de Montespan, elle trouva enfin la paix dans trente-six années de réclusion juger, cetto âme sera un miracle de la grâce... Dieu a jeté dans ce cœur le fondement de grandes choses. » ClIAPITRR SEPTIÈME 531 austère, de dure pénitence et d'élévations mystiques. Elle eut d'abord quelque peine à mourir au monde entrée au cloître lorsqu'elle n'avait pas trente ans, dix ans après encore, le 1 1 juillet 1684, elle écrivait ces énergiques paroles Je me sens toute vivante dans le cercueil de la pénitence. » Mais à la fin les derniers flots de la passion humaine s'apai- sèrent au fond de son cœur, et dans l'austérité elle goûtera le repos jusques à la béatitude *. On ne peut, toutefois, s'arracher à cet'e dernière scène qui sépara M™^ de La Vallière du monde, en la réconciliant avec Marie-Thérèse d'Autriche, sans établir un rapproche- ment entre la femme de Louis XIV et la princesse danoise qui épousa Philippe-Auguste en 1193, 11 y avait, dans la princesse espagnole, bien des similitudes de nature et ^e destinée avec la belle et infortunée Ligeburge de Danemark '^. Il est vrai que Louis XIY ne demanda pas le divorce, comme Philippe-Auguste. A Versailles, c'eût été non au roi, mais à la reine, à demander la séparation. On sait les tristes points de ressemblance. Si, au xu siècle, la cour de France avait vu simultanément deux reines; si la sœur du roi de Danemark eut la douleur d'apprendre que son royal mari, malgré la sentence de Rome, n'avait pas craint de contrac- ter, de son vivant, un autre mariage, et d'épouser Agnès de Méranie, fille de Berthod, duc de Méranie, descendante de l'empereur Gharlemagne, à quels spectacles, à son tour, à quelles simultanéités la fille de Philippe IV n'avait- elle pas été contrainte d'assister , depuis qu'elle avait épousé son cousin ? Pour se borner à M"" de La Vallière, Louis XIV n'avait-il pas agi comme s'il y avait eu deux reines en France, ou comme si un autre oncle du roi, et archevêque de Reims, eût prononcé, dans une autre as- ' M. ÉmWeDeschaine], Réflexions criliqurs. ' Voy. le beau mémoire de M. Hercule Géraud sur Ingeburge {Bibliothèque de l'école des Chartes, t. J, 2" série, p. 8, — el les Femmes célèbres de l'ancienne France, par M. le Roux de Lincy, p. 236. ooî MADAME DE LA VALLIKIU' semblée de barons et de prélals à Gompiègne, ce que Guil- laume prononça dans cette ville, le 5 novembre 1 193, quand il lâchait la bride à son royal neveu, en cassant son mariage, pour une prétendue raison de parenté entre les deux con- joints, raison cherchée après coup et que l'on crut avoir trouvée. Le sort de ces deux princesses intéresse également. Toutes les deux souffrirent, pour conserver intacts les droits du mariage * ; n toutes les deux éprouvèrent la brutalité et l'inconstance de leur mari l'une, par la répudiation et par la prison; l'autre, par son abandonnement relatif et par l'é- clat donné aux infidélités de son époux. Un drame moderne '^, voulant approfondir la situation respective d'Ingeburge et d'Agnès de Méranie, met ces deux femmes en présence, après les agitations de cœur les plus vives de part et d'autre. — Que voulez-vous? » demande Ingehurge. — Agnès répond Vous demander pardon 1 Pardon de vos douleurs et de voire abandon. > Je sais tout à celte heure Et devant vous, ô reine, Agnès s'incline et pleure ! • Et comme Ingeburge, appelée i^eine, se récrie, et répond qu'elles sont deux rivales Non, reine, mais deux vic- times, » ajoute Agnès de Méranie. M™ de La Vallière en disait autant, en 1674, à-la reine de France. M""*^ de La Vallière et Marie-Thérèse se réconcilièrent, comme le porte fait se réconcilier Ingeburge et Agnès. La princesse espagnole disait aussi à l'aspirante carmélite du XYii*^ siècle • 0 ma sœur d'infortune, en mes bras! en mes bras! > Ingeburge et Marie-Thérèse d'Autriche, en acceptant leurs douleurs, furent toutes deux la royale rançon des épouses futures. » M"' de La Vallière pouvait tenir, devant • Expression d'Ingeburge, dans sa lettre au pape Innocent III. Les deux Heines de France, drame en quatre actes de M. Ernest Legouvé, de l'Acadi'mie française musiijue de Cii. Gounod. CHAPITRE SEPTIEME 553 la jeune reine du xvii" siècle, le langage que le comte de Landresse adresse à la princesse danoise Oui! vous représentez le lien conjugail Du divin sacrement votre nom est l'égal! De votre sexe entier, vous défendez la cause! Et vous ne pouvez pas, quoi que sur vous l'on ose. Déserter votre droit, car il n'est pas à vous Déserter vos malheurs, car c'est le bien de tous *. ! L'histoire se doit à elle-même de bien définir, à cet en- droit, le personnage de M™" de La Vallière. Elle avait tou- ché jusqu'ici à la célébrité par des triomphes pleins de scandales; mais, dans la nouvelle phase de sa vie, elle arrive à la grandeur, et les proportions de l'héroïsme viennent s'appliquer à ses actes et à ses déterminations. Quand on voit une femme qui, dans un jour de faiblesse et d'entraî- nement, avait oublié la sainte loi du devoir, se soumettre volontairement, par sa propre et libre initiative, au régime d'une sévère pénitence, s'assujettir, pour se punir d'une faute commise, à d'incroyables expiations ; quand on reflé- chit surtout qu'on a devant soi les austérités, les pleurs, les mortifications d'une créature qui traînait avec elle la sensi- bilité d'une enveloppe corporelle exceptionnellement tendre, délicate et frêle, et qui néanmoins accabla la nature sous d'inimaginables renoncements, n'est-ce pas le devoir de l'historien d'égaler par la grandeur des appréciations la grandeur des choses? Il y a plus qu'une femme dans M'"*' de La Vallière, après qu'elle eut montré au monde comment elle entendait le repentir, qu'elle eut adopté les pénitences de sa vie nouvelle; il y a une héroïne, il y a une sainte. C'est pourquoi l'historien consignera ici et répétera un hommage rendu par lui à M™** de La Vallière, en une autre circonstance, dans un de ces cercles de création récente "^. • Les Deux Ueines, 4' acte, scène xi. * On sait la nouvelle création de ces conférences publiques, salle Valentino, Vauxhall, etc., où l'on a entendu MM. Jules Favre, de Broglie, Laboulaye, Saint-Marc Giranlin, Jules Simon, F. Passy.... Dès 1842, il existait des cercles, où péroraient Lacordaire, Ozanam, l'abbé Bautain, etc. g54 MADAMIÎ DI- I A VALLIÈRI' On permettra, par conséquent, à la parole écrite de prendre le ton d'animation qui est propre à la parole parlée. Si c'était simple justice, en 1851, de célébrer, devant un public ému et pénétré, la sublimité de décision par laquelle M'"^' de La Vallière se jeta vaillamment de la cour dans le cloître, pour noyer et effacer sa culpabilité dans les macérations et les larmes, pourquoi ne pas redire, dans un li^Te, ce commen- cement des choses de 1671 et 1G75, où une duchesse se résolut à supporter, en privalions et angoisses, tout ce qu'une force mortelle peut supporter ? Nous nous écriâmes donc, dans une conférence tenue en 1851, à propos des beaux types du repentir chrétien M Au xvn'' siècle, la duchesse célèbre que nous avons sur- nommée la Madeleine moderne, la duchesse de la Vallière. s'honora par sa pénitence. Il faut plaindre Louise-Françoise de La Beaume-le-BIanc, duchesse de La Vallière, d'avoir été lancée, jeune et belle, dans le périlleux torrent de la première cour du monde; il faut la plaindre d'avoir laissé sa vertu faire un scandaleux naufrage devant le prestige de Louis XIV. Il faut la plaindre ; mais il faut l'admirer de s'être faite carmélite, d'être devenue la sœur Louise de la Miséricorde. Est-ce que trente-six années d'expiation, aussi pleines que les autres avaient été vides, ne donnent pas droit au pardon des hommes? L'égarement expié par le repentir ne doit-il pas trouver grâce devant nous, quand il s'est effacé devant la miséricorde divine? Quel siècle que ce dix-septième siècle ! Si l'observation des éternels devoirs venait à vaciller momentanément, le sentiment de la responsabilité morale engagée ne s'éteignait pas pour cela ; le jour de la pitié di- vine brillait enfin, l'on poussait son cri de résurrection ; des passions trop caressées étaient brisées sous le cilice , et les souvenirs d'un passé pénible venaient s'évanouir et dispa- raître dans les splendeurs d'une vie nouvelle, remplie de saints et d'héroïques exemples. 0 femme, qu'il dut vous en coûter pour rompre le charme qui vous retenait captive de CHAPITRE SEPTIEME 5c5 la magie de Versailles I Quels combats terribles durent se li- vrer dans votre cœur le monde et l'attrait divin I On ne rompt pas facilement des habitudes où la nature et la vanité ont une si large part, et, quand une fois elles ont pris ra- cine dans notre existence, on ne saurait les en arracher sans faire une immense blessure. Oui, sainte carmélite, vous avez remis à votre front^l'auréole divine, que les périls de votre jeunesse en avaient fait tomber. Les grandes clartés de la foi vous désabusèrent, et ce sera votre éternel honneur d'avoir supporté, dans un corps délicat de femme, habitué aux molles délices des cours, l'austérité, la mauvaise nourriture et l'isolement absolu du cloître. Qui n'éprouverait une émo- tion profondément religieuse, en contemplant cette vie de la duchesse de La Vallière, vie de sublime repentir, atten- drissante invocation][adressée, durant trente-six années de pénitence terrible, à la jpitié céleste? Ce spectacle d'une femme délicate et mondaine, dont les yeux ont pu contenir , tant de larmes pour pleurer] ses péchés, doit nous remuer dans le sanctuaire le plus intime de notre âme. » On va rapporter, dans le chapitre suivant, les progrès de M°'^ de La Vallière dans sa vie nouvelle, et la continuité de ses communications avec la reine. CHAPITRE IIUITIÈMl- Nouveauté de vie adoptée par la duchesse de La Vallière. — Concours de curieux à la rue Saint-Jacques. — Visites reçues par M"' de La Vallière. — Visites de la reine Marie-Thérèse. — Fusion et intimité de ces deux femmes, depuis la réconciliation de 167o. — Plusieurs points de ressem- hiance entre elles. — L'amour de la légalité. — Communauté de la souf- france. — Vie réglée et charitable de — Création de l'hô- pital de Saint-Germain en Laye. — Retour sur les circonstances de la conversion de M'"* de La Vallière. — Elle était de la vieille tradition fran- çaise, — Le maréchal de Bellefonds. — Certaines amitiés légitimes d'hommes et de femmes. — Étonnante énergie de M"' de La Vallière dans la pénitence. L'antagonisme primitif, entre la reine et M"'' de La Vallière, se changea en une sainte amitié, vive de part et d'autre. Un moderne, retraçant, d'après les Mémoires, la parure qu'avait choisie M"" de La Vallière pour la fameuse journée chez Fouquet en 1661, la dépeint ainsi à l'âge de dix-sept ans Sa robe était Llanclie, étoilée et feuillée d'or, à point de perse, arrêtée par une ceinture bleu tendre, nouée en touffe épanouie au-dessous du sein. Épars en cascades ondoyantes, sur son cou et ses épaules, ses cheveux blonds étaient mêlés de fleurs et de perles sans confusion, grosses émeraudes rayonnaient à ses oreilles. Ses bras étaient nus ; pour en rompre la coupe trop frêle, ils étaient cernés au-dessus du coude d'un cercle d'or ciselé à jour; les jours étaient des opales. Un peu blanc-jaunes, comme il était riche alors de les porter, ses gants étaient en dentelle de Bruges, mais d'un travail si fin, pie sa peau n'en paraissait CHAPITRE HUITIÈME S57 que jjIus rose sous la transparence *. » Il s'en fallait que, dans la nouvelle^ période du règne, M""^ de La Vallière se présentât avec de telles toilettes. Bien des tempêtes étaient passées sur cette destinée fémi- nine ; enfin elle avait trouvé un port. Que les temps et les parures étaient changés 1 M™"^ de La Vallière portait alors l'habit entier des Carmélites; sans compter le cilice, elle avait ce qu'on appelle guimpe en France et toque en Espagne, qui couvre la gorge et la poitrine; la robe brune; le scapulaire, autre habit brun; une ceinture de cuir très- commun ; le chapelet pendant à la ceinture; puis le manteau blanc, pour les offices du chœur, retenu par iine agrafe ou petite bobine de bois blanc. M™e de La Vallière avait de- mandé à Dieu un cœur nouveau ^ ; » des dégoûts parti- culiers ^ l'avaient déterminée à vivre en Dieu, à se condamner à la solitude et à la pénitence. Elle avait abandonné tout; ce qu'elle aimait, dit Bossuet, elle ne se réserva que Dieu seul, » et elle retrouva la paix, l'ordre et le repos*. Femme héroïque, elle avait brisé tous ses liens; femme coupable, elle se réhabilita ;' cœur brisé, elle fut consolée. M"*" de La Vallière était entrée, d'une manière sérieuse, * Les Châteaux de France, par Léon Gozlan, in-12, 2» série, p. 217. * Voy. Réflexions sur la miséricorde, par M™ de La Vallière. ^ Ibidem. * D'après l'abbé Lequeulx, M^^ de La Vallière, longtemps avant d'èlre Car- mélite, aurait eu un songe relatif aux Carmélites • Quelques années avant qu'elle quittât la cour, dit-il, et dans le temps môme qu'elle était le plus for- tement attachée au monde, elle rêva une nuit qu'étant dans une église qu'elle ne connaissait pas, elle voyait dans une espèce de tribune fort élevée plusieurs religieuses vêtues de blanc qui allaient à la communion avec des cierges allumés, et que tout ce lieu était éclairé d'une grande lumière. Quoique endormie, elle s'occupait du bonheur de celles qu'elle croyait voir, et demeura à son réveil fort frappée de ce spectacle qui s'était passé dans son imagination. iMais elle fut encore plus surprise lorsque la première fois qu'elle entra aux Carmélites à la suite de la reine, elle reconnut ce même lieu qu'elle avait vu en songe. » Il est inutile de discuter ici la théorie des songes; est-ce l'auteur Lequeulx qui a rêvé? est-ce M'" de La Vallière? Toutefois, il ne serait pas impossible qu'il y ait des circonstances vraies dans ce qui est dit de ce songe. ^iS MADAME DE LA VALLIERE aux Carmélites ; et dès les premiers jours, elle mena rude- meat sa vie de pénitence pour la continuer jusqu'à son dernier soupir. M"'' de Montpensier, occupée d'autres soucis, y fit peu d'attention. Elle prit l'habit pendant que la cour » était dehors, dit-elle, et au bout de l'an, elle fit profession, » où la reine alla, et j'eus l'honneur de l'y accompagner. De- » puis ce temps-là, on n'a plus parlé d'elle. Elle est uue fort » bonne religieuse et passe présentement pour avoir beaucoup » d'esprit la grâce fait plus que la nature, et les eflets de » l'une lui ont été plus avantageux que ceux de l'autre. Il est » difficile que les chagrins ne fassent pas avoir des retours à » Dieu. Comme j'ai toujours beaucoup aimé les Carmélites et que j'y ai été souvent, je me mis à y aller encore plus qu'à » l'ordinaire*. » Toutefois, tout le monde n'avait pas la dis- traction de M"'' de Montpensier, et cette nouveauté de vie de la duchesse de La Vallière, tranchant si fort avec les habi- tudes sensuelles des cours, ne pouvait manquer de devenir célèbre. On vint donc, avec grand concours, rue Saint- Jacques pour être témoin de la transformation , des sévères expiations et de la joie de notre illustre pénitente 2. Il paraît par les Mémoires, que les personnes les plus distinguées dans tous les États avaient un vif et religieux empressement de voir de leurs yeux cet admirable chef- d'œuvre de la grâce, cette femme objet de tant et de si con- sidérables changements. Les nonces qui vinrent en France lui donnèrent des témoignages singuliers d'estime et de vé- nération. Les cardinaux, archevêques et évêques, voulaient connaître par. eux-mêmes un si grand prodige. On rapporte même que l'ambassadeur de Venise ne souhaitait de lui survivre, que pour aller à Rome solliciter en personne la canonisation d'une si excellente rehgieuse ^. Le célèbre abbé de Rancé fut un des visiteurs de la sœur Louise de la ' Mémoires ie M" de Montpensier, édit. Michaud, p. 486. * Abrégé de la viepénitenle de M"» de La Vallière, par Claude Lequ-^ulx. ' Abrégé par Claude Lecjueulx. CHAPITRE HUITIÈME 359 Miséricorde. L'illustre réformateur de la Trappe, qui avait, pour ainsi parler, l'habitude de voir des convertis revenir de bien loiii , et qui était lui-même la merveille de son siècle, trouvait grand intérêt à voir ce qui se passait dans l'âme de la duchesse de La Vallière. Celle-ci, de son côté, ne pouvait que s'animei' à persister dans sa nouvelle ligne de conduite, en considérant l'homme, aux vicissitudes si étranges, qui terminait sa vie dans les austérités et la so- litude 1-. Parmi les visiteurs empressés de la duchesse de La Val- lière, il faut distinguer surtout la reine de France 2, puis- que, d'après un historien, la pieuse Marie-Thérèse d'Au- triche ne punissait la convertie des chagrins que sa con- duite précédente lui avait causés, qu'en lui témoignant une affection singulière, et en venant s'édifier avec elle ^, dans son silencieux séjour. Il faut s'entendre cependant sur les visites reçues par sœur Louise de la Miséricorde. En ce qui la regardait, elle avait fait son entier sacrihce de la ' Chateaubriand a rappelé ces entrevues de l'abbé de Rancé et de la du- chesse de La Vallière. On citera le passage de Chateaubriand, malgré les bizarreries d'idée et de style que le grand écrivain se permettait dans les derniers temps Rancé était mandé par le maréchal de Bellefonds pour voir M"" de La Vallière; il se connaissait dans le mal dont elle était atta- quée Vivez cachée, dit Bossuet à M™^ de La Vallière, dans son discours sur la profession, prenez un si noble essor que vous ne trouviez le repos que dans l'essence éternelle. » • Enfin, je quitte le monde, > écrit M""= de La Vallière elle même; c'est sans_ regret mais non sans peine. Je crois, j'es- père et j'aime. » A^'esl-ce pas, Éinilie? Ce devait être une belle société que celle à qui ce beau langage était naturel Bellefonds, aidé de Rancé et de la lassitude de Louis, appuyait la résolution de la fugitive. Le monde voyait une de ses victimes sous le froc, Rancé, encourager au ciiice une autre de ses victimes. Les Carméiiies étaient remplies d'une population de femmes. On y vivait dans un air qu'avait aspiré et expiré le sein de belles et jeunes com- pagnes » Vie de Rance, liv. m. La reine et la duchesse d'Orléans allaient visiter souvent M"» de La Val- lière au couvent. .M'"" de Sévigné y allait aussi. La marquise parle des visites de la reine La reine a été deux fois aux Carmélites avec Quanlo M"" de Jlontespan.; {Leitre du 29 avril 1676 ' Vie abrégée de -lf'°= de La Vallière, par Claude Lequeulx. — La reine aUait souvent la M""= de La Vallière voir, dit Crawfurd; elle aimait à s'en- tretenir avec elle, et, comme elle disait, à s'édifier par sa conversation. » Notice, p. 33. Paris, 1818. 560 MADAMi DK La VALLlÉi'.E terre entière ; par conséquent, laissée à elle-même, elle aurait voulu rompre sur-le-champ tout commerce avec une créature vivante quelconque; elle se regardait comme morte au monde et ensevelie. Toutefois, ses supérieurs jugèrent sage de lui permettre quelques communications avec le dehors, quelques visites dans les conditions où elles se font au Carrael. Gela pouvait être utile à différents égards au monde, à l'église, aux visiteurs. Pour la duchesse, ce serait une mortification à ajouter à tant d'autres. Lorsque la sœur Louise de la Miséricorde recevait la visite de la reine \ tout un monde de pensées d'autrefois devait se lever dans son cœur de Carmélite, mais pour l'exciter à se punir des fautes qui niar]uèrent ces années heureuses et néfastes de 1G62 à 16G7. Quant à la reine, c'était un autre monde d'émotions qu'elle ressentait dans son âme, en voyant dans son costume de religieuse celle dont, en d'autres temps, la toilette était toute battante d'or, » qui aujourd'hui se châtiait elle-même d'une si rude façon pour avoir offensé jadis l'épouse de Louis XIV -. Il ne se pouvait rencontrer des visites d'ailleurs mieux Sainl-Simon parle aussi des visiles de la reine Marie-Thérèse à M"> M»"= de La Vallière ? Des auteurs pensent que c'était probablement la reine Marie-Thérèse. Voyez Uomain-Curnut, \i;s Confesaiuns de M""' de La Vallière, p. vi. CHAPITRE IIUITIKMF. 3G1 assorties; l'une était la candeur jointe au repentir, et l'autre la femme du devoir, la femme qui se dévoue et s'immole aux nécessités sacrées du foyer domestique. L'une mar- chait au ciel par tous les renoncements à la terre, l'autre en sa qualité d'épouse donnait l'exemple à la France, et en sa qualité de reine pieuse , priait et intercédait pour la France. Il convenait donc parfaitement à ces deux per- sonnes de se rencontrer rue Saint-Jacques. Cela convenait surtout à la magnanimité d'âme de la jeune reine. A elle, qui avait été la femme offensée, et longtemps vouée au mar- tyre des affections trahies, à elle qui savait pardonner et ou- blier, il seyait de venir assidûment auprès de l'illustre et chère recluse qu'elle aimait après avoir souffert par elle. Il appartenait à sa grande bonté, de donner à M"^*^ de La Val- lière des preuves palpables et réitérées de la réalité de la réconciliation. Et si l'on veut demander à une étude attentive et minu- tieuse des faits intimes, dans la période de 1670 à 1680, la révélation des habitudes et des manières d'être de la royale visiteuse de la rue Saint- Jacques, on s'aperçoit que Marie-Thérèse s'était créé une existence, ayant de hautes et nombreuses analogies avec l'existence nouvelle de M™'' de La Vallière. Les rôles se dessinèrent parfaitement pour les deux têtes de la royale famille. A Louis XIV le rôle militant, celui de la conquête et de l'illustration de la France par la gloire militaire ; à Marie- Thérèse, de l'assentiment de tous, un rôle de prière et de piété, un rôle d'intervention tutélaire au pied des autels, de sauvegarde au milieu des grandes aventures, dans lesquelles le hasard de la guerre précipitait la fortune de la France *. ' Un personnage, attaché à la maison du roi, exprimait le sentiment pu- blic ; il faut le dire hardiment, depuis que Louis le conquérant l'a dit, la pluspart de ses succez etonnanz ses victoires estoient dus aux prières d'une reine qui levoit au ciel ses mains puissantes, quand son invincible époux appesanlissoit son bras victorieux sur ses ennemis. Ouy, ces forts imprena- bles, ces villes superbes estoient forcées par ses oraisons du matin si ardentes, .%^2 MAnAMK DE LA VALLIÈRK Ce qu'on voulut bien dire de la reine, pendant la campagne de 1G77, qui fut si sanglante Le roi combat, la reine prie ' » devint la devise populaire. Marie-Thérèse ajoutait à sa ma- jesté de reine la majesté pieuse d'une âme suppliante, que la nation regardait comme puissante auprès du ciel ^. Ce que l'on doit demander à une femme sur le trône, elle le réunissait dans sa personne le bon sens, le caractère, l'u- nité de vie, la sollicitude de la moralité publique, le bon exemple par la réserve dans ses actes et ses haljitudes, l'ex- périence de la peine et des souffrances morales, des vertus conjugales irréprochables, la sensibilité, l'esprit d'économie et de libéralité, enfin ces croyances fortes en la vie future, incarnées dans la vie pratique d'une souveraine, et qui élè- vent l'âme d'une nation toute entière. Ce qui est remarquable dans cette vie si troublée par les orages du cœur et par les déceptions domestiques, c'est et qui esloieat l'aurore des jourm'es de Senef, de Casse! et de tant d'autres. Lesoleitqui voyoit cette reine humiliée, ne ] ouvoil éclairer que nos vic- toires. » ,Orais. funèb. de Marie-Thérèse, par Denise, clerc de la cliapelle et oratoire du roy, p. 12, l'aris, 1683. ' La reine envoya au roi et à Monsieur, M. le vicomte de Nantiac, pour leur témoigner la joie qu'elle ressentait de l'importante victoire remportée à la fameuse journée de Casselen 1677. Voici les vers qu'on fit sur la campagne du roi et sur le jubilé de la reine France, ne vous pas Du sort incertain des combats; Mal h propos on se récrie Que lout est changeant ici-bas; Le roi combat, la reine prie. On redoute peu la furie Des rodomonts des Pays-Bas; Le feu, lo snng et la tuerie Ne sont pas toujours leurs ébas; Et, pour les mettre tout h bas Le roi combat, la reine prie. {Mercure galant, t. XIV, année 1677. ^ Aussi un orateur de la chaire, s'adressant à Louis XIV, lui disait » Vostre Majesté vainquoit d'un cùté, et vostre épouse prioit de l'austre. La meilleure garde de vos frontières, grand monarque, estoit voire pieuse épouse. ' Félix Geuillens, discours à Toulouie, en 1G83. CHAPITRE nCITlÈMK î;G3 que la reine unissait parfaitement, dans l'emploi et l'ordre de ses journées, ces deux choses la règle et la spontanéité. Chaque heure de la journée avait son emploi. Les journées de Marie-Thérèse gravitaient autour de quatre ou cinq fonctions principales la prière à son ora- toire ou dans les chapelles de la rue du Bouloi, des Récollets, de Saint-Germain, etc. *, ainsi que la lecture des livres saints, auxquels elle joignait les grands mystiques sainte Thérèse, saint Pierre d'Alcantara, saint François de Sales ^; -^ ses devoirs de femme , d'épouse , de mère et de reine ^; — les exercices aimés de charité, qui l'appe- * Son biographe, Bonaventure de Soria, et les mémoires français du xvn" siècle, racontent de belles choses sur le goût et l'exactitude de la reine, quant à ses pratiques religieuses. En voyage avec Louis XIV, elle se levait de grand matin, afin de pouvoir satisfaire sa piété, sans manquer aux actes de bienséance royale. Elle fut exacte toute sa vie à donner à l'oraison les premières et les dernières heures du jour. Les occupations de la royauté, les veilles le la cour, les fatigues des voyages, ne furent jamais un prétexte pour l'interrompre. Il y avait longtemps qu'en France, la piété, l'humilité, l'orai- son n'avaient fait la matière de la louange d'une reine. 2 Vie de Marie-Thérèse, par B. de Soria, p. 43. — G'estde cette reinequ'on a pu lire que les impressions même d'un chrétien restent loin de celles que peuvent recevoir le cœur et les sentiments délicats d'une femme, Les femmes vivent avec Dieu plus que nous, le reflet de sa présence les frappe plus promptement. • — Elle conservait en France les pieuses habitudes de son enfance; elle suivait la messe suivant l'usage espagnol, en se signant du pouce à plusieurs reprises. Elle priait avec une ferveur qui resplendissait sur ses traits et lui donnait une ressemblance frappante avec certains types où l'école de Séville a su fixer la ferveur extatique des saintes transfigu- rées. ' Un contemporain de la reine fait observer une pénible particularité du mariage des princesses, c'est que la politique seule souvent fait le mariage des souverains; que les intérêts de l'Etat unissent des personnes que l'incli- nation et la sympathie n'auraient jamais liées j que des princesses immolées aux besoins de l'Empire apportent leur dignité plutôt que leur cœur en dot à des époux qu'elles n'ont jamais vus, qu'elles n'aimeront jamais peut-être que par devoir. 11 n'en fut pas ainsi de Marie-Thérèse d'Autriche. Elle aima Louis XIV, autant qu'il méritait d'être aimé, » dit un dignitaire de l'Église de Troyes au xvn' siècle, en ajoutant que la jeune reine n'aima que le roy pendant qu'elle pouvait aimer tant de choses qui étaient de la royauté. » Il parle aussi de » son inviolable attachement de la reinej, de sa complaisance sans affectation, de sa fidélité sans réserve envers le monarque, son époux. » {Orals. funèbre de Marie-Thérèse, par JM. Denise, de l'Église de Troyes, Paris, 1684, p. 13-13. — Un autre personnage de la même époque s'exprime ainsi t Jamais épouse n'a mieux sçu le devoir, et ne l'a mieux 864 MADAME DE LA VALLII^JU- laient à ses œuvres de Lienlaisance * ; — certains travaux manuels, travaux delapisserie, qui n'étaient pas interdits à ses mains de reine, et qu'elle destinait à subvenir aux besoins de ses œuvres; — enfin, les bonnôtes récréations de la cour '•^, les visites, les réceptions oflicielles. On rencontre, à l'honneur de l'humanité, beaucoup de personnes d'ordre et qui saviMit l'appliquer aux détails de leur existence; mais, trop souvent, on s'amoindrit dans une sorte de mécanique de la vie. Un contemporain de la reine, un de ces hommes qui eurent l'honneur de ses confidences 3, atteste comment, dans cette vie, la lettre et l'esprit étaient réunis *. Elle ne se bornait pas à créer des hôpitaux, elle aimait à y soigner elle-même les malades; d'ailleurs, faisant le bien pour le bien, évitant ces formes d'ostentation qui font qu'on se trouve plus soi-même qu'on ne cherche les autres. N'y aurait-il pas à relever une particularité de son atti- tude à l'hôpital de Saint-Germain en Laye? On raconte que cet hôpital fut pour elle une école, qu'elle y allait fréquem- ]r;itiqui' que la première du royaume, fjui estant la plus libre, semble estre la plus privilégiée. Tous ses soins et toute son élude, tous ses empresse- ments et son unique aiïaire estoient de plaire au roy, et d'avoir de douces complaisances pour tout ce qu'il aimoit. ^ {Orais. funèbre de la princesse, par Félix Ceuillens, p. 19, Toulouse, 1683. > On se souvient encore de nos jours, à Fontainebleau, h. Saint-Germain, à Poissy, à Versailles, à Compiègne, à Paris, avenue de Saxe, des bonnes œuvres et de la bienfaisance de la reine Marie-Thérèse d'Autriche. - Si la reine aimait à jouer, si c'était son amusement de prédilection, il faut rappeler qu'elle n'avait qiie 1,000 écus par mois pour épingles. Or, quand on avait prélevé sur cette somme, de quoi faire honneur à tant de dépenses et de largesses obligées pour une reine, et surtout à ses œuvres, ce qu'elle pouvait consacrer au jeu devenait minime. 5 Bonaventure de Soria. * Bonaventure de Soria, qui fut le dernier directeur spirituel de la reine, et qui a été son biographe, était tenu au secret absolu qui est d'obligation pour le confesseur. Il fut obli^'é, dit-il, de taire bien des choses que cette âme, si chrétienne, lui avait confiées, et qui relèveraient merveil- leusement l'éclat de sa vie, si elles venaient à la connaissance du public. » Il n'appartient qu'à Dieu de manifester, comme il l'entend, la gloire des gens de bien; lui, Bonaventure de Soria, doit garder un discret silence. 11 ne peut parler que des actions de la princesse, que d'autres purent voir et remarquer comme lui. Ce qu'on ignore, ajoute-t-il, c'est de quel esprit excellent cetie vertueuse princesse animait ses actions. . CIIAPITIIE HUITIEME 50S ment, pour y apprendre, aa sein des plus tristes misères de notre nature, à mépriser les grandeurs apparentes de la vie et la vanité des pompes humaines *. On la voyait aller de lit en lit, servir les pauvres malades de ses mains royales, et leur rendre les assistances qu'ils ne recevaient ordinaire- ment que des servantes. La reine se ceignait d'un tablier ou d'une nappe, et portait ensuite la nourriture aux malades , comme une simple infirmière; et quand les médecins, préoc- cupés de sa santé, lui faisaient de respectueuses observa- tions, elle répondait par une de ces grandes réponses que le christianisme sait donner, elle rappelait la gloire qu'il y a à servir un pauvre ^. Une telle femme n'était-elle pas digne de faire des visites régulières à l'une des saintes filles du Garmel? Quant aux honnêtes récréations de la cour, que Marie- Thérèse aimait à goûter, avec son caractère gai et rieur, il faut noter ce qui, avec une des coutumes de ce temps-là, constituait peut-être un défaut. On a dit la reine pres- que passionnée pour \ejeu; elle aimait à passer des heures à jouer aux cartes. Pourquoi l'historien voudrait-il taire ce qui est, et ne pas avouer, dans son héroïne, les imperfections et les taches qui s'y rencontrèrent? La reine elle-même ne se cachait jas de ce goût. On a prétendu que les seules diffé- rences sociales de civilisation et d'individualité consistent en ce que l'homme se cache, se dissimule avec plus ou moins d'habileté; qu'en tout temps et en tout pays, l'homme est l'homme, traînant le cortège éternel des mêmes passions. Sans contester qu'il n'y ait, au fond de tous, le germe des mêmes passions, il serait déplorable de croire qu'il n'y a de différence entre les hommes que l'habileté à se cacher. Ce serait nier le sacrifice, le mérite, la vertu, l'énergie indivi- duelle et l'assistance divine ; ce serait, en abolissant la mo- • Vie de Marie-Thérèse, par B. do Soria. Paris, 1683. » Elle ne pouvait plus glorieusement employer sa santé, disait-elle, qu'à servir Jésus-Christ» dans les pauvre?, ses membres d'iionnenr. 365 MADAME DE LA VALLIÈRE raie, proclamer l'égalité dans le fatalisme. Pour Marie-Thé- rèse, qui avait bien des qualités, assez lonne tête, un savoir convenable à son rang, de la beauté, de l'esprit naturel, et qui résumait en elle-même le spiritualisme de Port-Royal, la dignité de la cour, les solidités d'un jugement droit, les habitudes et les concessions de la piété espagnole, l'éloigne- ment de ce qui l'écartait du bon sens général, la sensibilité pieuse et l'amour mystique d'une sœur de sainte Thérèse, il paraît qu'elle n'alliait pas le mensonge avec la dévotion , comme on l'a dit d'Anne d'Autriche ^ Elle portait la sincé- rité de la vie assez haut, pour convenir qu'elle avait des fai- lle'Sses, comme un simple mortel; sa dignité et sa réservé n'étaiôiit niun calcul, ni une diploniatie des convenances. C'est pourquoi, elle crut pouvoir se distraire dans le jeu ; elle jouait, sans aucune affectation de déguisement. On sait que Louis XIV avait établi ce qu'on appelait les appartements, » c'est-à-dire la réunion de toute la coui-, de- puis sept heures du soir jusqu'à dix, où le roi se mettait à table, dans le grand appartement, depuis un des salons du bout de la grande galerie, jusque vers la tribune de la cha- pelle ^. Le lundi, le mercredi, le jeudi de chaque semaine étaient nommés jours d'appartement, c'est-à-dire que le i-oi permettait l'entrée de son grand appartement de Versailles, pour y jouera toutes sortes de jeux. On avait d'abord choisi la salle des gardes pour la réunion dès joueurs. Le roi^ îâ reine, et toute la maison royale descendaient de leur gran- deur, comme parlait le Mercure 3, pour jouer avec plusieurs de l'assemblée. Marie-Thérèse se faisait distinguer autour des tables de velours vert, où l'on jouait à plusieurs sortes de jeiix de cartes, ainsi qu'à divers jeux de hasard *. ' MM. Cousin cl Aniciloc Ren'c. - Mémoires de Saint-Simon. ^ Le Mercure de décembre 1C82. * Il osl à croire que, dans son pamphlet .sur le siècle de Louis XIV, inli- tulé Décadence de la monarchie française, M. Eugène Pelletan ne fait qu'une figure de rhétorique, lorsqu'il écrit, à propos des jeux de Versailles • La CHAPITRli HUITIÈME 567 La vie de Marie-Thérèse n'était pas une vie oisive et inoc • cupée. Si elle aima à jouer dans ces réunions périodiques de la cour, ce n'est pas qu'elle se plaignît que son esprit se dé- vorait faute d'aliment, ce n'est pas qu'elle s'ennuyât et qu'elle eût à souffrir sous le lourd poids des loisirs sans dignité, otitim sine dignitate, comme si une reine n'avait pas à s'intéresser aux affaires publiques. Tout au contraire. Elle aimait deux maisons d'un amour spécial la maison de Dieu et la maison du pauvre. Que de particularités l'his- toire n'aurait-elle pas à enregistrer, en se bornant à la seule localité de Saint-Germain en Laye? La chapelle du vieux château de Saint-Germain était aimée et fréquentée par la jeune reine. De construction improprement dite gothique, elle est d'une rare délicatesse de structure. La voûte en ogive, ornée de fines arêtes, est soutenue par des piliers, décorés de fuseaux du même style que le reste du bâtiment et qui se croisent dans tous les sens. La coupole du choeur se distingue par sa légèreté. Des rosaces en pierre, délicate- ment sculptées et laissant apercevoir une tête couronnée au centre de leur assemblement, servent de clefs aux différents arcs de la voûte. L'intérieur de la chapelle est éclairé par des ouvertures garnies de trèfles en pierre et surmontées d'o- gives en fuseau *. reine aimait particulièrement la bassetle ; mais elle avait la main novice elle perdait toujours. A sa mort, elle devait sur parole un million de noire monnaie. Louis XIV acquitta religieusement la dette de sa femme, et la bassette reprit son cours comme par le passé. » Un autre auteur moderne , après avoir it-peint le salon de la Paix du château de Versailles, qui était le salon de jeu de la reine, ajoute, d'après les mémoires du temps On jouait beaucoup à la cour de Louis XIV; c'était à la fois une manie et une rage. C'était aussi le passe-temps de prédilection de Marie-Thérèse, femme de Louis XIV ; mais comme elle ne touchait que mille écus par mois pour ses épingles, elle ne pouvait pas perdre beaucoup, c'est-à-dire s'amuser beau- coup. » 1 La chapell-e, réparée par François 1", date de l'époque de Charles V. Elle resta telle qu'elle était, lorsque la cour de Louis XIV se transporta à Versailles; elle fut soigneusement entretenue jusqu'en 93. Lors de la tour- mente révolutionnaire, l'autel fut démoli, les colonnes renversées, les boi- series du chœur brisées, les grilles vendues, les parquets arrachés, les car- reaux en marbre de la nef mutilés et détruits. 868 MADAME DK LA VALLIÈBK Là, Marie-Thérèse venait passer des heures hénies. Elle priait dans ce pieux asile où tant d'autres grandes damés, où plusieurs reines avaient répandu, avant elle, leur âme et leur prière. C'est le doux privilège des résidences princières d'ohtenir une chapelle, à côté des autres habitations, en sorte que de plain-piedon va des appartements profanes au lieu du recueillement et des divines expansions du cœur *. La cha- pelle de Saint-Germain fuit partie de la masse du château ^. Les peintures de la voûte échappèrent au désastre. La voûte a quarante pieds d'élévation sous clef, sa longueur est de soixante-dix pieds ou douze toises, et sa largeur de trente pieds ou cinq toises. Louis XIII fil suspendre à la voûte, devant le tabernacle de l'autel, une lampe de vermeil de la valeur de trois mille livres. Un chapelain fut dès lors chargé d'y dire tous les jours une messe basse; charge quia subsisté jusqu'en 1789. ' Plusieurs écrivains assurent que la forme d'un pentagone irrégulier a été donnée à la cour du château vieux de Saint-Germain et au château lui-même par une galanterie de François l", parce que cette forme se rapprochait du D gothique, et que la lettre D était la première du nom de Diane de Poitiers. Mais la poésie ne supplée pas l'histoire; le premier étage existait avant François I"; il n'y a ajouté que les étages supérieurs. Il est plus vraisem- blable de supposer qu'on multiplia les faces du château, soit dans un but stratégique, soit pour multiplier les points de vue qui sont de tous côtés ad- mirables. Les appartements de Marie-Thérèse étaient à la façade du nord, au pre- mier étage; elle avait vue sur le parterre, sur la forêt et voyait le couvent des Loges, à une demi-heure; elle communiquait de plain-pied au beau balcon qui règne tout autour du château. On a la coutume d'appeler le pavillon de l'est le pavillon de madame de La Vallière. On n'est pas d'accord sur cette tradition. On voit dans cette chainbre-La-Vallière quatre niches vides de leurs statuettes. On va dans cet appartement de M™ de La Vallière par un escalier tournant, en pierre, et dérobé; cet escalier, dont on ne soupçonne pas, au premier abord, l'exis- tence, règne du haut en bas du pavillon de l'est. Nous avons remarqué, dans la chambre-La-Val lière, les restes d'une abondante ornementation dorée. Nous avons cherché à nous rendre compte des fameuses fenêtres que fit griller la duchesse de Navailles. On voit, sur le toit de la façade de la ter- rasse, une petite fenêtre mansard;e et grillée. Mais il nous paraît difflcile , dans l'état actuel du château, de s'expliquer les grilles posées par M"""^ de Navaillcs. Comment Louis XIV se ïcrait-il risqué là où les chats seuls se hasarderaient? Il n'y a qu'un toit du pavillon sud-est où nous ayons vu la possibilité de supposer ce que les mémoires du temps nous racontent. Un petit chemin règne sur ce toit, avec une balustrade; on pouvait venir devant une fenêtre qui est du temps, et grillée aussi hauteur de 1 mètre 20 centi- mètres, et où l'on était de plain-pied avec les chambres. * Saint-Germain en Laye était une des résidences les plus prolongées de Marie-Thérèse; on lit dans les Jieghlres de la jmroisse Le cardinal Mazarin avait rapporté d'Italie un grand crucifix d'ivoire, qu'on disait à tort être de Miciiel Ange ; un Corrége, représentant la Vierge allailant le divin enfant, et un Annibal Carrache, qui était une Mère de pitié, tenant le Christ mort sur ses genoux, tous trois placés dans la chapelle de Saint-Germain. Les sujets de peintures à fresque exécutées à la voûte par Vouët, Le- sueur et Lebrun, étaient tirés de {'Ancien Testament. Ceux de la coupole étaient un Père Éternel, la Création de l'homme et de la femme, la désobéissance d'Adam et d'Eve et leur renvoi du paradis. Les sept de la nef représentaient les sacrifices de Catn et d'Abel, la cons- truction de l'arche sainte, Mom recevant de Dieu les tables de la loi, le pontife Jonaihas présageant les destinées de Moïse, l'explication des tables de la loi, le sacrifice d'Abraham, Jonas sortant du ventre de la baleine. Le côté de la voûte sur la rue était décoré des quatre suivants lamoft d'Abel, la Manne, le Veau d'or, Daiila coupant les cheveux de Samson. De l'autre côté et sur la cour du château, quatre tableaux représentaient Moïse invoquant le Seigneur, l'eau sortie du rocher, l'arrivée du peuple juif dans la terre promise, David revenant vainqrieur du géami Goliath. — Hisl. de Saint-Germain, par Abel Goujon. * Ce tableau est classé sous le n» 428, galerie de l'école française, au musée; sa hauteur est de 3 mètres 25 centimètres; sa largeur de 2 mètres 50 centimètres. Poussin écrivait, en 1641, à Freart de Chanteloii, secrétaire de M. de Noyers, surintendant des bâtiments Je suis extrêmement joyeux de ce que Monseigneur Mazarin a choisi le sujet de la Sainte iCucharistie en la manière que vous me l'écrivez. > Louis XIII avait commandé ce tableau à Poussin pour la chapelle de Saint-Germain. Poussin écrivait au même individu, le 23 août de la même année, après l'achèvement du tableau Puisqu'il plaît à Monseigneur de savoir ce que je désire pour le tableau de la chapelle do Saint-Germain, je vous supplie, après que je l'aurai dit, d'en retranclu r co qui semblera de trop. Si l'on ne veut m'en donner huit cents écus, je me contenterai de six ou de cinq, cax je serai toujours satisfait. CHAPITRE HUITIÈME 57i heureuses; aussi la tradition populaire affirmait que la lampe^ qui est suspendue au milieu du cénacle, brillait même pen^ dant là n'ait. Les douze apôtres y sont bien groupés dans une magnifique ordonnance; sur la figure de plusieurs brille un ton de piété qui révèle la foi du Poussin. Jésus qu'entourent ses disciples est tourné à gauche, placé en avant de la sainte Table, tenant dans une patène le pain rompu qu'il va distri* buer. Après la maison de Dieu, Marie-Thérèse aima la maison du pauvre. L'amour du prochain, la sympathie pour ceux qui sont déshérités des biens de ce monde, une affection spéciale pour les petits, un véritable dévouement à servir ceux qui souffi'ent, tels furent les sentiments qui animèrent cette âme et qui lui inspirèrent, de 1670 à 1680, des actes et des démarches, dignes d'orner les annales du bien, et qui ne sont que le rayonnement extérieur des vertus de cette reine modeste et aimable. On peut deviner à quel foyer la jeune épouse de Louis XIV, en pieuse Espagnole, allait refaire les énergies de son âme, comment elle tournait les diffi- cultés et les déceptions de la vie conjugale. Toutefois, l'idée de religion ne pouvait rester à l'état de simple forme élevée de l'esprit ou de sentiment décent. Il faut une source inté* rieùre et habituelle jaillissant du cœur, en expansions fra^ ternelles , en sacrifices faits aux autres , en améliorations apportées au peines publiques. On est unanime sur l'attrait puissant qui portait cette femme émineiite vers lés pauvres. La preuve s'en renouvela^ de fréquentes foisj dans ces voyages si fameux, et par les conquestes de notre grand monarque, et par la piété de notre grande reyne ; à l'exemple du fils de Dieu, elle faisoit du bien partout où elle passoit ; partout elle laissoit des marques de ses libéralités royales ; arrivée dans une ville, elle alloit adorer Jésus-Christ dans les nuages et dans les ténèbres des autels ; et ensuite elle alloit se soulager dans la misère et dans l'infirmité de^ pauvres. On l'a veu donner elle-même a 572 iMADAME DE VALLIEUE manger aux pauvres qu'elle liouoroit comme les amis de Dieu, servir les malades couchés dans le lit de leur douleur, mais les servir avec le même respect qu'elle auroit pour Jesus-Ghrist assis sur le trône de sa gloire *. » Les contemporains allèrent jusqu'à dire que la reine Marie-Thérèse avait la passion de soulager les pauvres 2 ; » c'est pourquoi elle alloit les chercher dans les hôpitaux et leur servoit de ses mains royales les alimens qui estoient les fruits de ses charitez. Elle les faisoit prévenir dans les fa- milles honteuses par ses aumônes secrettes et ahondantes, ne leur épargnant rien que la honte de recevoir, et lorsque ses revenus estoient épuisez elle avoit recours aux emprunts, ou a des questes qu'elle faisoit elle-même a la cour. » On cite par exemple la quête que Marie-Thérèse fit elle-même à Bellegarde, dans l'intérêt d'une œuvre, ou d'une maison dépourvue de ressources, et qui néanmoins se consacrait à venir en aide à l'infortune ^. S'il est permis d'employer dans un sujet grave une ex- pression empruntée d'un dictionnaire frivole, il est juste de dire que l'épouse de Louis XIV mit à la mode, et la visite des hôpitaux par les grandes dames, et la nécessité pour les gens de la cour et pour les grands seigneurs d'aller cà la recherche des gens malheureux. Ne peut-on pas dire, mes- dames, s'écriait, le 4 septembre 1683, un docteur de Sor- honne, AL Masson, en présence de M'"'' de Chaulnes et des autres dames de Saint-Louis de Poissy, ne peut-on pas dire, que par l'effet de l'exemple de ALarie-Thérèse, la charité endormie se réveilla, l'avarice la plus infâme commença à devenir libérale? Ne fut-ce pas son exemple qui invita tant d'illustres dames de lier à la cour cette association, dans ' Orais. funèbre de Mane-Tlihrse, pirM. de*", p. 21. Paris, 10S3, chez Dczallier, in-V". - Orais. funèbre de Marie-Thérèse, ^^T le Y{. P. David, cordelier, deffini- leur delà praride province de France, p. 26. Paris, Coulerot, rue Saint- Jacques, 1683. 2 Orais. funèbre, par le R. P. David, i. 20. * CHAPITRE HUITIÈME S7J laquelle on contribue unanimement au soulagement du mi- sérable, à la consolation de l'affligé, à la nourriture, à la visite et au soin exact des pauvres malades? On voyait que la pourpre royale de l'auguste Marie-Thérèse ne l'empes- choit pas, au péril mesme de sa vie, de s'exposer a fréquenter les hospitaux. Combien de dames a son imitation, sans avoir égard ny a leur qualité ny aux ornemens de leur sexe, ny aux mouvemens craintifs qui l'accompagnent, taschoient de marcher sur les traces, et de suivre les vestiges de cette reyne incomparable ^ > Mais, Saint-Germain en Laye ^ était, entre toutes, la • Orais. funeb. prononcée au monastère rojal de Saint-Louis de Poissy, par M. Masson, docteur en théologie, p. 14. * La reine était attachée à la ville de Saint-Germain, non-seulement par la résidence du château, mais encore par les Loges, par les Récollels de Saint- Germain, et par le voisinage de l'abbaye de Poissy. Les Récollets éiaient éta- blis à Saint-Germain, depuis 1619. Les autorités de Saint-Germain leur offri- rent des terrains. Louis XlV leur accorda par lettres patentes, de prélever sur les coupes de la forêt une certaine quantité de bois, ou la somme de 167 livres 10 sols. Le couvent et l'église des Récollels étaient dans la rue de ce nom. Les Loges, dans la forêt de Saint-Germain, étaient primitivement un ren- dez-vous de chasse pour les rois, puis un ermitage, puis une chapelle à Saint-Fiacre, avant ou après le roi Robert. René-Puissant qui avait été atta- ché à la maison de Henri IV, obtint de se loger dans les débris du château, et y vécut comme ermite. La petite chapelle de Saint-Fiacre, autrefois en vénération, fut remise en crédit par la vie du pénitent qui en était voisin. On y accourait en foule. Les Augustins déchaussés obtinrent par un accord de s'établir dans les décombres que leur cédait l'ermite. Il fut de bon ton à la cour, dit l'historien de Saint-Germain L. Goujon, de visiter les Augus- tins des Loges. Avec les libéralités de la famille royale et des princes, ils bâtirent une église et un couvent. Anne d'Autriche en fut la fondatrice. On posa en 1644 la première pierre d'une église qui a disparu vers 18oo. Marie- Thérèse allait souvent assister aux offices religieux dans l'église des Loges; elle y fit plusieurs donations. Les Loges étaient célèbres par le pèlerinage de Saint-Fiacre au 30 août. A une lieue de Saint-Germain, Marie-Thérèse trouvait Poissy, situé dans un vallon baigné par la Seine. La maison royale où naquit saint Louis fut plus tard l'emplacement où s'éleva un monastère royal, sous Philippe le Bel. La reine venait y voir les religieuses qui étaient de l'ordre de saint Domi- nique. Le monastère était gouverné par des prieures d'une grande distinc- tion, parmi lesquelles on compta plusieurs princesses du sang royal. L'abbaye dominait la vallée de la Seine. Il ne reste de l'abbaye royale de Poissy que la porte d'entrée flanquée de deux tours, ainsi que ce que l'on appelait la galerie de Madame, là oùl'abbesse recevait Marie-Thérèse. Le réfectoire, longue et belle salle cintrée, où eut lieu le fameux colloque de Poissy, n'existe plus. S74 MADAME DE LA VALLIÈRE bonne ville » de Marie-Thérèse d'Autriche. Si plus d'une fois les habitants la voyaient passer à cheval pour se rendre aux chasses dans la foret, on la voyait plus souvent encore marcher à pied, pour se rendre au logis des nécessiteux et des malades. Ce nom de bonne reine, » qui était à son sujet, sans aucune ironie, sur toutes les lèvres, pouvait lui paraître plus flatteur que l'appellation de nymphe des bois » qui eut pu lui être décernée, quand elle gagnait la profondeur des campagnes en amazone, vêtue de bleu ou de rose. Un enthousiaste de cette époque, s'en allait répétant • — Qui ne se souvient de la rigueur de cet hiver en 1678, qui se tlt si vivement sentir il y a cinq années? On trouvait dans les rues et des morts et des mourants. Notre pieuse Marie-Thérèse ne fit-elle pas faire des feux publics dans toutes les places et les carrefours de Saint-Germain en Laye, afin que les pauvres pussent défendre leurs vies contre la dureté d'une saison fâcheuse qui les eût infailliblement fait périr. Je l'ay vue notre auguste princesse dans l'hôpital des malades de la même ville, portant sur ses habits royaux un tablier de grosse toile, et comme une sœur destinée a cet office par sa profession, quittant les bras de ses ecuyers pour s'appuyer sur ceux de ces innocentes et charitables filles; tenant elle-même les plats ou etoient les alimens pour ces pauvres affligez, leur portant a la bouche d'une main de quoy les soulager dans leurs misères présentes, et de l'autre leur donnant l'aumône pour entretenir une vie nou- velle. Je l'ay vui'^ cette reyne sans pareille passer de salle en salle, d'un lit a un autre ^ La ville de Saint-Germain en Laye posséilait depuis le commencement du xiii*^ siècle, un petit hôpital, ou maison de charité pour les malades *. Mais, au xvu"^ siècle, de nou- * Discours sur la reine, Roncn, 1684, imprimerie Virot, rue aux Juifs. * Un officier de la maison tic Pliilippe-Auguste avait fonde ;i Saint-Germain un petit hôpital, dont il fournit l'emplacement et qu'il dota de ses deniers. H portait, en 1207, le nom d'Hùtel-Dieu, et i^tait administre par des dames CHAPITUE HUITIÈMR §75 veaux et de plus grands besoins nécessitaient de nouveaux et de considérables accroissements. Ces accroissements se firent en 1670 par les dons de la reine Marie-Thérèse. On fit acquisition, sur la rue de Poissy et la rue aux Vaches, de terrains et de bâtiments, parmi lesquels étaient l'ancien Hôtel de Navarre, et on parvint à y placer soixante-dix lits; et plus tard, en juillet 169G, Louis XIV sanctionnait, par lettres patentes, l'établissement à perpétuité de Y Hôpital de la Charité, construit par notre reine Marie-Thérèse ^. Si la charité est cosmopolite par son essence ^, les cir- constances firent cependant que Saint-Germain en Laye fut un centre principal des œuvres charitables de Marie-Thé- rèse. Bossuet a proclamé, dans son grand langage, tout ce qui se passa dans cette ville et à Poissy ^. Après avoir dit c les bontés de la reine, tant de fois é^Drouvées par ses do- mestiques, » le grand évêque raconte que les seuls indivi- dus pour lesquels Marie-Thérèse ne pouvait endurer qu'on lui dît que ses trésors étaient épuisés, c'étaient les pauvres. » Il entre ensuite dans l'énumération des divers pauvres de la qualifiées du nom de sœurs. Au commencement du xv siècle, il était gou- verné par de? administrateurs. On l'agrandit en 1649, et il fut appelé maison de charité pour les malades, ' Voir l'Appendice. 2 []n contemporain de Marie-Thérèse énonce les provinces qui ressentirent particulièrement la bienveillance secourable et efficace de la bonne reine, telles que la Flandre, l'Alsace, la Franche-Comté, la Lorraine, la Cham- pagne. » 0 Églises tombant en ruines, familles tombées dans la misère, » elle envoyait des secours en tout lieu.'Elle donnait à ceux-cy de qnoy avoir des vetemens, à ceux-là de quoy arrester les poursuites de leurs créanciers. » Partout on recueillait les libéralités de sa bienfaisance. On cite aussi les prisonniers pour dettes, » qu'elle a délivrés de l'obscurité des prisons. Orai- son funèbre de très-haute Marie-Thérèse, par Héron, docteur de Sorbonne, p. 48, 49, 31, Paris, Angot, rue Saint-Jacques, 1683. ^ Le soin qu'elle avait des nationaux ne l'empêchait point de porter intérêt aux étrangers. Une colonie d'Espagnols, arrivés en France au commencement de cot hiver, périssait de misère, de froid, de pauvreté, et une maladie terrible les enlevait. Marie-Thérèse vint à leur secours. Elle loua dans Poissy une grande maison, qu'on meubla convenablement, et la nine y fit recueillir ces Esfiagnols pour les garantir du froid, de la faim et de la nudité. De semblables actes envers d autres étrangers furent réitérés plusieurs fois. {Ibidem, Héron, p. 43, 46. è;7 - MADAME DE reine pauvres connus, pauvres honteux, malades impo- tents, estropiés, restes d'hommes; » et il conclut par la joie si recherchée de la reine de France, heureuse, dit-il, de se dépouiller d'une majesté empruntée, pour visiter l'infor- tune; humhle, non-seulement parmi toutes les grandeurs, mais encore parmi toutes les vertus. » Fléchier, qui est plus explicite, rappelle les deux causes qui endurcissent or- dinairement le cœur des riches et des puissants, à l'égard des pauvres, et qui sont, selon lui, l'orgueil de la condition et la délicatesse de la personne. C'était une manière juste, solide, péremptoire, de vanter cette nature de femme, qui était toute compassion, toute charité sur le trône. Toute mi- sère avait droit de l'aborder et de monter jusqu'à elle, parce qu'elle ne refusait de descendre jusqu'à aucune infortune. Lettre. * Lettre du 7 novembre 1673. ' 4 mars 1674. 594 MADAME DE LA VALLiftRE lui écril-elle un jour, qui m'avez remise entre les mains du Seigneur *. » Une autre fois, elle écrit Vous qui m'avez arrachée de la ville de perdition -. » Je ne cesse de remer- cier Dieu de m'avoir donné un ami tel que vous, qui, comme un de ces anges qu'il a établis pour notre garde, soutiendra mes pas ^. » Un autre jour, elle félicite le maréchal de ce qu'il a repris l'autorité qu'elle lui a donnée depuis si long- temps. Gardez-la jusqu'à la mort, lui dit-elle Voyez- vous comme je suis docile? Je ne change pas facilement , quand une ibis j'ai donné ma confiance ''. » L'amitié et l'influence du maréchal avaient une nuance religieuse que la reine déduisait des liaisons de M. de Belle- fonds avec les solitaires de Port-Royal. 11 faut ajouter que la vocation exceptionnelle d'une tante du maréchal donne aussi la clef de la tournure que prirent les événements. Le père du maréchal avait une sœur, nommée Judith de Bei- lefonds, née en IGll, et aussi jolie que spirituelle. Judith de Bellefonds, après avoir eu les plus grands succès à la cour de Marie de Médicis , se décida , à l'exemple de M™" de Bréauté, à renoncer au monde et à se faire Carmé- lite. Elle était entrée au couvent en 1G29, à l'âge de dix- sept ans, sous le nom à' Agnès de Jésus-Maria. A trente- trois ans, elle fut élue prieure, à cause de ses grandes qua- lités d'esprit, d'administration et de vertu ; plusieurs ibis réélue supérieure, recherchée des gens du dehors pour le charme de ses entretiens, visitée par la reine d'Angleterre, qui venait se consoler auprès de la mère Agnès ; consultée par le chancelier Letellier ; admirée de Bossuet et de M'"*^ de Sévigné, Judith de Bellefonds, à l'époque où nous sommes, était l'oracle naturel de son neveu le maréchal. Et, si peu que le maréchal eût mis la duchesse en rapport avecriUus- 13 juillet 1G74. s 10 avril 1377. ' Sans date. ^ Sans date. CHAPITRE HUITIÈME 59o tre prieure, il y avait eu, dans ces conversations du parloir au faubourg Saint-Jacques, des impressions reçues, qui devaient, tôt ou tard, aider à une solution. Aussi Marie- Thérèse d'Autriche ne mettait pas en doute la grande part du maréchal à la marche de M'"'' de La Vallière vers la cité de la paix et de la réhabilitation. La reine admirait comment une sagesse inconnue conduit nos destinées individuelles. Il était évident qu'au milieu de la faveur mondaine, la duchesse de La Vallière avait mêlé à ses fautes un reste d'honnêteté; qu'elle ne tomba jamais dans le plus profond de l'ahime, et que, dans son égarement, un de ses remords permanents était d'affliger la malheureuse reine. Ceux qui ne voient qu'un mouvement et un dépit de la passion humaine dans les conversions du xvii'^ siècle, qui 3etèient tant de femmes au cloître, confondent ce qui ne doit pas être confondu. Qui savait mieux que Marie-Thérèse que, dans ces hautes affaires d'âme, la créature peut être l'occasion d'un changement de vie, mais le Créateur en être le motif? Sans doute, il y eut des années de lutte, de ter- giversation dans le cœur de M™^ de La Vallière ; la reine n'ignorait pas que la duchesse aurait voulu régner et régner encore dans le cœur de Louis XIV qui, après 1667, lui échappait irrémissiblement; et qu'enfin ce fut de guerre lasse, qu'elle quitta le camp du roi pour passer dans le camp de Dieu. On cesse de pécher, parce que l'occasion de pé- cher nous quitte et non parce que nous quittons l'occasion du péché ^ » Mais entre M"" de La Vallière trônant à Ver- sailles, adulée par le plus grand des rois, et M""^ de La Val- lière, enfoncée aux Carmélites, demandant et obtenant de s'occuper comme une simple sœur converse, portant du linge sur ses épaules et l'étendant dans les greniers, ne de- mandant qu'à être rassassiée d'opprobres et de souffrances, qu'on trouvait souvent presque évanouie de froid dans sa Serm. de Bourdaloue, soi; madame de la vallieuk cellule, pendant l'hiver ; entre ces deux La Vallière se pla- çaient plusieurs degrés intermédiaires, plusieurs nuances de dispositions d'âme qu'elle avait franchies graduellement ^ La reine voyait la faiblesse changée en force, la mollesse en énergie pour se flageller soi-même avec une persévérance implacable. Ne fallait-il pas {u'olle tirât la conclusion? Un jour, au moment même où la reine vint au monastère de la rue Saint-Jacques, pour voir sœur Louise de la Miséricorde, il arriva c'est la tradition du monastère qui le raconte 2, que la duchesse était en ce même instant, occupée aux hum- bles soins d'une ordinaire blanchisseuse. L'illustre pénitente ne cessa point son travail ; la reine put voir en s'édifiant la tière duchesse, qui ne défilait plus cette fois avec insolence devant son carrosse, comme elle l'avait fait en 16C7, .lors- qu'elle osa, aux portes d'Avesnes, aborder le roi avant elle. SuHir Louise de la Miséricorde passa tranquillement et sans atrectation dm-ant Marie-Thérèse d'Autriche, une hotte sur le dos, dans son modeste attirail d'ouvrière et de sœur converse. Quelle ditl'érence totale? Et, était-ce tout dire, en rappelant que la duchesse s'était détachée de Louis XIV parce qu'elle était abreuvée de ses dégoûts, parce qu'elle avait découvert sa perfidie et son infidélité? De telles expli- cations seraient insuffisantes pour rendre compte du phéno- ' Nos mères, disait sœur Magcloloine du Saint-Esprit, prieure des Gar- miUites, nos mores à qui elle avait ouvert son cœur, ne pouvaiil douter de sa vocation, lui promirent en 1073-1674 de la recevoir; elle entra avec beau- coup de pureté. Elle demanda comme une jiràce de porter notre iiabit avant qui! de le prendre en cérémonie. La sainte pénitente de l'Évangile devint son modèle, elle aima, elle pleura comme elle aux pieds de Jésus-Christ. On la trouvait souvent le visage tout baigné de larmes. La vue de ses péchés passés l'humiliait sins la décourager. Son progrès dans 1 amour et dans l'humilité faisait notre étonnement. Elle souhaitait d'être rassasiée d'ojjprobres. • Letire circulaire de 1710, signée somr Mngdeleine de Saint-Esprit, religieuse carmelile indigne. » Nous tenons cette tridition des Carmélites de la rue d'Enfer, chez les- quelles le -souvenir de sœur Louise de la .Miséricorde est toujours vivant et en vénération. CHAPITRE HUITIEME 597 mène; si la conversion de M'^Me La Vallière n'eût été qu'un dépit secret, elle n'avait qu'à s'éloigner du roi et de la cour; mais qu'y avait-il de commun entre un dépit et le besoin de se tortui-er par un genre de vie qui fait frémir la nature? On peut s'en rapporter à Bossuet, qui était, on en con- viendra, assez bon juge en semblable matière. Il vit les dé- buts, les accroissements et les pbases diverses de cette con- version, et, dès le 19 mars 1675, il ne pouvait retenir son admiration. Depuis notre dernière conversation et l'en- tretien que j'ai eu avec ma sœur Louise de la Miséricorde, écrivait Bossuet à M™^ de Bellefonds, il me semble qu'il faudrait à chaque moment s'épancher pour elle en actions de grâces. 11 y avait quatre mois que je ne l'avais vue, et je la trouvai de nouveau enfoncée dans les voies de Dieu avec des lumières si pures et des sentiments si forts et si vifs, qu'on reconnaît à tout cela le Saint-Esprit. Selon ce que l'on peut juger, cette âme sera un miracle de la grâce. Dieu a jeté dans ce cœur le fondement de grandes choses. Vrai- ment tout y est nouveau *. » Que n'apprenait-elle pas, la reine, dans ses visites rue Saint-Jacques ? Il y avait de quoi marcher d'étonnement en étonnement. Le sens humain lui-même serait heurté, choqué, froissé profondément, si, par delà une manière naturelle de voir les choses, on n'admettait pas que les âmes peuvent avoir des points de vue exceptionnels, qui, les plaçant au- dessus de certains sentiments de la nature, leur font consi- dérer les mêmes objets sous des aspects que nous n'apercevons pas à l'état ordinaire. M" de La Vallière, en s'arrachant au charme et aux délices de Versailles, n'avait pas entendu retrouver, dans un faubourg de Paris, les délices sen- suelles. S'étant faite Carmélite, elle ne voulut, sous nu * Lettre de Bossuet, restée inédite jusqu'au commencement de notrtf" siècle, et retrouvée dans les papiers des Carmélites, emportés et conserves lors de la dispersion des religieuses, par suite do la révolution. Kdg MADAME DF LA VALLIEHE prétexte, aucun adoucissement *. Porter la serge comme tout le monde, coucher sur la dure comme tout le monde, être assujettie à la règle, comme tout le monde, c'était son bonheur. Elle s'y croyait môme plus obligée que tout le monde. Il est vrai qu'elle ne pouvait s'accoutumer à la chaussure des Carmélites ^ ; ce ne fut pas cependant une raison pour elle de se dispenser du droit commun ;. elle ré- solut la dillicuité en soutirant de sa chaussure tous les jours de sa vie jusqu'cà sa mort ^. Une autre de ses gènes péni- bles et librement acceptées, fut de se condamner à tenir les yeux presque toujours baissés. Comme on savait qu'elle était sujette à de grands maux de tête, et qu'on lui demandait un jour si elle ne trouvait point pénible de baisser toujours les yeux Point du tout, répondit-elle, cela me les repose, je suis si lasse de voir les choses de la terre, que je trouve même du plaisir à ne les pas regarder. Déjà, pour ainsi parler, la légende commençait. Dès 1680, il venait jusqu'au dehors, que sœur Louise de la Miséricorde demandait sans cesse à jeûner au pain et à l'eau, à porter la haire et le cilice, qu'elle réclamait les ceintures et les bracelets de fer. Insa- tiable de pénitences et souvent refusée dans les permissions qu'elle demandait, sœur Louise trouvait à regret qu'on l'é- pargnait trop, ajoutant que Dieu y suppléerait. Toujours animée d'une sainte haine d'elle-même, dit un de ses bio- graphes, on eût dit qu'elle voulait détruire entièrement ce corps de péché, pour le punir d'avoir servi d'instrument à ses passions '». » Peu à peu elle se dégageait tellement des impressions terrestres, que les choses qui nous touchent le l^lusprès, la santé et certains biens, luip devenaient compléte- * Osera-t-ello touclier, ilemandail Hossuet, — Ce serait, d'après M. Arsène Houssaye, le fait que M"» de La Vallière se reprochait et qu'elle voulait expier. — Ce n'est pas de cette façon que Claude Lequeux a raconté cette histoire. 3 Lettre circulaire de la sœur Madeleine. — Via abrégée par l'abbé Le- queux. — Notice, par M. Pierre Clément, de l'Institut. — On découvrit, dit Saint-Simon, qu'elle l'avait la sincère âpreté de sa pénitence de corps jusqu'à s'être entièrement abstenue de boire pendant toute une année, dont elle tomba malade. » * Il faut savoir que les Carmélites font maigre toute l'année. En carême, elles ne mangent ni œufs, ni laitage; rien n'est apprêté au beurre, tout à l'htfile. M" de La Vallière avait donc pour toute boisson un demi-verre d'eau par jour! — Le dîner des Carmélites est à dix heures, c'est en dehors des temps de carême et de jeûne, un plat de poisson et un de légumes. Le souper ou collation, se fait à six heures du soir; il consiste en trois onces de pain, avec pruneaux ou choses analogues. Depuis l'Exaltation de la Sainte Croix jusqu'à Pâques, ce n'est toujours qu'une simple collation. 600 MADAME DE LA VALLIÈRE permission et de son propre mouvement; fai agi sans réflexion, répondit-elle, je nai été occupée que du désir de satisfaire à la justice de Dieu... Quelle que fût la rij^^ueur des hivers, sœur Louise était toujours levée deux heures avant les autres religieuses, c'est-à-dire à trois heures du matin ; elle passait ces deux heures à s'aLsorher dans la prière, et à s'ahreuver de l'humiliation de ses lautes passées * . Était-elle vivante, était-elle morte, cette femme qu'on a cependant appelée une sensitive, une douce violette? Lorsque le marquis de La Vallière, son frèro, vint à décéder, elle sut refouler dans son cœur ce que la nature y souleva; elle se regardait comme mise au Lan de la création, et n'ayant plus le droit de verser, comme tous, de justes pleurs. Bien qu'elle aimât ce frère tendrement, elle se soumit en appre- nant cette triste nouvelle, avec une si parfaite résignation, qu'elle ne donna extérieurement aucune marque de sa dou- leur, quelque vive qu'elle fût dans un cœur si sensible ^, Il y avait peu d'années que la sœur Louise de la Miséricorde était entrée aux Carmélites, quand elle apprit cette perte. Jean François de La Baume Le Blanc, gouverneur et grand sénéchal de la province de Bourhonnais, auquel Anne d'Au- triche avait décerné autrefois un prix, dans le Carrousel de 1664, et que sa sœur aimait beaucoup, était mort le 13 oc- tobre 1676, à peine âgé de trente-cinq ans; et M""" de Sévi- gné nous apprend que sœur Louise de la Miséricorde fit ' Voy. lettre circulaire de la sœur Madeleine du Saint-Esprit. — On se lève à cinq heures aux Carmélites, et on se couche à onze heures. Il y a srpt heures de chœur par jour, c'est-à-dire de prière, y compris les deux heures d'oraison. Le reste du temps, on travaille des mains dans les cellules, et seules; on raccommode le linge, etc., on fabrique des instruments de péni^ tence. 11 y a deux heures de récréation par jour; mais on travaille en se récréant. Voici l'expression de sainte Tiiérose, dans les constitutions Qu'elles aient toutes là leur quenouille ou ouvrage. » On obtient de se coucher plus lard. M""> de La Vallière avait obtenu de la révérende mère Judith de Hellefonds. de se lever tous les jours deux heures avant la communaut'. * Vie abrégée de la duchesse, par Loqueux, p. GS. CHAPITHK HUITIÈME 601 supplier le roi de conserver le gouvernement de son frère dans la famille pour acquitter les dettes; ce que le roi lui accorda en lui mandant que s'il était assez homme de bien pour voir une Carmélite aussi sainte qu'elle, il irait lui dire lui-même la part qu'il prenait à la perte qu'elle avait faite K » La duchesse d'Orléans et les religieuses de la rue Saint- Jacques racontèrent à Marie-Thérèse, quelque chose qu'un biographe appelle plus héroïque^. M'"' de La Vallière, en quit- tant le siècle, avait laissé à la porte du cloître ce qu'elle avait de plus cher au monde, les enfants de ses entrailles, non sans éprouver une de ces peines sans nom, que les mères seules peuvent comprendre, alors qu'elles s'arrachent pour toujours à leurs enfants. Or, M"" la duchesse d'Orléans, venant rendre un jour visite à la Carmélite, avait imaginé, par un bon et louable sentiment, de donner la main au jeune comte de Vermandois, afin qu'il eût le plaisir de voir et d'embrasser sa mère, se persuadant que celle-ci ne ferait pas difficulté de laisser entrer un enfant qui n'avait que sept à huit ans, et que la sensibilité même de la mère la rendrait plus traitable. C'était dans une journée de 1675 ; le cœur de la mère était tout saignant encore des blessures de la sépa- ration. Chose surprenante ! la duchesse eut la force d'ache- ver de broyer elle-même son propre cœur; elle se refusa cette satisfaction si légitime de revoir son enfant; elle se mit hors ou au-dessus de la nature. Ni les vives instances de la duchesse, ni les larmes touchantes de l'enfant ne purent vaincre la fermeté de la religieuse ; elle demeura inflexible. Et Madame ne pouvant rien obtenir, fut si touchée et de la douleur de l'enfant qui fondait en pleurs et de la constance surnaturelle d'une mère si détachée d'elle-même, qu'elle s'attendrit, et ne put retenir ses larmes ^. » Lettre du 16 octobre 1667. - Claude Lequeux, dans la vie abrégée, in-18. ' Vie abrégée de la duchesse, par l'abbé Lequeux, p. 65. 602 MADAME DE LA VALLIÈRE Toutefois, personne n'était aussi capable que la reine, d'apprécier le mobile de M™'' de La Vallière, et de deviner le foyer de force où elle puisait l'énergie de soutenir une conduite qui, au premier abord, paraîtrait antinaturelle. Elle comprenait que sœur Louise de la Miséricorde ne se proposait pas seulementïle montrer son respect pour la clô- ture, et sa fidélité aux rigides règlements des cloîtres que la défaillance et la lâcheté tendaient à affaiblir. Ces généreux sentiments avaient aux yeux de Marie-Thérèse d'Autriche des racines encore plus profondes, parce qu'ils étaient la suite et l'effet du sacrilice plein et entier que sœur Louise avait fait, en quittant le monde, de tout ce qui pouvait l'y attacher le plus légitimement i. » N'avait-elle pas même pris la résolution de se priver pour toujours du plaisir de voir le comte de Vermandois et M"^ de Blois, sa sœ^ur, ce qu'elle aurait exécuté, parait-il, si le roi ne s'était opposé formellement et absolument à ce dessein d'immolation et de sacrifice? Cependant le but de mortification n'était pas le seul que poursuivait dans cette cruelle circonstance le cœur délicat et ferme de cette tendre mère. En se proposant de renoncer pour toujours à revoir ses enfants, de se borner à leur écrire, et à correspondre avec eux, la Carmélite obéissait sans doute à un sentiment élevé des convenances envers les autres reli- gieuses. Elle pensa probablement, que à cause de l'habit qu'elle portait, et au milieu des chastes compagnes qui avaient daigné l'admettre dans leur société, et parmi lesquelles il s'en trouvait de si jeunes, elle ne pourrait, sans blesser la dé- cence, recevoir ses enfants; il lui semblait que c'était don- ner, dans un si saint asile, un spectacle aussi scandaleux que nouveau -. Plus elle désirait revoir des enfants si * Vie abrégée, p. 67. ^ Lorsque M'°de La Vallière, encore ù la cour, à entrer dans un couvent, elle fit avec une dame de ses amies, une visite aux Carmélites, et reçut une espèce de morlilicaliou qui » bien loin de la rebuter ou de la décou- CHAPITRE HUITIEME 603 chers, plus elle se représentait vivement tout le charme d'un moment si doux, moins elle crut qu'il lui fût permis de jouir d'un honheur qui n'était le fruit que de la faiblesse criminelle qu'elle voulait expier i. Mais le roi s'opposa for- mellement à cette résolution ; il fit donner l'ordre positif à M""* de La Vallière de recevoir ses enfants 2 ; il lui demanda, comme une faneur, qu'elle abandonnât ce dessein, en disant que le bonheur de ses enfants, dans ce monde et après sa mort, demandait d'elle de les aider de ses conseils ^. Il eut même le soin d'envoyer lui-même souvent ses enfants à sœur Louise de la Miséricorde. Ces étonnantes merveilles qui ravissaient les esprits reli- gieux du xvn" siècle, confondraient notre génération ac- tuelle, élevée en partie en d'autres idées. On n'en voudrait d'autre preuve que ces réflexions, mesurées d'ailleurs, d'un célèbre critique Toute entière aux douceurs et aux con- solations de la vie cachée. M"'' de La Vallière ne croyait pas trop les acheter par les austérités et les mortifications qu'elle s'imposait avec ardeur et avec une sorte de raffine- ment. Ceux qui ont écrit le récit de sa vie pénitente se sont plu à en citer des exemples singuliers, qui nous toucheraient trop peu * aujourd'hui] mais le principe qui les lui inspi- rager, ne servit qu'à l'affectionner davantage à ces religieuses, et à l'affermir de plus en plus dans son pieux dessein. Après quelques moments d'entre- tien, la dame ayant dit qu'elle avait avec elle M"» la duchesse de La Vallière, ces saintes filles qui n'avaient pas encore connaissance du changement qui s'était opéré dans cette belle âme, mais qui ne pouvaient ignorer la position dans laquelle elle avait été à la cour et dont l'éclat retentissait partout, pri- rent tout d'un coup un air plus froid et plus sérieux. L'humble pénitente n'avait pas manqué de remarquer cette réserve, mais cela lui avait donne' un nouvel attrait pour ce monastère. N'est-ce pas aussi ce qui lui suggérait de ménager la sainte et pieuse sus- ceptibilité de ces vierges consacrées à Dieu ? • M™* de Geniis devina, avec son tact exquis, ce motif de M'"^ de La Vallière. ^ Cette circonstance et celle de la mort du marquis de La Vallière, furent les deux seules fois que M""» de La Vallière entendit parler le roi dans sa retraite. » Crawfurd, Notice sur La Vallière. * Ou n'a pas ici à diECUler dans sa matérialité et dans son économie tout 604 -MADAME DE LA VALLIEHE rait, et le but dont elle s'approchait par ces moyens, sont à jamais dignes de respect dans tous les temps, et de quelque point de vue qu'on les envisage La reine Marie-Thérèse fut emportée en JJB83, par une mort prématurée et inattendue, et, après elle. M"" de la Vallière était destinée à passer encore sur la terre deux fois" l'espace de temps que Tacite appelle un long espace de la vie humaine, quindecim annos, grande mortalis œvi spatium; et ces trente années que M""*^ de La Vallière vécut sur la terre après la mort de Marie-Thérèse, seraient presque inintelligibles, si on oubliait de compter les phases de ce duel féminin, où la demoiselle d'honneur de Henriette d'Angleterre avait jeté le gant en 1662 à Marie-Thérèse d'Autriche. Sans doute, en 1683, après avoir été souvent ' JI. Sainte-Beuve fait justement remarquer que M" de La Vallière ré- pondit avec un tact que l'esprit emprunte au cœur t Je ne suis point aise, je suis contente. •> Content est bien, en effet, le mot chrétien, celui qui ex- prime la tranquillité, la paix, la soumission, une joie sans dissipation, quelque chose de contenu. * Lettre du 29 avril 167G. C08 MADAMK DE LA VALLIKHE meurtrie dans ce combat singulier, la reine de France succombait à une de ces blessures qui sont le résumé ou la condensation de toutes celles qu'on a reçues antérieure- ment. Lorsqu'on n'a aucune solidarité dans une lutte dont l'issue a été désastreuse, on prend vite son parti des coups donnés ou reçus, on oublie vite le comlat et les combat- tants. Il était peut-être permis aux contemporains de M"'' de La Vallière, de ne plus se souvenir, après la mort de la reine, des tortures morales et imméritées qui avaient précédé cette mort. M™" de La Vallière avait des raisons personnelles pour ne pas l'oublier. C'est un instinct universel , aussi bien qu'une donnée de l'idée religieuse que, lorsque nous sommes sortis de l'ordre, de la régie, qui constitue la moralité et le bien vivre, nous ne pouvons y rentrer que par une souffrance consentie, mé- ritoire. Lorsqu'un cœur naturellement droit, lorsqu'une âme délicate est sortie de sa voie, ne serait-ce qu'un jour, on la verra, à ses heures de rentrée en elle-même, se remettre dans le bon chemin pour ne plus le quitter. Elle ne s'épargnera plus, faudrait-il s'exterminer et mourir à la peine; mais elle aura à subir, ce qui ne sera pas le moindre supplice, les conséquences qui naissent d'un faux pas ; il y aura des cir- constances dans lesquelles elle sentira amèrement, qu'en dé- viant elle s'est mise dans le faux. Telles furent les trente années que vécut M"**^ de La Vallière après la mort de Marie- Thérèse d'Autriche. Quand M""* de La Vallière n'était encore qu'à la sixième année de ses austérités et de sa pénitence derrière les grilles du monastère de la rue Saint- Jacques, le roi donnait la main à un mariage qui ne pouvait rester indifférent à la sœur Louise de la Miséricorde. On unissait M"'' de Blois à M. le prince de Conti, et rien de plus naturel que de venir complimenter la mère de la jeune femme, chez les Carmélites ; mais la situation n'en était pas moins fausse et bizarre. On félicitait la sœur Louise de la Miséricorde sur la prospérité de ce qu'elle OIIAPITRE IIUITU'MË 605 expiait dans la pénitence. Que l'on se précipitât au parloir du couvent, que M'"^ de Sévigné écrivit à sa façon spirituelle et originale sur l'invasion de la maison de la retraite et du silence par les personnes de la cour, l'événement le moti- vait. On mariait celle dont, deux ans auparavant, Louis XIV avait fait offrir la main, par forme d'insinuation, au prince d'Orange *, et qui était, par conséquent, la concurrente de l'héritière présomptive du trône d'Angleterre, c'est-à-dire de la princesse Marie, fille du duc d'York, nièce de Charles II, pour laquelle se décida le prince d'Orange. II n'en était pas moins embarrassant pour la sainte Carmélite de recevoir des compliments. N'était-ce pas être ramené à un passé qu'on aurait voulu détruire jusqu'à la dei*nière trace? Quelle difficulté pour accommoder et concilier ce qu'au témoignage de M"" de Sévigné la sœur Louise sut accommoder fort bien, son style et son voile noir, » sa tendresse de mère et celle d'épouse de Jésus-Christ -l La pauvre recluse n'avait entendu que des éloges sur la beauté de sa fille que M""^ de Sévigné ^ et La Fontaine * avaient célébrée, et dont M" de Caylus s'est exprimée plus tard avec enthousiasme ^. Mais ces qualités brillantes et par cela môme dangereuses, ces préliminaires et cette splendide noce qui se préparait à Ver- * Guillaume d'Orange refusa avec une juste fierté cette proposition; il ré- pondit qu'une fille légitime de Louis XIV ne serait pas trop pour lui. Guil- laume se retourna vers une union qui fut fatale aux Bourbons et aux Stuarts. •' Lettre du 29 décembre 1679. 3 On avait été dans le principe ébloui de la beauté de M" de Blois M"' d» Blois est un chef-d'œuvre, écrivait en 1674 M"" de Sévigné; le roi et tout monde en est ravi; c'est un prodige d'agrément et de bonne grâce. » * La Fontaine avait chanté iM" de Blois dans ses vers Conti me parut lors mille fois plus légère Que ne dansent au bois la nymphe et la bergère ; L'herbe l'aurait portée; une leur n'aurait pas Reçu l'empreinte de ses pas. OEuvres diverses leSonge. 5 Cette amie de Monseigneur le dauphin, dit M"» de Caylus, était belle comme M"^ de Fontanges, agréable comme sa mère, avec la taille et l'air du roi son père, et auprès d'elle les plus belles et les mieiLX faites n'étaient pas rogir dées Souvenirs de M""* de Caylus. 39 610 MADAME DE LA VALLIÈRE sailles, pouvaient-ils complètement rassurer la tendre mère qui continuait d'expier dans l'ombre du cloître la naissance de la fiancée? Une naufragée pouvait-elle sourire de bon cœur à l'entreprise des nouveaux passagers qui allaient tenter la mer avec l'ignorance du péril ? D'ailleurs en rece- vant des compliments sur le mariage de sa fille avec un prince de Gonti, elle soutenait un dernier hommage du monde, qui lui était bien plutôt une humiliation. » Il est d'ailleurs impossible d'échapper un jour ou l'autre à des interrogations personnelles de la conscience, sur cer- taines élévations étranges. Être appelée au parloir du cou- vent, par son propre gendre, entendre désigner ce gendre du nom de Louis Armand, prince de'Conti, fils aîné d'Ar- mand de Bourbon, frère du grand Condé, provoquait des demandes d'explication sur une si haute alliance; et ces explications devenaient fort pénibles quand on avait été at- tachée à Blois comme humble fille d'honneur de la du- chesse, épouse de Gaston d'Orléans. Sœur Louise de la Mi- séricorde rencontrait, au désert, des noms illustres ; mais la plupart n'avaient point porté au cloître des illustrations extorquées par des voies irrégulières. La liste des Carmélites de la rue Saint-Jacques offrait, au xvii'' siècle, des noms assez sonores M"" de Fontaines dont le père avait été am- bassadeur en Flandre, cl dont la mère était sœur du chan- celier de Sillery ; la marquise de Bréauté, fille de Nicolas Harlay sieur de Saiicy, ambassadeur, surintendant des finances, colonel des Suisses, et elle-même, un des orne- ments de la cour de Henri IV; M"'" de Lancri, fille d'hon- neur de Marie de Médicis; M"'' de Bellefonds, nièce du ma- réchal de Saint-Géran et sœur de la marquise de Villars ; M"" de Brissac, fille du duc ; M™'' veuve de Bérulle, fille du président Séguier et mère du cardinal de Bérulle ; Marie de Larochefoucauld, sœur du cardinal, veuve du marquis de Chandenier, capitaine des gardes ; M""' de Gontaut-Biron ; M"*^ de CHAPITRE HUITIÈME 611 Bouillon, fille du duc, sœur du cardinal et nièce de Tu- renne; M""^ d'Arpajon, fille du duc de Ce nom; M" d'Uzès; M"" de Bélhune, fille du duc de Gharost et de Marie Fou- quet, fille du surintendant ; Catherine de Bouflcrs ; M""" de Séguier d'Autry, mère du chancelier Séguier; M"" de Brienne; la comtesse de Bury, restée veuve à dix-neuf ans; M""^ d'Épernon, sœur du duc de Caudale et destinée un instant au trône de Pologne; M"'' de Gourgues ; M"z l'Histoire de Bossuet, pac le cardinal de Beausset, livre v; les notes de l'abbé Ledieu. — Le livre de M. Floquet, sur Bossuet précepiewr, page 492 à 513. — Saint-Simon, dans ses Mémoires, d'après le- quel Bossuet porta, dans cette périlleuse occurrence, tous les coup*, agit en pontife des premiers temps, avec une liberté dfgne des premiers siècles et des premiers évêques de l'EgUse -{Mémoires, édition de M, Cheruel, t. XIII, p. 30 — Le nioi de M° de Maintenon, à savoir que Bossuet, dans la négo- ciation de 1673, fut dupe de la cour, .se comprend et n'implique aucunement que Boisuet n'ait pas vaillamment travaillé à séparer Louis XIV de M""» de Montespan . OOO MADAME DE LA VALLIEKE répondit pas, comme succès, aux espérances et aux efforts du prélat. On n'a pas à raconter ici les emportements et les apaisements de M'"'' de Montespan, une première séparation d'avec Louis XIV, oltenue, mais éphémère. Toutefois, la tentative de Bossuet portera plus lard ses fruits. Il avait ra- vivé, dans Louis XIV, les scrupules de la conscience ; il avait bien mérité de la reine, en essayant de briser le joug que portait le monarque. Du reste, un puissant auxiliaire arrivait à Bossuet et à la reine; un autre homme devait en- trer en lice, dans les intérêts de la reine ; un homme qui était la théologie incarnée et qui en avait l'inflexibilité c'est Bourdaloue, qui avait prêché à la cour en 1670, et qui fut redemandé pour le carême des années 1672, 1674, 1675, 1680 et 10S2. Cet homme, dont nulle considération ne fut capable d'allérer la franchise et la .sincérité, ne pouvait s'abstenir de proclamer vers quel abîme il voyait s'en aller le mariage chrétien, avec les exemples partis de Versailles et de Saint-Germain. Une satisfaction éclatante avait été accordée momentané- ment à la morale et à la religion, lorsque M™'' de La Val- lière alla ensevelir dans le cloître ses déceptions et son re- pentir. Toutefois, la position de la reine de France ne s'était pas améliorée, le scandale n'avait pas cessé, il n'y avait qu'un changement de figures; M'"'' de Montespan, sous- traite à l'autorité de son mari par un abus de la puissance souveraine, n'eu régnait pas moins sur le cœur du monar- que, n'en savourait pas moins chaque jour les hommages et l'encens des courtisans. Il est vrai, néanmoins, que des honnues à la vertu rigide commençaient à se fatiguer de cet empire et prenaient en pilié l'abandonnement de la reine; ,des protcslalions sourdes s'élevaient dans le clergé; on parlait de refuser l'absoluliou à l'allière M"'^ de Montes- pan. Enfin, celui qu'on appelait le roi des prédicateurs et le prédicateur des rois, crut devoir prendre la parole, et se joindre à Bossuet, pour ébranler l'ascendanl deM'"=de Mon- CFiAl'ÎTftlî MîUVlKMl^ G21 tespan. Le père Bourdaloue, prêchant le carême à Versailles, en 1G75, ne craignit pas de proclamer, du haut de la chaire, en présence de M'"'' de Montespan et du roi, les lois outra- gées de la morale et de la religion. C'est que l'exemple donné de haut était déplorahle, au point de vue national, et ne tendait à rien moins qu'à la dissolution de la famille. De nos jours, de l'autre côté de l'océan Atlantique, des fa- natiques du mariage ont poussé jusqu'à l'exagération la plus criante l'accomplissement de cette loi naturelle qui appelle et veut l'association légitime de l'homme et de la femme. Il n'est personne qui, parvenu à la complète possession de ses facultés physiques et morales, et prenant sa place dans la société générale, ne sente le hesoin de donner un sens à sa vie, et d'attacher à ses actes un intérêt que la paternité cen- tuple. Quelque chose parle et commande de continuer les traditions de famille que nous a transmises le foyer paternel. Le Mormonisme n'a pas voulu compren- dre qu'il y eût un ordre à ohserver dans la satisfaction de cette aspiration. Mettant le pur sophisme au service de la passion, on l'a entendu exposer, sous prétexte de morale, des raisonnements singulièrement immoraux. Partant de l'idée que le mariage est une chose souverainement mo- rale, les Mormons ont conclu que plus on se mariait, mieux on faisait. Enfin, appliquant à leur idéal de mariage la notion d'intensité et de quantité, ils ont eu l'impudeur de demander pourquoi les seconds et les troisièmes mariages successifs étant autorisés chez les civilisés, il n'était pas aussi légitime de faire simultanément ce qu'on peut faire suc- cessivement, et de contracter plusieurs mariages à la fois *. N'en était-on pas là presque à Versailles? Bourdaloue se crut, en conscience, ohligé- de plaider pour la grande cause du mariage; et une dame célèbre du xvn'' siècle atteste à la postérité les efforts de Bourdaloue dans cette rencontre; c'est ' Lectures de la rue de la Paix, M. Simonin, — cité par M. Évariste Thé- venin. 62-2 MADAME DE LA YALLIÈRE M'"'' de Sévigné, qui était une des ferventes admiratrices de ce solide talent. Son sermon du jour de la Purification , écrivait cette femme célèbre, en 1674, transporta fout le monde ; il était d'une force à faire trembler les courtisans.» Toutesles foisqu'il reparaissait à la chapelle royale, de nou- veaux applaudissements couronnaient de nouveaux succès; mais l'apôtre de la moralité française ne se départissait pas de sa thèse ; il frappait toujours, disait M'"'' de Sévigné, comme un sourd, disant des vérités à brideabattue, par- lant à tort et à travers contre l'adultère Sauve qui peut, il allait toujours son chemin *. » Le remords renaissait à cha- que fois dans la conscience agitée du roi ; comment aurait-il résisté à cette logique formidable de l'orateur? Un jour, le dimanche de la troisième semaine de carême, Bourdaloue exposait devant le monarque, que le péché d'immoralité ou d'impureté est la cause la plus eflicace de la rupture éter- nelle de l'homme avec Dieu ; il établissait cette vérité de fait par les raisons les plus fortes ; parce qu'il n'y a point de faute qui rende l'homme délinquant plus sujet à la rechute; il démontrait ensuite que les manquements contre les mœurs sont de ces actes qui exposent le plus à la tentation du dé- sespoir ; enfin il montrait avec une terrassante raison qu'il n'est point de péché qui lie plus étroitement par la tyrannie de l'habitude et qui enchaîne l'homme sous le joug d'une servitude plus indestructible ^. On travaillait donc ardemment aux alïaires de la reine, tout en travaillant à l'édification morale de la France, et en démêlant, avec Pic de la Mirandole, la part considérable qui, 'dans un certain athéisme, revient aux passions char- nelles; puisque, d'après la remarque de ce savant, que Bourdaloue répétait devant Louis XIV, ce n'est pas tou- jours tout athéisme qui produit l'impudicité; mais c'est l'impudicité qui produit certaines sortes d'athéisme. » On ' Lettres de M™ de Sévigné, du 20 mars 1680. » Sermon pour la troisième scmame de cart^me. CHAPITRE NEUVIEME 623 ne rend pas, en France, assez justice au caractère comme au talent de Bourdaloue * ; el il est équitable de lui payer ici un tribut d'éloge pour la manière chaleureuse dont il plaida, devant Louis XIV, la cause de la reine et des mœurs. Le monarque éprouvait un plaisir spécial à écouter parler Bourdaloue, il voulait l'entendre tous les ans, ou tous les deux ans ; et de son côté, le docte orateur serrait de plus en plus le cercle de son irrésistible argumentation autour du monarque. Tantôt il faisait devant lui, avec une fière indé- pendance, des jeux de mots, pleins de sens ; que, par exem- ple, après des mariages contractés sans attachement, on faisait ailleurs des attachements sans mariage ^. » Tantôt, il abordait brutalement la question du scandale^ et il ne crai- gnait pas de s'écrier devant le roi Si, au préjudice de ces devoirs, le scandale vient de la même source d'où l'édifi- cation et le ]on exemple auraient dû venir; si celui qui dans l'ordre de Dieu a une obligation spéciale d'édifier les autres, est le premier à scandaliser, c'est ce qui met le comble à la malédiction du Fils de Dieu, et c'est alors qu'il faut double- ment s'écrier avec lui Malheur à cet homme ^! » Quelque- fois, Bourdaloue envoyait la vérité à Louis XIV, sous une forme indirecte, mais fort explicite; en semblant s'adresser aux sujets, il atteignait le monarque Il y en a parmi vous, s'écriait-il devant Louis XIV, et Dieu veuille que ce ne soit pas le plus grand nombre, qui se trouvent, an moment où je parle, dans des engagements de péché si étroits, à les en croire, et si forts, qu'ils désespèrent de pouvoir jamais briser leurs liens. Leur demander que pour le salut de leur âme, ils s'éloignent de telle personne, c'est, disent-ils, leur de- mander l'impossible ^; » et là-dessus, l'impitoyable argumen- ' On est surpris, dit justement M. P. Clément de l'Institut, que la vie de Bourdaloue, son caractère, son talent, n'aient pas été l'objet d'une étude dé- veloppée. * Sermon pour le deuxième dimanche après l'Epiphanie. ' Sermon pour le deuxième dimanche de l'Avent. ♦ Sermon pour le premier dimanche de carême, sur les tentations. ii-ii . dk la VALLii-i{i' tat!ur le renverser celte olye'ctioii de l'impossibilité préten- due de la séparation. Lorsque, pour la défeuse de la patrie menacée, il faut prendre les armes et marcher aux fron- tières, point de liaison alors, dit-il, qui retienne, point d'absence qui coule. Or, est-il besoin de dire, que s'il faut suivre ce qu'exige la loi du monde, il convient aussi d'obéir à la loi de Dieu qui commande ? Le plus souveut, Bourdaloue allait droit au but et retournait le fer dans la plaie N'a- vez-vous plus revu cette personne écueil de votre fermeté et de votre constance ? N'avez-vous plus recherché des occasions si dangereuses pour vous? Un autre jour, il s'écriait à brûle-pourpoint Ah ! chrétiens, combien de conversions votre seul exemple ne produirait-il pas? Quel attrait ne serait-ce pas pour certains pécheurs découragés et lombes dans le désespoir, lorsqu'ils se diraient à eux-mêmes Voilà cet homme que nous avoas vu dans les mêmes déhanches que nous, le voilà converti et soumis à Dieu, » — Ce qui sauve les rois, disait-il, dans le môme sermon, c'est la vé- rité; et Votre Majesté la cherche, et elle aime mieux ceux qui la lui font connaître, et elle n'aura que du mépris pour quiconque la lui déguiserait; et bien loin de lui résister, elle se fait gloire d'en être vaincue ^.. > N'est-ce pas à la suite d'une de ces stations de carême que Louis XIV, tourmenté par ses remords, honteux de vivre dans un double adultère, et touché des discours de l'élo- quent et franc religieux, aurait eu de nouvelles velléités de rompre son coupable commerce avec la marquise de Mon- tespan et de l'éloigner du cbâteau? On assure qu'il la fit partir pour Clagny, château dont il lui avait abandonné la jouissance -. On raconte aussi que le père Bourdaloue étant allé, suivant l'usage, prendre congé du roi à la fin du ca- * Sermon sur la persiivérance chrétienne et sur la résurrection de Jésus- Clirist ce dernier prêché au jour de Pâques. — Voir aussi, lettres de M™" de Sévigné, du 25 novembre 1071, 9 mars 1680, 28 mars 1689. " Château qui est compris aujourd'hui dans l'enceinte de la ville de Ver- sailles, non loin de l'avenue de Saint-Cloud. CHAPITRE NEUVIÈME fe28 rême, Louis XIV lui aurait dit Mon père, Vous serez content de moi; j'ai renvoyé M"'" de Montespan à Glagny. » Sire, répondit Bourdaloue, Dieu serait bien plus con- tent, si Glagny était à quarante lieues de Versailles *. » On a dit Nulle part le christianisme n'est plus grand aux yeux de la raison que dans Bourdaloue ^ — Ne pourrait-on pas ajouter que nulle part, Bourdaloue ne s'est montré aussi grand, que lorsqu'il a pris en main la cause de Marie-Thé- rèse d'Autriche, pour lutter contre les influences féminines qui s'agitèrent autour de Louis XIV? S'il est vrai que le mariage met chacun dans son ordre, selon la pensée d'un contemporain et ami de Bourdaloue ^, Bourdaloue disait avec non moins de raison que chacun doit mettre l'ordre dans son mariage, et maintenir une étroite unité entre deux individualités. Gomment le zèle indigné de Bourdaloue et celui de tous les honnêtes gens ne se serait-il pas prononcé *? Que n'ac- cordait-on pas au triomphe insolent de M"""'' de Montespan, sous les yeux de la reine? Revues données en divertissement à la hautaine marquise ^ , promenades en calèche, le roi, ' Mémoires sur M'^^ de Mainienon, par Languet de Gergy. Mémoires, etc., dans la famille d'Aubigne, par M. Lavallée, p. 163. — 11™= de Montespan, pariM. P. Clémt-nt, dans la Revue des questions historiques, livraison d'avril 1868. — J. Labouderie, notice sur Bourdaloue. - Laliarpe. ^ La Bruyère. "* Bourdaloue ne put se taire devant le scandale des promenades royales à Versailles, à Paris, à la tète des armées avec la reine, avec M°"^ de Montespan. Surtout la légitimation éclatante des enfants naturels ne produisait-elle pas des elîets pernicieux, en pervertissant les mœurs? Si Louis XIV crut de bonne foi que l'assimilation de ses enfants" naturels à ses enfants légitimes serait sans inconvénients politiques, l'histoire prouve combien il se trompa. A peine eut-il disparu, que plusieurs coups d'Etat restés célèbres vinrent re- dresser des situations arbitrairement faussées, et non-seulement le parlement mais la nation entière, se prononcèrent pour le régent contre les enfants de M""= de Montespan P. Clément, M"'^ de Montespan, Revue des questions his- toriques, avril 18t8, p. 438. Le duc du Maine, le comte de Vexin et M" de Nantes, furent d'abord légitimés anciennes lois 'françaises, par Isambert et de Crusy, t. XIX, p. 124. — M"' de Blois, de Tours, et le comte de Tou- louse furent légitimés par des lettres-patentes postérieures. 5 La Palatine, Corresp. complèle, p. 249. 40 m MADAME DE LA VALLIEHR M""' do .Moiitespan, Monsieur, etc., dans une voiture, la reine dans une autre voiture avec les princesses * ; ordre donné aux architectes, pendant qu'on habitait le château de Saint-Germain, d'obéir à tous les caprices de M'"^ de Mon- tespan, d'élever comme elle l'entendrait au milieu des jar- dins, des jets d'eau {u'elle put voir des balcDns de sa cham- bre 2; Lien plus, quand Versailles était terminé en 1676, la prééminence accordée à M'"*' de Montespan sur la reine elle-même, pour la distribution des appartements, puisqu'on ailectait vingt pièces au premier étage à M""* de Montespan, tandis que la reine n'avait que onze pièces au deuxième ^; surtout les sommes fabuleuses englouties pour élever les splendeurs de Glagny, palais à l'usage de M"" de Montes- pan ^; toute la cour se tournant vers cette planète ardente, jusqu'à la reine elle-même, allant voir bonté en eflet nul- lement indispensable dans le château de M'"^ de Montespan le jeune comte du Vexin, un peu malade ^ enfin l'objet éternel des conversations, étant de savoir si le roi quitterait délinitivement M"'" de Montespan, ou s'il ne la verrait que chez la reine , telle était la profondeur de l'abîme creusé par la situation. Ne fallait-il pas des accents énergiques et forts pour en retirer ceux qui y étaient descendus ^? Le règne de M'"" de Montespan eut une fin ^; mais, la ' Lettre de M""^ de Scvignô, du 27 juillet 1676. ^ Biblioth. impér. Mss. Mélanges Colbcrt, foL ii'd bis, fol. f2D. ^' V. nn plan du palais, dressé par Le .Nôtre, Bibliollièque iinp., cabinet des estampes. — I'. Cleiri'înt, M'"" de Montespan. p. 463. * La terre et la seigneurie de Clagny, aux portes de Versailles, apparle- naienl précc'deinirKuit à l'hospice des Jneurablei de Paris. envoyait au roi, le 22 ni li 1074, le du palais de Clagny, qui avait été commandé à MansMrt. .M'"'"d Léon Gozltin. 7 L'élévation quasi olïïcielle do la marquise de Maintenon n'eut lieu qu'a- CHAPITRE NEUVIKMK 627 responsabilité de M""^ de La Vallière n'était point dégagée pour cela. Sa poitrine fut bien oppressée en apprenant l'in- tervention de la duchesse de Richelieu *, dame d'honneur de la reine, une de ces aristocratiques rouées, qui, avec ses grands airs et ses détestables perfidies, empêcha peut-être une ère nouvelle de se lever pour la reine Marie-Thérèse. Après qu'un prêtre eut refusé l'aljsolution à M""' de Mon- tespan en 1675, il sembla un moment que la marquise al- lait débarrasser la famille royale de sa scandaleuse présence. Du moins, un rapprochement bien inattendu s'était opéré entre Marie-Thérèse et cette femme, déplorable cause, pour sa souveraine, des plus douloureuses humiliaiions. L'umitié rendue par la reine à M"'*' de Montespan n'indiquait-elle pas une révolution radicale dans les dispositions de cette der- nière ? Ne devait-on pas eu conclure que Louis XIV, débar- rassé d'Athénaïs de Rochechouart, allait rentrer dans une voie meilleure, et se souvenir qu'il y avait à son foyer une femme légitime, des princes légitimes, une reine, fille de Philippe IV, d'Espagne? La correspondance de M""^ de Sé- vigné donne des lumières à cet égard ; elle écrivait à sa fille, le 29 mai 1675 La reine et M""^ de Montespan furent lundi aux Carmélites de la ^ rue du Bouloi plus de deux près la morl de Marie-Thérèse. Mais il paraîlniit que déjà, vers 1678, elle avait supplanté la marquise de Montt-span; toutefois, tant que \écul la rfine, elle ne s'empressa poiiitde paraîlre à la cour. L'amour du roi pour M™^ de Montespan s'usait de jour en jour, ei le comte de Toulouse, qui en fut le der- nier fruit, vint au monde le 6 juin 1678. La marqu se de Montespan, dont les emportements devant le roi, au sujt-t de M" de Fontanges, ne purent Cure tolérés, fut éloignée de la cour vers 1683, bien que le Mercure historique et poUiiqne dise qu'elle ne s'en retira tout à fait qu'en 1691. Il était temps que finît le double adultère dans leq lel elle avait engagé Louis XIV. * Anne Poussart, fille puînée de François Poussari, marquis de Pons, baron du Vigan, et d'Anne de Neubourg, fut mariée d abord à François Alexandre d'Albret, sire de Pons. Elle épousa ensuite Armand-Jfan de Vignerot du Plessis, duc de Richelieu, petit-neveu du cardinal de Richelieu. Elle était sœur de cette belle M"" du Vigan, qui avait été courtisée par le prince de Gondé. C'est le prince de Condé qui poussa le duc de Richelieu à épouser M'"^ de Pons, qui jeune était toute à M'" de Longueville. * C'est là que, douze ans auparavant, la comtesse de Soissons avait eu aussi avec Marie-Thérèse, une conférence, où fut révélée à la reine l'in- trigue commençante de M" de La Vallière. m .VlAbAMK DE LA VALLIËRË heures en conférence; elles en parurent également contentes; elles étaient venues chacune de leur côté, et s'en retournè- rent le soir à leurs châteaux. » Le roi, écrivait-elle le 7 juin suivant, a fait ses dévotions à la Pentecôte en Flan- dre; M""" de Montespan les a faites de son côté. » M"" de Sévigné n'en resta pas là; elle insistait, dans ses lettres du 12 et du 14 juin 1G75, sur l'amitié de M""^ de Montespan et de la reine qui venait d3 se déclarer au grand étonnement de tout le monde, et elle laisse percer quelque déliance, La reine fut voir M"'" de Montespan à Glagny, le jour que je vous avais dit qu'elle l'avait prise en passant; elle monta dans sa chambre où elle fut une demi-heure; elle alla dans celle de M. du qui était un peu malade, et puis amena M"'*^ de Montespan à Trianon... La reine a dîné au- jourd'hui aux Carmélites du Bouloy avec M'"'' de Montespan et W'^ de Fontevrauld vous verrez de quelle manière se tonrnera celte amitié. » Quoi qu'il en soit des soupçons de M""' de Sévigné, il est sûr que ces fréquentes visites que se firent la reine et la marquise, leurs longues promenades, leurs intimes repas, tète à tète,' touchaient au cœur les personnes vertueuses aifectionnées à la famille royale, et qu'avait contristées un scandale public et si ancien déjà*. Les habiles, éwivait de la cour Antoine de Feuuières, les habiles préiendent que la chose la séparation de Louis XIV et de M'" de Montespan est faite sans retour -. Bayle, lui- même, d'ordinaire peu enclin à la ci'édnlité, mais jui se méprenait ici, demanda que, en réjouissance d'un événe- ment si heureux, uni lete allégori]ue fût instituée » iOur célébrer arec soloiuité^ le retour du soleil, éclipsé si long- temps -'. » M'"^ de Sévigné désigne une duchesse, que M'"*^ de Mon- 1 M. Floquet. liossuel, précopieur liu dauphin, p. 504. - Lellre d'Anloino de Fouiiuières, 19 auùl 1075 lellres inédites des Feu- quières, publ. par M. K. Gallois, t. 111, p. 2^4. ' '> Bayle, lellre à Minutoli, i" mai 1075. CHAPITRE NEUVIÈME 629 tespan avait réussi à faire placer auprès de la reine, en qua- lité de dame d'honneur, au commencement de 1672 ; c'était la duchesse de Richelieu. Elle ajoute que cette duchesse témoignait tous les jours sa reconnaissance par les pas qu'elle faisait faire ^. » Le prétendu rapprochement de la reine et de M"^ de Montespan était l'équivoque combinaison de M"" de Richelieu. Quelles conditions furent débattues rue du Bouloi ? Que promit M""^ de Montespan ? Il importe peu de le savoir. Elle promit tout, pour ne rien tenir. Elle trompait. Elle jouait la comédie avec M'"*' de Richelieu, Il s'agissait de ne pas laisser Louis XIV à celle qui ne vivait que pour lui. L'officieuse duchesse de Richelieu, devenue dame d'honneur de la reine en 1672, par la protection de M"" de Montespan, s'était employée, aussitôt que cette dernière eut quitté Ver- sailles, en 1675, à lui ménager un prochain et triomphant retour. C'est à elle surtout, à M"'"' de Richelieu, qu'était dû le rapprochement si subit, si inattendu, et en même temps si trompeur entre la marquise de Montespan et la reine abu- sée. Aussi était-il bientôt venu, de Flandre, à cette conci- liante duchesse, des lettres du roi, si excessivement tendres, qu'elle se trouva plus que payée de tout ce qu'elle avait fait -, » au dire de M°"' de Sévigné. On exploita donc la faiblesse de Louis XIV, toujours subsistante envers M"^*^ de Montespan ; et les promesses faites récemment à la reine, rue du Bouloi, s'en allèrent en fumée. On dira Pourquoi la reine ne se défia-t-elle point de M""" de Montespan? La stratégie du cœur n'aurait-elle pas dû lui révéler le piège que lui tendait la diplomatie féminine, dont M"" de Riche- lieu était l'âme? Hélas! quand on a une nature délicate et droite, on ne soupçonne pas facilement la noirceur dans les autres; et l'on a de la peine à imaginer que la personne qui vous ' Lettre du 3 juillet 1673. . 2 Lettre de .M""= de Sévigné, o juillet 1673. 080 .MADAME DE LA VALLIÈRE parle n'emploie la parole humaine que pour induire traî- treusement en erreur. Et comment ensuite, n'être pas pris au filet, juand AP^" de Montespan avait, dans la duchesse de Richelieu, une comparse qui jouait la comédie de rattache- ment à la reine, et allectait les allures de la fausse bonne femme et de la fausse franchise ? M""-' de Richelieu n'était- elle pas mêlée tous les jours, avec la plus grande notoriété, aux œuvres de religion et de charité, de conversions, d'abju- rations, de démarches, de correspondances, de conférences pour la réunion des réformés i? Il y a des gens qui se font arme de tout, frappent à plusieurs portes à la fois, et cul- tivent plusieurs intérêts simultanés. Il fallait se concilier à jamais la faveur du monarque ; et voilà pourquoi la duchesse n'avait si adroitement ménagé entre Marie-Thérèse et Athé- n'aïs de Rochechouard cet équivoque rapprochement, ces rencontres, ces publiques et précaires démonstrations d'ami- tié et de familiarité, que pour mieux colorer, par l'assenti- ment surpris de la reine abusée, la prochaine rentrée de la marquise dans les résidences royales où elle eût dû ne plus reparaître. Il fallait d'autre part se faire valoir auprès de la reine en la berçant d'espérance; et pour cela, la remuante duchesse de Richelieu s'en allait déclarant en tous lieux que c'en était fait sans retour des anciens désordres ; ju'il ne se passerait plus rien désormais jue d'irréprochable entre Louis XIV et Athénaïs de Rochechouart, le roi à l'avenir ne la devant plus voir qu'en public. Ne serai-je pas /à, s'écriait- elle fièrement. Du reste, la reine, avec la pénétration que donne la droi- ture, avait fini par percer le masque de la duchesse de Riche- lieu, et sut bientôt à juoi s'en tenir. M'"*' de Gréqui devint dame d'honneur de la reine, à la place de M'"'" de Richelieu. La reine ne perdit pas au change; M"^de Créqui étoit la ' OEiivres le Louis XIV, t. V, p. i'J't. — Gazelti^ de France, 3 septembre li7"2. — Menure, gâtant. — Orais. funèbre de la duchesse de Kiolielieu 1684. CHAPITRE NEUVIEME 631 pins aimable et la plus sage femme du monde, sans intrigue ; M""^ de Richelieu avoit Taii' bourgeois et tracassière qui ne savoit pas vivre. Depuis sa mort, la reine s'expliquaut à son sujet, disoit qu'elle n'étoit pas bonne; qu'elle rendoit de mauvais offices à tout le monde i. » Telle était la navrante série des faits, devant lesquels, la reine, seule contre tous, avait dû se résigner à abdiquer sa vie d'épouse et à se consoler du trône au pied de l'autel. Quand on lui venait 'apprendre que le roi était en galanterie avec quelque dame de la cour, dit un historien-poëte, elle répondait d'un air détaché pour cacher les épines de son cœur Cela regarde M" de Montespan 2. » Ne devait-elle pas dire bientôt Gela regarde M"'*' de Maintenon? » Mais le calice n'est pas épuisé; et l'on doit enregistrer d'autres tromperies, pratiquées par d'autres femmes à l'endroit de Marie-Thérèse d'Autriche, et qui s'intercalèrent entre M'^e Je Montespan et M""" de Main-tenon. Il faut citer M^^de Soubise 3 qui voulut aussi se faire servir à manger dans cette grande auberge de la monarchie ; M"" de Soubise, nature peu chevaleresque, et dont il s'en faut que la mémoire soit arrivée honorée et pure à la postérité; son ambition, et les moyens mis en œuvre pour servir cette ambition, inspirèrent aux contemporains peu de sympathie. M'"*' de Soubise osa venir après M'"'' de La Vallière ; M" de Soubise, une de ces dames qui exploitèrent systématiquement les apparences d'une fausse amitié pour la reine, afin de se frayer un chemin au cœur de Louis XIV. On a donné à M'"*' de Soubise, écrivait M"" de Sévigné, les mêmes appoin- tements et les mêmes entrées qu'à la dame d'honneur, sans en avoir le titre ^ cela s'appelle de l'ai'gent. C'est avec les deux ' Mémoin-s de M^^^ de Montpevsler, 4 partie, édit. Michaud, p. 491. ^ Arsène Hou-saye, M" de La Vallièr', p. 269. 3 Anne de Rohnn Chabot, princesse de Soubise, fille aînée d'Henri Chabot, duc de Hohan, pair de France, née en 1618, et mariée en l-63 à François de Kohan, prince de Soubise, seigneur de Fontenay et de Poughes, lieutenant général des arme'es du roi. ' • Ou allait faire des compliments à .M"»* de Koliau sur ce que sa fille avoit 632 MADAMIi DP. LA mille écLis de la dame de la reine, qu'on lui conserve toujours vingt et un mille livres de rente qu'elle aura tous les ans *. Quand on a voulu Taire des compliments à M. de Souhise Hélas ! cela rient par ma femme, je ncn dois point recevoir les compliments. Et M'"*' de Rocheiort Voilà ce que c'est que de s'être bien attachée à la reine. Le monde est toujours bon à sou ordinaire -. » M™" de Soubise pratifuait le rôle d'une hypo- crite détestable auprès de Marie-Thérèse avec une telle téna- cité ^, elle protestait de son dévouement aux intérêts de la reine, avec un ton si pénétré, que celle-ci avait été comme touchée de pouvoir recueillir cette épave de fidélité au milieu de son grand naufrage; ce qui explique ce passage d'un per- sonnage du temps Jevous mandai avant-hier, par un petit guenillon de billet à la suite d'une grosse lettre, que M""^ de Souhise était exilée. Cela devient faux. Il nous paraît qu'elle a parlé *, qu'elle a un peu murmuré de n'avoir pas été dame d'honneur, comme la reine le voulait, peut-être méprisé la pension auprès de cette belle place; et sur cela, la reine lui aurait conseillé de venir passer soiT chagrin à Paris. Elle y est, et même on dit qu'elle a la rougeole. On ne la voit point, mais on est persuadé qu'elle retournera comme si de rien n'était '\ » les entrées et des prérogatives pareilles à celles de la dame d'honneur. » M" de iMontpensier, Mémoires, 'i' pailie, p. 491. 1 Le roi lui accorda en 1679, vinj;t mille livres de pension pour soutenir la dépense qu'elle était obligée de faire a la suite de la reine en qualité de dame du palais. * Lettre de i\l""= de Sévigné à M""" de Grignan, du 23 décembre 1679. ' M"> de Sévigné disait en 1674, le !•' janvier On a fait cinq dames du palais M™" de Soubise, de Chevreuse, la princesse d'Harcourt, M"" d'.Al- bret et M'" de Rochefort. > Lettre de M"* de Sévigné du 29 déc-'uibre 1679. CHAPITRE NEUVIEME 633 Enfin, le drame de trahison envers la reine devait avoir son dénoûment. Les Mémoires de 3i"'^ Mon^/jens'er rapportent que M"'** de SouLise prétendait que le roi lui avait promis la place de dame d'honneur, et qu'elle s'emporta même à ce sujet; ce qui donna de l'humeur au roi malgré son goût secret pour elle *. Dans son dépit, Louis XIV découvrit à la reine, dont M™'' de Soubise avait surpris l'amitié, combien elle en était dupe 2. Cette tracasserie causa son absence, dont la cour alors ne connaissait qu'à demi les causes. Mais la lumière était faite pour Marie-Thérèse, l'outefois, le public voulait approfondir ces demi-obscurités, et l'on peut remarquer que M"'' de Sévigné insistant sur l'affaire de M""** de Soubise, y revient dans une lettre du 3 janvier 1680 M"'" de Soubise est toujours enfermée chez elle, di- sant qu'elle. a la rougeole; on croit que cette maladie durera" quelque temps la rougeole étant le prétexte pour voiler sa disgrâce. Elle a prétendu avoir les entrées de dame d'hon- neur; les Majestés ne l'entendaient pas ainsi. Elle dit que la pension n'était pas une chose qui pût l'apaiser; il faut qu'elle ait dit plusieurs autres choses encore. » Le jour complet se fit, comme le rapporte la duchesse d'Orléans; il s'agissait d'une nouvelle et perfide trahison infligée à Marie-Thérèse M"^ de Soubise, dit la Palatine, était rusée, dissimulée et très-méchante; elle a cruellement trompé la bonne reine ; mais celle-ci l'a payée de retour en mettant au jour toute sa fausseté et en la démasquant pour ainsi dire devant tout le monde. Aussitôt que le roi eut dé- sabusé la reine sur cette femme, son histoire est devenue ' Cela peut-être fit dire "à un pamphlet du temps M" la duchesse de Soubise, dont les yeux vont tous les jours à la petite guerre, n'y réussit pas mieux que la princesse Palatine et M^^ de Soissnns, Olympe Mancini, laquelle avait épousé Eugène-Maurice de Savoie, comte de Soissons. » ^ Un soir, on ne sut ce que le roi était devenu. La reine avait envoyé vaine- ment savoir où il était, enfin on le sut. On dit que le roi, dans un chagrin qu'il avoit eu contre elle M"" de Soubise le dit à la reine » qu'il était chez M™ de Soubise le soir qu'on le cherchait. M"= de Monlpensier, Mémoires, 4° partie, p. 492. 634 MADAME DR LA VALLIÈUIÎ notoire; la reine s'en est divertie en contant son triomphe, comme elle disait à toutes les personnes *. » Mais il fallait Lien qu'à la longue, une bonne âme comme la reine fît taire ses plus légitimes ressentiments. M""-' de Soubise, éci'ivait M""* de Sévigné le 29 mars 1G80, rentrait à la cour au bout de ses trois mois, jour pour jour. Elle venait de la campa- gne; elle a été dans une [arfaite retraite pendant son exil ; elle n'a vécu que du jour Qu'elle est revenue. La reine et tout le monde la reçut fort bien. Le roi lui fit une très- grande révérence ^. » Il faut clore cette siuistre statistique des tristesses infligées à la reine par l'inconstance incurable du royal mari. L'avé- nement de M""*^ de Maintenon viut y mettre un terme, tandis que M"" de Fontanges, fugitif météore, ne fit que se jeter un instant à la traverse. La faveur de M"'"^ de Maintenon augmente tous les jours, disait-on en 1680. Ce sont des conversations infinies avec Sa Majesté, qui donne à M"'^ la dauphine le temps qu'il donnait à M""^ de Montespan ; jugez de reflet que peut faire un tel retranchement ^. Le char gris M'^^ de Fontanges est * Mémoires, sur la cour do Louis XIV, par Eliz. Cliarl., duchesse d'Or- léans, p. 47, in-8, Paris, 18^3. 2 Lettre du 29 mars 1680. — Toutefois, M"-^ de Montpensier attribuait la rentrée en faveur de M'° de Soubise à l'ir fluence d'un personnage modsste, faisant partie des officiers de la maison de la reine, à M"" de Visé, espagnole qu'elle avait mariée à son porte-manteau 636 MADAMK DE LA VALLIKUI' gulier pour une reine de devoir le retour d'une partie de son bonheur conjugal à celle qui avait élevé les enlanls de M'"'' de Montespan i. On s'est trompé en assurant que Ma- rie-Thérèse se faisait illusion, ou qu'elle n'apercevait pas le côté incomplet du nouvel état des choses. La candeur, l'hon- nêteté et la clairvoyance ne sont pas incompatihles. Qu'on n'oublie pas ce mot do la reine Je sais, je vois plus de choses qu'on ne croit, que je n'en dis -. » Ce qui paraît se déduire des probabilités de la situation, c'est qno la reine fit l'application de cette maxime — entre deux maux, il faut choisir le moindre. — 11 est vrai que, tandis que les at- tentions, les égards, les démonstrations publiques étaient désormais pour la reine, l'iniluence i;éelle était pour M"'' de Maintenon. Le moindre mal, en 1G80, 1681, était de régner et de laisser régner à côté de soi M™'' de Maintenon, qui , introduite dans l'intérieur de la royale famille, savait tout ménager et ne faisait point de fracas. Un moderne a dit Que de femmes, à la place de Marie-Thérèse, auraient été jalouses de ce partage, auraient senti amèrement l'infério- ' On Jit des premiers temps de M""' de Maintenon Le roi avait alors pour son épouse des attentions, des égards, des manières tendres aux- quelles elle n'était pas accoutumée, et qui la rendaient plus heureuse qu'elle n'avait jamais été. Elle en fut touchée jusqu'aux larmes, et elle di- sait avec une e>pèce de transport Dieu a suscili M™» de Maintenon pour nie rendre le cœur du roi. Elle lui en témoigna sa reconnaissance, et marqua ouvertement à toute la cour l'estime qu'elle faisait d'elle. » Lettres hislari- ques et édifiantes, t. I, p. 10. — Note tirée des mémoires de M" d'Auinale et des manuscrits de Languet de Gergy. — Lavallée. — Le duc de Noailles, Jlist. de M""> de Maintenon, t. IV, p. 47. J'arrivai à la cour au mois de janvier 1681. dit M""" de Caylus. La reine vivait, et M"" de Maintenon dans une faveur dc'clarée, paraissait aussi bien avec la reine qu'avec le roi. Cette princesse allribuaii à la nouvelle favorite les bons procédés que le roi avait pour elle depuis quelque temps et elle la regardait avec raison sur un pied bien différent des autres. » Souvenirs de M™» de Caylus. 11 est sûr que M""" de Maintenon travailla à convertir Louis XIV à la morale et aux affections de famille. " Sa bonté, dit une feuille du temps, l'empesclioit de. laisser paroistre tout son esprit, et elle ne vouloit pas faire voir qu'elle connoissoit à fonds beaucoup de gens qui en auroient été fâchez. Il est certain quelle n'a jamais cherché à nuire à personne. » Mercure galant, août 1683, p. 71. CHAPlThE NEUVIEME 63? ritô dé celte position * ! » Mais quel document historique autoriserait à affirmer que, dans des circonstances autres, la reine n'aurait pas désiré davantage? Là n'était pas la ques- tion en France, en 1680. Il s'agissait uniquement de re- cueillir d'une situation àjamais bouleversée quelques débris. 11 était impossible que Marie-Thérèse pût recouvrer entière- ment, comme il eût été à désirer, les droits de son cœur d'é- poiise. 11 est des blessures de la vie conjugale qui peuvent s'a- doucir avec le temps, mais que des siècles ne parviendraient jamais à cicatriser complètement. Toute l'exigence, en 1680, était donc simplement que Marie-Thérèse pût continuer passablement sa vie d'épouse. Elle avait, n'en déplaise à ceux qui ne connaissent pas encore cette lemme, fort incom- prise 2, assez d'esprit pour vouloir cela, et elle lobtenait par M™° de Maintenon, qui, tout en lui prenant une part des sentiments de Louis XIV, n'en faisait pas cependant un total monopole, observant assez les proportions, pour que sa vie d'épouse, de mère et de reine fût possible. La mar- quise avait, comme nous l'apprend Saint-Simon, . un air de retenue et de respect, un langage doux, juste, en bons termes ; » c'est tout ce qu'il fallait à la reine, avec les anté- cédents et l'organisation d'un Louis XIV. Un moderne ressuscite des doutes sur les rôles respectifs, doutes qu'on eut au xvii'' siècle, et que nous avons encore aujourd'hui. Après le jubilé, pendant lequel Bossuet avait réussi à obtenir la séparation du roi et de M™^ de Montes- pan, et -lorsque cette tentative eut de nouveau échoué, il est certain que M™'' de Maintenon, désappointée, mais non découragée, ne s'en proposa pas moins de prendre sa re- vanche de cette partie perdue; et il est manifeste, par les lettres de M'"'^ de Maintenon, comme par d'autres docu- • Gustave Héquet, dans Madame de Maintenon, p.' 162. * JN'ous regrctlons de rencontrer MM. de Isoailles, Gustave Héquet, parmi ceux qui ne se rendent pas compte de toute la finesse de cette reine inoffen- sive, qui sentait plus que personne l'étrangeté de sa position. 638 MADAME DE LA VALLIKRE ments, que, dès ce moment, la séparation du roi et de la marquise devint la grande aiï'aire de la veuve Scarron et son désir le plus vif '. Mais ce zèle était-il pur de tout alliage? La veuve Scarron n'avait-elle en vue que les intérêts du ciel, l'honneur du mariage, la dignité de Marie-Thérèse, la gloire de Louis XIV, sans aucun retour sur son intérêt propre? On en a douté, et il csl permis d'en douter encore^. Pouvait-elle ne pas voir que, M'"^ de Montespan écartée, la domination de la reine serait fort bénigne, et que son in- iluence, à elle, M'"*^' de Maintenon, grandirait et resterait sans rivale à la cour ^ ? Toutefois, on aime mieux faire observer ici que, depuis 1G80, deux politiques de femme, ainsi que deux sincérités, avaient été amenées par la force des choses à conclure taci- tement une transaction. Tandis que Marie-Thérèse avait intérêt à ne pas aliéner 1 M"'° le Maintenon écrit à. M""^ de Saint-Goran •• Avec tout son zèle l'évùqne de Condom , il voulait les convertir et il les a raccommodés. C'est une choie inutile, madame, que tous ces projets. 11 n'y a que le Fera de La Chaise qui puisse les faire réussir. Il a déploré vingt fois avec moi les égare- miMits du roi; mais pourquoi ne lui interdit-il pas absolument l'usage des sacrements? il se contente d'une demi-conversion. » -Madame de Malnteintn, par Gustave Héquet, Paris, 1833, p. 138. ' Nous ne saurions aimer les réticences que gardait M°>» de Maintenon, et cet air de protection qu'elle affecta quelquefois. Tandis que d'un côté elle se réjouit des attentions de Ljuis XIV pour la reine, aux pieiies celle-ci n'était pas accoulumée, s'applaudissant que le roi voyait plussouvent Marie-Thérèse, commençait à passer les soirées avec elle et mettait son application à l'amu- ser, on peut remarquer que d'un autre côlé M""" de Maintenon se réservait des correctifs et des restrictions dans ses lettres Si la ruine avait un direc- teur comme l'abbé Gobelin, écrit-elle, il n'y a point de bien qu'on ne dût espérer de la famille royale. » Letire de M'°' de Maintenon, du 2 juin 1682. La nine n'ayant pas ce directeur, on devine la conclusion qu'en tire M'"^ de Maintenon, — donc les choses ne vont qu'à moitié — c'est la faute de la reine — elle marche plutôt en Carmélite qu'en reine... Toutcela ne fai- sait-il pas humblement- enieiidre que si elle. M"" de Maintenon, était k la place de Marie-Thérèse, elle remplirait mieux le rôle de reine? M""" de Main- tenon n'aurait pas dû oublier que, dés les premières anni'es, Marie-Thérèse avait fait spontanément le sncritice de ses dévotions, pour assister au média- tioche du samedi. Ce ne fut qu'à la longue que la reine crut pouvoir se sous- traire aux exigences du mèdianoche, lorsque l'expérience lui prouva que ce sacrifice était parfaitement inutile et ne remédiinit à rien. Voir \ai relation des CanneUles de la rue du Bouloi, aujourd'hui avenue de Saxe. CHAPITRE NEUVll^ME 639 M'"" de Mainteiion qui aidait à fixer et à retenir le roi dans sa voie nouvelle, en ajoutant son charme person- nel aux éléments d'agrément qu'offrait déjà l'ensemble de la famille royale, M"^^ de Maintenon avait intérêt aussi à ce que le roi, en recommençant à aimer la reine, ne portât point les choses à ce degré exigeant et exclusif qui aurait fait éloigner toute femme et tout ami des abords du domicile conjugal. C'était donc la nécessité de la situation qui créait ici une double diplomatie féminine; et chacune de ces deux femmes devait trouver alternativement que l'une était justement dans les conditions qu'il fallait à l'autre. Marie Thérèse, quoique plus jeune que M""' de Maintenon, ne faisait que reprendre un sceptre branlant, toujours' mal assuré et qui n'empêcherait pas l'ex-gouver- nante de faire son chemin; elle ne lui était donc pas un épouvantail. M™" de Maintenon, à son tour, n'alarmait pas la reine, parce qu'elle laissait entrevoir qu'elle se trou- vait fort heureuse, comme sujette, que la reine daignât lui faire l'honneur de lui demander delà seconder. M""^ de Mainteiion, observe un pénétrant critique, se ser- vit de son 'ascendant sur le roi pour le ramener vers la reine. Une femme qui n'aurait eu que de l'habileté et de l'ambi- tion aurait trouvé plus sûr de posséder seule l'esprit et le cœur du roi. M™ de Maintenon n'hésita pas à le partager avec la reine ; elle ne voulait qu'un pouvoir honnête, et c'^st le mérite des pouvoirs honnêtes de pouvoir être parta- gés sans souffrir de diminution. M'"*' de Maintenon sentait que le penchant qui attirait Louis XIV vers elle, étant pur et devant le rester, le roi pouvait, sans danger pour elle, recommencer à aimer la reine. » Voilà jusleraent le pivot du traité politique tacitement conclu entre la reine et M"^ de Maintenon, et qu'un moderne penseur, à la fois sagace et spirituel, a mis en lumière sans le vouloir ^ Tout le pro- ' M. Saint-Marc GirarJin, de l'Académie française, dans le Journal des Débats, octobre 1856. 640. Madame bE la vallièiœ ]lème, entre ces deux lemmes, était que Louis XIV recom- mençât à aimer la reine, assez pour être sincère envers celle-ci, pas trop, afin que ce lut sans danger pour celle-là. Du moment qu'on accorde à M'"'' de Maintenon une grande supériorité de raison, de jugement, du tact, d'autres disent une habileté consommée, elle eut probablement cet éclair tle génie, de vouloir procéder par la concentra- tion, là où ses devancières avaient pratiqué l'isolement et la séparation. Si M"*-' de La Vallière et M'"*' de Montes- pan avaient régné,, n'était-ce pas en établissant une bar- rière entre le roi et la reine? Mais n'était-ce pas, dans le nou- veau système, la suprême habileté de régner en inaugurant la réconciliation, et de consolider sa propre influence par le rapprochement de Louis XIV et de Marie Thérèse"? Que de chances M™ de Maintenon ne se ménageait-elle pas de la sorte, dans la nation et dans l'opinion? C'était beau de le tenter, habile de l'avoir imaginé, politique d'y travailler. Visait-elle, ne visait-elle pas à la souveraineté ? Du moins, ne voyait-elle pas que Louis XIV, lui-même, l'y portait? Mais, au fond, son meilleur triomphe, à ses propres yeux, ne devait-il pas être de se voir porter à la souveraineté d'influence, par la reine elle-même, et de régner avec elle et par elle? Ainsi se firent sans doute les conventions muettes, entre ces deux femmes, dont l'une était M™'-' de Maintenon, et l'autre Marie-Thérèse, ayant acheté par vingt années de douleur, l'expérience du cœur du roi. La situation était délicate pour M""^ de Maintenon, La fierté de la reine se serait refusée, à accepter d'une inférieure, l'aumône d'une amélioration dans sa destinée d'épouse ^. Mais, quoi 1 Un hislorien fait remarquer que Marie-Tliérèse, soit que Louis XIV l'exi- geât, soit qu'elle crût devoir se sacrifier pour lui plaire, se résigna à vivre avec mesdames de La Vallière, de Montespan ; elle poussa la complaisance jusqu'à caresser des enfants qui n'étaient pas les siens; mais elle ne s'a- baissa jamais jusqu'à montrer de la considération pour leurs mères tant que dura leur désordre. La beaumelle, qui n'indique pas ses sources, prétend CHAPITRE NEUVIÈME 641 qu'il en soit, politique de prévision, ou sentiment du devoir, M""^ de Maintenon sut prouver par des actes patents et réitérés, qu'elle était loin de vouloir empiéter sur un ter- rain qui n'était pas le sien. Elle sut le prouver en s'effacant devant la reine, dans la mesure où l'effacement était prati- cable et la plupart des historiens du xviii^ siècle ou hostiles ou sympathiques, mais indépendants, qui ont relaté cet épisode du grand règne, laissent bien entendre que telle fut, en effet, l'attitude de 11'°^ de Maintenon. M""*^ de Maintenon avait un ensemble de facultés, d'ail- leurs nécessaires, pour éclaircir une situation comme celle qu'elle débrouilla. Elle n'avait cessé, depuis qu'elle avait paru à la cour vers 1674, de croître en faveur et en crédit. Celle qui avait su tenir son rôle, si étrange et si difïicile, pendant quatre années, entre le roi et M"'" de Montespan, celle qui était parvenue à prendre une position excellente entre les transports de celle-ci et l'irritation de celui-là, dut suivre les conseils de la plus élémentaire sagesse. Il y avait une reine, dont on devait sauvegarder les droits, lors- qu'on avait une conscience. La première politique n'était- elle pas d'étudier de quoi se plaignait Marie-Thérèse, et de luiôter le sujet de ses légitimes plaintes *. que Marie-Thérèse, ayant à cet égard distingué M"»* de Maintenon, voulut en mourant, lui montrer son estime, en tirant sa iague de son doigt et en la lui donnant. Peut-être avait-elle un secret pressentiment de ce qui devait arriver. 1 M. de Lamartine, ne s'arrêlant qu'aux grandes lignes de cette destinée ex- traordinaire, part de cette belle organisation féminine, pour expliquer com- ment M""» de Maintenon était prédestinée à tout éclipser et à dominer Louis XIV Une femme, dit-il, une femme dont le caractère est resté une énigme, tant il y a d'intérêt visible dans sa vertu et de piété réelle dans son ambition, M™» de Maintenon s'insinuait par les artifices les plus féminins, dans les yeux, dans l'esprit, dans les balsitudes du roi. Cette femme d'esprit portait encore dans son nom de veuve Scarron et d'amie de la courtisane IS'inon, les stigmates de son obscurité et de sa mauvaise fortune récentes. M"^ de Moniespan, sans soupçon de l'arabiiion de cette protégée, mais char- mée de son esprit et touchée de sa misère, l'avait rapprochée d'elle et du roi en lui confiant ses enfants. De confidente, M™' Scarron était devenue rivale. Sa beauté mûre, sa raison calme, ses grâces voilées, ses séductions en appa- rence involontaires, sa piété alfichée, quoique indulgente aux faiblesses de 41 642 MADAME DE LA VALLIKRE A peine l'épisode de M"'" de Fou langes était-il terminé, à peine l'astre sérieux de M""^ de Maintenon se montrait-il à la cour, à peine enfin l'arrière-saison d'un bonheur conjugal un peu tardif commençait-elle à briller pour la reine, que cette épouse, si longtemps abreuvée de chagrins , quittait brusquement la vie au moment où Louis XIV redevenait ce qu'il eùtdû toujours être. Grand sujet d'amères réflexions à la rue Saint-Jacques. Une femme vertueuse, distinguée de naissance, une reine quinevcut que pour le devoir, n'avait traversé la vie que, pour endurer pendant vingt ans, les plus intolérables souffrances qui pussent atteindre un cœur d'épouse 1 Et M™'' de La Vallière était forcée de se souvenir, dans sa solitude du Carmel, que c'était elle qui la première, avait coupablement entamé cette existence, et son maître et de sa protectrice, enfin on ne sait quel caprice des sens qui surprend les hommes dans la satiété de l'amour heureux, et qui leur fait trouver des charmes inattendus dans les découvertes et dans les élonne* ments d'une beauté jusque-là invisible aux autres et à eux-mêmes, tout cela commença à remuer dans le cœur du roi des inclinations vagues pour celte femme si éloignée du trùne. M"'^ de Maintenon lui apparaissait comme un dé- licieux repos du cœur après le tumulte de ses passions passées; sa sévérité même lui plaisait. 11 aimait à être respectueusement réprimandé par elle sur le désordre de son cœur. Elle s'appuyait sur sa piété pour lui conseiller, a l'insu de M"" de Montespan, de rompre à jamais un lien criminel devant Dieu, usé devant les hommes; elle empiétait sur son cœur par sa conscience; retenue à la cour par le soin des enfants du roi, pendant les éloignements forcés de la mère, la gouvernante aval', l'oreille du prince à toute heure; elle connaissait les dégoûts et les amertumes de ce commerce orageux de M™' de Montespan et du roi; elle s'unissait au clergé pour encourager ce prince à se jeter dans la dévotion. La dévotion devait lui livrer un roi sans rivale • Cependant la nature, le temps, la satiété, les orages dans la passion, et, pàr-dessus tout, le travail lent, assidu, souterrain de M""" de Maintenon, épiant à toute heure le co;ur et les retours du roi, faisaient ce que la piété seule n'avait pu faire. M"» de Montespan fut vaincue cb éloignée par celle qui lui devait tout, même l'occasion de la vaincre. EU* f^. l'apparence de n'être remplacée que par Dieu dans l'âme du roi; m. ^ file ne s'y trompait pas; elle était remplacée par la nouvelle favorite. M"" ïe Montespan mourut d'humiliation cl de tristesse. M""-" de Maintenon alluma de plus en plus la passion muette du roi pour elle. En lui opposant une inflexible vertu, elle exalta cette passion jusqu'au délire. La veuve de Scarron devint l'épouse de Louis XI V. L'adresse et la piété la placèrent de leurs mains unies, sur le trône; son esprit supérieur l'y maintint. Lamartine, le Civihsaleiir, 1854, p. 216. CHAPITRE NEUVIÈME 643 Li'isd cette carrière dès son début. Voilà de quel côté surtout se tournèrent les gémissements et les regards attristés de sœur Louise de la Miséricorde. Rien de pins cruel en effet, de plus déconcertant pour la pensée humaine, que certains événements inattendus qui viennent brusquement, donner à des carrières agitées des dénoûments inintelligibles I Tout ne semblait-il pas être rentré dans l'ordre, dans la régularité ; et la famille royale de France ne recommençait- elle pas la vie sur un plan complètement neuf? Marie-Thé- rèse n'était-elle pas récompensée de sa longanimité héroïque, de sa victorieuse patience? Un jour, devant elle, un chant redisait les impertinentes prétentions d'une épouse délais- sée ; M"*' de Montausier semblait demander à la reine, si elle pensait comme l'héroïne de la romance, et Sa Majesté faisait une réponse digne de sa magnanimité; elle ne ferait toujours que la volonté du roi; loin de proclamer l'insurrection" de son cœur d'épouse trahie, elle enchaînerait toujours la passion de son cœur aimant au char de Louis XIV 1. ! Alais en 1C83, ne recueillait-elle pas le bé- néfice de tant de fidélité? L'année 1683 s'était annoncée, pour Marie -Thérèse, comme une année heureuse à tous les points de vue les puissances étrangères continuaient de la complimenter, par leurs ambassadeurs, sur la naissance de son petit-fils, le duc de Bourgogne. Si Louis XIV voyait avec un indicible plaisir la perpétuité de sa famille, si le royaume en conçut aussi de grandes espérances, la reine ne se réjouissait pas moins d'être grand'mère, et de pouvoir reporter sur un jeune en- fant une portion de son aSéction. * ... Gia nna simil canzoïie havea fatio cantare alla regina dalla stessa Montausier, la quale hebbe in riposta ne! far tali proposte, faro quanto vuole l'auUorità del re mio signove e marito, e pronietto d incatenare la passione del mio cuore, a suo voleri. Riposta degna d'una regina di gran bontà. Teatro Gallico, di Gregorio Leti, t. I, p. 5ii3. Amsierdamo, 1691. 644 MADAME DE LA VALLIÈRE Il est dans le domaine de la politique, deux questions distinctes, celle des personnes et celle des principes; il y a les dynasties et il y a les institutions. On conçoit la sépa- ration de ces deux choses, mais il est évident aussi que l'état le plus normal d'un peuple est de s'appuyer à la fois sur l'institution et sur la dynastie. La France à la fin du xvii" siècle se reposait sur l'institution monarchique, et Louis XIV la représentait singulièrement dans l'ahso- lutisme le plus crû. Cette constitution monarchique avait- elle besoin d'être libéralisée? La France voyait-elle la néces- sité d'une réforme politique et administrative? C'étaient de ces problèmes que les esprits n'avaient pas le temps d'exa- miner. On était tout entier aux questions de guerre et de gloire. D'ailleurs, la dynastie française était florissante, et pour le moment, on ne regardait pas plus loin *. On avait mis, sous un tableau représentant la famille royale, les vers suivants Ilic agnosce tuos Ventura in sœcula reges Gallia quondam orbis senliel esse ticos. Traduits ainsi Dans ces jeunes héros dont l'auguste naissance • Promet cent miracles divers » Tu vois tes rois, heureuse France ! rouvant, sans être endommagé, qu'il avait été lu. Sa hauteur est 0,196; et sa largeur, 0,12^. Le titre du livre est L'oflice de la semaine sainte selon le messel et bréviaire romain; avec la concordance du messel et bréviaire de l'aris. De la traduction de M. de Marolles, abbé de Villeloin. Ensemble l'explication CHAPITRE NEUVIÈME 647 elle gémissait avec Jérémie et Isaïe sur les inexprimables douleurs du Sauveur des hommes. Le 18, jour de Pâque*, on la vit communier à la paroisse de Versailles, et l'après- dînée entendre, dans la chapelle du château, le sermon du P. Hubert, de l'Oratoire. Le 2G et le 27 avril, le sieur Heinsius, envoyé extraordinaire des États-Généraux des Pro- vinces-Unies, et le sieur Haxthausen, envoyé du duc de Holstein, étaient reçus en audience par le roi et par la reine. Cependant le printemps reparaissait avec ses merveilles, avec ses parfums et ses fleurs, dont Versailles était embaumé. La reine, qui jouissait du bonheur de la vie de fa- mille, se prêtait aux joies des autres. Elle assistait, le 17 mai, dans le cabinet du roi, à Versailles, aux fiançailles de Don Joseph Rodrigo de Gamara, fiancé à Gonstance- Émilie de Rohan, fille du prince de Soubise. Cependant les plénipotentiaires réunis à Piatisbonne pas- sèrent plus de quatre mois, sans rien avancer; ils travail- laient avec la même lenteur et la même tranquillité que si la France eût été obligée d'attendre leur commodité, et qu'elle n'eût pas fixé un terme, au delà duquel il n'y avait plus d'accommodement à espérer. Toutefois, Louis XIV fit proposer une trêve de trente ans, pendant laquelle on pour- rait à l'amiable terminer les difficultés, ce qui ne fut point des sacrez mystères représentez par les. cérémonies de cet ordre. Par Fr. Daniel de Cicongne, de l'ordre de Saint-François. A Paris, par la compagnie des libraires associez au livre de la semaine sainte. Avec une épître à monseigneur MoIé, garde des sceaux de France. » Le livre renferme quatre gravures en taille douce 1» pour la messe du jour des Rameaux ; 2" pour l'office du soir du Mercredi-Saint; 3° pour l'oflice du soir du jeudi-saint; 4» pour le dimanche de la Résurrection. La couverture, de maroquin ronge, est ornée de fers dorés! Sur les plats; qui sont semés de fleurs de lys alternant avec le ch'ifîre' de la reine', que sur- monte la couronne royale, sont frappées les ariùes de France et d'Autriche. Le chiffre de la reine, composé des lettres M, T, A, se retrouve, avec la cou- ronne, répété six fois sur le dos du livre. La Semaine sainte de Marie-Thérèse d'Autriche a été donnée au musée des souverain^ du Louvfe, en 1861, par M. Révillion. Voyez Notice desantiquités, objets du moyen âge, de la renaissance, etc., composant le musée des souve- rains, par M. Barbet de Jouy, p. 173. 648 MADAME DE LA VALLIÈRE accepté. C'est alors que Marie-Thérèse fut prévenue de s'ap- prêter pour un voyage que la cour de France allait entre- prendre en Bourgogne et en Alsace. Ce voyage était tout politique; mais le bonheur de la reine était d'aller, malgré la fatigue, où allait Louis XIV *. Le roi, la reine, le duc d'Orléans, Madame, partirent de Versailles le 26 mai. On meurt, même quand on est prince ; on allait le voir, dans cette brillante année 1683, si triomphalement paci- fique. Qu'il y a peu de certitude dans les choses humaines, et peu de distance de la joie et des plaisirs au deuil et à la tristesse! A peine Leurs Majestés sont-elles de retour d'un voyage de divertissement, que la reine tombe malade, d'une maladie qui doit la coucher au tombeau, quatre jours après. Se peut-il une plus grande ironie de la fortune? Toutefois, un historien, qui ne manque pas d'observer la cruauté des coïncidences, fait une remarque digne d'attention. Il est ' Louis XIV était d'une exigence terrible pour les voyages, à l'égard des dam?s. Rien n'y faisait, ni les rudes hivers, ni les chemins impraticables, comme le raconte Saint-Simon, qui parle avec sévérité de ces fantaisies royales. On voit par une lettre de Colbert de Saint-Pouangp, agent de Lou- vois, les détails du voyage de février 1678, quand le roi quitta Versailles avec la reine et une partie de la cour, pour se diriger sur la Lorraine, mais au fond en se proposant pour but de la campagne le siège de Courtrai. Les équipages de la cour avaient beaucoup de peine à arriver, les carrosses des dames du palais s'embourbaient à chaque instant. La reine avait, certains jours, dans son carrosse, M^e de Montespan, enceinte de cmq mois, et qui devait suivre bon gré mal gré. A Vilry-le-Français, où l'on était le 18 fé- vrier, les échevins de la ville offrirent au roi quatre bouteilles de vin de Reims, à la reine vingt-six livres de confitures sèches et huit cents poires tapées, etàM"de Montespan une corbeille de poires tapées, ornée d'une guir- lande de rubans. Passrt/!de LouisXIVâ Vitry-le-Fraiçais en 1678,1680-1681, parle docteur Valentin. Vitry, 1867. Cependant, la diversion que Louis XIV avait voulu produire ayant eu son effet, il volait vers la Flandre, et arrivait le 2 mars à Valenciennes. Cette pointe sur la Lorraine avait trompé les alliés et procuré lu prise de Gand. Pendant ce temps, la reine, M"" de Mon- tespan et les dames gagnaient Lille à petites journées. Le premier maîire d'hôtel de la reine, Colbert de Villacerf, écrit de Cambrai à Louvois, sous la date du 10 mars, que la reine a logé ;i rarciievèché avec M'"» de Montespan, et qu'il les a iveillées pour leur annoncer la prise de Gand. Histoire de Louvois, par M. llousset. — 3/"" de Montespan. par M. P. Clément, in-12, p. 98. Les voyages de la cour aux armées étaient loin d'tHre finis; nous retrou- vons la reine, par lescliemins, en 1080, au mois de novembre. Il y avait le CHAPITRE NEUVIEME 649 vrai que tout nuage avait disparu du toit conjugal rede- venu serein, et que Marie-Thérèse semblait pouvoir comptei désormais sur l'afïection de Louis XIV. Il est vrai aussi que, sous le rapport de la santé, la reine était douée d'un excel- lent tempérament; mais, néanmoins, elle sentait elle- même, depuis quelque temps déjà, que cette santé fon- cièrement solide était un peu ébranlée * ; et, si elle suc- combe, la plupart des biographes sont d'accord sur la cause véritable de cette mort précipitée, qu'ils trouvent dans le poids de ses chagrins antérieurs et dans l'effort qu'elle fît, toute sa vie, pour les dissimuler '^, Aujourd'hui elle se j'éjouissait, dans la certitude que le roi, son époux, était complètement à elle. Mais en avait-il été ainsi toujours? roi, Marie-Thérèse, le dauphin, îa dauphine, M""" de Monlespan, les dames de service et l'abbé Fléchier qui a raconté les détails de celte expédition. Partis de Versailles au mois d'août, on y revenait par l'Alsace et la Lorraine, après une excursion sur les frontières de la Hollande. Un jour de novembre, sur la route de Longwy à Longuyon, Louis XIV, qui s'était détourné de la route pour visiter des fortifications, fut égaré par ses guides. La nuit était venue. Percé par la pluie, crotté par un postillon, dit Fléchier, il errait au milieu d'un bois, à quelques lieues de Luxembourg, où les Espagnols avaient une forte garnison. Faudrait-il donc coucher dans la forêt sur un sol dé- trempé? continue un moderne historien. On le craignit un instant. Quel- ques gardes trouvèrent enfin le chemin de son logement, où il arriva à neuf heures du soir. Pour comble de malheur, la reine était restée en route avec les princesses et les dames. Le roi remonta à cheval pour la chercher, et, grâce aux paysans, qui éclairaient les chemins avec de la paille, il la trouva embourbée, à deux lieues de là. Ses oiTiciers eux-mêmes n'avaient pu la suivre. Fléchier racontant le lendemain à M"= Deshoulières cette singulière campagne, ajoutait La reine pleuroit, et pleure encore aujourd'hui. Vous jugez bien qu'on fut mal couché. Les seigneurs et les dames dormirent sur de la paille et M""=de Montespan eut bien de la peine à trouver un méchant matelas pour M" de Nantes qu'elle avait amenée avec elle. » {M"' de Montes- pan, par M. P. Clément, ch. v, p. 100. Vint ensuite ce dernier voyage de 1683. * Gia era qualche tempo che la regina, d'ottima amplessione par altro, si sentiva mal diposta Poiche non haveva mai havuto più giusto sogetto di rallegrarsi che in questa volta, potendo gloriarsi d'havere il rè suo marito in- tieramente a lei, e sicura che non godra aliri abbracciamenli che li suoi; in fatti sua maestà le dava segni di tenero amore. Teatro GalHco di Gregorio Leti, t. H, p. 299. ^ Dreux du Radier, Mémoires historiq. el critiq. des reines et régentes, t. VI, p. 330. 6S0 MADAME DE LA VALLIEUE Si quelque chose devait retentir douloureusement dans le cœur de sœur Louise de la Miséricorde, c'était de découvrir, dans le brusque trépas de Marie-Thérèse d'Autriche, trois ironies dans une seule 1'' moui'ir Jeune ; 2" perdre la vie , quand la monarchie de Louis XH' aUi'iL,4iait à une prospé- rité et à une puissance qu'on n'avait pas vue depuis Charle- magne; 3"^ eniin, se retirer de la royale famille, alors que Louis XIV, longtemps transfuge, y rentrait en mari amendé, convaincu et soumis. Tout, à cette époque, ainsi que l'avoue un historien étranger, favorisait les projets de Louis XIV, et ils étaient gigantesques; ils devaient tenir l'Europe en fermentation constante pendant quarante ans. Le monarque' était en train d'humilter les Provinces-Unies, de s'agrandir vers le Rhin et l'Allemagne, en s'annexant la Belgique, la ' Lorraine et la Franche-Comté. Bien plus, il était évident que le roi d'Espagne, dont Marie-Thérèse était la sœur aînée, mourrait sans postérité. Un jour pouvait venir bien- tôt où la maison de Bourbon aurait à faire valoir des dïoits sur ce vaste empire où le soleil ne se couchait jamais *. Une coalition continentale s'opposerait, sans doute, à l'union de ces deux grandes monarchies sous un même sceptre. Mais la France pouvait, à elle seule, tenir tête à toute coalition continentale, si l'Angleterre ne faisait point pencher la ba- lance. Et, pour le moment, en 1683, Louis XIV n'avait rien à craindre, pour ses projets, de l'Empire germanique, qui luttait alors sur le Danube contre les Turcs. La Hollande ne pouvait se hasarder, sans alliés, à lui résister. Il pou- vait donc, en toute liberté, donner carrière à ce que l'historien anglais appelle son ambition et son insolence. » La puissance de la France, ajoute-t-il, atteignait, à cette époque, le point le plus élevé qu'elle ait jamais atteint avant ou depuis, pendant les dix siècles qui séparent le règne de ' Dans les notes qu'on a trouvées de Louis XIV, il y avait ce putit para- graphe, jelc d'une main négligente partage de l'Espagne. » CHAPITRE NEUVIÈME 631 Charlemagne du règne de Napoléon *. » C'était alors pour- tant que la reine allait se séparer à jamais de son royal et glorieux époux ; et, devant cette effrayante rapidité de vicis- situdes, on ne trouve que ce mot du poëte moderne Que peu de temps suffit pour changer toutes choses! Nature au fcont sprein, comme vous oubliez! Et comme vous brisez dans vos métamorphoses Les Gis mystérieux où nos cœurs sont liés! Quelle heure! quelle interruption brusque des pensées ordinaires! Gomme il fallait, en quelques instants, changer de fond en comble un ordre d'idées suivi depuis vingt- trois ans ! Louis XIV n'avait que quarante-cinq ans; il était dans la plénitude de ses facultés, et son règne brillant tou- jours dans la période ascendante. Voilà où pouvaient être, pour une épouse, les cruels désappointements de la destinée terrestre. On n'était encore qu'à moitié chemin de la course, d'après le terme moyen de la vie humaine. Après vingt ans d'infidélités, le roi se rangeait et revenait aux habitudes normales d'un époux qui place sou bonheur dans la vie privée. Et en de telles conditions , avoir la conscience qu'on est irrémédiablement atteint dans le principe de sa propre vie, sentir que la fièvre dévorante a pris sur vous un définitif empire, avoir la possession de toutes ses facultés perceptives, de l'entendement et de la sensibilité, et s'aper- cevoir qu'on est forcé de quitter la terre, de laisser tout ce qu'on aime, et au moment où ce que l'on aime vous revient après d'affligeants égarements, quelle pensée, quelle acca- blante perspective à l'heure d'une maladie dernière! Mais c'est, paraît-il, ce qui fut épargné à Marie-Thérèse , qui ne comprit, qu'à de rares et courts intervalles, la sépa- ration à laquelle elle touchait. Qui eût dit, c'est un journal de l'époque qui parle, qu'un • Histoire d'Angleterre, par M. Macaulay, traduit de l'anglais, t. j, ch. 2^ p, 228, 302, édition Charpentier. 653 IM-. LA VALLIÈUIÎ voyage qu'aucun accident n'avait troublé dust estre suivy d'un malheur qui coûtera long-temps des pleurs à la France? Leurs Majestez estant arrivées à \'ersailles dans une santé parfaite le mardy 20 du dernier mois, la revue qui ne se sentoit aucune incommodité, y prit le plaisir de la prome- nade dans les jardins, tout le reste de la semaine, et se di- vertit à en voir joiior les eaux. Si cette princesse eût donné, en arrivant, le moindre indice d'une indisposition à préve- nir, ceux que regardaient ces sortes desoins, n'auroient pas manqué à l'obliger de se servir des précautions qu'ils eussent crû nécessaires, mais son visage ne parut jamais meilleur ; son teint estoit frais et vif, et tous ceux qui la voyoient , estoient étonnez de son enbon point ^ » Désolant pour tout le monde 2, cet événement de la mort de la reine réveillait des sentiments particuliers continant à l'âpre remords, dans deux cœurs surpris et consternés, dans le cœur de Louis XIV et dans l'âme repentante de l'illustre carmélite. Il reste à raconter les dernières années de M""^ de La Vallière. Toutefois, après avoir rap- pelé ce qui faisait matière, chez les Carmélites, à d'ardents regrets, à l'égard de la reine, il convient de relever le mé- rite personnel de Marie-Thérèse d'Autriche, mérite assez saillant pour constituer un des éléments de son originalité individuelle dans l'histoire. M™^ de La Vallière venait de conquérir sa propre réhabilitation sociale par le cloître. Ne rendra-t-on pas également justice à l'épouse de Louis XIV"? C'est un accord qui frappe, quand on daigne s'en inquié- ter auprès des contemporaine de Marie-Thérèse, que cette qualification de bonne re'me^ » qui lui était invariablement • Mercure galant, août 1683, p. 16-17. * Michclon île S. Sorlin, prii-ur de Rocliofort, mentionne • les regrets de toute l'Europe à la mort de Marie-TliLTÙse, ces pompes funèbres qu'on voit partout, ce deuil qui s'explique en tant de manières dilL-reutes, la voix de tant de prédicateurs qui parlent sur le même sujet et dans les mêmes senti- ments. » Il déclare que le roi, l'Etat et la religion ont fait une perte irrépa- rable dans cette mort. {Orais. funcb,, p. 6. CHAPITRE NEUVIÈME 633 adressée * ; ce qui signifiait, en considérant la princesse du côté de sa vie conjugale, une femme résignée et douce dans sa tristesse, héroïquement indulgente envers son royal et in- grat mari. Nous faisons de cette femme une personne pétrifiée dans son abandon monotone, une de ces reines gothiques, sculptées sur les monuments de nos anciennes abbayes. » Nous la voyons une mantille noire jetée sur sa tête; elle tient d'une main cette mantille croisée et fermée comme une guimpe au-dessous de son menton, une duègne accompagne ses pas, un page porte devant elle son livre d'église. Laissons ces descriptions fictives. La r-éalité, c'est que Marie-Thérèse fut patiente jusqu'au bout, parce qu'elle avait cette énergie éminente, angélique de l'âme, la bonté. C'est que la patience nous paraît la force morale par excellence; et, si la force physique se manifeste ordinairement par l'impétuosité, la soudaineté des mouve- ments, les manifestations de la force morale ne sont-elles pas dans, cette indulgente souplesse de l'âme, qui plie sans rompre, qui pardonne, oublie et attend? N'y a-t-il point là une imitation du divin, puisque Dieu lui-même, d'après un mot célèbre, n'est pas brutal, et qu'il ne brise pas d'un coup la frêle créature qui peut avoir des torts. Avoir vu ce qu'avait vu Marie-Thérèse, avoir assisté aux honneurs successivement accordés à M"'" de La Vallière et à M'"^ de Montespan, et, cependant, demeurer douce, aimante, attentive à Versailles et au Louvre, savoir toujours aimer son époux, quand la nature égoïste de Louis XIV ne savait plus aimer; garder toujours, quoique avec un cœur brisé, son regard de feu; et, quand cet insolent violateur des droits de l'épouse venait à elle, savoir toujours l'ac- cueillir avec ce sourire qui est la franchise du visage... ' Voyez Bossuet dans l'Oraison funèbre do cette reine, édition Ruzand, in- 12, Paris, 1823, t. X, p. 104 Parlerai-je des bontés do la reine tant de fois éprouvées... » — Flécliier, Orais. funèb., in-4% Paris, 1084, p. 37. — David, le P. Geuillens, dans ses Orais. funèb., etc. 634 MADAME DE LA VALLIÈRE comment l'histoire, eu enregistrant ces faits, peut-elle uc pas prononcer ces noms glorieux qui relèvent et agrau- dissent uu mortel honte, sacrifice, dévouement, patience, héroïsme, énergie surhumaine? Paris éleva, à la porte Saint- Martin et à la porte Saint-Denis, des arcs de triomphe à Louis XIV; la postérité doit tenir compte à la reine de cette faculté morale et vertueuse de la bouté patiente qu'elle eut à un degré-émiuent. Sans doute, après 1670, ellepr?iiait cette teinte plus sombre que les révolutions accomplies ver- sent sur les esprits, comme le temps sur les toiles des maitres. Toutefois, elle demeurait relativement aimante et sereine. Si c'est un signe très-mauvais pour un temps quand les hommes ne sentent plus la beauté de la bont'^' temps odieux, » a-t-cn dit *, ce n'est pas un signe moins pénible que de voir les rapprochements les plus naturels et les plus nécessaires échapper aux yeux distraits des moralistes et des critiques. On a parfaitement dépeint, dans trois poèmes ou dans trois écrits poétiques, les dilîérents types des femmes délaissées, les différentes manières dont une femme peut souffrir l'a- bandon de son époux ^ ; mais la déplorable distraction, c'est qu'on n'a point daigné s'apercevoir comment, au xvii'' siècle, Marie-Thérèse était la haute réalisation d'un de ces types. Virgile nous a montré, dans son Enéide, Didon, qui, à la douleur de son abandonnement, ne sait opposer que son dé- sespoir; elle ne se venge pas, mais elle maudit l'époux qui l'a trahie. Marie-Thérèse sut trouver en son âme assez d'é- nergie pour ne pas maudire; elle connut le supplice d'aimer Louis XIV, et de ne pas trouver au foyer la réciprocité, ce droit sacré et imprescriptible ; elle ne reprocha pas ses mé- • Michelot. * 11 y a trois maniùres de souiïrir l'abandon d'un époux 1» s'en plaindre 2» s'en venger; 3" le supporter avec ferinelé et dignité. M. Saint-Marc Girar- din fait remarquer que la iJidon de Virgile personnifie la première manière, Médi'c dans Euripide et Corneille la deuxième. Knlin Giiselidis, dans les au- teurs du moyen âge et dans un Allemand, M. Munck Bellengliauscn, Pa- lombe, dans Camus, personnifient la troisième. CHAPITRE NEUVIÈME Cjo comptes à son mari; elle resta discrète, quoique offensée ; elle ne troubla pas les détestables plaisirs de son royal époux par l'ostentation de ses souffrances et par d'âpres reproches. Mais l'antiquité, comme les temps modernes, a conçu un autre type de femme délaissée ; celle-ci, furieuse et impla- cable; c'est Médée. Elle est affreuse et sublime dans Euri- pide; on frémit d'horreur en la voyant égorger elle-m,ême ses propres enfants , mais on se dit qu'on est dans la logique de la haine. Médée se venge. Marie-Thérèse ne se vengera pas ; elle n'adoptera pas ces méthodes sommaires du poignard. Elle ne cherche ]3as à désespérer l'infidèle Louis XIV, ainsi que la femme antique rêvait, pour suprême jouissance, de dé- sespérer Jason. Tout au plus, la douce reine de France, outragée dans son amour, répéterait-elle avec Médée Je t'aime encore, Jason, malgré ta lâcheté. Mais Ma- rie-Thérèse ne se plaignit qu'à Dieu; et son crucifix seul pouvait raconter de combien de ruisseaux de larmes elle avait baigné ses pieds sacrés. Il est probable qu'après 1670, on ne lisait plus les ro- mans parus plus de trente ans auparavant, et dont Jean- Pierre Camus, évêque de Belley et voisin de saint François de Sales, était l'auteur *. Mais si Palombe ou la femme ho- norable, eût été en vogue, il eût été impossible aux lecteurs français de ne pas admirer en action, en pratique, en héroïsme vivant, dans la personne de la femme de Louis XIV, ce que l'auteur de Pa/owfte présentait comme un idéaL Palombe n'était que le pendant de la Griselidis du moyen âge ^. Ghaucer , Boccace , Perrault , ont travaillé sur 1 Jean-Pierre Camus, né à Paris, en 1382, eut des appuis à la cour sous Henri IV et Louis XllI; il fut protégé par Hiciielieu. Il devint évêque de Beiley étant fort jeune. 11 écrivit des livres de polémique religieuse et des romans pieux. Il vécut dans une douce intimité de voisinage avec son ami, saint François de Sales. Il mourut à Paris, en 1632, et fut enterré à l'église des Incurables. 2 MM. Saint-Marc Girardin, H. Rigault et Sainte-Beuve, ont vanté cette 6bG MADAME DE LA VALLIÈRE ce thème, devenu la légende populaire du dévouement et de l'abnégation conjugale. Paloniho et Griselidis sont deux femmes créées par l'imagination; délaissées parleurs ma- ris, elles ne se vengent pas comme Médée, elles ne se tuent pas comme Didon ; elles montrent en elles un type nou- veau, celui de la douceur et de la patience conjugale; elles supiortent avec fermeté, avec dignité, ra]andon de leur époux. 11 n'est pas à croire que Marie-Thérèse fût de force à écrire à Louis XIV, les lettres que le romancier chrétien fait écrire par Palombe au comte Fulgent, son mari. Cette bonhomie niaise retomberait trop dans l'invraisemblance qu'on a reprochée à un drame moderne qui embellit le rôle de la femme d'aventure aux dépens de la femme légitime. Palombe ne mande t-elle pas à Fulgent qu'elle va se faire religieuse pour lui laisser la faculté d'aimer celle qui a pris son cœur? Tant s'en faut que je la haïsse comme rivale, qu'au contraire je la chérirais comme aimée de celui que j'aime plus que moi-mémo. » Marie-Thérèse n'aurait jamais écrit d'aussi gauches fadaises pour complaire à M™'" de La Yalliôre ou à M''"* de Montespan. Elle était reine, et ne pou- vait abdiquer sa dignité royale. Nulle nuance ne doit être omise pour apprécier la bonté déployée par Marie- Thérèse dans ses rapports avec Louis XIV. Qu'on se rappelle dans la question du ma- riage et du divorce l'iulloxibilité des catholiques, et sur- tout d'une princesse espagnole, élevée comme la reine. Tout ce qu'on a dit de lamentable sur le malheureux sort des époux antipathiques, rivés l'un à l'autre, pesait ici connue une masse de plomb. Ceux qui, de nos jours, ne production. Camus, dit M. Rigault, met dans la bouclie d'un de ses per- sonnages, tous les arguments des mauvais maris de récole moderne. Qui croi- rait que Camus avait [irtivu la théorie des àmcs di-pareilléos, qui se clurciient dans le monde et qui meurent de langueur tant qu'elles ne te sont pas ren- contrées, si bien que le jour où elles se rencontrent, il n'y a pas de barrière possible entre elles, pas même le sacrement. - CHAPITRE NEUVIÈME GS7 veulent pas entendre parler de divorce , sans toutefois croire aux sacrements, possèdent probablement des moyens pratiques ou diplomatiques pour tourner la difficulté et pour endormir la douleur des deux conjoints qu'on a appelés ces forçats accouplés du bagne de la vie *. » Rien n'allé- geait,, pour Marie-Thérèse, la fatalité du désastre qui en- gloutissait sa vie entière d'épouse. Elle ne voulait point, dans ses scrupules religieux, porter ses espérances vers une séparation de corps ; quant aux expédients des gens immo- raux, jamais sa pensée n'eût pu s'y arrêter un seul instant. Elle n'était pas de ceux qui se fient aux mœurs pour cor- riger les lois, comme on dit; c'est-à-dire, elle ne comptait pas sur l'adultère pour se dérober aux maux de sa situation, ni sur aucun de ces stratagèmes des civilisés, en vertu des- quels on dénoue aisément, devers soi, des liens qui ne gê- nent que les gens qui veulent bien se croire attachés, » Ces conditions rappelées, on aperçoit mieux dans son vé- ritable jour cette victime du mariage royal au xvii^ siècle, cette Griselidis du moyen âge, cette Palombe des temps mo- dernes. Les passions illégales de Louis XIV , loin d'être cachées dans l'ombre, étaient étalées comme une insolence devant la France et devant la reine. Et cependant la reine ne désespéra pas de ce mari ; elle ne s'emporta pas en vio- lents transports ; elle n'opposa à l'indifTérence et aux ou- trages que la patience, la résignation, la dignité, la douceur et l'espérance. Où est donc la force, l'énergie, la grandeur du caractère, si on ne la trouve pas dans l'infatigable pa- tience que Marie-Thérèse montra comme épouse? La cri- tique moderne déclare, par des organes fort accrédités, que Camus, dans quelques parties de son roman, avait de- vancé Corneille, et rassemblé dans Palombe quelques traits M. co regretté el érainent critique, n'en disconvient pas dans son étude liticraire sur Palombe de Camus, CHAPITRE NEUVIÈME 639 voulu peindre l'épouse de Louis XIV Ne point se con- soler, dil-il, et ne point se venger, supporter l'injure et le malheur avec une plainte modeste et soumise, s'humilier sous une main qui reste chère toute injuste qu'elle est, et s'anéantir devant la volonté d'un époux comme devant la volonté de Dieu, quel est ce genre de vertu où se mêlent ensemble l'amour conjugal et l'humilité chrétienne? L'an- tiquité ne semble pas avoir connu ce genre de dévouement, le cœur humain s'est élevé depuis le christianisme. Le cœur de la femme s'est élevé en voyant quel rang lui faisait le mariage chrétien. Cette élévation pouvait ne profiter qu'à l'orgueil ; un sentiment plus chrétien a fait que le cœur, sûr de son droite a été en même temps disposé à l'abdiquer, tempérant ainsi la dignité civile par l'humilité *. » Telle est l'héroïne de la cour de Louis XIV. Marie-Thérèse donnait jusqu'à la dernière tieure des preuves éclatantes de cette bonté. N'était-elle pas généreuse envers Louis XIV jusqu'à lui rendre le bien pour le mal, et souffrit-elle jamais une conversation qui eût porté la plus légère atteinte à la réputation du roi? C'était, dans ces an- nées 1682, 1683, quand l'approche des Turcs créait un grand danger pour l'Allemagne, et que les princes chré- tiens avaient à se prépaunir contre les suites d'une invasion. Un homme grave disait à cette époque Nous avons ap- pris qu'un ambassadeur comprenant bien ce que pouvoii le roy dans une conjoncture si dangereuse, et ce que'pouvoit le reyne auprès du roy, pour lui faire embrasser les intérests de la religion, il avait pris la liberté de luy recommander la cause commune quelques jours avant sa mort. Mais comme les gens de ce caractère ne manquent jamais de prétextes spécieux pour couvrir la faiblesse ou la mauvaise conduite de leurs maîtres, celuy-là s'échappa jusqu'à marquer que la terreur du roy rendoit l'empire trop faible, pour se défendre 1 M. Saint-Marc Girardin, Cours de liUéralure dramatique, 660 MADAME DE LA VALLIÈRE; de l'ennemi; et qu'après tout ce scroit moins les armes du Grand Seigneur que le bruit du nom de Louis le Grand, qui causeroit la désolation de l'Allemagne. Celte princesse en fut tellement indignée, qu'elle neputsouifrirplus longtemps ce discours. Elle ramassa ses forces, et haussa sa voix, que les approches de la mort avoient beaucoup affaiblie, et elle protesta, en luy commandant de se retirer, qu'elle étoit très- sure des sages et des généreuses intentions de Sa Majesté pour la religion ; qu'elle voudroit donner sa vie pour rendre ce témoignage public de la vérité à toute la terre, et que quand elle n'auroit pas l'honneur d'être sa femme, elle ne scauroit endurer qu'on parlât peu avantageusement en sa présence, non-seulement du plus zélé, du plus grand et du plus chrétien roy de l'Europe, mais encore du plus honnête homme du monde *. Nous pensons avoir indiqué ce qui grandit réellement la figure de Marie-Thérèse d'Autriche, comme personnage historique, c'est sa bonté vivifiée, fortifiée par sa foi reli- gieuse ^. Les grandes dames du xvn*^ siècle sont beaucoup vantées. Mais telle, qui est encore très-populaire pour son sémillant esprit, admirait des scélérats ! C'est une femme qui a dit Il faut beaucoup d'esprit pour être parfaitement bon 3. » Que Marie-Thérèse se contente d'un semblable pié- destal. Nul n'avait plus qu'elle la grâce de la bonté, une » Micbelon de Saint-Sorlin, Orais. funéb. pron. ;i Saint-Louis de Roche- fort, 1" septembre 1683, p. ÎM. - On a reproclic au théâtre de Vicier Hugo d'avoir syslémaliquement cher- ché à avilir le type de la reine, ce type intéressant, qui. dans les monarchies, représentait la douceur auprès de hi force et la grâce tempérant la majesté. M. Alfred iNeltemcnt fut un des critiques qui signalèrent avec le plus d'indi- gnation et de v;iiémence, sous Louis-i'hilippe, cette tendance du théâtre de Victor Hugo, visible dans Marie Tudur et Ruy Blas. Vous voyez bien, là- bas, au-dessus de vos tètes, criait Victor Hugo aux jalousies qui fermentaient dans les derniers rangs de la société, vous voyez bien cette femme assise sur la pourpre, qui, le sceptre en main et la couronne en tète, a jusqu'ici obtenu vos hommages, en un mot, la reine. Kh bien, je vais la prendre par la main, et la faire descendre jusqu'à ce qu'elle soit fOus vos pieds. » — Mais Victor Hugo aurait-il jamais osé s'en prendre à Marie-Thérèse d'Autriche? » Mot de M"" Swetchine. CHAPITRE NEUVIÈME 66i indulgence foncière alliée à une tendre compassion. » Son fond de vraie et noljle humanité sanctifiait sa foi, comme sa foi sanctifiait sa bonté et son humanité; puisque tout à la fois, la religion d'un homme prend la forme de son âme, tout autant que cette âme prend la forme de sa religion *. » Aussi, les contemporains qui virent de près et souvent cette charmante et bonne reine, constatèrent le reflet gracieux et touchant de la bonté délicate et intérieure de cette personne sur son visage lui-même Pour la bonté de son cœur, a écrit un homme grave du xvu^ siècle, elle estoit si sensible qu'elle se repandoit sur toute sa personne, mais d'une ma- nière si douce et si engageante, que tous ceux qui avoient l'honneur de l'approcher ne pouvoient en retirer leurs regards ; ce n'estoit pas la beauté extérieure qui faisoit cet attachement, car il n'est pas rare de voir de belles personnes sur le trône; mais c' estoit la bonté de ce riche na- turel qui rejaillissant sur son visage luy acquerroit tous les cœurs ^. » L'histoire ne se rabaisse pas, elle s'honore en rele- vant cette glorieuse qualité de l'épouse de Louis XIV, son exquise bonté sans aucun levain, sans aucune bigoterie. On parle des grands caractères, et des personnes qui ont joué un grand rôle, fait de belles actions dans une monarchie; mais tenons pour certain que, sans la prédominance de la bonté, la société humaine n'offrirait que des caractères fort mélan- gés où l'on trouverait tantôt le pédantisme solennel, l'amour de la pose, tantôt l'affectation de l'austérité, tantôt la du- reté de la supériorité sèche et nullement attendrie. La force n'est pas toujours dans les grands airs. Il est de ferventes fidélités à d' devoirs, qui supposent une -somme d'énergie, une ténacité et une intensité de volonté, dont peu d'âmes, parmi les âmes frivoles ou philosophiques, seraient capables. Oh ! je donnerais volontiers tous les génies de la * M. Ed. Schœrer, réflexions sur M° Swetcliine. * Le P. David, premier déûniteur de la grande province des Cordeliers de France. 661 MADAME DE LA VALLIERK terre entière, s'écrie quelqu'un, pour une bonne âme! Que nous fait l'esprit? C'est la bonté qu'il nous faut M On connaît ce qu'on appelle, au palais de Versailles, la chambre à coucher de la reine qui a vue sur l'Orangerie, sur la pièce d'eau des Suisses, et qu'éclaire le soleil couchant; cet appartement de la reine avait la magnificence convenable à son rang "^. Une balustrade d'argent, sembla]le à celle de la chambre du roi 3, fermait alors l'ab^ôve *. Le plafond, décoré par Gilbert de Sève, représentait le Soleil, accompagné des Heures du jour et éclairant les quatre parties du monde; les quatre voussures, peintes par le môme artiste, avaient pour sujet le festin d'Antoine et de Cléopâtre, — Didon faisant bâtir la ville de Carthage, — Rhodope, reine d'Egypte, élevant une des pyramides, — Nitocris, reine d'Assyrie, fai- sant construire un pont sur l'Euphrate ^. Les angles étaient ornés de bas-reliefs dorés, représentant les armes de France et de Navarre, et l'aigle à deux têtes de la maison d'Au- triche, entourés de figures d'enfants, de lions, de sphinx et de trépieds ^ La chambre de la reine avait vue sur la pièce d'eau des Suisses et le coteau de Satory. C'était sa chambre à coucher ; elle servit, après Marie-Thérèse, à deux autres reines aussi et plus malheureuses qu'elle '. C'est dans cet * Il ne faudrait donc pas reprocher à Marie-Tliérèse sa piété, ses passages fréquents du salon à la chapelle, de la chapelle au salon, ces visites au bon Dieu faites entre les conversations humaines. Ce n'est pas là ce que M. Ed. Schœrer a appelé la discordance de la vie dévole; • c'en est Vîuiité; c'était le foyer conservateur de la boulé dans l'âme de la reine. * Cette pièce porte le numéro 113 dans la iVo^àc de M. Soulié, sur le Musée de Versailles. 3 Voy. Salle de Mercure, n" 109. * Celte balustrade fut fondue dans l'hiver de 1689-90. ' Les peintures, qui n'existent jjIus, sont reproduites en partie dans Versailles immurlalisé, par J. -13. de Monicart, t. H, fig. 1, 2, 3. 8 Ces bas-reliefs, qui remontent à l'époque de Marie-Thérèse, existent en- core. L'aiiile à deux tètes qui s"y lrou\e a fait croire, à ton, que ces trophées avaient été ajoutés lors de • l'in^tallalion de Marie-Antoinette, femme de Louis XVI. ' Marie Leckinska et Marie-Antoinelle. C'est dans celte pièce que iMarie- Antoinette fut réveillée, dans la nuit du 6 octobre 1792, par le peuple insurgé qui accourait de Paris. CHAPITRE xXEUVIEME 663 appartement que Marie-Thérèse s'éteignit vers les trois heures de l'après-midi, le vendredi 30 juillet 1683, à l'âge de quarante-cinq ans. Marie-Thérèse mourut en catholique. A côté des siens, à côté de ceux qui lui étaient les plus chers, on distinguait son directeur spirituel, Bonaventure de Soria *, entre les mains duquel Marie-Thérèse rendit son âme innocente et loyale, éprouvée et pure. Cec homme de Dieu était là présent, attristé et confiant, au moment où la reine passa des réalités éphémères de ce monde au monde qui nous est promis. Le catholique ne veut pas rester isolé dans les grands mo- ments de la vie. Mourir seul, sans aucune assistance mo- rale , sans aucun visage sympathique et compatissant , mourir sans aucune affection à côté de soi, et le sentir, ce doit être triste au delà de toute expression. Ce n'est pas la mort qui est douloureuse, disait autrefois Montaigne, c'est le mou- rir. Mourir, 'qua^nd on pourrait vivre encore, quand on est jeune, quand on voudrait vivre, ce serait affreux, si ce mou- rir ne s'effectuait dans des conditions qui l'adoucissent ; autre- ment, on répéterait le cri de Michel- Ange Celui qui, pour son bonheur aie meilleur sort, est*celui dont la mort suit de près la naissance. » Marie-Thérèse fut accompagnée et sou- tenue de la force religieuse. Son esprit de soumission, cette soumission qui avait été son éducation première, ne l'aban- donna pas dans cette crise suprême. ' Marie-Thérèse eut d'abord pour directeur, en Espagne, le Père Jean de Palme, qui avait été confesseur de sa more, la reine Isabelle de Bourbon. Elle eut ensuite le P. André de Guadaloupe, commissaire général des Indes, homme capable et distingué, qui enseignait à la princesse à vivre au milieu du grand monde, sans j vivre selon l'esprit du monde. Après la mort de Guadaloupe, cette fonction de confesseur était échue au Père Alphonse Vas- quez ou Velasquez, qui accompagna la princesse en France. Mais on rendit bientôt à l'Espagne cet homme d'une haute capacité, que Philippe IV fit élever à l'évêché de Cadix. Marie-Thérèse le remplaça, par un homme connu à la cour de France, aussi bien qu'en Espagne, par Michel de Soria. Celui-ci étant venu à mourir après quatre ans de service, la reine prit, pour le même emploi, un frère du précédent, le Père Bonaventure de Soria, lequel la dirigea jusqu'à sa mort, puisque c'est entre ses mains qu'elle rendit le dernier soupir. 661 MAD\ME DE LA VALLIÈRE Quoi qu'il en soit, Marie-Thérèse mourut, avec ses an- ciennes et bonnes idées espagnoles. Elle avait été initiée autre- fois à cette doctrine à la fois obscure et lumineuse qui, seule, donne un sens et une signification acceptable à la douleur humaine. Elle étaitminéepar la fatigue et par la fièvre, mais elle ne pleura ni ne murmura devant la douleur, malgré son intensité. Un témoin oculaire l'atteste. 11 rappelle que l'hôpital de Saint-Germain en Laye, qu'elle fréquentait sou- vent, lui devint une école. Non-seulement la reine appre- nait dans ce théâtre de la faiblesse si misérable de la nature humaine, le mépris qu'elle faisait de nos prétendus biens, plaisirs ou grandeurs ; elle y apprit aussi la patience pour son propre compte, dans celle qu'elle remarqua en quelques pauvres malades, agités par la violence de leurs maladies ; elle y apprit la constance qu'elle devait avoir, quand il plairait à la Providence de la visiter de la même manière. > Lisons, en effet, le récit du témoin oculaire de l'agonie de Marie-Thérèse H a bien paru, dit-il, que cette divine leçon de l'hôpital etoit vivement imprimée dans son cœur, puisqu'elle l'a si merveilleusement prati- quée dans sa dernière maladie. Quoique sa douleur fust extrêmement aigûe, et qu'elle ne luy donnast aucun repos ni la nuit ni le jour, elle la supportoit avec une patience si admirable, que les médecins qui en connaissoient la vio- lence, en etoient surpris. On ne luy a jamais ouï faire la moindre plainte de son mal, ni témoigner le désir du re- couvrement de sa santé, et de la continuation de sa vie, qu'autant qu'il plairoit a Dieu ^ » Son cœur était tourne vers cet amour divin qui, comme s'exprime le premier des sculpteurs et des peintres, ouvrit ses bras sur la croix pour nous recevoir 2, Enfin, Marie-Thérèse mourut. — Et, quand on porta cette ' Vie abrégée de très-haute princesse Marie- Thérèse, etc., par Bonavcnture de Soria. In-1-2, Paris, 1583. » Sonnets de iMicliel-Ango, qu'il composa dans ses derniers jours. CHAPITRE NEUVIÈME 66S nouvelle rue Saint-Jacques, au grand couvent des Carmé- lites, il y eut là, derrière les grilles, quelqu'un qui gémit profondément, qui pria, qui évoqua cette âme-sœur, qui la suivit avec amour, avec larmes, dans son essor vers le monde meilleur, après l'avoir contristée autrefois par des égarements personnels. Si l'on se borne au côté du deuil ressenti, on ne peut nier que Louis XIV n'ait donné à la mort de Marie-Thérèse des regrets sincères. A cette heure, il reconnaissait en elle un mérite et des vertus qu'il n'avait pas assez appréciés; et il dit, les larmes aux yeux, quand elle expira Voilà le premier chagrin qu'elle m'ait causé * j paroles dont, tour à tour, on a fait à Louis XIV des éloges sans réserve, et des compliments mêlés d'allusions mordantes. La douleur ne fut pas assez profonde, dit l'un 2, pour empêcher le roi d'avoir de l'esprit à une heureoù l'on n'a que du cœur; — Mot un peu froid, ajoute un autre, mais cependant éloge qui avait son prix ^; — Il fut très-touchô, dit un troisième *, en la voyant mourir la reine, mais la vieille Maintenon fît tant par son Labil qu'en quatre joursilfut consolé. — Toutefois, il est con- stant, par les feuilles publiques de l'époque, que Louis XIV éprouva une douleur véritable. A la première atteinte du coup, dit une de ces feuilles, le roi a donné toutes les mar- ques possibles de l'afïlictiôn la plus violente, et rappelant sa ' Maynard avait dit La morie que tu plains fut exempte de blâme ; Et le triste acciiieiit qui termina ses jours Est le seul déplaisir qu'elle ait mis dans ton âme. Mais, selon un historien, Louis XIV parlait du cœur, et le sentiment lui inspirait ce que l'esprit avait dicté à Maynard. " Gustaveilequet, dans le livre Madame de Maintenon. ' Les Annales du monastère de Grenelle. * La duchesse d'Orléans, dite la Palatine. — Faut-il rattacher à ce propos de la duchesse, ce mot de iM"" de Caylus M"» de Maintenon la suivait la dauphine que sa grossesse avait retenue à Versailles et parut aux yeux du roi dans un si grand deuil, avec un air si affligé, que lui, dont la douleur était passée, ne put s'empêcher de lui en faire quelques jlaisanteries . » 666 MADAME DE LA VALLIÈUE raison, sans cesser d'estre toujours également affligé, il a fait paroitre une douleur sage. Il résolut aussitôt de quitter Versailles, et il eu partit a l'heure mesme pour se rendre a Saint-GIoud. Son visage tout couvert do larmes estoit caché d'un mouchoir, et l'état où il estoit no luy laissant pas la force do marcher, ou le soutint jusqu'à son carrosse. Ce monarque, estant arrivé a Saiut-Gloud, ne voulut y voir per- sonne. La perte qu'il venoit de faire l'accabloit si fort, qu'il fut obligé de se mettre au lit... Son excessive douleur, dont il ne put d'abord se rendre le maistre, est une preuve con- vaincante combien il est tendre époux. Qtioy f il n'y a plus de reine en France! s'écria- t-il après la mort de cette prin- cesse. — Quoy! jesuis veuf! je ne le sçaurais croire, et cepen- dant il est vrayque je le suis, et de la princesse du plus grand mérite. Il répéta plusieurs fois ces paroles en les adressant a Monsieur *. » Une gazette de l'époque atteste combien la consternation publique fut spontanée , générale ^ ; elle redit celle de Monsieur, de Madame qui fut violemment touchée, des offi- ciers de l'auguste défunte, des soldats eux-mêmes qui étaient de garde. A Paris, le bruit de cette terrible nouvelle arriva au théâtre de l'Opéra, où l'on était près de commencer Phaéton; on jouait déjà l'ouverture; on ne continua pas; M. de Lulli fit rendre l'argent. A la Comédie, les comédiens avaient déjà commencé, devant un nombreux public, la Toison d'or; .une dame, ayant appris, dans sa loge, le grand mal- heur, poussa un cri affreux; tous les assistants apprirent bientôt la fatale nouvelle ^ ; nue des devises que M. de l'Étang de Reims avait composées à l'occasion de Marie- Thérèse, portait ces mots C'est au milieu des pleurs que » Mercure galant, août 1G83, p. 4?, 43. * On ne s'explique pas l'historien Unizon de la Marlinière qui, plein de sympathie pour la reine, a la Hslraclion d'c'crire qu'elle fut peu rCfirct- tée. • Hisl. de Louis XIV, t. IV, p 260. — Veul-il dire que le roise consola bientôt? D'accord l'égoisme s»j console vite. 3 Mercure galant, p. o7, 58. CHAPITRE NEUVIÈME 667 je quitte la terre ^ » C'est pourquoi un historien du xvui*' siècle a pu dire Tout le royaume regretta cette mort, et se plaignit d'avoir perdu la meilleure reine du monde. Le roi en fut plus affligé que personne ^. » Un his- torien antérieur avait écrit, dans les dernières années du xvii" siècle, sur la mort de Marie-Thérèse C'était une princesse d'une grande vertu ; le roi parut fort touché de cette mort; et tout le monde la regretta ^. » Gregorio Leti écrivait, un peu auparavant, que depuis longtemps la France n'avait pas eu une reine aussi regrettée de toute la nation, pour sa grande piété, son infatigable charité envers les pauvres, pour la force du penchant qui la portait au bien, son affabilité dans l'accueil qu'elle faisait à tout le monde, enfin pour son amour et sa respectueuse dé- férence envers le roi *. •>•> Leti ajoute que Marie-Thérèse ne se laissa aller jamais à manifester, par la colère, la peine que lui faisaient ressentir les scandaleux adultères du roi, son époux; toutes choses qui avaient rendu cette reine, si douce et si clémente, bien chère à la France. L'impression que fit la mort de la reine sur le cœur de la nation, est fort intéressante à constater notre époque démo- cratique verra volontiers les nombreuses racines que cette humble et douce reine avait dans l'afïection des petits ; Ton aime à s'arrêter à la sympathique tristesse des dames de la rue du Bouloi, celles peut-être qui connurent le mieux ce qu'il y eut d'héroïque dans cette femme si simple et si ' La mort de la princesse inspira trois sonnets à M. Ma^rnin, conseiller au Présidial de Màcon, et cimi devises à M. de la Salle de l'Etang, de Reims. — On peut les lire d§ns le Mercure galant, août 1683, p. 157 et 163. De Larrey, Hisl. de Louis XIV, t. V, p. 1-20. ' Le coroie de Bussy-Rabutin, Histoire abrégée de Louis le Grand, p. 260. Paris, 1689. * Da longo tempo non hebbe la Francia Regina più di questa lagrimatn da tutti per la^lla gran piela, per la sua instancabile carita verso li poveri, per la sua grande inclinaiione portata al bene, per la sua buraanita ne! conver- sare con luUi, per il suo amore e per il sue rispetto verso il Rè, senza mai mostrargli minime sdegno d'un suo cosi scandaloso adulterio. Teatro gallico, di Gregorio Leti, t. II, p. 299. 608 MADAME DK LA VALLIÈIŒ ignorée i. Il faut remarquer l'expression des regrets que pro- voqua la mort si imprévue et si rapide de la reine, dans cette humble maison, parce que là, du moins, ce ne furent pas des honneurs purement olliciels qu'on lui rendit, de ces honneurs où manquent, non-seulement celui à qui on les rend, mais même ceux qui les rendent, puisque s'ils sont présents de corps, leur cœur et leur attention sont souvent ailleurs. Aussitôt la triste nouvelle eut été répandue dans Paris, les Carmélites de la rue du Bouloi tirent tendre leur église en velours armorié. Un service solennel fut oflert par monseigneur l'archevêque d'Auxerre. A l'otl'ertoii'e, se présentèrent, un cierge à la main, vingt-quatre pauvres que la maison avait habillés, et l'oraison funèbre de la reine lut prononcée dans la chapelle par l'abbé des AUeurs, aumônier de la dau- phine. L'église resta tendue de noir toute l'année, et chaque jour, à l'issue des vêpres, la cloche renouvelant le souvenir de cette perte irréparable, annonçait les prières publiques qui se faisaient pour cette illustre défunte 2. » On pouvait, à la mort de la reine, rappeler des vers qu'on avait composés sur la cruauté et la jalousie du sort, à l'en- droit de nos bonheurs terrestres. La joie est toujours près des 1 Marie-Thérèse, non contente des bienfaits dont elle avaitcomblé le Carmel, pendant qu'elle vivait, voulut encore y ajouter, après elle, le don de son cœur; et, pour assurer autant que possible l'accomplissement de ce dernier désir, elle avait écrit de sa main en espagnol Quand il plaira à Dieu de me retirer de ce monde, je veux que mon cœur soit apporté ici à raison de la dévotion que je porte à sainte Thérèse. Signé MARIE-THÉRÈSE. Notice sur le monastère de Grenelle, p. LVIII. Les Carmélites ont été frustrées de ce dépôt si cher ;ijeur reconnaissance, puisque le cœur de la reine fut porté au Val-de-Grâce; mais la mémoire de cette reine, dit un moilerne, s'est perpétuée jusiju'a nos jours dans le monas- tère qui lui doit sa fondation, et qu'a relevé M"" de Soyecourt. Ce monastère, transféré, au wW siècle, rue de Grenelle, au xix^, au sortir de la Révolu- tion, rue de Vaugirard, se trouve aujourd'hui avenue de Saxe, près l'École Militaire, à Paris. * Les Carmélites de la rue du Bouloi firent à Marie-Thérèse une longue épitaphe où se trouvaient résumées les illustrations, les vertus et les bienfai- sances de la reine. Voy. le Mi^rcurc çidUint, août 1083, p. 77. CHAPITRE NEUVIEME 669 larmes, et comme un précurseur de la tristesse. Lorsque Marie-Thérèse semblait atteindre au repos , elle arriva au trépas. On avait fait, à l'occasion de la mort d'une de ses filles, la princesse Anne-Elisabeth de France, ou Marie- Anne de France, le distique suivant Pone modum, vates, tôt laudibua. Audiet œlher. Audiit, invidit ; rapta puella fuit. C'est-à-dire Ne célèbre point ses ayeux Ni son destin, ni ses beaux yeux. - Si le ciel entend tes louanges, Tu nous feras un envieux, Qui la voudra parmi ses anges. Mais tu la vantes, il l'entend, Il devient jaloux et la prend. Le sort fut jaloux en 1683, d'un retour de fortune qui semblait raviver les jours de la reine. Un point qui ne laisse aucun doute sur l'opinion qu'on avait de la reine en France , c'est l'élan des regrets, c'est l'unanimité des sympathies douloureuses, qui se traduisit par une étonnante multiplicité de discours, d'oraisons funèbres, de panégyriques prononcés sur tous les points du territoire français. On n'a jamais vu une semblable manifestation aux funérailles d'aucune reine en France *. Nous avons pu re- trouver plus de vingt de ces oraisons funèbres que chacun des orateurs fi t imprimer dans l'année même 1 683, ou l'année suivante 2. — Y avait-il une santé et une vie sur laquelle ' A la mort de Marie Leczinska, les grandes dames de France se parta- gèrent tous les objets venant delà reine, comme de précieuses reliques. Mais il n'y eut rien, en 1768, de comparable avec le deuil de 1683. Pour Marie- Antoinette, on sait que sa dernière lieure fut abreuvée des cruautés détestables, odieuses, d'une multitude" égarée. Que si on remonte par delà Marie-Tberèse d'Autriche, on retrouve Anne d'Autriche, Marie de Médicis, Catherine de Médicis, etc.; leurs funérailles, après leur vie si discutée, ne pouvaient être qu'officielles. On peut trouver d'autres des reines qui furent chrétiennes ; mais elles excédèrent dans un sens ou dans un autre. Quand vit-on une austère chrétienne, comme Marie-Thérèse d'Autriche, ayant en même temps les modestes et délicates élégances de son rang ? * Nous énumérerons ici quelques-unes de ces oraisons funèbres 1. Oraison funèbre de Marie-Thérèse d'Autriche, reyne de France, pronon- cée dans l'église de Tours, le 27 août i6b3, par M. Bouvier de la Mothe, doc- 670 MADAME DE LA VALLIÈRE OU dût raisonnablement l'aire plus de fond , dit une de ces oraisons funèbres? Cependant cette solidité, cette plénitude et celte durée ont été renversées en quatre jours. » Le docteur Bobé, chanoine de Meaux, prêchait devant Rossuet, le 5 oc- tobre 1683. Ce même orateur , toujours en présence de Bossuet, par qui il avait appris des particularités sur la reine, vantait cette prudence judicieuse de Marie-Thérèse, cette souplesse de caractère qui lui enseignait à vivre avec les gens les plus difficiles. Il vante la conduite qu'elle tint à Madrid, pendant qu'elle n'était encore qu'infante, à l'égard de sa belle-mère, alors reine-mère d'Espagne. Qu'il est difficile, dit Bo]->é, à une belle-fîUe qui se voit destinée au trône, de bien vivre , et de bien vivre longtemps avec une belle- mère qui vient dans l'esprit et le dessein de le lui enlever? Cependant il n'est pas imaginable avec quelle intelligence et quelle amitié elles ont vécu ensemble. La reine avait coutume de dire qu'elle n'avait pas de meilleure amie au monde que l'infante; elle la consultait en toutes choses, elles étaient toujours ensemble; combien leur séparation fut leur en ihéologi», conseiller aumônier du roy et curé de l'église de Saint' Saturnin, de la même ville où M'" de La Vallière fui baptisée. — Tours, chez imprimeur-libraire, in-4'' de 2 i pages. 2. Oraison funèbre..., par messire Bossuet, evesque de Meatix, cy- devani précepteur du daupbin, premier aumônier de M"* la daupliine, pro- noncée à Saint-Denis, 1" teplembre 1683. — In-i" de 61 pages; Paris, chez Cramoisy, rue Saint-Jacques. Paris, 1863. 3. Oraison funèbre de..., prononcée dans l'église paroissiale de Saint-Louis, de Rocliefort, le 1" septembre 1683, par le sieur Michelon de S. Sorlin, prieur de Hocliefort. — ln-4° de 37 pages; Paris, chez de Laizé-de-Bresche. 4. Discours janèjyrique à la mort de la reyne M. -T., prononcé par Hieronie Lopes, chanoine théologal ds l'Eglise de Bordeaux, le 2 septembre 1683. — In-4''de26 pages; Bordeaux, 1863. 5. Oraison funèbre prononcée dans l'église métropolitaine de Toulouse, par messire Cosme Roger, évêqiie et seigneur de Lombez. — ln-4» de 27 p. Toulouse, 1683. 6. Oraison funèbre, par le P. David, procureur général de la province de France, Cordeiiers. — ^1-4» de 31 pages; Paris, 1684. 7. Oraison funèbre prononcée ù Langres, par messire Jules de Boliogne, de Sorbonne, abbé de Saint-Clément, de Metz. — 10-40 jg 33 pages; Paris, 1683. 8. Oraison funèbre prononcée dans l'église cathédrale du Puy, par mes* CHAPITRE NEUVIKME 671 tendre et douloureuse, quand l'inlante fut oldigée, pour son mariage, de quitter l'Espagne. » {Oraison funèbre, p. 21. — Un autre ajoute Avec un mérite universellement approuvé, la reyne n'en fit jamais paraître ni plus de vanité, ni plus d'amour-propre; la beauté fut son ornement et ne fut point son, étude; son esprit eut Leaucoup de solidité et point du tout de présomption. » {Oraison funèbre, par M. des Alleurs. L'un fait remarquer la pénétration d'esprit, l'habileté, la sagacité » que Marie-Thérèse montra pendant sa courte régence, et dont furent étonnés ceux qui firent partie du sire Armand de Bcthune, évi'que et seigneur du Puy. — In-i» de 32 pages; auFuy, 1861 9. Oraison funèbre prononcée à Saint-Rocli, par l'aljbé — In-â» de 43 pages. 10. Oraison funèbre prononce'e à Meaux, par M. Bobé, chanoine de cette église. — ln-i° de 31 pages; Paris, 1864. il. Oraison funèbre prononcée à Saint-Eustache, par M. Denise. — In-4" de 33 pages Paris, 1684. 12. Oraison funèbre prononcée en l'église des Fiiles-Xouvelles-Calholiques, par M. Héron, aumônier de la reine. — In-4° de 57 pages; Paris, 1684. 13. Oraison funèbre prononcée au Val-de-Gràce, le 23 novembre 1683, par Flécbier, aumônier de la dauphine. — Paris, 1684. — ln-4 Irrité à juste titre des débauches honteuses qui étaient imputées au comte de Vermandois, Louis XIV refusa, pendant quelque temps, de l'admettre en sa présence. Il était à Versailles, dit M"*^ de Montpensier, sans voir personne, n'allant qu'à l'Aca- démie, et le matin à la messe ; ceux qui avaient été dans ses débauches n'étaient pas agréables au roi. Ce sont de ces choses que l'on ne sait point et que l'on ne voudrait pas savoir. Cela donna beaucoup de chagrin à M"'^ de La Vallière. On le fit prêcher, il fit une confession générale, et on croyait qu'il se fût fait un fort honnête homme 3. » La princesse Palatine, qui aimait beaucoup la duchesse de La Vallière, fut priée sans doute aux Carmélites d'intervenir auprès de Louis XIV; ce qu'elle fit. Le roi pardonna, etcon- sentit à voir le jeune prince ^. Mais sa mère n'était pas au bout de ses peines. Le siège de Courtrai eut lieu peu de temps après, au mois de novembre 1683. Le jeune prince y fit sa première campagne, s'y distingua et y mourut le 18 novembre; c'est Bossuet qui fut chargé de porter cette nouvelle rue Saint-Jacques. Toutefois, il existe des versions différentes sur la manière dont ce malheur fut communiqué Souvenirs, p. 168. * Correspondance complète, t. I, p. 302. 3 Mémoires, t. IV, p. 504. * Correspondance complète la Palatine, t. II, p. 17. 682 MADAME DE LA VALLIERE à la célèbre pénitente. Lequeux le raconte ainsi Quelques années après sa profession , elle perdit son frère qu'elle aimait tendrement. Mais apprenant cette triste nouvelle, elle se soumit aux ordres de Dieu avec une si paisible résigna- tion, qu'elle ne donna même aucune marque de sa douleur. Elle lit dans la suite une autre perte , dont les personnes même les plus assurées de la solidité de sa vertu, craignirent qu'elle ne fût accablée. On lui écrivit, en 1683, que le comte de* Vermandois était malade; mais on lui donnait en même temps l'espérance d'une prompte guérison. Dieu en disposa autrement, et les premières nouvelles qui sui- virent furent celles de sa mort ^ La mère de Bellefonds, su- périeure, qui se demandait avec inquiétude comment elle l'annoncerait à cette tendre mère, la rencontra au moment où elle sortait du chœur, et lui dit d'un air fort triste qu'elle avait des nouvelles, sans rien ajouter. J'entends bien, reprit sur-le-champ la sœur Louise de la Miséricorde. Elle rentra aussitôt dans le chœur ; et après avoir demeuré assez long- temps prosternée devant le Saint-Sacrement, elle reparut avec la même sérénité de visage, que si son cœur n'eût pas été dans l'afiliction. Elle ne parla pas même de ce qu'elle venait d'apprendre, et on ne lui vit pas verser une seule larme. Voilà comment M'^^de La Vallière, d'après un récit, aurait fait accueil à la nouvelle de la mort de son fils, le comte de Vermandois ^. Mais, malgré le stoïcisme chrétien dont ce cœur déchiré de mère aurait donné le spectacle en cette circonstance, où la grâce aurait soulevé la nature, on est bien plus dans la probabilité en s'en rapportant à d'au- tres mémoires, d'après lesquels ce fut Bossuet qui eut la mis- sion d'informer la malheureuse mère. Selon cette narration, ' Il mourut d'une fièvre maligne à Courtrai, le .18 novembre el fut enterré le 2ij du nit^nio mois dans le chœur de l'église catLédrale d'Arras, où son corps avait été transporté. Histoire généalog. de la maison de Franre, par le F. Anselme, t. I. * L'abbé rapporte cc'te vor-'^n. fians son Histoire de il/"" de La Valliéve, p. 08-10. CHAPITKE DIXIÈME 683 les larmes coulèrent, et il y a des larmes et une sensibilité, que la religion approuve, consacre et bénit. Des mémoires * disent qu'une personne amie, touchée de l'eiïort que faisait sœur Louise de la Miséricorde pour con- tenir sa douleur, lui fit comprendre que quelques larmes soulageraient son pauvre cœur, et que Dieu ne les défen- dait pas, pourvu qu'elles fussent sanctifiées par la soumis- sion que nous lui devons et dont rien ne peut nous dispen- ser. C'est alors qu'elle aurait répondu avec courage Il faut tout sacrifier, c'est sur moi seule que je dois pleu- rer, » ou encore qu'elle n'avait pas trop de larmes pour elle^ même, et que c^était sur elle qu'elle devait pleurer 2. » Si c'est Bossuet qui alla porter cette triste nouvelle, sa discrétion épargna effectivement les détails donnés par M'^" de Mont- pensier, et par Bussy-Rabutin ; savoir que le jeune prince était tombé malade d'avoir bu trop d'eau-de-vie 3, » et qu'il avait caché trois jours de fièvre pour assister au siège '^. » D'après M"" de Caylus, sœur Louise, après avoir répandu beaucoup de larmes , aurait dit une parole qui a été recueillie . et répétée par plusieurs écrivains, et dans laquelle , si la pénitente reprend le dessus sur la mère quant au fond, l'expression et la nuance sont tou- tefois beaucoup moins d'une sainte religieuse C'est trop pleurer la mort d'un fils dont je n'ai pas encore assez pleuré la naissance 5; » ou encore Il faut que je pleure la naissance de ce fils encore plus que sa mort ^. » * Lettre circulaire de sœur Madeleine du Saint-Esprit, et l'abbé Lequeulx, Uist. de M^o de La Vallière, p. 70. 2 L'abbé Lequeulx, p. 70. — Lettre circulaire. 3 Mémoires, t. IV, p. 504. ♦.Correspondance, t. V, p. 191. 5 Souvenirs. L'abbé Lequeulx, p. 70. — Pendant tout le temps que Bossuet lui parla, elle ne poussa pas un soupir, elle ne répandit pas une larme, mais elle devint pâle et tremblante. M. Bossuet alarmé, appela du secours, et la supérieure M^'de Bellefonds, qui avait succédé à M" de Jarnae arriva accompagnée de quelques relitiieuses. M"» de La Vallière dit d'une voix faible et presque éteinte Faul'il que déjà je pleure sa mort avant d'avoi iditcé de pleurer sa 68i MADAME DE LA YALLIÈRE Un critique de ce temps repousse raulhenticité de cette réponse de M'"*^ de La Vallière ; il la déclare contraire à toutes les vraisemblances, opposée aux sentiments inhérents au cœur de toute mère. Voltaire a dit, et l'on a souvent ré- pété après lui, qu'elle se serait écriée en apprenant la fu- neste nouvelle Ce n'est pas sa mort que je dois pleurer, mais sa naissance, v Ce mot n'est pas vrai ; il n'est pas d'une mère. Que la pieuse Carmélite ait offert en sacrifice ce nouveau coup qui la frappait, qu'elle l'ait accepté comme une expiation de plus pour ses fautes, on peut l'admettre. Mais que ses pleurs aient seulement coulé parce qu'elle avait mis Vermandois au monde, qu'à l'annonce de la plus poignante des douleurs, elle en ait été assez peu accablée pour pronon- cer une telle parole, c'est ce qu'aucune mère ne croira. Com- bien plus véritable est ce témoignage que lui rend M" de Sévigné, disant qu'elle assaisonnait parfaitement sa ten- dresse maternelle avec celle d'épouse de Jésus-Christ, w — M"^ de La Vallière est tout le jour aux pieds du crucifix, » dit d'elle, le 22 décembre, la présidente d'Osembrai *. Voilà le vrai langage de deux mères, parlant d'une autre mère qui vient de perdre son fils-. Le lecteur adoptera l'une ou l'autre des deux interpréta- tions. Dans le premier cas, M"" de La Vallière se plaçait au- naismnce. Rassemblant toutes ses forces, elle demanda d'aller au chœur; là, se prosternant devant le Saint-Siicreraent, elle adressa à Dieu des prières pour le repos de son âme. Un la reconduisit à sa chambre. M. Bossuet lui paria encore, et chercha à la consoler et à fortifier son esprit. Je suis, disait- elle, la pécheresse qui l'a produit dans ie monde ; c'est moi seule qui devrais souffrir mais sa sœur!... » et, en articulant le nom de sa 011c, elle fondit en larmes. • M""» la présidente d'Osembrai dit dans une lettre à M. de Bussy-Rabutin On vient de perdre M. de Vermandois. Il laisse de lui des regrets infinis... Vous n'aurez pas de peine à croire que le rd a été très-touché de sa mort, M°"= la princesse de Conti, sa sœur, en est inconsolable. ]M°""de La Vallière est tout le jour au pied de son crucifix. On partage cette douleur à l'hôtel de Condé, car le mariage de ce prince avec .Sl" de Bourbon était presque as- suré. » Nolke, par M. Oawfurd, Paris, 1818, p. 39. * M. Marius ïopin, article sur VHoinmc au masque de fer, dans le CorrcS' pondant du 10 avril 180y, p. lo. CIIAPITHE DIXIEME 685 dessus de la iiatare, quoique avec un cœur plein de ten- dresse. Dans le second, si elle était chrétienne, elle n'en était pas moins femme, l'un n'est pas incompatible avec l'autre, la soumission du cœur à Dieu n'empêchant pas nos larmes de couler. Ce qui est admirable, c'est le rude courage de cette femme, pour malmener son corps , elle qui avait été habituée aux molles délices des cours, et à tous ces rafïinements sensuels auxquels il est si facile de s'abandonner dans un monde opulent. Ce qu'on ne remarque pas avec une moindre admiration dans la duchesse de La Vallière, c'est sa soli- dité dans son nouvel état. Nul retour, nul ennui dans sa nouvelle carrière d'austérité ; nul dégoût, nul repentir de son sacrifice volontaire * ; toujours la même aspiration , calme, uniforme, sereine, vers la perfection de la vie chré- tienne. C'était, dit un historien parlant de cette qualité de la conversion et de la retraite de M""^ de La Vallière, l'ad- miration des personnes qui ont eu le bonheur d'être témoins de sa pénitence qualité qui est représentée si naïvement dans les lettres au maréchal de Bellefonds , que de voir la sœur Louise de la Miséricorde entrer et marcher toujours d'un pas égal dans les voies de la justice, sans le moindre regret ou le plus léger retour vers le monde enchanteur qu'elle avait quitté, sans aucun ennui, sans aucun dé- goût de la vie qu'elle avait embrassée , si différente néan- moins de celle où elle avait passé une partie de sa jeu- nesse. Toujours animée, dirigée et soutenue par un amour reconnaissant pour son Dieu qui l'avait tirée du milieu de • La nostalgie de Versailles et de Paris n'alla pas la reprendre au milieu de sa solitude et dans son paisible cloître. Elle ne regretta pas le bruit, la vie hâlive, le tourbillon tievreux, fangeux, ïhumus social nécessaire peut- être aux lloraisons précipitées. » Elle ne regretta pas les exhalaisons mor- bides de ce que Balzac, dans son énergique langage, appelle ce grand chancre fumeux, étalé sur les deux rives de la Seine. » M"'^ de La Vallière ne se rassasia pas des privations, elle ne se dégoûta pas de son obscure, lente et continuelle immolation. 086 MADAME DR LA VALLIÈRE Babylûiie, elle ne l'ut plus occupée qu'à réparer ses infidé- lités , qu'à purifier son esprit et son cœuv de toutes les images qui auraient pu lui rester, qu'à remplir l'horrible vide et la faim cruelle qu'elle avait éprouvés dans la société de l'enfant prodigue ; et à réunir en Dieu toute la puissance et les affections de son âme. On n'aperçut pas en elle ces combats, ces efforts, ces inégalités même, qui sont ordinaires aux personnes qui sortent du grand monde, après avoir été tyrannisées par de violentes passions. » Le même historien ajoute Rien ne troublait ou altérait la paix intérieure dont ellejouissait dans la solitude, où Dieu parla à son cœur. Les plus sensibles événements ne furent pour elle que la matière qui devait nourrir sans cesse le sa- crifice qu'elle avait fait à Dieu sans retour et sans réserve de tout ce qui n'était pas lui ^ » C'est ce qui explique l'attitude de M""*^ de La Vallière, quand on lui annonça les malheurs de famille qu'elle éprouva comme tous les mortels '^. Si Ton veut bien comprendre cette Madeleine du xvii" siè- cle, on doit se rendre compte de sa vie nouvelle. Point de rapports avec la société de son temps, une absolue régularité, un dialogue sans fin entre son âme et Dieu; voilà la sœur Louise de la Miséricorde. Quelque chagrin, quelque peine que nous éprouvions, nous avons une ressource toujours prête qui ne peut nous manquer, parce qu'il nous est permis d'invoquer le nom du Seigneur ; » c'est ce qu'elle écrivit, à la date probablement de 1683, certainement l'une des jour- nées entre Noël et le l""" janvier 1684 ^. On y voit l'allu- sion directe aux pertes de famille qu'elle avait faites person- nellement. En ce qui la regardait elle-même, dans son être propre, les affaires du temps avaient beau l'arracher de la méditation des choses éternelles, rien cependant ne la faisait * Uisl. de M'^' de La Vallière, par Lequeux, p. 94, 9o, 97. * Sa mère, la baronne de Saint-Hemi, mourut ver» lOSλ. 3 V. ses lettres au maréchal de Bellefonds, lettre XLil, CHAPITRE DIXIEME 087 se relâcher de son grand objet aux Carmélites. Pour moi, écrivait-elle le 1 1 juillet 1084, pour moi qui me sens encore toute vivante dans le cercueil de la pénitence, je ne dois plus penser au monde que pour me plaindre amèrement d'y avoir été, et ne songer à la vie que pour déplorer le mauvais usage que j'en ai lait *. » Et que l'on daigne comprendre que cet art délicat de se punir de ses écarts, de se supplicier soi-même , de monter à la réhabilitation par ses pro- pres douleurs, ce n'est pas s'abrutir et s'annuler ; ce n'est pas entrer dans le peuple paisible des êtres qui ne pensent pas ni dans l'assemblée silencieuse des grandes formes ^. » ^pe ^Q L^ Vallière pensait excellemment ; sa vie n'était qu'une contemplation continue , dont l'objet était tour à tour de chanter Dieu, et de regretter les désordres de son passé. Jamais toutefois en ce monde on ne fait complètement ce que l'on veut, et l'on ne peut mener la vie d'une manière absolument conforme à ce que l'on a rêvé. M'"^ dej^a, Val- lière, qui s'était retirée aux Carmélites, et avait placé, entre le monde et elle une barrière éternelle pour rompre absolu- ment avec lui, était sans cesse appelée à intervenir dans quelque affaire qui la forçait- momentanément à re- prendre relation avec les personnes du dehors '. Elle fut I Lettre XLIV au maréchal de Bellefonds. ^ On reconnaît le parler vague de quelques panthéistes de notre temps. ' On a, outre les lettres au maréchal de Bellefonds, que pubha d'abord l'abbé Lequeux, trois lettres de M"'^ de La Vallière, à monseigneur Huet, évèqiie de Soissons, puis d'Avranches, entre liiSo et 1086. 11 s'agit soit d'af- faires concernant des personnes religieuses, soit d'une mistion relative à de saintes reliques Bibl. impér. Mss. suppl. français., n" S273. Correspondance de Huet, t. 1, — cité par M. P. Clément.^ L'original de cette lettre appartient à M. Solar. II y a une lettre de^M""^ de La Vallière à M"» Anne de Choiseul-Praslin, abbesse de Notre-Dame aux Nonnains, de Troyes, écrite en 1688, Voir ['An- nuaire de l'Aube, ll partie, p. 33. La bibliothèque de l'Arsenal possède une lettre de M™" de La Vallière à la marquise d'Uxelles. Voir Alss. belles-lettres; 369, in-i», copie de lettres adressées à la marquise d Uxelles. La bibliothèque du Louvre correspondance de Noailles, lettres autographes 688 MADAMK DE LA VALLIÈRE chargée plusieurs fois d'écrire au ministre Colbert pour des atiaires temporelles relatives au monastère *; c'est lui qu'elle avait dû importuner pour régler des questions d'intérêt, avant son entrée aux Carmélites. On trouve aussi, en 1684, une lettre qu'elle adressait à un avocat de Tours, concer- nant un hôpital fondé dans le duché de Vaujour -, mais on entrevoit, par là même, pour quelle raison la sainte re- cluse consentait à conserver un reste de relations avec le monde. Elle ne trouvait pas sans doute que les inconvé- nients -, dont ses goûts personnels avaient à souffrir, pus- sent être mis en balance avec les avantages qu'elle retirait de ses communications extérieures, pour servir plus effica- cement la cause de Dieu et des pauvres. Les contemporains ne manquèrent pas de porter leurs réflexions sur les consé- quences des visites qu'on faisait à sœur Louise de la Miséri- corde, et un historien voisin de l'époque de l'illustre péni- tente confirme le point de vue émis ici. Il est. vrai que la duchesse de La Vallière était devenue une personne d'un mérite réel, d'une vertu sérieuse, pro- fonde, et que, sans le vouloir, son austère vie avait de l'é- clat, et excitait les personnes les plus distinguées à l'aller de Louio XiV, F. 323. l. Vi, fol. 3i8 a une lettre écrite par M"» de La Val- lière au niarëchal de Noailles, pour le féliciter de la nomination de son frère à l'archevèihé de Paris, en lG9o. Cette lettre a été publiée dans le Bul- leliii de la société de l'Hisluire de France, ;innée 1832, p. 32i. On voit aussi une letire de la niûnie dame à M. d'Apremont bibliothèque de Troyes, une autreàdom iMabillon bibliothèque de M. le comte de l'Es- calopier. — .M. Arsène Huussaye cite une lettre de notre Carmélite à iM"" Bouvin de la Haye, à Orléans la religieuse ne peut se mêler, dit-elle, de ce qu on lui demande. — M. A. Moussaye cite encore une lettre de M°"= de La ValUère à M. de Verneuil, pour recommander Souvant, écrivain du roi, placé déjà par .M. de Seigneulay, et une autre adressée à M. Desmarets,pour des affaires d'intérêt concernant M""" la princesse de Conti. 1 Cette lettre, signée sœur LouiS''. de la Miséricorde, relicieuse carmélite 171- îijne, est dans le Voyage aux cnv irons de /'ac/s, par Delort, t. H, p. 211; elle est citée aussi par Ai F. Clément, de l'Institut. 2 iM""^ de La Valhere avait eu la vigile de la marquise de Sepeville, dame de soixante ans, qui était une Giifaull de Uellelonds; elle en écrit au maré- chal, son parent, le o février 1678, et lui dit, dans sa lettre Les entretiens des hommes sont vains ; la parole du Seigneur est seule digne d'être écou- tée. • Lettre XL au maréchal. CHAPITRE DIXIÈME 689 voir. Il y avait toutefois pour la sainte pénitente, un danger à entendre les applaudissements qu'on donnait à sa nouvelle vie; et l'on se demandait où elle trouverait le secret de tourner la difficulté elle le puisa dans le sein de son hu- milité même. Comme il lui fallait parler d'elle-même, dans les conversations qu'on recherchait avec l'ancienne duchesse devenue carmélite, elle consentait en effet à s'entretenir d'elle-même avec les autres, mais elle ramenait tout entre- tien à relever la magnificence des miséricordes de Dieu à son égard *; » elle se plaisait à dire de quel profond abîme d'abaissement elle avait été retirée ^; elle anéantissait sa propre personnalité qui n'était, disait-elle sans afféterie, que bassesse et indignité, et quand elle avait creusé son néant , elle faisait resplendir la plénitude de la grâce toute-puissante de Dieu qui opérait le bien en elle. Tou- chant artifice de l'humble La Vallière, auquel un histo- rien rend justice, et dont il faut reproduire le témoignage! Toujours anéantie à ses propres yeux, la sœur Louise de la Miséricorde auroit voulu être entièrement morte à la terre, toute cachée en Dieu avec Jésus-Christ, tout à fait ensevelie dans l'oubli et le mépris de toutes les créatures. Aussi le parloir lui devenoit de jour en jour plus insupportable. On ne lui voyoit l'air peiné, que quand il s'agissoit d'y aller; et l'obéissance seule pouvoit l'y déterminer. Cependant elle se faisoit un devoir de ne pas trop s'y refuser ; parce que, comme elle le marque dans une lettre au maréchal, elle se croyait obligée de publier à toute la terre les mhéricordes infi- nies du Seigneur qu elle éprouvait, dit-elle, sensiblement; et quoiqu'elle craignît' aussi de négliger le dedans, en se ré- * Hisl. abrégée de la duchesse, par Lequeux, Liège et Paris, 1767, p. 83. M™" de La Vallière se comparait à Madeleine. A une des visiles de M°"de Monte^pan, comme la gaie et bruyante marquise trouvait la religieuse trop pensive, elle lui demanda ce qui la préoccupait si profondement t Je songeais à Madeleine pécheresse et à Madeleine pénitente. • Quelqu'un ajoute que M"" de Montespan dit à sa sœur Et mui je songerai à la Sama- ritaine quand j'aurai soif. » Elle eut soif un jour, et ne trouva pas, comme Ja Samaritaine, l'eau vive de l'amour divin. 44 ',90 MADAME DE LA VALLIÈRE paiidant si aisément au dehors, ;> ne laisse pas, dit-elle, de m' abandonner au plaisir d'exalter la bonté infinie du souverain maître que je sers. La sœur Louise de La Miséricorde scavoit bien d'ail- leurs se dédommager de ce que son recueillement et sa pé- nitence pouvoient souffrir de ces communications extérieures, par le profit que sa charité pour les pauvres sçavoit en tirer. Comme c'éloit en elle un caractère naturel d'être sensible et compatissante, la pauvreté volontaire qu'elle avoit choisie pour son partage, ue lui avoit pas fait perdre la tendre affec- tion qu'elle avoit pour les misérables et les indigens. Ainsi, le désir de les soulager en la seule manière qu'elle le pou- voit, l'emportoit sans peine sur la répugnance qu'elle avoit a se produire. Elle ne craignoit pas même de se rendre pres- sante et importune à ses amis, pour procurer du secours aux membres souffrans de Jésus-Christ; et s'etant mise parles vœux de religion hors d'état de les servir par ses propres libéralités, elle a quelquefois obtenu des aumônes tres-con- sidérables des princes et princesses, et autres personnes de considération qui venoieut la visiter, et avec qui elle entre- tenoit quelque liaison. Elle étoit encore plus libre avec M"" la princesse de Conti, sa fille ; aussi employoit-elle avec plaisir le crédit qu'elle pouvoit avoir sur son esprit et sur son cœur *, » pour l'engager à concourir à des œuvres ayant pour objet de secourir les misères des autres. Peut être la sainte carmélite, en mêlant sa fille, la prin- cesse de Conti, aux bonnes œuvres, poursuivait-elle à la fois l'intérêt des malheureux en général et l'intérêt de la jeune princesse elle-même; on va dire pourquoi. Le commence- ment du mariage avait semblé promettre des merveilles. Le prince de Conti, et tout le monde, dans sa famille, avait été ravi de cette alliance. M"" de Sévigné y avait applaudi ; ils s'aiment comme dans un roman, écrivait-elle à sa fille, > L'abbé Lequeux, Hist, de la duchesse, p. 85. CHAPITRE DIXIEME 691 et le roi s'est fait un grand jeu de leur inclination. » Du reste, Louis XIV donna à sa fille un million de dot, cent mille livres de pension, quarante mille écus de bijoux. De son côté, M"* de Blois faisait présent à son mari de cent cinquante mille livres, argent comptant, et de soixante- quinze mille livres de pension, outre ses charges *. Et, quand mourut le comte de Vermandois, c'est aussi à la princesse de Gonti que le roi donna le bien du frère. Mais l'attente des débuts avait été bientôt trompée. Qu'il y eût faute des deux côtés, il n'en était pas moins triste pour la mère de voir le bonheur conjugal de sa fille sitôt éclipsé. On a dit le prince de Gonti, malgré son esprit et son ins- truction, fort gauche dans toutes ses actions, et ne plaisant à personne pour vouloir paraître ce qu'il n'était pas ^. Il avait beaucoup d'esprit, suivant M"" de Montpensier, mais un esprit savant, contraint, distrait, qui convenait mieux à la dévotion qu'à la galanterie ^. Quoi qu'il en soit, il pa- raît que, trois mois après son mariage, la jeune princesse était déjà dégoûtée de son mari et inconsolable. Vous avez ouï dire, écrivait Bussy Rabutin le 25 mars 1680, la passion de M"^ de Blois pour M. le prince de Gonti, quand elle l'é- pousa. Gela est, dit-on, fort changé; la petite personne mariée à quinze ans ne le peut plus souffrir *. » Trois ans plus tard, quand le prince de Gonti revint de la campagne contre les Turcs, à laquelle il avait pris une noble part, il en rapporta un peu de prestige ; mais l'inconstante et diffi- cile ^ princesse n'avait pas retrouvé, dit-on, sa première tendresse envers son époux. » Gregorio Leti, Tealro Gallico, t. Il, p. 225. * Souvenirs de M™' de Caylus, p. 124. 3 Mémoires, t. IV-, p. 4d3. •* Correspondance, t. V, p. 94. '" Quand le prince de ConUse battait en Hongrie contre les Turcs, sa jeune épouse lui écrivit des noirceurs contre le roi et contre M'»^ de Maintenon. Ces lettres tombèrent entre les mains de Louis XIV. Qu'on juge de l'éclat que fit celte affaire, et combien le cœur du roi fut profondément blessé. 692 MADAME DE LA VALLIERE M™" de La Vallière, ayant eu le duché de Vaujour in- clus aujourd'hui dans le département d'Indre-et-Loire, et sur la frontière de l'Anjou, désira qu'il se fit du bien dans la contrée ^ et comprit qu'il fallait intéresser sa lille au projet de la fondation d'un hospice à Lublé, localité dépen- dante du duché de Vaujour-La-Vallière. Ne serait-ce pas, en assurant le succès d'une bonne œuvre, calmer le cœur aigri de la jeune princesse, et lui mériter le sourire céleste en considération du bien qu'elle ferait aux malheureux? L'acte d'établissement de cet hôpital qui existe encore 2, porte la date du 6 octobre 1683. L'objet de cette fondation était, suivant l'intention de M"* de La Vallière, 1° de soigner les malades pauvres de sept communes relevant du duché; 2° d'élever les enfants pauvres de ces mêmes sept communes. M'"*' de La Vallière voulut qu'on laissât des fermes, jusqu'à concurrence de 6,000 livres de rente, pour l'entretien de l'hôpital, et dé- cida la famille de Gonti, à faire pour cet effet, des échanges. * La sœur Madeleine, disait, dans sa Lettre circulaire, de M"» de La Vallière, que, • touchée jusqu'au fond du cœur de la misère des pauvres qu'elle ne pouvait plus secourir, elle demandait à Dieu de les secourir par d'autres mains que les siennes, et de leur donner la patience. • » L'hôpital fondé à Lublé par M"» de La Vallière, fut transféré, à la fin du xviii" siècle, hChàteau La Vallière Indre-et-Loire, où il est encore aujour- d'hui. Voici l'acte donné en septembre 1783, pour la translation de l'hôpital, de Lublé à Château La Vallière Louis, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre Notre très- chère et bien-aimée cousine, la duchesse de Chùtillon, nous a fait représenter qu'il existe dans le duché de La Vallière, un hôpital, dont l'établissement est dû il la piété de feue notre très-chère et bien aimée cousine, la duchesse de La Vallière, depuis Carmélite, qui l'avait fondé, pour être flié à Château La Vallière, chef-lieu et centre des paroisses auxquelles il était destiné La paroisse de Lublé étant à l'une des extrémités du duchi-, et les chemins en hiver étant impraticables, les curés des paroisses du duché délibérèrent dès le xvii siècle, en 1692, pour faire transférer l'hôpital à Château La Val- lière » Suivent les dispositions arrêtées par le roi. — Voir le traité et l'acte aux registres de l'hôpital lui-môme, à Château-La- Vallière. Le préfet d'Indre-et-Loire fit réclamer pour le musée de Tours le portrait de M°" de La Vallière, que possédait rhô[ital de Lublé. L'hôpital transféré de- puis le xviii siècle, à Château-la-Valliére, possède 1" un portrait de la jirin- cesse de Conti, qui venait souvent à Vaujour; 2" un petit portrait de M» de La Vallière, en carmélite, qui n'est qu'une médiocre copie . CHAPITRE DIXIÈME 69S S'élevait-il des difficultés d'affaires, surtout avec les compli- cations de l'ancien droit français? On peut le croire d'après la lettre écrite par sœur Louise de La Miséricorde, le 3 avril 1684, à un homme de lois à Tours. Il nous parait, écrit- elle, tant de sagesse et de circonspection dans votre procédé, monsieur, que nous ne doutons pas que, par les soins que nous espérons que vous voudrez bien encore prendre, nous nous verrons enfin en repos par la paix que vous mettrez en un lieu où je me crois obligé de la procurer Quand il faudra quelque ordre de M. le prince de Gonti, on l'aura promptement... rien ne me pouvant donner plus de consO" lation que de voir la paix établie où le désordre règne il y a longtemps. Pour notre hôpital, voyez et entrez en matière et confiance avec les bonnes Sœurs *. Si mon nom peut vous être utile à quelque chose, servez- vous-en avec liberté ; quel- que effacé que je désire qu'il soit du monde, s'il peut faire quelque bien, encore une fois, servez-vous-en; c'est l'in- tention de M. le prince de Gonti... Sœur Louise de la Miséricorde R. Gar^e i^^e 2^ „ Vers 1694, les choses étaient bien modifiées; on a dit que Louis XIV avait bien vite oublié M""* de La Vallière, même du vivant de la reine ^, Mais à cette époque, tout souvenir * D'abord dirigé par des religieuses de Saint-Thomas de Villeneuve maison de Paris l'hôpilal de M™» de La Vallière a été confié aux Sœurs de la Présen- tation maison de Tours, depuis 1802. - Bibl. imp. du Louvre, Lettres autographes de Louis XIV, etc. F. 323; F" 127, R°. — Citée par M. P. Clément, dans Réflexions sur la miséricorde, t. Il, p. 4, 5. Lettres à diverses personnes. ' Le roi n'alla jamais aux Carmélites de la rue Saint-Jacques. Le roi, dit le duc de Saint-Simon, avait conservé pour M™» de La Vallière une es- time et une considération dont il s'expliquait même rarement et courtement. Elle est morte pour lui du jour de son entiée aux Carmélites. » Mémoires, édit. Delloye, t. XVI, p. 4. Un moderne historien adopte cette opinion de Saint-Simon, et semble croire à l'oubli de Louis XIV • HélasI la sœur Louise de la Miséricorde le savait trop que le roi l'avait oubliée, et sa peine plus amère dut être, au moins pendant les premières années de sa retraite, que le roi jadis tant aime, le père de M" de Elois et du comte de Verman- 694 MADAME DE LA VALU ÈRE du roi était bien mort aussi dans la mémoire de la duchesse. Le temps, après un espace de vingt ans, ellace les sentiments les plus vils, ceux surtout qu'on se figurait éternels sur la terre. Gomment expliijuer physiologiquement et psycho- logiquement la dégénérescence de la mémoire, et la dôiail- lance progressive du sentiment sous l'action du- temps? 11 est inutile de le rechercher ici. Mais il est sûr que, en 1694, le nom de Louis XIV, quand une occasion imprévue le faisait passer devant le souvenir de M°*^ de La Vallière, était un mot vide et creux qui ne soulevait plus rien dans l'âme de la Carmélite. La duchesse de La Vallière se rattachait pourtant encore à Louis XIV par le lien de la prière. Les annales des Car- mélites rapportent que la soeur Louise de la Miséricorde était sans cesse en prière pour les besoins de rÉglise et de l'État *. » Jamais la monarchie de Louis XIV eut-elle plus besoin qu'on priât le ciel, si ce n'est à partir de 1704? dois, n'eut pas une seule fois la bonne pensée de venir la voir. Qui peut dire si ces déceptions intimes, si ces vagues espérances trompées, n'éveillaient pas dans les profondeurs de son âme, des plaintes imérieures dont elle se punis- sait par de nouvelles mactirations ? > M. P. Clément, Notice sur if""' de La Vallière. Le baron Walckenaër est d'une opinion contraire; il pense que M"» de La Vallière occupe plus de place, dans la vie de Louis XIV, par son repentir que par son amour. Cttte belle victime, dit-il, offerte à Dieu en expiation des désorlres de ce roi, fit sur lui une impression profonde, que ni les autres maîtresses, ni les distractions de la guerre ou de li politique ne purent t-ffaier. I a Valhére ne fut jamais plus présente à la pensée de Louis XIV que depuis qu elle eut abandonné sa cour; jamais elle ne lui ap- parut sous des traits plus divins que lorsqu'il se fut interdit sa vue. Il saisis- sait avec joie les occasions de lui coniiimer ses bienfaits dans ses parents, dans ses enfanis. Aux occasions solennelles de mort ou de mariage, il était satisfait d'apprendre que la reine et toute la cour donnaient à La Vallière des témoignages d'intérêt et de vénération. {Cny\\is, Souvenirs, édition Knouard, 1806, in-12, p. 89. — Ibid., colleclion Pelitot, t. LXVI, p. 384. C' son cloître, au pied des autels, que La Vallirre a préparé, à son insu, la chute de Monlespan el le long règne de Alainienon. Si Louis XIV, par sa comluite réservée envers Louise de la Miséricorde, a été taxé d'ingratitude et d'oubli, c'est qne le mouile ne connaît d'autre passion que celle qu'inspirent les enclianteinenls de la voluplé, de l'esprit ou des talents, ot qu'il ignore la force d'un attachement où l'àme et le cœur ont la principale part. Louis XiV y était sensible. . {Mémoires sur jV""» de Sévi- gné, a" partie, p. 110. ' Ce qu'atteste la saur Madeleine, dans la lettre circulaire de 1710. CHAPITRE DIXIÈME 693 L'installafion de Philippe V, petit-fils de Louis XIV, sur le trône d'Espagne, avait irrité et effrayé les grandes puissan- ces, en altérant effectivement en Occident l'éiuiliire euro- péen ; on ne sortait pas depuis 1701, de ce qn'on appelle la guerre de la succession d'Espagne, que commença l'Autriche, et où entrèrent l'Angleterre et la Hollande. L'année 1709 avait été néfaste par le froid, la famine et les désastres de nos armées. Marlboroug, chef des forces anglaises, et le prince Eugène avaient fait essuyer aux Français des échecs désastreux. Le maréchal de Villars, qui leur fut opposé, ne put sauver ni Tournai, ni Mons en Belgique ; et il avait vainement livré la bataille de Malplaquet, cette bataille si longue, si meurtrière et si funeste. Enfin, au commence- ment de 1710, on ouvrit les fameuses conférences de Ger- truydemberg, près de Breda, dans le Brabant hollandais. Le maréchal d'Uxelles et l'abbé de Polignac sollicitèrent la paix à des conditions fort onéreuses pour Louis XIV, et toutefois avec un ton de dignité peu commune ; mais les opérations militaires continuaient à s'aggraver, et les prétentions des plénipotentiaires ennemis à Ger- truydemberg devenaient de plus en plus exorbitantes. Il n'y avait, ce semble, d'autre remède que celui indiqué par Georges III d'Angleterre, à quelques années de là, au roi de Pologne Stanislas Auguste Je crains que ces mal- heurs ne soient arrivés au point de ne pouvoir être redressés que par le Tout-Puissant, et je ne vois pas d'autre interven- tion qui puisse y remédier *. » Mais les conférences se rom- paient en juillet ; et les alliés ne demandaient-ils pas bientôt audacieusement que Louis XIV combattît lui-même Phi- lippe V et s'engageât à le chasser d'Espagne en deux mois? Françoise-Louise de La Beaume Le Blanc, duchesse de La Vallière, ne devait pas voir de telles extrémités. Elle pria. Malgré les prières individuelles, certains décrets sur les • Leure de Georges III, datée de Saint-James, le 17 novembre i77J. 690 MADAME DE LA VALLIÈRE destinées des empires s'accomplissent. 11 y avait trente-six ans que sœur Louise de la Miséricorde était entrée aux Car- mélites; elle ne vivra plus, an mois de juillet 1710, qui de- vait encore être si triste pour la France. Un écrivain, constatant d'après les monuments du temps, que M"^*"' de La Vallière, de plus en plus désireuse de se faire oublier et d'oublier elle-même tout ce qui ne la ramenait pas cl Tamour divin, s'isola de jour en jour davantage du monde extérieur, et cessa peu à peu d'écrire, remarque en même temps que les lettres qui restent d'elles, vers les derniers temps de sa vie, ne donnent plus aucune idée du charme et de la grâce passionnée qu'elle mettait dans les choses de l'esprit. Ensuite rappelant, ainsi qu'il en fut fait mention par la supérieure des Carmélites en 1710, que la duchesse était sans cesse prosternée au pied des autels où elle priait pour les besoins de l'Église et de l'État^ le même écrivain tire de cette circonstance l'induction que, l'angé- lique créature enveloppait ainsi dans ses oraisons, à son insu peut-être, celui par qui elle avait tant souiïert ^. On n'a aucune raison en effet de contredire cette conjecture. M"'' de La Vallière avait trop de patriotisme pour ne pas prier pour la France, dans un moment où la nation éprouvait des re- vers; elle était assez généreuse, au cas qu'elle eût mêlé le roi à ses prières, pour ne pas se souvenir de l'oubli et des sécheresses dernières de Louis XIY. Son gendre, le prince de Conti, était mort en 1685- par un triste accident; la baronne de Saint-Remi sa mère, n'était plus depuis 1686. Son oncle, évêque démissionnaire de Nantes, mourut à Tulle en 1709. Il ne restait que sa fille-, la princeiise de Conti, qui n'avait pas voulu se remarier, et ' M. P. Ckimonf, i> l'Institut. /?' piirnphnne, 1860, et Notice, dans les lii'flexioiis sur la Miséricorde de Dieu, éiiit. p. ^ Le prince de Conti mourut le 9 novembre iOS", à de la petite vérole qu'il avait ^jagnée en soignant sa femme, et dont celle-ci guérit. ] ne laissa point d'enfunis; il fut transporté et enterré à Valéry, avec les princes de sa raaJSQn. CHAPITRE DIXIEME 697 que, sur la vue seule de son portrait, l'empereur du Maroc avait fait demander en mariage * ; mais nulle consolation ne venait de ce côté, M""^ de Gonti ayant adopté des ha- bitudes étranges 2. Tous les fils étaient rompus par consé- quent ; elle n'aspirait plus qu'à un entier isolement, à une rupture totale avec les personnages de Paris et de la cour, afin de ne s'occuper que de Dieu seul, et de n'être connue que de lui. C'est pourquoi elle demanda à être envoyée dans un des couvents de l'Ordre les plus pauvres et les plus éloi- gnés, où elle put s'enfermer tout à fait dans le tombeau de Jésus-Christ jusqu'à ce qu'il lui plût de l'appeler à la gloire céleste. Mais la communauté dont elle était l'édification, et pour qui sa conduite journalière était une leçon vivante des vertus chrétiennes, ne voulut point consentira l'éloignement d'une personne qui lui était si chère et si utile. Sœur Louise ' La politique avait mis Louis XIV en rapport avec le Maroc. Abdala-Ben- Aïssa, amiral de l'empereur Muley-Ismaëi, vint en France le 11 novembre 1698, portant de riches présents ; il écrivit à Fez toutes les merveilles de Paris et de Versailles. Wuley-lsmaël, frappé par tous les récits d'Abdala- Ben-Aïssa, sur la cour et le pays de France, conçut un dessein plus ambitieux encore que le siège de Ceuta contre les Espagnols avec l'aide des fleurs de lys; il demanda à Louis XIV la main de la princesse de Conti, assurant qu'elle resterait dans sa religion, intrution et manière de vivre ordinaire. Louis XiV répondit sans sourire que le Dieu qu'adorait la princesse de Conti, ne lui per- mettait pas de satisfaire aux désirs de Muley Ismaë! Voir le Maroc et ses ca- ravanes, ou relations de la Franco avec cet empire,, par M. Thomassy, 3 édi- tion, Paris, 1839. Il est bien vrai, dit la Palatine, que sur la vue de son portrait, un prince du Maroc l'avait demandée en mariage. On se figure les éclats de rire, ajoute M. P. Clément, par lesquels cette demande dut être ac- cueillie à Versailles. — Il existe, du reste, plusieurs livres sur cette étrange proposition faite à une fille du roi très-chréiien d'épouser l'empereur du .Maroc 1° Le Triomphe de la déesse Monas, ou histoire du portrait de M'"" la princesse de Conti, Amsterdam, 1698, in-1-2; 2" Relation historique de l'a- mour de l'empereur du Maroc pour jI/"» la princesse de Conti, Cologne, 1700 ou 1707, in-12. Voyez à l'Appendice ^ M"'^ de Conti ne se remaria point, elle voulut rester libre. Le dauphin était constamment chez elle. 11 y avait là une société jeune. Le dauphin y rencontra M"'= Choin, nièce de la comtesse de Bury; cette demoiselle Choin devint une célébrité. La Fontaine était de la société de la princesse de Conti. En 1694, eurent lieu des intrigues. Louis XiV montra à sa fille des lettres de M"" Choin; M. de Clermont, officier des gardes, s'était introduit chez la princesse de Conti, et on était convenu de se jouer de la princesse. Le roi renvoya M" Choin. 608 MADAME DE LA VALLIÉUE le la Miséricorde fut obligée d'offrir à Dieu ce nouveau sa- crifice. Cependant, le monde, pour qui elle était un signe et un prodige dont il n'était pas digne, respecta dans la suite le goût de la sœur Louise de la Miséricorde pour la solitude; on la négligea davantage ; et quelques années avant sa mort, elle fut beaucoup moins visitée i. M"*^ de La Vallière n'avait pas épargné son corps; ce n'é- taient plus les sensualités de Saint-Germain et de Versailles; elle pratiquait des austérités comme celles d'un saint Jé- rôme. Le citoyen de la Rome païenne, Varron, vieillissant entouré de tout ce qu'il aimait, de sa femme Fundania, de ses livres précieux, de ses belles statues, sans oublier cette belle volière qu'il a complaisamment décrite, parlait sans amertume, à quatre-vingts ans, de sa fin prochaine, comme il paraît par le début de son De Re Rusticd L'homme n'est qu'une bulle d'air, dit-il ; encore plus le vieillard ; aussi faut-il que je me presse et que je songe à faire mon paquet sarcinas colligans avant de quitter la vie. » M"" de La Vallière ne se préoccupa pas, en 1710, de garennes, de volières et de viviers. Rien de cet attirail pour satisfaire une sensualité exigeante et fatiguée. Son corps était exténué par des privations et des macérations volontaires ; mais elle ne définissait la vie humaine, ni l'homme une bulle d'air ; n elle aurait dit plutôt avec le poète, que l'homme est un dieu tombé qui se souvient du ciel. Mais à, coup sûr, elle n'avait point, chez les Carmélites, une salle à manger, comme colle du citoyen Varron, située au sein même d'une vo- lière, entre deux rangs de colonnes, où la table et les lits des convives étaient entourés d'une eau courante, en sorte qu'en mangeant les mets les plus délicats, les Horlensius et les Lucullus de l'endroit pouvaient voir à leurs pieds les poissons les plus rares et entendre autour de soi chanter les rossignols. » ' Lettre circul/iire. — Histoire ilc M"' de La Vallière, par Lequeax, p. 87. CHAPITRE DIXIÈME 699 Les forces physiques s'affaiblissaient tout à fait. C'est que sœur Louise s'était rudement châtiée, en sincère pénitente qu'elle était. On peut bien juger qu'une pénitente si sévère pour son cœur, n'était pas plus indulgente pour son corps, celui-ci ne lui paraissant plus propre à aucun usage qu'à être mortifié et crucifié en toute manière. La vie dure des Carmélites, comme il a été dit au chapitre précédent, ne suffisait pas à son zèle pour la pénitence. Sitôt qu'elle avait été reçue professe, elle s'était mise à li- vrer une guerre plus décidée à tous ses sens ; elle demandait sans cesse à jeûner au pain et à l'eau, et à user de toutes les macérations capables de faire souffrir une chair criminelle ^ Elle se levait tous les jours deux heures avant la communauté, dit la prieure des Carmélites, et passait ce temps à prier devant le Saint-Sacrement, sans que les plus rudes hivers lui fissent rien relâcher d'une pratique si pé- nible. Elle endurait le froid, à tel point qu'on la trouvait souvent saisie et évanouie, soit dans l'église, soit dans les greniers où elle étendait le linge. Plus soigneuse de souffrir, que d'autres à éviter tout ennui, et à se procurer toutes sortes de commodités , la sœur Louise de la Miséricorde accueillait, pour ainsi dire , les mala- dies et les douleurs avec un calme, une tranquillité et une satisfaction qui tenaient du prodige 2. Jn grand éré- sipèle qui s'était jeté sur sa jambe l'incommodait beaucoup, sans qu'elle en voulût rien dire ; mais le mal était devenu si considérable qu'on s'en aperçut enfin, et qu'on l'obligea d'aller à l'infirmerie. Elle n'eut pas d'autre réponse aux reproches que la Mère crut devoir lui faire de cette espèce d'excès, sinon celle-ci Je ne savais ce que c'était, je nij avais » Sa délicatesse naturelle, dit le duc de Saint-Simon, avait infiniment soufTerl de la sincère âpreté de sa pénitence de c^rps et d'esprit, et d'un cœur fort sensible, dont elle cachait tout ce qu'elle pouvait. Mais on découvrit qu'elle l'avait portée jusqu à s'être entièrement abstenue de boire pendant toute une année, dont elle tomba malade à la dernière extréaùté. » {Mémoires. ' Histoire de In duchesse de La ValUère, par Lequeux . 700 MADAME DE LA VALLIÈRE pas regardé. Entendons un témoin des dernières années de la duchesse, puisqu'elle vivait avec elle sous le même toit Ma sœur Louise de la Miséricorde, disait en 1710, la mère prieure des Carmélites de la rue Saint- Jacques, ayant épuisé ses forces par ses grandes austérités, était devenue fort in- firme ; un mal de tête habituel, une sciatique douloureuse, un rhumatisme universel, et un grand nombre d'autres maux exercèrent longtemps sa patience; elle n'en laissa voir que ce qu'elle ne put cacher. Jamais aucune plainte ne sor- toit de sa bouche, et quand on l'exhortoit à prendre quelque repos il 7i'y en peut avoir pour moi sur la terre, nous repon- doit-elle. Son désir de posséder Dieu, sa crainte de le per- dre, lui faisoient désirer la mort avec ardeur. Que mon exil est long! disait-elle souvent avec le prophète *. Ses maux, redoublant tous les jours nous firent craindre qu'elle ne fût bientôt exaucée. Nous la suppliâmes avec instance de pren- dre quelque soulagement et de faire quelques remèdes ; elle y consentit, mais elle ne s'en trouva pas mieux. Ses souf- frances augmentèrent toujours, et ses souffrances faisoient sa joie Que celui qui a commencé achève de me réduire en poudre, disait-elle avec Job ^. C'est ici que l'histoire doit faire une halte, afin de laisser la place à la réQexion. Il y avait près de trente ans que M"'^ de La Vallière menait une vie singuliè- rement rude, sans avoir jamais manifesté un regret ou une fatigue de sa pénitence. Avant que M"^ de La Vallière et Marie-Thérèse d'Autriche se rejoignent dans la mort et dans la vie future, il est à propos de mesurer une dernière fois le temps parcouru, de regardera quel moment etàquelsigne se fit le rapprochement de ces deux femmes sur la terre; il est nécessaire surtout d'apprécier le degré de conversion de M"" de La Vallière, et jusqu'à quel point cette conversion était réelle, sérieuse et surnaturelle. C'est que dans les » Psaume GXIX, 5. 2 Job. VI, 9. CHAPITRK DIXIEME 701 grandes métamorphoses historiques , où l'on voit un person- nage changer fondamentalement sa ligne de conduite, on doit tenir compte de ce que l'on appelle les cmises occasion- nelles. Ainsi, dans l'histoire de la conversion de M""^ de La Vallière, on doit faire et l'on a fait, dans les chapitres pré- cédents , la part qu'eut Marie-Thérèse d'Autriche à cette conversion célèbre, part qui fut considérable. Faute de bien analyser le phénomène du repentir chrétien, avec ses élé- ments constituants, avec ses moments chronologiques, avec les circonstances qui y jouent soit le rôle d'agent formateur, soit celui de simple occasion déterminante, on risquerait de qualifier à faux l'évolution de l'ancienne fille d'honneur de Henriette d'Angleterre. On a déjà dit que les cinq années qui s'écoulèrent de 1668 à 1673, furent un temps de transition pour la duchesse; mais il n'y avait pas encore conversion proprement dite. Nous ne voyons apparaître le phénomène du repentir chré- tien qu'après la maladie grave dont les Réflexions font men- tion ; c'est pourquoi on ne doit dater l'ère nouvelle de M"" de La Vallière que de l'année 1673. Mais il faut ana- lyser ce phénomène du repentir chrétien , afin de mieux suivre la marche ascensionnelle de cette femme célèbre, dans le nouveau genre de vie qu'elle adopta. Il y avait 1° dans ce repentir, lavue calme et sentiedeDieu, de sa justice, et par voie de projection ou d'application, il y avait une claire et nette perception de la personne de Marie- Thérèse d'Autriche, en tant qu'offensée; perception qui avait jusque-là manqué de fixité et de lumière. L'amour de Dieu, source de toute justice, amenait nécessairement l'intelligence de l'énorme injustice commise envers la reine malheureuse et outragée. 2° A la suite de cette vue , vint la nécessité profondé- ment sentie de faire cesser cet état de choses et de le réparer autant qu'il dépendait des forces individuelles. M™"* de Sablé, M'"^ de Sévigné, M'"^ de Lafayette, M"^ de Longue- 70-2 MADAME DE LA VALLIÈRE ville , s'étaient rapprochées de Port-Royal , par désir de réforme ou peur de la mort; une illumination soudaine, produisit dans M™'' de La Vallière des besoins solennels qu'elle n'avait pas jusqu'alors éprouvés. Elle avait eu beau gémir de marcher dans des voies maudites, et dévorer sans issue ses angoisses secrètes. Ces phénomènes n'étaient pas le repentir chrétien. La duchesse fuyait le monde, parce qu'elle était possédée du besoin de pleurer ; mais elle n'avait plus de larmes, parce qu'elle n'avait plus d'amour; de même qu'elle n'avait plus d'amour, parce qu'elle n'avait plus de Dieu. Il lui survenait des crises atTreuses, dont le dénoûment se bornait à des agitations fébriles ou à des mé- lancolies immenses et inutiles. Enfin en 1673, avait eu lieu le repentir proprement dit, qui, dans la pensée des chré- tiens, est une œuvre collective de l'être supérieuret de l'être humain, les initiatives mystérieuses étant eu haut, les coopé- rations généreuses, obéissantes, étant dans la créature. On s'explique alors l'état stationnaire de la duchesse pen- dant les trop longues années de 1662 à 1673 ; il n'y avait ni répulsion sincère pour le passé, ni amour surnaturel et nouveau. Ni l'otl'ense envers Dieu n'était sentie, ni l'ou- trage envers la reine n'était apprécié; il fallait une aug- mentation providentielle de lumières et de forces. Enfin, l'heure du réveil sonna. Les souffrances perpétuelles de l'âme, la fierté toujours blessée, le cœur -cent fois brisé, la coupe de l'humiliation qui ne cessait d'être pleine, des nuits qui n'étaient que de longs cauchemars, les promesses de 1662 évanouies en fumée, le mensonge et la moquerie, les sensations déchirantes obligeant de descendre chaque jour dans le gouii're sans fond d'une situation impossible, la nécessité de dévorer les idées les plus accablantes, comme celle de passer pour une vile courtisane , quand au fond elle avait conservé une âme candide , toutes ces conspi- rations de la réalité portèrent atteinte à la santé de M""^ de La Vallière. Une maladie était inévitable ; son corps ne CHAPITRE DIXIÈME 703 pouvait toujours se tordre, sans se briser sous ces affreuses émotions. Elle y succomba. Et quand la maladie, après ses étreintes, après qu'elle l'eut suspendue sur le gouffre béant, la rendit à elle-même, à la libre et calme réflexion, la jeune duchesse éprouva ce qu'elle n'avait jamais senti depuis les orages de 1662, la sensation personnelle et souve- raine de dépendance absolue vis-à-vis de Dieu. Elle se de- manda ce qui la séparait du tribunal de la justice suprême, elle ne vit, entre elle et les jugements divins, qu'une imper- ceptible distance, l'épaisseur d'un cheveu, le mince fil qui s'appelle la santé, la fraîcheur veloutée et passagère des lèvres qui sourient, l'humide éclat des yeux qui réfléchissent le ciel, la vulnérable sérénité de la physionomie que le moindre nuage vient troubler. Sans doute le coup d'en haut, le coup transformateur passa à travers ces sensations. Ce qui était vulgaire, devint et s'appela le repentir. 3° A dater de cette année, il y a rupture dans l'existence de M" de La Vallière ; un abime de distance sépare le pré- sent du passé. Les idées, le langage, les préoccupations, rien ne se ressemble, c'est une vie qui recommence sur des éléments complètement nouveaux ; jusque-là elle n'était qu'une jo/je païenne ^. Prenez M'^'^de La Vallière à partir de ses Réflexions sur la miséricorde de Dieu, précieux manuscrit où elle épanchait son cœur, sans soupçonner qu'elle traçait pour la postérité les mémoires de sa régénération, lisez ces pages, pleines de mélange et de trouble, sous le rapport litté- raire, vous y verrez dans l'ordre des mœurs et des actes, reparaître la chrétienne, celle qui se repent, qui désavoue son passé, qui veut confier à de nouveaux astres la direc- tion de sa vie , et égaler ses réparations à sa splendeur perdue. Que vous rendrai-je, nion Dieu, pour m'avoir rendu la santé et la vie, pour m'avoir retirée des portes de l'enfer, » C'est ainsi qu'Arnaud d'Andilly appelait M"» de Sévigné. 70i MADAME DE LA VALLIÈRE pour avoir conservé mon âme, enliii pour tant de grâces et de miséricordes dont vous avez usé envers votre pauvre ser- vante. » Est-ce trop, mon Dieu, pour reconnaître tant de bien- faits? est-ce trop que de vous les rendre? est-ce trop, pour réparer les scandales d'une vie où je n'ai fait que vous offen- ser que de l'employer tout entière à vous servir et à vous honorer? Est-ce trop pour satisfaire à votre justice et vous faire oublier tant de plaisirs profanes auxquels je me suis abandonnée ? Est-ce trop que de m'en priver?... Que l'image de cette fin dernière, de ce moment affreux où vous jugerez nos justices, et où mon âme toute couverte de crimes et sans contusion, s'est vue toute prête de rece- voir le dernier coup de mort, ne s'ellâce jamais de ma mé- moire, non plus de mon cœur, ces infinies miséricordes qui ont arrêté vos foudres et vos vengeances. » Ces lignes lais- sent assez entrevoir, combien la maladie de M""^ de La Val- lière secoua son âme jusqu'en ses dernières profondeurs. 11 s'agit enfin pour elle de préoccupations spirituelles et reli- gieuses le commencement du deuxième chapitre l'atteste. Ce corps, dont elle sent refleurir, avec la santé, les séduc- tions et les charmes, l'eûraye. M'"'^ de La Vallière se hâte de demander comme préservatif, la santé de l'âme. Rendez-iuoi, ô mon Dieu, la santé de mon âme, et faites que je vous demande, par-dessus toutes choses, cette joie sainte que la vicissitude de tout ce qui passe ici-bas ne saurait ébranler ; je veux dire la joie de me voir délivrée de l'esclavage du péché et de me voir dans l'ordre de votre divine providence et dans le chemin de mon salut » Une lettre de M""' de La Vallière au maréchal de Belle- fonds, la première en date, de celles que nous possédons de cette femme, confirme les dispositions personnelles dont le deuxième chapitre des Réflexions nous donne l'idée ; cette lettre est datée de Tournay, où M""^ de La Vallière avait suivi la reine, pendant le siège de Maèstricht. CHAPITRE DIXIÈME 703 Je veux vous remercier moi-même de votre souvenir, et me réjouir avec vous de l'état tranquille où vous êtes. Vous avez la paix du cœur, et vous eu goûtez les délices sans au- cun obstacle. J'envie fort le même bonheur ; mais je n'y suis pas encore parvenue, et j'ai besoin des conseils de mes amis, pour ne me pas laisser aller souvent à ces troubles que vous connaissez. Cependant, je vous assure que je me souviens fort bien de mes dernières conversations; et j'ai la vanité de vous dire que j'en ai profité, et que je fais, ce me semble, des merveilles. Je voudrais que vous en puissiez juger ; car souvent on se flatte sans s'en apercevoir Ne m'ou- bliez pas, je vous prie, et soyez persuadé qu'on ne peut être plus sincèrement que je le suis, Votre humble servante, La duchesse de La Vallière. » Cette lettre est datée du 9 juin 1673. On y voit que la duchesse est convalescente, elle veut enfin , elle-même^ de sa propre main, écrire et remercier le maréchal, elle est en état détenir la plume. Elle a profité de ses dernières conversations avec lui; elle ambitionne la paix du cœur, la sérénité de l'âme ; elle y tend , elle y aspire. C'est assez dire qu'au dedans d'elle-même, un monde s'est écroulé, un monde ancien ; un monde nouveau est en train d'éclore ; il y a révolution complète dans son être moral. 4° Les transformations dont le repentir chrétien est le point de départ, ne se laissent pas mesurer au compas de l'esprit humain, mystérieuses dans leur marche de lenteur ou de soudaineté, incompréhensibles dans leur combinaison d'éléments naturels et de conséquences surhumaines. C'est ainsi que la conversion de M"'' de La Vallière a besoin de s'éclairer des données fournies par les grands psychologues chrétiens du moyen âge, sur les évolutions de l'âme en général ; et, quelques critiques du xviii et du xix^ siècle, 4o 706 MADAME DE LA VALLIÊRE auraient mieux compris la traiislormation de M™^ de La Vallière, s'ils se fussent inspirés de cette psychologie. Le premier principe que nous croyons reconnaître, et qui appartient à cette psychologie théologique, c'est que l'ordre naturel et purement humain est l'image de l'ordre sur- naturel. Ue même qu'il faut du temps à la guérison des plaies et des blessures du corps, ainsi les blessures de l'âme ne guérissent pas en un jour , il faut du temps pour que l'âme se convertisse pleinement et purement à Dieu. De là des oscillations entre la passion dominante jusque-là et le nouvel amour qu'il faut contracter. Et les psychologues chrétiens ont une philosophie assez motivée pour expliquer ces lenteurs de l'âme qui fait effort pour remonter à la dignité d'autrefois. Si une pécheresse n'avait aucune difficulté à se convertir, si M'^'^ de La Vallière avait su prendre son parti et renoncer en un instant à sa coupable passion pour Louis XIV, si elle eût pu, aussitôt qu'elle l'eût voulu, briser avecson passé, sans ressentir la résistance de ses passions, ily aurait eu pour elle un danger évident, celui d'attribuer uniquement à ses propres forces personnelles l'initiative et l'accomplissement de sa ré- novation. Quand on croit avoir puissance en soi-même, il n'y a aucune raison de confesser les miséricordes de Dieu. Les lenteurs transformatrices s'expliquent aussi par une autre raison si la Providence veut qu'on recouvre, peu à peu, ce que l'on a perdu tout d'un coup, c'est que si l'âme égarée revenait en peu de temps, à sa béatitude primitive, ce lui deviendrait un jeu de se précipiter dans les hasards de la vie et dans le labyrinthe des passions mondaines. Notre nature est telle qu'elle n'a pas soin d'éviter les maux qui se guéris- sent très-facilement ; mais la difficulté des guérisons mora- les fait qu'une fois converti, on conserve avec pluii de soin la santé après l'avoir recouvrée. Deuxième principe loin de s'étonner de retrouver dans la personne convertie le même fond qu'autrefois, on doit se sou- CHAPITRE DIXIÈME 707 venir que la grâce ne détruit pas la nature, mais la perfec- tionne ; ainsi, il devait se rencontrer en M""^ de La Vallière, persistance du même caractère, du même tempérament, des mêmes passions en tant que tendances. Les conversions les plus éclatantes et les plus hautes j cette persis- tance. Saint Paul, après l'accident du chemin de Damas, était resté, comme auparavant , l'homme de l'affirmation, ayant la passion du dogmatisme. Augustin, après le fameux Toile, lege , demeura tendre- et affectueux. François Xaxier, l'universitaire, après l'évangélique Quid prodest t fut ce qu'il avait été, un ambitieux. Seulement les passions de ces hommes avaient changé d'objet des appétits immor- tels avaient été substitués à une faim mortelle €t pro- fane ; ainsi le gentilhomme de Navarre devint l'apôtre des Indes, et l'Alexandre des temps chrétiens. Faute de bien rappeler les principes de la psychologie chrétienne, les moralistes des trois derniers siècles ont mis en suspicion plusieurs conversions de femmes , et en particulier celle de M™'' de La Vallière, si nous en croyons Claude le Queux, c La conversion de cette dame, dit ce biographe, et sa longue pénitence a été une merveille si écla- tante dans tout l'univers, qu'il est juste et nécessaire de n'en pas laisser perdre le souvenir, mais d'en faire revivre le spec- tacle, autant qu'il est possible, aux yeux des chrétiens, sur- tout dans un siècle tel' que celui où nous vivons Nous nous proposons singulièrement ici de peindre ce que la grâce de Dieu a fait en elle pour y retracer son image, que le dé- mon avait si étrangement défigurée. Heureux si cet échantillon des sentiments de notre illustre pénitente peut servir à confondre les téméraires écri- vains, qui, ennemis de Dieu et de la vertu, ont voulu comme travestir un si grand événement, en donnant de fausses couleurs à cette œuvre de la grâce, et iaire passer pour des mouvements tout humains, et même criminels, de dépit et de jalousie, des résolutions si généreuses et si bien soutenues. » 708 MADAME DE LA VALLIÈRE Ceux qui ont professé le scepticisme touchant la conver- sion de M^^de La Vallière, auraient voulu sans doute qu'en foulant aux pieds ce qu'elle avait primitivement aimé, elle abdiquât sa nature et sa sensibilité; ils ont dit qu'elle avait l'air de se convertir, tandis qu'elle ne faisait que se retourner ; et, qu'à la bien suivre, la même nature, aux di- vers âges, et dans les divers emplois, se retrouvait au fond jusque sous le déguisement. Mais d'autres moins négatifs ont fait des restrictions seulement sur les commencements de la conversion de M'^^'de La Vallière ; ces restrictions tiennent aune confusion d'idées, qui, pour être dissipée, exige renonciation d'un principe complémentaire. Troisième principe il importe peu que la Providence, dans la réforme progressive des âmes, se serve d'éléments naturels, et mette à profit des circonstances qui, pour un œil d'homme, n'ont aucune proportion avec la grandeur des ré- sultats ! Le caractère humain des premières origines d'un changement, n'empêche pas que le mystérieux artisan des métamorphoses intellectuelles et morales ne vienne mettre son empreinte au renouvellement individuel. Ces changements arrivent-ils par la voie de la sensibilité, par le libre travail de l'esprit, par une émotion naturelle, par une voie surnaturelle, par la grâce divine ? C'est ce qu'il ne s'agit pas de décider. Mais il est sûr, par le résultat , qu'il y a dans ces bienheureuses transformations un élément divin. Pour s'inscrire en faux, il faudrait savoir quelle puis- sance préside à la vie de l'âme, comment la vérité se révèle à l'homme, qui ne peut la saisir ni la repousser selon sa vo- lonté ; » il faudrait pouvoir dire d'où nous vient, si ce n'est du grand foyer, cette lumière de désillusionnement dont le foyer est hors de nous ; ou bien il faudrait nier cette action du dehors, cette influence d'en haut que l'orgueil ou la légèreté de l'esprit humain essaye vainement de mécon- naître. CHAPITRE DIXIEME 709 Pour M""" de La Vallière, la lecture rapide des quinze premiers chapitres de ses Réflexions ne laisse pas subsister l'ombre d'un doute sur le caractère profond, radical et reli- gieux de sa conversion ; il y a des phases encore sans doute. Elle est cependant arrivée à la réalité de la conversion, mal- gré quelques hésitations de surface. Il y a eu du naturel et de l'humain dans ce drame; mais en allant d'acte en acte, de péripétie en péripétie, la Providence faisait son œuvre, et la pièce nous mène au surnaturel par le naturel. M'"^ de La Vallière dit, dans le i" chapitre des Ré- flexions, que la lumière maintenant éclaire sa raison, et que la grâce pénètre son cœur elle est troublée du souvenir de Vétat pitoyable dont Dieu l'a tirée. Le chapitre n^ rap- pelle la date de ce grand moment où la duchesse enfin a détaché son cœur des idoles et compris sa détestable situation au point de vue de la conscience; elle dit à Dieu Que de- viendront les promesses que je vous ai faites dans \Q,peur et le danger, si votre miséricorde ne les fixe et ne les soutient dans mon âme ; » la maladie a donc décidé sa conversion jusque-là flottante. Au chapitre m^, elle se complaît à re- vendiquer pour elle les noms et les sentiments des humbles femmes de l'Évangile, des pécheresses, de la Cananée, de Madeleine. Une phrase du chapitre iv, coupe court aux prétentions de ceux qui ne voudraient voir dans la conver- sion de M"" de La Vallière que des mouvements humains de dépit et de jalousie ; elle dit à Dieu Faites que jo ne me contente pas d'être dégoûtée de ce monde et de m'en voir éloignée, peut-être plus par un esprit d'orgueil et un effet de ma raison, que par un pur motif de votre grâce. » Assurément la philosophie du xvni siècle avait tort de disputer à la religion ce retour d'une sincérité si parfaite, et nous pensons avec un judicieux criiiijue, qu'il y a ici un malentendu. Que la conversion de M™ de La Vallière n'ait point eu, au point de départ, le mérite de l'initiative spon- tanée ; que le dépit et la jalousie, joints à toutes sortes d'hu- 710 MADAME DE LA VALLIÈRE miliations et de soufîrances, aient été chez elle l'impression dominante pendant longtemps; c'est ce qu'il est impossible de contester, après tout ce qui a été raconté dans cette his- toire ; il suffit de rappeler lescinq ou six années qu'elle passa à la cour, depuis 1668, luttant tristement contre sa rivale triomphante, oubliant ce qu'ellese devait mêmeaux yeux du monde. Mais il n'en est pas moins certain qu'à ces morne' ments purement humains succédèrent des pensées meilleures et les motifs du plus pur christianisme. Ne vit-on pas ensuite M""' de La Vallière prendre une assiette d'âme fixe et invin- cible, une attitude héroïque, d'où elle s'élança pendant de longues années pour exécuter de nouvelles et de méritoires choses? Il faut donc comprendre que les cinq ou six dernières années de la cour furent cette combinaison providentielle d'éléments naturels, dont Dieu s'est servi pour convertir à la fin la duchesse d'une manière sérieuse. Du reste, le duc de Saint-Simon et Voltaire, si portés ù médire en pareil cas, ont parlé l'un et l'autre, dans les meilleurs termes, de la conversion de M"'^ de La Vallière. Le chapitre v*' est curieux. Un mot trahit la duchesse ; on sent qu'elle traverse cette première période des conver- sions lentes et disputées, dans lesquelles on veut se persua- der à soi-même qu'on ne cherche plus que des plaisirs innocents, » où l'on renonce à ce qu'elle appelle la gros- sièreté du péché » pour en garder toutes les délicatesses; » où l'on échange, comme elle dit quelques lignes après, les péchés 4es sens, contre ceux de l'esprit; » où le nom d'a- mitié, » api'ès avoir dissimulé les premiers désirs de l'amour, vient abuser encore ses dernières espérances. M™'^ de La Val- lière prend plaisir à dire ce mot mon amitié, — son ami- tié; » mais elle se trahit tout à coup, en déclarant qu'elle sent revivre sa passion plus fortement que jamais dans ce qu'elle aime plus qu'elle-même. » Il faut se souvenir ici. et avoir présent à l'esprit que le livre de M"'' de La Vallière était écrit, jour par jour, dans l'espace de cettô dernière an- CHAPITRE DIXIÈME 711 née 1673, qu'elle passa à la cour. Sensible, comme elle l'écrit elle-même au maréchal de Bellerouds, aiix ti-aitements différents qu'elle y éprouvait, » elle laisse tomber à son insu sur le papier son impression du moment, et l'on peut suivre de l'œil les successions rapides d'ombre et de soleil qui se font dans son âme. Louis XIV y rayonnait à l'heure où elle écrivait les lignes que nous analysons. Le chapitre vi'^ et le xn*' donnent aussi de la lumière sur l'état d'âme de M""^ de La Vallière. Elle rappelle les humi- liations et les dégoûts que Dieu répand dans toutes ses voies, » elle dit que Dieu lui a fait sentir dans le cœur des dégoûts tout particuliers. » L'objet de ces dégoûts était évidemment Louis XIV, avec la promiscuité de ses attachements et ce fond d'égoïsme qui desséchait promptement ses plus vives affections. Une explication nous est donnée du singulier personnage qu'elle faisait à la cour, et dont on était étonné et affligé. La duchesse d'Orléans achève de dire le mot de l'énigme ; après avoir causé avec M""^ de La Vallière des traitements qu'elle subissait de la part du roi et de M""^ de Montespan, la Palatine dit La pauvre créature s'imaginait qu'elle ne pouvait faire un plus grand sacrifice à Dieu qu'en lui sacri- fiant la cause même de ses torts, et croyait faire d'autant mieux, que la pénitence viendrait de l'endroit où elle avait péché. Aussi restait-elle par pénitence chez la Montespan. » Du reste, dans le chapitre vi, M""*^ de La Vallière conti- nue à s'alarmer de l'état de pénitence douteuse où elle vit, partagée entre le monde et Dieu. Cette alarme même est une preuve qu'un christianisme mou et selon la prudence de la chair ne safifit plus à sa loi, de jour en jour plus ardente; qu'avec la réforme de sa vie extérieure, elle veut convertir en même temps ses inclinations et son cœur. Les autres chapitres renchérissent sur ce même point; on voit, au vii% les scrupules de M"'^ de La Vallière sur ce qu'elle appelle sa fausse conversion. On sent ses terreurs 712 MADAME DE LA VALLIERE augmenter de chapitre eu chapitre, et le désir de frapper un grand coup devenir de plus eu plus ardent. Il faut qa'elle prenne un parti grand, radical. Au chapitre vni% elle craint que son confesseur ne soit de ceux qui ajus- tent l'Évangile à sa mode. Au chapitre x, elle dit que l'amour de Dieu a plus de part que la crainte dans son sacri- fice. Enfin, au chapitre xni, elle pousse son paratum cor meum, mon cœur est prêt. Le 4 novembre et le 21 novembre de cette même année 1673, M™^ de La Vallière écrivit au maréchal de Bellefonds deux lettres où elle annonce, pour la première fois, le dessein d'aller aux Carmélites. Et de la sorte, il est positif qu'il y eut conversion réelle en 1673. C'était pendant l'été et l'au- tomne de cette année que cette femme débattait la question de rupture avec la cour et Louis XIV, et en même temps le moyen d'adopter une vie nouvelle. Mais on doit bien dis- tinguer et bien séparer, pour ne pas les confondre, trois élé- ments dans cette conversion 1° la grâce de Dieu ou la cause surnaturelle qui amène des résultats imprévus, au moyen de mystérieuses initiatives et d'efficacités puissantes dont nous n'avons pas le secret ; 2'^ l'une des causes occasionnelles de la conversion qui fut la reine Marie-Thérèse d'Autriche ; et 3° les incidents préparateurs et déterminants, c'est-à-dire les deux maladies de 1673. Voltaire raconte, avec ses idées profanes, le sacrifice de M"* de La Vallière. Enfin, en 1675, dit-il, La Vallière embrassa la ressource des âmes tendres, auxquelles il faut des sentiments vifs et profonds qui les subjuguent. Elle crut que Dieu seul pouvait succéder dans son cœur à son amant. Sa conversion fut aussi célèbre que sa tendresse. Elle se fit carmélite à Paris et persévéra. Se couvrir d'un cilice, marcher pieds nus, jeûner rigoureusement, chanter la nuit, au cbœur, dans une langue inconnue ; tout cela ne rebuta point la délicatesse d'une femme accou- tumée à tant de gloire, de mollesse et de plaisirs. Elle vécut CHAPITRE DIXIÈME 713 dans ces austérités depuis 1675 jusques en 1710, sous le nom seul de sœur Louise de la Miséricorde. Un roi qui pu- nirait ainsi une femme coupable serait un tyran ; et c'est ainsi que tant de femmes se sont punies d'avoir aimé. Il n'y a presque point d'exemples de politiques qui aient pris ce parti rigoureux. Les crimes d,e la politique sembleraient ce- pendant exiger plus d'expiation que les faiblesses de l'a- mour ; mais ceux qui gouvernent les âmes n'ont guère d'em- pire que sur les faibles. » L'on sent trop percer dans ce langage , la théorie de Voltaire sur la vocation religieuse des femmes. On peut soupçonner qu'il partageait les idées de Saint-Evremond sur cette matière, et un écrivain considérable de notre temps nous semble y avoir incliné un peu en les mitigeant *, ' On veut toujours expliquer les vocations religieuses des femmes par des causes romanesques, et pur des dépits d'un établissement manqué, d'une affection incomprise et d'un sentiment trahi. Des exceptions ne peuvent être une règle générale. M. Cousin parle de cœurs qui, aux premières impres- sions de la passion ou du malheur, coururent ciierclier un asile dans la sainte solitude. 0 {Jeunesse de M Je pense que M. Cousin se trompe plutôt que l'abbé Montis; ces événements inlimes qu'il mentionne apportèrent leur contingent dans l'iti- néraire de celte âme vers le couvent; mais ce n'est pas ce qui, directement et précisément. In dérida ; ce n'est pas ce qui lui fit préférer une couronne d'épines à la couronne de Pologne ; pas plus que l'accident de ce danseur qui fut tué par la foudre, à un bal à Spa, ne décida la marquise de Bréaulé, témoin de cet événement, et veuve à 21 ans, à se faire également carmélite, Il y en a qui, après des fautes, veulent une vie de pénitence et d'expiation. D'autres femmes cherchent une retraite assurée contre les orages de leur propre cœur. Il en est qui détestent le monde, qui ont besoin de fuir une société, si habile à tourmenter les âmes, et où régnent l'intrigue, l'hypocrisie, l'injustice et la bassesse. Ces âmes pures, jeunes et droites. 7i4 MADAME DE LA VALLIERE Saint-Evremond, en ellet, disait que les femmes galantes qui SB donnent à Dieu, lui apportent ordinairement une âme inutile qui cherche de l'occupation; et il aurait vo- lontiers nommé leur dévotion une passion nouvelle, dans la]uelle un cœur teiidre qui croit être repentant, ne tait que changer d'ohjet. Mais Voltaire, comme Saint-Evremond, confondait les éléments humains avec l'action providentielle, sans vouloir reconnaître la trace de l'une au milieu des autres. Il est arrivé à bien des femmes du xvn" sièci-e de commencer leur mouvement de retraite, parce que les tendres besoins de leur cœur n'étaient pas humaine- ment satisfaits, et de le finir parce que des aspirations posi- tives et directes vers Dieu venaient s'emparer de leur âme ont besoin de fuir un milieu où l'on se fait un jeu de les tromper. Pourquoi M. Cousin ne rappelle-t-ii pas ces éléments d'incitation? Toutes enfin, quand elles ont décidément tourné le regard vers le cloître, veulent travailler à une vie de perfection, par un progrès continu, sous le triple vœu de chasteté, de pauvreté et d'obéissance, Dieu les exciiant par sa grâce. Nous nous rappelons un entretien avec la supérieure des Carmélites, qui, je crois, a fourni à M. Cousin les documents sur le couvent de la rue Saint- Jacques. Elle protestait, avec une véhémence pieuse, contre les interprétstions naturalistes données par M. Cousin à des vocations du xvu» siècle. • Vivre 30 ans, 40 ans, d'une manière convenable, selon les règles austères du C^ir- mel, cela est impossible, nous disait-elle, avec une vocation née d'un roman. • Qu'en 1693, on ne fût pas arrivé encore à une appréciation impartiale et calme du changement de M"* de La Vallière, cela se conçoit ju-qu'à un cer- tain point. Ainsi un écrivain racont nt la retraite àe. la duchesse aux e du grand Dieu, D' que jetais du plus grand roi du monde. > V. les Intrigues de la cour de France, t. II, p. 00; Cologne, chez P. Mar- teau, XCV. Ce langage se. tolère en 1093 Mais qu'anjourd'liui, après que les années ont apaisé les passions, M. Cousin laisse dominer sa raison et sim jugement par des passiiins et des préjugés d'un autre âge, c'est ce que l'on comprend plus diâLciiement. CHAPITRE DIXIEME 718 régénérée. Si Voltaire avait eu plus de lyrisme, et un ins- tinct plus vif de certaines beautés de la vie morale, il aurait apprécié d'une manière plus orthodoxe le sentiment qui nous a donné l'admirable sœur Louise de la Miséri- corde, il en aurait fait hommage à la pieuse influence de Marie-Thérèse, Au milieu de nos sociétés si avancées dans la civilisation matérielle, il aurait aimé, ne fût-ce qu'à titre de contre poids, cette carmélite de vingt-neuf ans, autrefois duchesse adulée, devenue une protestation héroïque contre l'absorption de la matière , il aurait béni cette jeune femme courageuse, qui se leva, pendant trente-cinq ans, à trois heures du matin, malgré les rigueurs des hivers, pour prier, et qui ne vécut plus désormais pour son corps ; profession éloquente de spiritualisme et de foi à l'immortalité! Mais une maladie grave, sérieuse, fut l'instrument déter- minant de la conversion, et termina la phase de transition, commencée en 1668. Un historien, assez voisin des événe- ments, nous fait connaître le degré du mal, et les consé- quences rénovatrices que le mal physique eut sur le moral de M""" de la Vallière. Une violente et dangereuse maladie qui la conduisit aux portes de la mort quelque temps avant de s'arracher tout à fait de la cour, dit l'abbé Claude Le- queux , acheva par la grâce de Dieu de l'afTermir dans le dessein qu'il lui avait déjà inspiré de réparer sa vie passée par les travaux d'une sérieuse pénitence, et de faire servir comme d'instrument à la justice tout ce qui en elle avait été employé à l'iniquité. » Jusque-là, les amis de M""^ de La Vallière avaient été, la plupart, les amis des beaux jours du succès, ils étaient de cette société mitoyenne où, en évi- tant toutes les exagérations, on tombe dans la neutralité, n'ayant aucune doctrine religieuse bien arrêtée, mais chez qui le respect des convenances sociales devient une religion. Que pouvaient de tels amis, auprès de la duchesse en proie au mal violent, à la fièvre perfide ? D'ailleurs , toute ami- 7i6 MADAME DE LA VALLIÈRE tié, même la meilleure , est impuissante devant la mala- die fatale, inexorable. On ne combat pas avec les vents de la mer, avec les vagues courroucées, on les subit. La mala- die est un messager irrésistible ; elle représente dans le monde une force qui n'est pas du monde; elle est la déli- vrance du passé ; elle coupe en deux les drames de la vie ; elle est le ministre divin des changements et des métamor- phoses individuelles. L'espérance, la dernière espérance qui a tant de peine à finir, étant morte enfin, dans ce cœur lentement broyé pen- dant tant d'années, la victime abattue sembla n'avoir pas la force de survivre à l'illusion détruite. Ce fut pour elle comme une éclipse de la vie; elle sembla vouloir mourir, comme pour aller poursuivre ailleurs son rêve perdu. Ce corps si tendre, dont parle Bossuet, tléchit et se fana comme une fleur que le suc abandonne, mais un esprit nouveau souffla alors pour ranimer la nature défaillante, et du lit de mort, la pécheresse, comme parle un élégant écri- vain *, se releva marquée au front de ce rayon doux et triste qui se nomme le repentir. Cette âme , long- temps chargée des vapeurs lourdes et desséchantes de la jalousie, se fondit tout à coup eu une douce pluie de lar- mes et de prières. Une fraîcheur vivifiante la pénétra. Ses regards se levèrent doucement vers le ciel, d'où elle sentait la vie lui revenir avec un nouvel amour ; et ses lè- vres en s'ouvrant entonnèrent d'elle-même le cantique de la délivrance et de la reconnaissance Que vous rendrai-je, mon Dieu, pour m'avoir rendu la santé et la vie, pour m'a- voir retiré des portes de l'enfer ? etc. » Cette violente et dangereuse maladie, qui conduisit M""^ de La Vallière aux portes de la mort, et qui détermina sa conversion, jusque-là flottante, est du commencement de 1673. La demi-pénitente, » comme l'appelait le cardinal ' M. Romain-Cornut. CHAPITRE DIXIÈME 717 Le Camus, passa encore une année à la cour, pour divers motifs qui ont été indiqués, et en partie à cause de sa timi- dité naturelle. C'est pendant saconvalescence, et dans le cours decetteannée, qu'elle écrivit ses réflexions sur les effets de sa maladie, réflexions qui nous sont parvenues sous le nom de Réflexions sur la miséricorde de Dieu. Ce livre écrit jour par jour pendant les cinq ou six mois qui suivirent immédia- tement la maladie, fixe d'une manière certaine la date de la conversion de M""* de La Vallière , à l'année 1673; il révèle en même temps qu'avant cette maladie, il n'y avait que de faibles essais de changement, toujours neutralisés par les accès d'une jalousie renaissante. Mais, plus de vingt années étaient passées sur ces com- mencements ; et comment oser, après tout ce qu'on avait vu, élever un doute sur la réalité de la conversion, sur la trans- formation si admirable de cette femme célèbre ? On l'enten- dait elle-même s'écrier, dans une journée de 1677 Je vous avouerai qu'il est des moments où la grâce agit si puissam- ment en moi, que je suis comme transportée hors de moi- même, que je ne me connais plus. Faut-il que mon esprit soit enfermé dans un corps si fragile et si plein d'imperfec- tions ^ ? » Elle disait encore Je renonce à toutes les con- solations du monde, et je ne connais plus dans cette vie d'autre peine que la crainte d'offenser Dieu ^. » Mais elle s'en exprimait plus nettement en 1686 Revenue de mon égarement et plongée dans l'amertume, j'ai élevé mes yeux au ciel, et celui qui a fait le ciel et la terre est venu à mon secours; mais je ne dois que m'en humilier davantage. L'abus que j'ai fait de ses dons ne me permet plus de re- garder la terre que comme l'image de mon tombeau ^. » Aussi , un homme impartial , dans la présente circons- ' Lettre au maréchal de Bellefonds, du 4 mars 1677. * Au même, lettre du 12 février même année. ' Au même, lettre du 6 septembre 1686. — Je l'ai vue dans les dernières années de sa vie et je l'ai entendue, avec un son de voix qui allait jusqu'au cœur, dire des choses admirables de son état. • Paroles de la mère Agnès. 918 MADAME DE VALLIÈRE tance, le duc de Saiiit-Sirnoa, qui se sentait révolté du scandale que le roi avait donné en étalant, jusque sous les yeux de la reine, ses amours doublement adultères, et qui, dans le sentiment de sa pudeur blessée , ne pouvait contenir son indignation devant la déclaration qui assimilait les bâtards au sang royal , même pour la succession éventuelle à la couronne, ce même duc de Saint-Simon change aussi de ton quand il s'agit de la duchesse de La Vallière. 11 n'avait pas été le témoin des singularités re- tentissantes qui avaient marqué les débuts de M"" de La Vallière à Saint-Germain, puisqu'il ne commença à écrire ses' Mémoires qu'en 1694, étant alors à peine âgé de dix-neuf ans; toutefois, il devient respectueux et grave, quand il raconte cf cet adieu si touchant de M"*' La Val- lière à la reine qu'elle avait toujours respectée et ménagée, et ce pardon si humble qu'elle lui demanda prosternée à ses pieds devant toute la cour, en partant pour les Carmélites, la pénitence si soutenue tous les jours de sa vie, fort au- dessus des austérités de sa règle, cette fuite exacte des em- plois de la maison, ce souvenir si continuel de son péché, cet éloignement constant de tout commerce et de se mêler de quoi que ce fût i. » Mais le moment était venu, où M™'^ de La Vallière allait quitter la terre. Ce que fut cette douce et sainte femme, aux derniers jours de sa vie, et dans ses dernières heures, attendrit jusqu'aux larmes, en manifestant dans sa per- sonne, la plus étonnante des nouveautés, et la plus divine énergie dans une enveloppe de chair. La princesse dé Gonti, qui devait naturellement rester sur la terre, après sa mère, était depuis longtemps le seul lien qui gênât les aspirations de M"" de La Vallière vers la vie future. Tant que l'âme est unie au corps, disait-elle, nous tenons toujours par quelque endroit à la terre ; nous * Mémoire». CHAPITRE DIXIÈME 7i9 trouvons qu'il y a des choses qui nous font plus de peine ou plus de plaisir *. » Mourir, n'était qu'une délivrance, et une perspective sincèrement agréable pour celte coura- geuse femme; mais M™^ de Gonti restait sur la terre, il y avait sa vie, hélas ! trop accidentée, et ce qu'on a appelé le cauchemar de l'incertitude. » Aussi la Carmélite remerciait- elle ceux qui pouvaient jeter quelque lumière sur laroute de sa fille, ou s'y intéresser par la sympathie. Je vous remercie, écrivait sœur Louise à son vieil ami, de la manière dont vous tenez toujours pour M'""' la princesse deConti; prions pour elle, et désirons-lui le royaume de Dieu ^. » L'on s'explique très- bien du reste la sollicitude tendre et inquiète de la sœur Louise de la Miséricorde, à l'endroit de la princesse sa fille. Elle n'avait pas été heureuse, dans son mariage avec le prince de Gonti; elle ne l'était pas davantage depuis qu'elle était veuve. M"^ de Caylus dit que, veuve à dix-huit ans, prin- cesse du sang, aussi riche que belle, la princesse de Gonti eut de quoi se consoler; qu'elle avait beaucoup plu à M. le duc, son beau-père, et que, comme il était fort aimable, il est vraisemblable qu'il lui avait plu aussi. Elle aurait pu épouser le fils de Monsieur, qui devint plus tard le régent. Elle répondit à Monsieur qu'elle préférait la liberté à tout. Ce n'était pas , on le voit , pour en faire un excellent usage. Bonne amie pourtant' et généreuse, d'une coquetterie extrême, d'un esprit médiocre c'est toujours M*"*^ de Caylus qui la juge ; elle avait une humeur capable de gûtei les meilleures qualités et rendait la reconnaissance impossible. Aussi, M"^ de La Vallière exhalait-elle les inquiétudes de sa sollicitude maternelle, dans une lettre qui a été conservée, qui est sans doute de 1693' ou de 1694. Elle- écrivait au doc- teur Dodart, probablement son médecin et celui de sa fille J'ai une véritable joie que M'"'^la princesse de Gonti entre > Lettre au maréchal de Beilefonds, du 6 septembre i686. * An même, mêmes mois et année. 720 MADAME DE LA VALLIÈRE dans la vérité sur tout ceci. Plaise à la ]onlé du Tout-Puissant de lui en donner toute l'intelligence ! J'espère beaucoup, par votre attention, pour l'âme aussi bien que pour le corps de cette pauvre femme *. » Un historien moderne reconnaît la légitimité des préoc- cupations de la mère, à cause du bizarre assemblage d'heu- reux dons et de défauts dans la fille. On'comprend, dit-il, les regrets et les souhaits de la sœur Louise de la Miséri- corde. Souhaits inutiles ! Il y a de certaines humeurs que la mort seule est capable de soumettre. La princesse de Conti fut jusqu'à la fin ^ ce que ses contemporains des jeunes années nous l'ont montrée ^. » A part la princesse de Conti, d'ailleurs, la mort qui avait fait de sa famille un vrai désert, multipliait aussi les vides tout près d'elle et autour d'elle. La mère Agnès de Jésus- Marie M"8 Judith de Bellefonds, n'existait plus depuis 1691 ; on avait perdu en elle une âme pleine d'élévation et de modestie. Bossuet n'était pas le dernier à sentir cette perte, comme une de ses lettres, fort touchantes, l'atteste encore; mais qu'élait-ce de la duchesse de La Vallière ? M"*^ Judith de Bellefonds avait joué un si grand rôle dans sa vie ! Tant d'autres religieuses avaient disparu, depuis que M""" de La Vallière s'était enfermée rue Saint-Jacques, telles que la mère Marie-Madeleine" de Jésus M"" Lancry de Bains *, W' de Thon ^ M" de La Yarrie 6, M"^' de Gour- gués \ M"*-' d'Anglure, fille du baron d'Anglure, premier gentilhomme de la chambre du duc de Lorraine *^, M"^ de » L'original de cette lettre apparlieist à la bibliothèque de Troyes. Elle a été publlce dans ['Annuaire de l'Aube pour 1849, 2 partie, p. 34 et suivantes. M. Denis Uodarl, docteur en médecine, conseiller médecin de Louis XIV, était un homme dévoué aux pauvres et plein de zèle pour toutes les œuvres cha- ritables. La lettre citée ci-dessus n'a pas de suscription; mais comme il y en a une autre, à Troyes, de M™ En 1690. — ' En 1677. — En 1679. CHAPiTHE DIXIÈME 721 Chabert *, M"^ de Stainville^, M"" d'Épernon, sœur du duc de Caudale, qui avait préféré la couronne d'épines à celle de Pologne 3, M" de La Thuillerie ^ Al»*^ de La Tour d'Au- vergne de Bouillon ^, M"'' d'Égremont ^, M"^ d'Arpajon 7, M"^ Gharost de Bétliune ^, etc., toutes carmélites, ayant vécu dans le même monastère rue Saint- Jacques. Il arrivait à M™'' de La Vallière ce qui arrive à tous. Quand on a passé l'âge de quarante-cinq ans, on voit chaque jour la vie se dépeupler par la disparition effroyablement rapide des parents , des amis, et de tous ceux qui furent les compagnons de notre existence. Pas une année ne s'écoule sans qu'on apprenne une perte. Bossuet, qui avait contribué à frayer le chemin du Carmel, ainsi que M. Le Camus, s'était éteint aussi en 1704 ; Bourdaloue était mort la même année que Bossuet; Colbert n'était plus depuis longtemps»; Racine ^^^, La Fontaine **, Miguard i^, Benserade i3^ ces chantres immortels des premiers jours, l'avaient précédé ou suivi ; la spirituelle marquise qui avait tour à tour raillé ou célébré M™*^ de La Vallière, M™^ de Sévigné n'était plus de ce monde *^. Avaient également disparu M""= de Mon- tespan *^, Henriette d'Angleterre ^^, Pélisson*', M"^ de Mont- pensier ^^, M""*^ de La Fayette ^^, le comte de Guiche 2", le marquis de Vardes -^, la comtesse de Soissons -^, le duc de Roquelaure -'^, le duc de Saint-Aignan 2'^, ces derniers si mê- lés aux intrigues de la cour à l'aube du règne. Gondé ^^, Tu- renne -'^, Louvois^', et l'ami de la dernière heure, le maréchal de Bellefonds ^^, étaient couchés dans le tombeau. A peine Louis XIV survivait-il comme la grande ombre du xvii siè- cle. Quand le désert s'est établi de la sorte autour de vous, quand il ne subsiste plus aucun témoin de ce que vous Morte en 1695. — » Ea 1695. — ^ En 1701. — * En 1703. — ^ En 1690. — 8 En 1683. — ' En 1693. — En 17U9. » Mort en 1683. — »» En 1699. — » En 1693. — »^ En 1693. — '^ En 1691. — " En 1696. — »^ En 1707. — "• lin 160. — " En 1693. — " En 1693.— »» En 1693. — " Eu 1673. — . ^' En 1688. — " En 1708. — '' En 1683. — ** En 1687. — " tn 1686. — ^ 73i MADAMIÎ M LA S^\LLIl>HE viduels, ne veut pas dire Croisez vos bras ; laissez vos mains pendantes; ne faites rien; donnez lihre carrière à toutes les attaques du dehors, » Nullement. Ce qui est positif, dans la doctrine historique des lois providentielles, c'est que sou- vent ce qui nous semble un mal dans les détails de notre destinée personnelle prend un autre nom dans le plan mystérieux; et, en toute hypothèse, rien n'autorise ici-bas la plus minime des créatures à s'endormir dans l'inertie. Tout être qui a l'honneur d'être admis dans l'enipire des existen- ces, doit réagir selon sa mesure, contre le mal. Dire — à quoi bon lutter contre le mal, s'il doit produire le bien, — serait un blasphème ! Mais irons-nous jusqu'à soutenir que cette succession de tant de femmes intrigantes ou audacieuses que vit naître le règne de Louis XIV, et qui eurent l'inso- lence de porter leur regard sur les marches du trône, avait été suscitée par la volonté expresse de Dieu, pour mûrir et sauver l'âme de Marie-Thérèse d'Autriche ^ ? Non ; l'histo- rien n'a pas à s'engager dans ces problèmes ardus. Une • Nous pensons qu'on s'est mépris sur une phrase de Bossuet, dans l'Orai- son funèbre de Henrielle d' dire parfailement, que tout en poursuivant des plans d'ensemble. Dieu tire, pour les individus, le bien du mai. Mais le prélat soutient-il que, pour enrichir un homme, la Provi- dence doive ruiner toute la masse d'une nation? Nullement. ]Nu! besoin d'en- trer dans les classifications et les comparaisons que la théologie établit pour démontrer jue le bien spirituel, iiiiuiorlel d'une âme libre, vaut plus que l'existence matérielle, incoascicnle et brute d"une inimlagne, d'un globe, d'un univers. Néanmoins, un journal les Debals n'a-t-il pas donné une portée sophistique à un développement purement oratoire de Bossuet dans l'oraison funèbre en question? Citons • JNotre grand Bassuet que M. Thacke- ray eût appelé ce jour-là un Snob, et non sans quelque raison, n'a pas craint de dire que la Révolution d'Angleterre avait été accomplie par la vo- lonté expresse de Dieu pour sauver Tàme de Madame. Henriette d'Angleterre eût en effet été prolestante sans la chute des qui la précipita en même temps dans le catiiolicisme et dans l'exil. Pour la donnera 1 Eglise, dit ^imperturbable et éloquent évoque, il a fallu renverser tout un grand royaume; si les lois de l'htat s'opposent à son salut éternel. Dieu ébranlera tout l'Etat pour l'aiïranchir de ces lois. » Si cette façon de juger les événe- ments humains n'était point sujette à de nombreuses objections et si, de plus, elle n'était pas tout à fait passée de mode, nous serions tenté de nous deman- der si ce n'est point pour convertir M. Esquiros à des idées vraiment libé- rales, pour l'arracher a la superstition révolutionnaire, pour lui inspirer enfin les excellents écrits qu'il nous donne deiiuis une dizaine d'années, que GIIAPITHE DIXIÈME 73u sage philosophie de l'histoire évitera de trancher des questions qui ne nous regardentrpas ; elle n'aura garde de présenter la Providence comme une sorte de bizarre collec- teur de bourreaux. Quelle étrange conclusion, s'il fallait per- suader aux victimes qu'elles ne doivent pas trop regretter leurs supplices, puisque de leur sang a germé leur récom- pense. Et quelle intolérable ironie , si l'on avait demandé à. la reine Marie-Thérèse de remercier M""* de La Val- lière et M""' de Montespan, du mal qu'elles lui faisaient? Toutefois, il existe une doctrine morale, fondée sur les données évangéliques, et qu'il est opportun de présenter aux vaincus de la terre d'exil. Elle ne dit pas laissez-vous tuer, multipliez autour de vous les femmes spirituelles, aimables et légères dans le but et avec l'intention qu'elles portent le trouble dans votre ménage. Elle dit étant donnée la situation qui vous est faite, les trahisons que vous avez à subir, les rudes chemins où vos genoux se traînent, saignants et meurtris, ayez l'énergie et le soin de vous souvenir que, par la croix, on arrive plus heureifsement à l'autre vie. Croyez-vous que celui qui aura été comblé ici-bas de jouissances, et qui, en violant toute barrière, se sera pro- curé les voluptueuses satisfactions, sera aussi assuré devant le souverain rémunérateur des êtres libres, que pourra l'être celui qui aura marché dans les privations et dans les le Ciel a permis la chute du gouvernement parlementaire en France et les événements imprévus qui ont jeté M. Esquiros dans la tortillante épreuve et dans les salutaires méditations d'un long exil. » Evidemment, Bossuet n'entend pas que tout un royaume a été bouleversé pour une seule personne. Mais il constate seulement, après coup, que dans beaucoup d'événements désastreux, dont nous ignorons le dernier mot, telle et leile individualité spéciale ont recueilli en fait tel ou tel profit. Le grand évèque ne va pas plus loin que la constatation d'un fait expérimentai, savoir que certains phénomènes historiiiues, qui semblent tout mal, de- viennent pour beaucoup tout bien. Ce vaillant esprit n'a pas voulu due autre chose, et quand il emploie cette formule pour la donnera l'Eglise Henriette d'Anghterre, il a fallu renverser tout un grand royaume; • il entend simplement que du fait d'une révolution politique, Henriette recueillit pour sa part un bienfait de l'ordre spirituel. Hors de là, le reste n'est que forme oratoire. 736 MADAME DE LA VA LU • RE mécomptes de la vie morale * ? Telle était la doctrine qui brillait aux yeux de la reine de France, et l'éclairait comme une lampe devant ses pas, à travers ses durs sentiers. Ce ne lui fut pas un découragement, mais une consolation. Pour M"''' de La Vallière, on pouvait dire, quand elle eut rendu ledernier soupir, quec'étaitunesainte et une martyre. Sa vie et sa mort ne produisent pas seulement l'émotion poétique qui tient à ses aventures, mais encore une impres- sion d'ordre moral » qui est un très-grand enseignement. Elle prouve qu'après ses fautes, il reste, à l'homme, un des plus nobles ressorts de la vie, le repentir; elle prouve que quiconque continue, après avoir sombré, de croire à la justice et à la miséricorde de Dieu, il peut encore, dans son naufrage, racheter son passé et remonter honnêtement au sommet escarpé de la réhabililatiou. Lorsqu'on a vu M"^^ de La Vallière se punir elle-même pendant trente-cinq ans, pour avoir offensé Marie-Thérèse d'Autriche, on oublie la période de 1661 à 1673 pour ne voir que celle de 1673 à 1710. • La légende de M'"" de La Vallière commença, pour ainsi parler, à se former aussitôt après que cette tombe se fut fer- mée, rue Saint-Jacques. Et lorsque, en 1767, Claude Le- queux, publia ^ pour la première fois, les lettres de M"^ de La Vallière, à Liège et à Paris, cette publication témoigna, par son succès considérable, des sympathies immortelles que cette femme avait fait naître dans la postériié. Anté- rieurement à la circulation des lettres de M""*^ de La Vallière, ' Lorsque révêqiie de Charlres Gadet des Marais écrivait à M"" de Main- tenon • H est vrai que vous éles conduite {uelquefois par un chemin assez rude, et que ni du côlé du monde, ni du côlti de la santé, ni môme du côté de ce que vous entreprenez pour Dieu, vous n'avez pas toute la consolation qu'on imagine, mais c'est un Lonlieur inestimable jue les soient ainsi... » lettre du ^0 mars Itt'Jl, il ne faisait qu'exposer la doctrine re- latée dans cette page. Ijetlres de M"" la duchesse de La Vallière, morte religieuse carmèlile, avec un abrégé de sa vie pénitente; — à Liège et se trouve à Paris, chez Antoine Boudet, MUCCLXVll, vol. in-12, de lUO pages. CHAPITRE DIXIÈME 73? que le public se disputa avec une ardeur digne de remarque, et plus de soixante ans auparavant, on se plaisait à lire les liéfUxions sur la miséricorde de Dieu. On se souvient que M'"" de La Vallière avait écrit ces réflexions à la veille d'en- trer au cloître, et quand elle était encore à la cour. Le xv!!!*^ siècle goûta, comme le nôtre, les sentiments si tou- chants qui répandent sur cet ouvrage un charme si doux. » M™ de La Vallière avait communiqué cet écrit à une amie qui en prit une copie, et qui, lorsque la duchesse fut aux Carmélites, fit imprimer ce précieux manuscrit sans désigner l'auteur. Mais on ne s'y trompa pas en France. Aussitôt après la mort de la duchesse, des éditions des Réflexions parurent sous son nom. Tel était Tambour po- pulaire pour M""^ de La Vallière, que la spéculation le prit, dès le commencement du xvni^ siècle, comme un pavillon qui protégeait la marchandise. On avait publié, même avant l'année 1 705, et pendant que M'^'^de La Vallière vivait encore, trois petits ouvrages de piété, ayant pour litre, le premier Sentiments d'une âme pénitente sur le Miserere, le second Re- tour d'une âme à Dieu, le troisième Réflexions chrétiennes. On ne tarda pas, dans le public français, après la mort de la sainte carmélite, à lui attribuer ces trois petits ou- vrages *. Mais les éditeurs du livre des Réflexions sur la miséricorde de Dieu s'empressèrent de réclamer et de donner avis que c'était M'"'^ Du Noyer qui était l'auteur des Senti- ments d'une âme pénitente, et que M"^ de La Vallière n'avait jamais composé que les Réflexions sur la miséricorde de Dieu 2. L'une des éditions de 1744 et de 1754, où est insç- ' L'édition, que nous possédons Sentiments d'une âme pèniter,h, etc. par M»* D***, Paris, au Palais, en la boutique de Gosselin, MDUCXLVl, porte cette note ajoutée à la main • Ce livre a pour auteur M"" de La Vsi- lière. • * Voir dans Réflexions sur la miséricorde de Dieu, Paris, chez Savoye, libraire, rue Saint- Jacques, 1744, l'avis du libraire à la deuxième page. 47 738 MADAME DE LA VALLIÈRE rée la réclamation, renferme un portrait d'elle en carmélite avec cette inscription S'ennuyant d'tHre la victime Du monde et de la vanité. Cette incomparable beauté Quitta par un effort sullime Tous les biens que la terre estime Pour acquérir l'éternité. D'ailleurs, comment confondre des livres de piété n'ayant rien de caractéristique et de Lien accuté, avec l'ouvrage de M" de La Vallière, qu'on a comparé pour l'onction et la simplicité à ïlmitalion de Jésus-Christ *, où l'on retrouve un précieux document d'histoire intime, écrite à l'heure même de l'émotion ^, » l'histoire d'une âme faible et géné- reuse qui se débat dans les suprêmes angoisses d'une con- version longtemps disputée, et accomplie enfin avec un mé- lancolique mais inébranlable courage ^. Ne peut-on pas même découvrir dans le livre de M"^'' de La Vallière, à tra- vers la transparence des allusions, et sous l'enveloppe des généralités, comme une traînée de feux lumineux qui jet- tent du jour sur le fond du théâtre, à demi éclairé pour le public, où se déroula ce drame douloureux, et sur les per- sonnages qui s'y trouvèrent mêlés, à des litres divers, comme obstacles ou comme secours, amis ou ennemis ^? Le xviii^ siècle ne pouvait se méprendre à ce passage de la cinquième Réflexion Que je ne me flatte pas d'être morte à mes passions, pendant que je les sens plus fortement que jamais dans ce que j'aime x>lns que moi-même, et d'au- tant plus dangereusement, que mon amitié, qui semblait vouloir me les justifier, m'empêche de vous écouter et^ de suivre les saintes inspirations de votre grâce. » Le xvni'' siè- cle se passionna pour cette tendre mémoire, pour cette ten- ' Ce que l'on disait au xviii sii^cle. Voy, M"" de Gonlis, Abrège de la rie pénilente de 3/™= de La Vallière. * M. Homain Cornut, dans Confessions de M^^' de La Vallière. ' Ibid. * Ibid. CHAPITRE DIXIÈME 739 dre nature, et pour son attachement. Combien ne s'atten- drit-on pas alors, sur le sort de cetteinfortunée, lorsqu'on la vit, affranchie d'une passion criminelle, aimer encore plus quelle-même celui qui ïdivait sacrifiée! Vers la fin du xviii Calendrier de l'an 1811, cliez Le Fuel. * Nommons Crawfurd, dans iVo^ices sur M™» de La Vallière, Montespan, etc. Paris, 1818, in-8. — M. Walkenaër, dans ses Mémoires sur M"" de Sévigné, passhn. — M. Pierre élément, de l'insiilut, dans la bi'lle édition qu'il a donnée des Ht^fluxions sur la Miséricorde, avec une notice historique savante, et des notes et appendices fort curieux. Paris, 18G0, 2 vol. in-i2. Techener. — M. Komain-t^ornut, dans son \iv te Confessions de M'^' de La Vallière re- pentante, 1 volume in-12, de 360 pages, Paris, 18jj. chez Didier. — M. Ar- sène lloussaye, dans Ai"» de La Vallière et M"-' de Montespan, un beau vol. in-8, Paris, 1860, chez Henri Pion. —M. Taschereau, directeur de la Biblio- CHAPITRE DIXIÈME 743 losophes *, peintres 2, poëtes 3, critiques *, amateurs s, tous ont porté leur pierre au monument à ériger en l'honneur de M""^ de La Vallière. Et, de nos nouvelles investigations historiques, le type de M""*" de La Vallière a pu se dégager thèque impériale, dans la Revue rétrospective. — M. Gapefigue, dans 3/"» de La Vallière et les favorilei des Lrois âges de Louis XIV, un vol. in-12, Paris, 1859,' chez Amyot. — M. Feuillet deConches^ dans ses Causeries d'un curieux, tome II, in-8, Paris, 1862, chez H. Pion. 1 Notre philosophe historien, M. Cousin, malgré son enthousiasme pour M" de Longueviile, n'a pu méconnaître M"» de La Vallière. Il a été heu- reux pour être admis à voir et à lire la première lettre adressée à M"" de La Vallière par Louis XIV, dont le possesseur ne semble pas se décider encore à donner connaissance au public. Vojez à l'Appendice. * On a cilé dans le cours de cet ouvrage les peintres modernes qui ont re- produit la figure de iM"" de La Vallière, M Horace Vernel, M. Caro, etc. " M. Arsèn.^ Houssaye n'a seulement pas raconté M"»" de La Vallière, il l'a chantée. Nous savons les diverses critiquas adressées à son œuvre, qui manque de gravité dans la manière et dans le ton, ^'ous croyons qu'on l'accuse à tort de n'avoir pas étudié son sujet et de n'avoir pas procédé en historien. Mais il a un peu forcé les couleurs; sa plume abonde de nuances éblouissantes; on aurait voulu, à bon droit, plus d'austérité. M. Adolphe Mony est l'auteur d'une pièce de théâtre en vers, sur sœur Louise de la Miséricorde. On a déjà dit dans le cours du livre les mérites el le talent de cette tentative du jeune auteur. Un critique, plus compétent que nous, M. Louis Reybaud , a déjà reconnu l'art éprouvé et l'inspiration vi- goureuse » que révèle cette élude dramatique, et les belles perspectives qu'elle ouvre devant l'auteur. * M. Damas-Hinard, le savant traducteur des grands dramatistes espagnols, Calderon, Lope de Vega, etc., du Romancero, de don Quichotte, faisait, il y a quelques années, une découverte qu'il annonçait ainsi Parmi les raretés que possède la Bibliothèque du Louvre, il existe un livre qui est, selon nous, le p\\is précieux joyau de son trésor. C'est un petit volume in-18, d'as- sez pauvre apparence, intitulé Réflexions sur la miséricorde de Dieu, par une dame pénitente. — Cinquième édition augmentée, 16S8. Feuilletiz ce petit volume; toutes les marges, sur le côté, en haut, en bas, sont couvertes de corrections tracées à la main, d'une écriture du xvii» siècle, ferme, énergique, rapide. L'auteur de ce livre qui a voulu se cacher sous le voile d'une dame pénitente, c'est M"* de La Vallière; l'auteur des corrections marginales, c'est Bossuet. > M. Damas-Hinard estimait sa découverte grande, à cause des deux noms de Bossuet et de M" de La Vallière. Une discussion s'engagea aussitôt pour décider si les corrections étaient vraiment de Bossuet; on entendit, pour ou contre, Sainte-Beuve, Romain-Cornut, M. de Sacy, Arsène Houssaye, M. Ga- pefigue. Ou a tour à tour affirmé et nié que les corrections fussent vraiment de l'écriture connue de Bossuet. On a aussi prétendu, qu'entre l'expression première et l'expression corrigée, celle de M"» de La Vallière était la plus éloquente. Voyez à V Appendice. 5 Rien de rare comme les autographes de M"»* de La. Vallière. Ceux de Marie-Thérèse d'Autriche le sont autant. On peut voir, par le catalogue 744- MADAME DK LA YALLIÈRE avec plus de netteté, parce que notre époque abonde en chercheurs qui ont la passion de l'exactitude en toutes choses; ce type est resté identique à lui-même, toujours éclatant et pur, toujours digne d'éveiller dans les générations successives l'écho sympathique des âmes sensibles. Mais il est nécessaire, dans le chapitre suivant, qui va clore notre récit historique, de jeter encore un dernier regard sur les deux tombes qui se sont fermées, sur celle de M""^ de La Vallière et sur celle de Marie-Thérèse d'Autriche. 11 reste des préventions à dissiper et des leçons à dégager. des ventes publiques, quel prix on attache en France à la moindre relique de M"» de La Vallière. Le 8 avril 18ii, on vendait loO francs une de ses let- tres autographes, de deux pages in-8 vente du cabinet de M. L..., cata- logue Charon. — Le 8 décembre ISia, on vendait, au prix de 23» francs, une lettre signée Louise de la Miséricorde, à l'évêque d'Avranches même catalogue. — Le 5 février 1844, on donna 300 francs d'une lettre de trois pages in-8, à l'évêque de Soissons même catalogue. D'autres catalogues indiquent des sommes de 78 fr., 196 fr., 132 fr., 162 f r. , pour d'autres let- tres autographes. Voirie livre de M. Arsène Houssaye, page 431. La question de l'aulhenticiié des porlrdits de -M°" de La Vallière est tou- jours sans solution. M. P. Clément donne la liste des gravures et portraits de M"" de La Vallière, indiqués par le père Lelong ; il énumère les portraits gra- vés de la duchesse, qui se trouvent aux estampes de la Bibliothèque impé- riale. M. Sou lié, conservateur du musée de Versailles, n'a pu arriver à une solution de la question. Cependant, nous avons assisté à des ventes publiques de portraits et d'é- maux de la duchesse; la plupart ont été emportés en Angleterre. CHAPITRE ONZIÈME Pourqucfi la célébrité qui suivit 1^ tombe de M°" de La Valli^re, et l'obscu- rité ouest restée Marie-Thérèse. — Difïrrents types de grandeur humaine discutés. — Phénomène historique des personnages oubliés. — Comment Bossuet est cause de l'effacement de Marie-Thérèse, dans la mémoire de la postérité. — M"" de Maintenon, cause plus directe de l'oubli de la reine. — Figure politique de M'" de Maintenon. — Si Marie-Thérèse aurait signé la révocation de Tédit de Niintes. — Opposée par ses instincts au terro- risme exercé sur les consciences. — Mission respective de Marie-Thérèse et de M""" de La Vallière. — Grandeur de leur personnalité réelle. — Un souvenir de M"' de La Vallière, à Glichy-la-Garenne. — Refuge de Sainte- Anne. — Partialité de M. le duc de Noailles, historien, en faveur de M"= de Maintenon au détriment de Marie-Thérèse. — Quelles leçons se déga- gent de la vie et de la mort de M"" de La Vallière et de celle de Marie- Thérèse d'Autriche. On ne doit pas s'éloigner de la tombe de ces deux fem- mes, sans indiquer deux points qui ont une réelle im- portance 1° pourquoi la mort consacra à jamais la. célé- brité de M™^ de la Vallière, tandis que celle de Marie- Thérèse d'Autriche n'a été suivie que d'obscurité et d'ou- bli ; 2" quelle fut la mission respective de ces deux femmes, dont la double existence fut si souvent entremêlée par la force des événements? Quelle est la grandeur réelle de leur personnalité ? enfin quelles leçons se dégagent de leur vie et de leur trépas? C'est surtout du côté de Marie-Thérèse qu'on doit insister, parce que, de ce côté -là principale- ment, doit être renouée la chaîne interrompue des sou- venirs. Du fond du monastère des Carmélites de Saint- Jacques, comme de la chambre à coucher de la reine de France à 746 MADAME DE LA VALLIÈRE Versailles, on peut voir naître, comme on les verra ensuite grossir, dans le cours des âges, deux courants d'opinion, d'où nous verrons éclore, à son lour, celle de la postérité sur ces deux femmes. Examinons le jugement que porte d'elles l'histoire, et demandous-nous s'il y a rien à y ré- viser, si Marie-Thérèse et M°> de La Vallière sont appré- ciées avec justice et selon leur valeur réelle, si chacune est à sa légitime place, et s'il vaut la peine de leur conserver à toutes deux un souvenir impérissable. 11 est inutile de tenter des efforts en faveur de M"^ de La ValUère, puisque depuis sa mort, les générations succes- sives se sont attachées à sa mémoire, et l'ont déclarée inté- ressante. 11 s'en faut qu'on ait traité de la même façon l'épouse de Louis XIV ; et c'est cette anomalie qui demande seule à être expliquée. M"^ de la Vallière a pu être quelquefois mal jugée ; on a pu ne pas faire en elle assez équitablement la part pro- fane et la part chrétienne ; cependant en général on ne s'est pas trompé envers cette intéressante figure historique, et nous lui gardons la mémoire du cœur. L'amour et la pé- nitence de la duchesse de'La Vallière, dit un de nos écrivains actuels ^ tiennent une place considérable parmi les souve- nirs du grand siècle, qui ont tant de vogue de nos jours. Cette belle et touchante figure s'imposait, en quelque sorte malgré elle, à l'attention de ses contemporains. La postérité a encore enchéri sur leurs sympathies, ou plutôt la du- chesse de la Vallière demeure à jamais la contemporaine de tous les cœurs nobles et sensibles. Ses taches même sont celles d'un astre, et l'on pourrait presque dire heureuse la faute atténuée, d'abord par une affection si profonde, si dé- sintéressée, puis expiée, par une si radieuse transformation de l'amour profane en amour divin. t ' Le b;iron Ernouf, réflexions criliques sur le livre de M. P. Clément iUèflexio}is sur la miséricorde. CHAPITRE ONZIÈME 747 Ce souvenir, à la fois austère et gracieux, semble em- prunter un nouveau charme au contraste saisissant qu'il présente avec les mœurs du jour. Les égarements de l'a- mour ont rarement aujourd'hui l'excuse de la sincérité et du désintéressement. La passion germe difficilement, le re- pentir plus difficilement encore dans des cœurs desséchés par le scepticisme religieux et moral. » Pourquoi en a-t-il été autrement pour la reine Marie-Thé- rèse d'Autriche, 'pourquoi la mémoire de la nation a-t-elle subi ici quelques défaillances ? Ce n'est pas la première fois, sans doute, qu'on trouve de ces lacunes dans le tissu de la tradition nationale, et de ces desiderata, dans la mémoire défectueuse des hommes. Si tant de personnages vrai- ment méritants sont, par des circonstances diverses, tombés au rang de personnages oubliés, effacés, inconnus, on doit, dans le cas actuel, signaler un des faibles du monde, qui, la plupart du temps ne se passionne guère pour les vaincus, et garde souvent, des siècles durant, des opinions bizarres, nées du hasard, et continuées par la routine. L'on peut accuser Bossuet d'une part, et M""^ Maintenon de l'autre, d'avoir contribué sans le savoir sans doute, mais comme cause efficace, à la répartition inégale de la célébrité que le temps a soustraite à la tombe de Marie- Thérèse d'Autriche, pour la reporter sur celle de M""^ de La Vallière.. C'est ce qui va être déduit des faits. Tout a quelquefois dépendu de la maladresse ou de la dis- traction des contemporains. On comprend, lorsqu'on a sem- blé dédaigner la société de son temps, que celle société se venge à son tour par le dédain. Que fera-t-elle plus tard, si les contemporains ont adopté la conspiration du silence, s'ils ont eflacé toule trace du héros ou de l'honnête homme, s'ils ont amoindri ou détruit les témoignages de son excel- lence morale? Or, l'histoire peut accuser ici Bossuet d'une complicité, bien indirecte sans doute, même bien incons- ciente. Elle peut reprocher à ce grand homme chargé de 748 DE LA VALLIliHE redire officiellement devant la France attentive les qualités et la vie de la reine, de n'avoir pas assez mis en lumière l'éducation morale et les mérites personnels de Marie-Thé- rèse*. Quand on est un Bossuet, on peut contribuer, parles jugements restrictifs qu'on émet, à la distribution de la re- nommée et à l'opinion que la postérité s'est formée touchant certains personnages du xvii'^ siècle. Il y a lieu de s'étonner qu'on n'ait entrevu, pas plus dans notre époque libérale qu'au temps de la Bruyère et de Féne- Ion, ce que le siècle de Louis XIV, vu du côté de la reine, pouvait offrir de réflexions instructives. Qui n'aime le genre solennel, puisque le solennel tient à la magnificence, et que la magnificence est l'ordinaire expression de la grandeur terrestre? Le solennel est la forme même de la majesté, et le majestueux équivaut au divin pour l'humanité. Cepen- dant nous osons n'aimer que médiocrement le solennel, par la raison qu'il est trop voisin, chez l'homme, de V affectation. Que d'individualités, pompeuses en apparence, sont quel- quefois réellement mesquines, odieuses même ! Quelle épo- que plus solennelle que celle de Louis XIV? mais la cor- ruption n'en occupa moins une place immense dans les mœurs de cette société et de ce règne ; en sorte qu'on eut le spectacle dégoûtant de la solennité dans l'ignominie. Que préférer, de la honte qui cache sa confusion dans les ténè- bres ou de la laideur morale, qui chaussant le cothurne et s'affublant d'un pédantesque manteau, joue à la pompe et à l'austérité ! ' Bossuel fut, au xwi' siècle, le Parinide Marie-Thérèse. Au xviii» siècle, Guiseppe Parini, le poëte d'7/ Giorno, la plus grande renommée de l'Italie autricliienne, s'était illusiré dans une controverse littéraire; il défendit la cause des littératures municipales et de la poésie populaire contre les défen- seurs exclusifs de la langue toscane. On songea à lui, à cause de son talent et de sa renommée, pour faire l'éloge de Marie-Thérèse, impératrice de Hon- grie. Bossuet était aussi grand poète que Parini. On le chargea ofRcieliament de l'éloge de la reine de France, à cause de son talent exceptionnel, et parce qu'il était le roi de l'éloquence française. Bossuet eut un mois pour chercher son projet, le méditer, en établir les assises; il prononça son discours le i" septembre 1683, et la reine était morte le 30 juillet. CHAPITRE ONZIKMR 740 Qu'en observant la vie de la reine Marie-Thérèse, on dise que cette noble descendante des Habsbourg a pris rang dans ce groupe des glorieuses oubliées, dont la trace s'efiace et disparaît à la la longue, nul ne verra la nécessité de contre- dire cette assertion. La femme de Louis XIV produisit une sensation relative comme en produisit six cents ans aupara- vant, Matbilde de Flandre, à une époque de conquête et de barbarie ; mais disparue de la scène, elle n'est pasplusl'objet des entretiens des généralions, que la femme elle-même de Guillaume le Conquérant, couronnée cependant avec tant de pompe, reine d'Angleterre, à Londres en 1068. Ce n'est pas un phénomène rare en histoire, que ce voile d'oubli jeté sur des personnalités méritantes; Marie-Thérèse d'Autriche n'a fait que partager la fortune de mille autres existences éteintes, qui eussent dû occuper une autre place dans la mémoire et dans les traditions du genre humain. Une femme, celle de Guillaume le Conquérant, avait été mêlée aux grands événements du xi siècle, à tous ces grands ftiits qui se nomment l'invasion de l'Angleterre, la réunion de la couronne d'Angleterre à celle de Normandie, la vic- toire de Hastings sur le roi Harold, le couronnement à Lon- dres, la compression et la révolte des Anglo-Saxons, la ré- bellion de son fils Richard, dont la mort dans la Forêt- Noire fut si tragique, les dévastations commises par son mari, depuis Rouen jusqu'à Nantes, pour venger un mot de Philippe P"" roi de France. L'histoire prononce à peine le nom de cette femme du célèbre duc de Normandie, qui disparait effacée sous la grande figure de Guillaume. Pour- quoi les récits de ces vieux temps ne nous ont -ils pas laissé de plus longs détails sur Matbilde de France, si douce et si portée à la clémence, » disent les seuls récits qui parlent d'elle, plus grande que les conquérants par ses vertus et par son beau et noble rôle de femme, tantôt s'interposant entre les colères de son époux et les intérêts de son fils Richard coupable et révolté, tantôt obtenant par 750 MADAME DE LA VALLIÈRE ses prières et par ses larmes un peu d'indulgence pour les malheureux Saxons, adoucissant, si elle ne les désarma point, les terribles vengeances auxquelles Guillaume se porta autant par caractère que par politique ? Le frère puîné de Gharles-Quint, Ferdinand P', est un autre exemple des jeux de la destinée. Ni les contem- porains, ni la postérité n'ont été justes à son égard. Et cependant, à côté du brillant et universel Gharles-Quint, apparaissant de contrée en contrée pour y dérouler par la guerre ou par la diplomatie ses profondes conceptions de domination européenne, quel rôle que celui de ce frère confiné en Allemagne, simple lieutenant, bien qu'il fût souverain et spécialement chargé des besognes ingrates! Et pourtant, il y avait mieux qu'un comparse dans cet élève d'Erasme, lettré, délicat dans ses mœurs, qui se tacha de sang, comme les autres rois de son époque, mais non par plaisir ou indifférence ainsi qu'eux, et seulement quand l'exigeait la raison d'État , admise en ce temps odieux comme une suffisante excuse. L'homme qui, dans des cir- constances pareilles, sut garder sa politique propre; dont l'habileté accrut de la Hongrie, de la Bohême, de l'Empire, ses États héréditaires ; qui osa soutenir à Rome un système de réforme et de conciliation, eût mérité que les historiens attachassent sur l'œuvre de sa vie un regard moins dé- daigneux *. » Sans discuter la grandeur du rôle attribué à Ferdinand P"', par qui se reliait la chaîne dans la succès- . sion des Habsbourgs allemands, on doit remarquer que c'est le rayonnement de Gharles-Quint, qui éteignit dans sa splendeur l'éclat de son frère Ferdinand, de même que ce fut le renom de Louis XIV qui absorba l'obscurité de sa modeste femme. Mais on retrouverait surtout au xv^ siècle, le plus complet exemple de l'ingratitude de l'histoire, dans une femme pleine » H. Rolland, dans son Histoire ah irgèe de l'Autriche. CHAPITRE ONZIÈME 751 de mérites entre toutes, dans la personne de Jeanne de France, femme si supérieure à son sexe, et cependant de- meurée pour ainsi dire inconnue. Un des derniers hiogra- phes de la fille de Louis XI *, s'étonne que cette vie sublime de Jeanne de Valois soit si ignorée dans ses détails les plus intéressants. Il se plaint' que l'histoire et la biographie n'aient connu ni le jour, ni le mois, ni même le lieu de sa naissance; il trouve étrange qu'on ait laissé dans l'oubli une femme qui, sur le trône, fut une expression parfaite de l'épouse chrétienne; il estime enfin, comme un devoir, l'obligation de faire revivre une existence que pas une souil- lure morale, pas un acte en opposition avec les dogmes reli- gieux, pas une goutte de sang versée, n'ont jamais flétrie. C'est ainsi qu'apparaît, dans l'histoire, le phénomène de l'obscurité et de l'oubli imposés à quelques noms , pour lesquels ne s'obtient qu'à la longue une justice tardive. Ce n'est pas toutefois une raison d'absoudre l'aigle de Meaux. Sa robuste main ne sut pas écarter ce qui est l'écueil du souvenir; et Marie-Thérèse a passé comme un météore, en s'éclipsant dans le rayonnement du grand siècle, Bossuet et Fléchier ne pouvaient sans, doute aborder cer- tains côtés de la question. Bossuet ne touche que fort dis- crètement et par allusion indirecte aux chagrins de la reine. Fléchier n'a que cette phrase Ne sondons pas ce qui se passait entre Dieu et elle. Les gémissements de la colombe doivent être laissés à la solitude et au silence à qui elle les a confiés. Il y a des croix dont le sort est de demeurer cachées^. ^ Assurément un grand évêque, à qui son caractère imposait la retenue, ne pouvait se livrer aux philippiques de la dé- mocratie moderne, qui ne -se fait pas faute de représenter la société de Louis XIV, comme une brillante orgie, où la consigne universelle était d'aimer, oi^i on lisait ce mot 1 M. Pierquin de Gembloux. * Oraison funèbre prononcée au Val-de-Grâce, le 24 novembre 1683. Paris, Mabre-Cramoisy, in-^", p. 29. 752 MADAME DF-. LA VALLlKRE d'ordre écrit sur tous les murs de Versailles, sur toutes les portos du palais; où, Tètes, chasses, promenades, bals, galas, feux d'artifices, grands appartements, opéras, comédies, farces , arlequinades, ne faisaient résonner que ce mot — aimez-vous. Toutefois, si l'on ne pouvait exiger du grand orateur des sorties indignes de son caractère, on aurait pu s'attendre à autre chose dans le cercle même de ses convenances. Quand on ouvre le recueil des Oraisons funèbres pronon- cées par Bossuet, sur les personnages de son temps, on y trouve celle de Marie-Thérèse d'Autriche, reine de France et de Navarre, et l'on doit se hâter de reconnaître que, malgré la hauteur qui n'abandonne jamais l'aigle de Meaux, son discours fut relalivement pâle ; il ne tira point de son sujet le parti qu'on aurait voulue Et, en parlant ainsi, il faut prendre garde de dire que Bossuet n'a pas été éloquent ; ce serait méconnaître les touches pleines de finesse qu'avait ce "-rand homme, en dépeignant la délicate conscience de la reine, relativement aux fautes et aux manquements journa- liers ; ce serait ne pas comprendre la grande et originale manière avec laquelle l'orateur dit tour à tour les illustra- tions de la maison d'Autriche et de la maison de France, réunies dans la personne de Marie-Thérèse. Qu'on prenne f^arde aussi , en critiquant Bossuet dans son Oraison funèbre de Marie-Thérèse d'Autriche, d'insinuer qu'il manqua ce jour-là de grandes idées et de profonds aperçus. On se mon- trerait déplorablement étourdi. Le seul exposé de l'inter- vention de la Providence dans les choses humaines, qu'il ne borne pas à des vues générales et confuses , mais dont il retrouve les desseins dans les choses particulières, dans le choix des familles qui forment les nations, dans celui des individus qui jouent un rôle dans les lamilles et dans les nations , ce seul exposé nous montre ici comme partout, ' Le même reproche porte sur Fléchier, qui fit également un éloge funèbre le 24 novembre 1683, avec la JiUrrenoe qu'il n'avait pas le génie de Bossuet. CHAPITRE ONZIÈME Tfjiî dans Bossuet, cette élévation du regard, cett^e haute portée d'esprit qui ne pouvait jamais l'abandonner. On a cependant dit que Bossuet n'eut pas l'occasion devant les restes mortels de Marie - Thérèse d'Autriche d'être éloquent. » Nous citerons les pages d'une commisération un peu dédai- gneuse, émanées, à cet égard, d'un écrivain de ce temps; elles sont assez réfutées, il nous semble, par tous les chapi- tres de la présente histoire qui ont tâché de faire connaître une femme, que l'on s'habitue trop à juger sans l'avoir étu- diée. Il nous est impossible, dit cet écrivain élégant et d'ail- leurs réfléchi, de nous séparer de Marie-Thérèse sans atten- drissement. Pauvre reine inutile, et plus misérable dans son palais qu'une sujette ! Nous l'avons prise sur les bords de la Bidassoa, si gracieuse dans sa timidité, puis si glorieuse de son bonheur I Anne d'Autriche s'empara de l'infante et ne lui laissa même pas les séductions de la jeunesse. Cette fille d'Espagne vieillit et s'aigrit avant l'âge, par la faute d'une tutrice déjà vieille et sombre. Elle n'a pas même , dans ses ennuis, le courage d'une noble résignation. Sa vertu naturelle et sans éclat n'avait point d'action à la cour ; avec de plus grands dehors, une contenance plus ferme, elle eût été contagieuse dans de certaines limites , et les âmes hon- nêtes, éparses çà et là, auraient bientôt formé groupe autour du trône. Quand Marie-Thérèse abandonna la terre, on la vit au ciel ; personne ne pleura *. Son panégyriste sacré, si terrible dans l'oraison funèbre de Madame, n'eut pas même dans celle-ci ï occasion d'être éloquent. La parole tonnante du prédicateur s'apaise et coule doucement, sans aucun de ces sur- sauts qui bouleversent. Ce sont des louanges sereines comme on en adresse aux élus; les textes les plus consolants de l'Ecriture sainte viennent s'enchaîner l'un à l'autre dans ce calme discours Sine macula ante thronuïjx Dei.., Ambu- • M. Babou se trompe ici du tout au tout, — voyez à Y Appendice, la note sur la mort de Marie-Thérèse. 48 784 MADAME DE LA VALLIÈRE labimt mecumin albis... Virgines enim simt... Hi sequuntur Agnum... Elle était de ces âmes blanches, virginales, imma- culées, qui brillent devant le trône de Dieu et suivent l'A- gneau,.» Puis le sublime orateur place ces humbles mots dans la bouche de Marie-Thérèse Neque ambulavi in magnis, non est exaltatum cor meum, neque elati sunt oculi mei. Je n'ai point marché parmi les grands, mon cœur ne s'est point élevé, et mes yeux sont restés baissés. » C'est là justement sa faute ou plutôt son malheur dans le rang suprême où Dieu l'avait mise. On a déploré souvent, avec des éclats de voix pathétiques et toutes les exagérations d'une sensibilité théâtrale, le sort des grandes âmes incomprises, retenues par la fatalité dans des conditions misérables, a quel- que chose de plus triste au monde; c'est la destinée d'un esprit modeste enclavé dans les gênes do la grandeur hu- maine *. Ce n'est pas l'historien de M"" de La Vallière qui repro- chera [à Bossuet de n'avoir pas été éloquent , ou de n'avoir pas eu l'occasion de l'être dans son discours sur Marie- Thérèse. Et ne l'est-on pas déjà, lorsqu'on apporte une âme profondément émue, lorsqu'on parle devant un roi qui perd la meilleure des épouses, devant un fils qui pleure une mère si parfaite? Écoutons Bossuet, le 1" septembre 1683, dans l'église de Saint-Denis, en présence même des restes de la ' M. liippolyte Babon, ilSin' Amoureux de M'^^ de Sévigné, p. 162. — » On voit que M. Babou s'est contenté d'un à-peu-près sur Marie-Thérèse d'Au- triche; ce qui l'a conduit à se faire simplement l'écho de la routine et du préjugé, dans sa manière de juger la reine. Nous savons bien assez que la vie de Marie-Thérèse a été très-effacée; mais l'intérêt historique était de re- chercher la nature de cet effacement, ses causes, ses origines, sa signification. M. Babou, qui nous représente Mario-Thérèse, sous la tutelle absorbante d'Anne d'Autriche, devrait d'abord se mettre d'accord avec un témoin de la cour de Louis XIV, avec M""» de Motteville. Cette dernière, racontant les bruits de son temps à la mort d'Anne d'Autriche, nous apiircnd que, d'après l'opi- nion publique, Marie-Thérèse ne fut pas exces-^ivement désolée de la mort de sa tante. Et la raison qu'on en donne, c'est que la jeune reine était impatiente de saisir une influence que, par égard, elle avait consenti k partager avec sa royale belle-mère. CHAnTlU manière de piHé et d'humilité » très-accentuée, avec les convenances et les pompes oflicielles et ce mélange de la cordiale bonhomie d'une simple femme chrétienne et de la dignité silencieuse d'une reine mé- connue et résignée. CHAPITRE ONZIÈME 7o7 reconnu, est peu commode pour dire la vérité historique et la vérité tout entière. Les historiens seuls peuvent discuter si ce sont seulement les méchantes qualités qui sont péril- leuses, dans ceux que la Providence a placés au rang su- prême, et si les plus nobles vertus développées hors de propos ne jettent pas quelquefois dans des précipices- pro- fonds. Nous ne dirons pas de Marie-Thérèse, comme Cha- teaubriand de Henriette-Marie de France, veuve de l'infor- tuné Charles P"", qu'elle serait morte oubliée si Bossuet ne s'était emparé de ce grand débris de la fortune pour l'illus- trer de tout son génie. Néanmoins si Bossuet avait rendu à chacun ce qui lui revenait, il aurait dû. faire le procès à ces courtisans toujours les mêmes, si peu empressés autour de cette reine, dont ils sentaient les mains vides de toute l'in- fluence que Louis XIV retirait à lui. Un vieux petit livre de politique, imprimé à Cologne en 1665, assure qu'oîi estime peu ceux dont on n'a pas besoin Histoire du Traité des Pyré- nées. Il eût convenu peut-être à la sainte indépendance de la chaire chrétienne, de dire cette vérité à la misérable hu- manité. Le père Bonaventure de Soria, espagnol d'origine, pu- blia en 1683, le lendemain de la mort de la princesse, une notice très-abrégée de sa vie, dans le genre des vies édifiantes qu'on aimait au xvii^ siècle. On en trouve quel- ques exemplaires dans les bibliothèques de Paris ; Madrid en possède aussi, en langue espagnole. Cette incomplète biographie, rédigée à un point de vue exclusif, ne nous fait pas connaître la femme de Louis XIV. Bonaventure de Soria était le dernier des directeurs spirituels de la reine de France et de Navarre. Au lieu de supputer uniquement combien de couvents la très-auguste et très-vertueuse princesse avait fon- dés en France, on aurait aimé que cette nature espagnole fût mieux étudiée et plus approfondie, et que son premier biographe, nourrissant son récit de documents et de faits, nous eût donné une de ces relations animées et vivantes, qui 788 ' MADAME DE LA VALLIÈRE aurait allié cette importante bienveillance et cette douce ironie, qui sont les conditions delà véritable histoire, d'après l'éniinent historien des ducs de Bourgogne. Nous posséde- rions une biographie développée et entière, qui eût fait revivre Marie-Thérèse à nos yeux; nous aurions vu cette reine digne et grande de majesté, sinon de taille, passant à travers la réunion de ce juc l'esprit français eut jamais de plus étincelant, respectée à la cour, saintement résignée au milieu de ses incessantes peines, reconnaissante de l'affection natio- nale qui honora aux heures sérieuses ses mérites et ses ver- tus. Tel n'est pas le programme qu'a suivi Bonaventure de Soria. Ses cinquante pages ne nous donnent qu'une vie de recluse, écrite à la hâte au fond d'une cellule. On necon- naissait pas, de son temps, cet art nouveau de recomposer la vie quotidienne et les sentiments intimes des siècles qui ont disparu, et qui est la psychologie importée dans l'histoire. » Une vie d'Isabelle de Bourbon avait paru en langue espagnole, à Saragosse, en lGi4i. On se serait attendu à y » Vita de Isabel de Borbon, por Michelli ; en Saragoca, 1644, 22 pages. Nous possédons une Vie de Philippe IV, imprimée en espagnol, à Barce- lone. Mais, comme son auteur, Cespedes y Menesses, la publia en 1634, elle est non avenue pour la femme de Louis XIV, qui ne naquit que quatre ans après. Il est curieux de voir combien Henrique Florez, écrivain espagnol du \\m' siècle, est pâle, incolore, stérile de renseignements sérieux dans un flot abondant de détails puérils. Ses Memorias de las Retjnas cntholicas, historia genealugica de la casa real de Castilla, y de Léon, imprimés à Madrid, en 1761, ressemblent singulièrement à de» registres d'hôtel de ville, pour l'inscription des naissances et des décès. Cet auteur consacre plus de quarante grandes pages in-4'', à raconter la vie et les faits de Dona Isahel de Boibon, pri» mera muger del Hey D. Phelipe IV et de Dona Mariana de Auslria, segunda muger del Rey. Il s'étend sur les diverses naissances des princes et princesses que Philippe IV eut de ses deux femmes; il raconte en détail, à chaque bap- tême, la cérémonie qui toujours se hizo solemnissimamente con un acompana- mienlo, galas, y joyas, etc., etc.; il constate avec une ponctualité somptueuse que ia pompa de la corte fue quanta puilo ser. 11 tient note, avec une égale exactitude, de tous les déiès des enfants d'Isabelle de Bourbon, et nous fait assistera une procession peu souriante de convois qui se dirigent aux sépul- tures royales de l'Kscurial. Il ne mantiue jamais à sa formule Trageron su cverpo al Escorial con indecible sentimiento del Rey, etc. Ou se serait attendu. CHAPITRE ONZIÈME 769 rencontrer quelques révélations sur la première enfance de Marie - Thérèse, Son auteur se borne à nous apprendre qu'elle était, avec le prince Balthasar Carlos, son frère, aux côtés de sa mère mourante, et n'ajoute pas d'autres par- ticularités sur la fille d'Isabelle de France Yasi murio Isabel de Borbon, teniendo à su lado dos higos el principe D. Balthasar Carlos y D* MaiiaTeresa, infanta de Espana. » Mais en France, lorsque l'histoire commençait pour le xvn* siècle presque tout entier disparuavec ses acteurs ; quand, au xvni, Saint-Simon et Voltaire, prenant la plume, se mirent à peindre les figures du siècle qui les avaient pré- cédés, une large étude physiologique et historique de Bos- suet sur Marie-Thérèse d'Autriche, n'aurait-elle pas, en pesant dans la balance, fixé les principaux linéaments de cette figure, et appelé l'attention et l'investigation? Sans être un idéal complet, il résulte des faits que Marie-Thérèse est une chaste figure, douce et intrépide aussi, que rehaus- saient aux yeux des peuples la beauté physique et la sainteté de l'âme. Si son esprit, son organisation et son temps l'eus- sent portée aux entreprises héroïques, son cœur l'aurait ra- menée aux douces et tendres préoccupations de son sexe. Tandis qu'en Espagne , Isabelle la Catholique, paraissant sur les remparts de Grenade, pendant les horreurs du siège, avait bravé les périls pour encourager les soldats et les ex- citer à la victoire, Marie-Thérèse adopta en France un rôle aussi intéressant et plus conforme à la nature de la femme. Nous la trouvons dans les hôpitaux, aidant les sœurs de à voir ce bizarre chroniqueur si bien placé aux sources, en profiler lar- gement dans l'intérêt de la biogrHplue de notre princesse. Or, ce n'est ni à l'enfance, ni aux années de jeunesse de Marie-ïhérèse que llenrique Florez songe à nous initier. Voici tout ce qu'il nous apprend Maria Teresa nacida en 20 de setiembre del 1638. Cuyo baulismo fue en el 7 de octubre. Esta Infanta casa en el 1660 con el Rey de Francia Luis XIV. De cuyo tronco salià la flor de Lis, paire de nuestro calhoUco monarca D. Carlos, que Oios guarde. L'est tout ce qu'un moine espagnol de l'ordre de Saint-Augustin a jugé à propos de nous révéler des années premières de l'infante, reine de France. 760 MADAME DE LA VALLIÈRE charité, soignant les malades, souriant aux affligés et aux petits, pleurant avec les mourants. Elle passait quelquefois à cheval ou en carrosse devant le front des troupes. Retirée dans son oratoire, ou bien assistant aux cérémonies saintes, elle fut un type éminent des natures dévouées à leur foi religieuse. Au foyer de la famille, nous devons la proclamer un des rares modèles de l'épouse et de la mère, sachant s'abdiquer, souffrir et se taire, se préservant au milieu des difficultés des cours, de la corruption qu'on y respire , comme de l'entraînement des passions politiques. Enfin, il est impossible de parcourir sans attendrissement le récit de sa vie qu'anima toujours une pensée de patriotisme , de patience et de piété. L'objet de ses plus légitimes amours, de son unique affec- tion, lui fut, hélas! vivement disputé par de redoutables rivales. Une s'était distinguée entre toutes les autres, femme triomphante et douce, celle-là même qui a occupé le pre- mier plan de cette histoire, et qu'on ne peut jdIus séparer de Marie-Thérèse. L'une de ces deux femmes avait com- mencé par l'amour profane et fini par la religion ; l'autre n'eut pas à changer de chemin dans sa vie. Si elle a marché invariablement dans le devoir sans se laisser séduire par les frivolités pompeuses de la plus brillante cour du monde, si la monotonie de l'existence n'a été rompue, dans Marie- Thérèse, par aucun grand contraste , si sa vie commencée sur les marches d'un trône a fini sur un autre trône; elle n'en a pas moins connu, senti, sous le velours et sous l'éclat de la couronne, la loi d'égalité dans la douleur et les iro- nies de la destinée. Par conséquent, si Bossuet avait ainsi pris les choses, il est possible que Saint-Simon et Voltaire nous eussent donné à sa suite un portrait historique de la reine Marie-Thérèse, avec ces analyses pénétrantes dont ils avaient le secret. D'ordinaire, mondains et satiriques, ils se sont exprimés à l'égard de la reine sur le ton d'une véné- ration et d'une sympathie marquée, et on déplore qu'ils CHAPITRE ONZIEME 761 n'aient regardé qu'en passant cette figure historique. Après avoir dit que les historiens se sont fatigués à ne rien dire de cetle princesse, » Voltaire a eu le tort de les imiter; et Marie-Thérèse a eu celui d'être grande et modeste , comme dans les Leaux âges des vieilles républiques, surtout comme dans les siècles héroïques du christianisme. La beauté mo- rale d'une conscience intacte ne sauve pas toujours une mé- moire. Après Bossuet, dont la responsabilité n'était engagée que fort indirectement dans cette question, on doit nommer sur- tout M""^ de Maintenon, qui a pris, elle, une tout autre part dans l'effacement de Marie -Thérèse d'Autriche. Elle eut le tort de succéder à la jeune reine, comme épouse légitime de Louis XIV. M™ de Maintenon se présente dans l'histoire comme une femme politique. Elle avait de hautes facultés» une raison éminente, un caractère très-accentué ; son voisinage a incontestablement nui à la première femme de Louis XIV. Il nous plaît, dans nos temps démocratiques, de voir une simple sujette s'élever au rang suprême par son mérite et son habileté. On peut, en admirant la raison de M" de Maintenon, n'avoir de sympathie ni pour sa nature, ni pour son caractère, ni pour son rôle à la cour, ni pour ses diverses manières d'agir ; il nea est pas moins vrai que son éclat et sa destinée extraordinaire ont fait oublier Marie- Thérèse. Il est un danger qu'on n'a pas su éviter, en cherchant selon quelle mesure il faut apprécier et comparer les supé- riorités historiques. Lorsqu'on est en présence de Marie- Thérèse d'Autriche, on se demande si c'est l'élément de la force qui doit l'emporter dans l'estime publique; ne serait-ce pas plutôt celui de la bonté intime qui devrait déterminer la plus grande popularité ? M""^ de Maintenon ayant brillé à côté de Marie-Thérèse et après elle, on a cherché le secret de l'élévation étonnante de cette femme, et on a voulu expliquer l'ascendant qu'elle prit sur le roi, par des raisons qui font 762 M^DAMK DE LA VALLIÈRE tort à la princesse espagnole. C'est là le danger auquel on n'a pas su échapper. Donner la palme à M™'" de Maintenon, dire que c'est là la vraie reine, c'est sacrer par cela même l'habileté en toute chose, c'est élever au-dessus de tout l'art de se proportionner aux hommes et aux choses, c'est enfin prendre pour idéal ce qui brille", ce qui reluit, ce qui est apprêté, ce qui réussit , c'est adorer le succès, le fait. Si l'on sait au contraire, malgré les apparences, interroger la vie de Marie-Thérèse, se demander pourquoi l'empire ne revient pas à cette femme, et s'il est légitime de dédaigner la valeur et le mérite d'un personnage, par cela seul qu'il ne se jette pas à votre tête, pour mendier les suffrages, c'est faire un grand acte de discernement viril ; c'est écarter la fantasmagorie, et reconnaître que la supériorité, dans nos époques plus éclai- rées, doit revenir non à la force brute, mais à l'élément mo- ral, dans l'humanité. La seconde phase de la vie de Marie-Thérèse d'Autriche mettant en scène M""^ de Maintenon, il était à craindre que dans les jugements qu'on porterait, l'une n'eût à subir, en perte, ce que l'autre gagnerait par cette vieille habitude de l'espèce humaine, de courtiser tout ce qui réussit, tout ce qui a pompe, éclat et vogue. C'est ce qui est arrivé. M""^ de Main- tenon était douée d'une raison judicieuse et d'un charme réel de conversation ; c'en a été assez pour faire croire la plupart des femmes qui entourèrent Louis XIV essentiellement dé- pourvues de ces dons estimables. On fut surpris d'abord de voir M™*' de Maintenon réussir à captiver le monarque, user de son influence dans un but respectable, ramener le prince à ses devoirs envers la reine, faire reporter vers la reine des désirs qui s'étaient éveillés pour elle-même 1, transformer entin le roi, et arriver à lui faire goûter les plaisirs purs de la famille ^. Lorsque ensuite » Mémoire pour sercir à l'kistuire de la société polie en France, p. 4G1, l"\ul., 183;. '- Uidoirc de M"^' de Maintenon, deNoailles, t. II, p. 2i. CHAPITRE ONZIÈME 763 Marie-Thérèse eut disparu, il ne fut pas moins extraordinaire de voir la veuve Scarron devenir l'épouse légitime du roi de France, et, par son influence sur Louis XIV, passer pour être l'âme en quelque sorte du gouvernement pendant trente- deux ans. Il en est résulté qu'à force de s'occuper du récon- ciliateur, on a perdu de vue la personne réconciliée. Un docte historien de notre époque, par un zèle qu'on doit apprécier, et par intérêt pour son héroïne, s'est efforcé de rétablir dans un milieu impartial des faits qu'on n'a peut-être reprochés à Louis XIV que par suite d'un malheu- reux penchant au dénigrement. Le noble duc de Noailles a fait, dans sa belle et grande Histoire de il/'" de Maintenon, une véritable campagne, en faveur du monarque, pour atténuer, s'ils peuvent l'être, ses torts de mari et de législateur. Ce qui est certain, c'est que M. de Noailles est très-convaincu; chose remarquable, dit-il, l'exemple donné par le souve- rain, n'exerçait pas sur la nation l'influence qu'on pourrait croire * » C'est le seul prince, dit Duclos, dont l'exemple n'ait pas fait autorité sur les mœurs publiques ^. » Il était trop grand pour qu'on osât s'autoriser de son exemple 3. » Mais qu'on se mette à la place de M. de Noailles, et qu'on entreprenne ensuite d'écrire l'histoire de cette femme dont la destinée fut si extraordinaire, et qui, de simple su- jette, s'éleva à une position d'où elle gouverna la France pendant presque un demi-siècle. N'aurait-on pas, comme lui, indiqué toutce qui peut, sinon justifier, du moins expli- quer les torts du monarque envers Marie-Thérèse? N'aurait- on pas fait ressortir tout ce qu'il y eut dans le roi de véri- table grandeur? Plus on le montre délicat en matière de sen- timent, sensible à ce qui est généreux, sensé et beau, plus on le présente prompt à se détacher, et en même temps 1 ïïisl. de 3f°> de Mainiejion, t. T, p. 243. * Considérations sur les Mœurs. Nous nous permettrons de contredire no- tre homonyme ; nous pensons que l'exemple de Louis XIV fut très-malsain pour la nation. ' Hisi. de Jf° de Maintenon, loco citalo. 76i . MAOAMt; DE LA YALLIÉKE prompt à céder aux attraits de l'esprit et du cœur, plus, par cela même, on prépare des éléments de glorification pour M™" de Maintenon. Que de qualités, que de vertus, quelle force morale, quelle supériorité de raison, quelle sa- vante conduite ne fallut-il pas à cette femme, pour conquérir l'ascendant qu'elle exerça sur Louis XIV? Tel est le thème qui a effectivement inspiré l'historien d'un sens éminent* » dont le talent et le savoir ont élevé de nos jours à la renommée de M™'' de Maintenon un véritable monument. Il est indubitable que les contemporains de Louis XIV furent en quelque sorte les complices de ses coupables écarts par l'espèce d'approbation qu'ils y don- nèrent. C'est pourquoi l'historien de M""^ de Maintenon met ce point en parfaite lumière ^. On ne peut nier aussi que, par caractère, Marie- Thérèse d'Autriche ne fût timide; mais comment les longues et hautaines infidélités de Louis XIV, et l'habitude qu'il avait prise d'imposer ses volontés et ses caprices, n'auraient-elles pas réagi sur la reine délaissée? Gomment, toujours refoulée au dedans d'elle-même, n'au- rait-elle pas contracté, dans son isolement, une sorte de timidité plus grande envers celui qu'elle n'avait pas la force de haïr, et qui la récompensait si mal de l'aimer? M. le duc de Noailles, ayant à écrire l'histoire de M'"'^ de Maintenon, a laissé certains faits sur le second plan, ne devant éclairer que les faits relatifs à son héroïne. Voilà pourquoi il montre c la reine toujours silencieuse et retirée, nourrissant une tendresse timide pour son époux, occupant d'une manière presque inaperçue le premier trône du monde ^. » Si Louis XIV observe les devoirs de bienséance et d'affection sérieuse, qu'il garda toujours envers la reine *, » marié par la politique à une princesse, dont la beauté était sans char- ' C'est ainsi que M. Cuvillier-Fieury qualifie M. de Noailles, Journal des Débals Ju 20 jitnvit-r 1838. * llist. de Ji'" de Main tenon, 2» édit., t. I, p. 31G, ' Histoire de iV"" de Maintenon, 2" cdilion, t. I, p. 4oo. ♦ Ibid,. p. 316. " CHAritRE ONZIÈMK 763 mes, et dont la bonté faisait le seul mérite ' , » à en croire le noble ]iographe de M™ de Maintenon , la logique de la plaidoirie conduit bientôt l'éminent avocat à insinuer que le cœur de son client qui, de bonne heure, avait cher- ché maître, ne trouva pas auprès de la reine une défense suffisante contre les séductions 2. » Ces prémisses habilement posées, il va de soi que M"'' de Maintenon, sachant, comme plusieurs femmes d'esprit et de beauté de son siècle, donner l'exemple d'une vie dirigée tout entière par la religion, avait, par cela même, à la cour de Louis XIV, son rôle tout fait. Son œuvre à elle fut de tirer le roi du désordre, de le rapprocher de la reine, de faire triompher à la cour la réforme des mœurs ^. » C'est par la dévotion qui domina dans sa vie, et qui en fut le se- cret, qu'il faut expliquer sa conduite, bien plus que par les calculs de l'habileté dont on a voulu faire honneur à son esprit *•. » Ce n'était point assez d'exposer comment et pourquoi M""" de Maintenon persista à garder sa position à la cour, et à y conquérir une place de plus en plus intime dans le cœur du monarque ; il ne suffit pas de montrer dans ses mains le drapeau de la régularité qu'elle prétendit planter sur les scandales de M™" de la Vallière, de Montespan, de Fon- tanges. Les historiens qui écrivaient l'apologie de M™^ de Maintenon, ont été entraînés à accentuer l'effacement de la reine Marie-Thérèse, dans une proportion telle que, par la force des choses, cet effacement devint dans leur récit la preuve d'une sorte d'infériorité. Plus il manquait de dons Ibid,. p. 320. * Ibid. M. de Noailles se plaint p. 321 que les contemporains, accep- tant à la légère certaines imputations, trompent la postérité par leurs inter- prétations téméraires ou par l'ignorance de ce qui se passe réellement dans le secret des affaires. — Mais les auteurs peuvent aussi, sous l'empire d'une préoccupation exclusive et de la meilleure foi du monde, déplacer les lu- mières et les ombres. ' Hist. de M'^' de Mainteimi, t. I, p. 466. * Ibid. p. 467. 766 MADAME DE LA'VALLIÈRE et de ressources à la princesse, comme épouse du plus grand monarque du monde, plus aussi M'"*^ de MainLenon avait sa raison d'être. Or, on n'a pas manqué, et cela sans parti pris, à ce procédé, auquel les souvenirs^ quelquefois confus de M""^ de Gaylus, ont prêté un opportun concours. La reine, il faut le dire c'est M. de Noailles qui parle, quoique bonne et douce, ne possédait rien de ce qui pouvait ramener et attacher Louis XIV*, qui au contraire avait les qualités les plus propres à plaire, sans être capable, dit M"^ de Gaylus, d'aimer beaucoup. Presque toutes les femmes lui avaient plu, hors la sienne, qui souffrait en silence ses nom- breuses amours, recevait de lui des égards et un respect qui l'auraient rendue heureuse, si quelque chose avait pu la con- soler de son indifférence. Sa dévotion étroite et minutieuse contribuait encore à l'éloigner d'elle, car elle ne savait par- tager ni ses habitudes ni ses goûts- ^. C'est dans ces circon- stances que M"'" de Maintenon se trouva heureusement là pour remplir le vide d'un cœur et d'un esprit qui avaient besoin d'être occupés. Faisant même intervenir l'empire de la religion, elle se servit des sentiments qu'elle ins- pirait pour ramener ce monarque dans la voie édifiante du devoir conjugal, et obtenir qu'il reportât vers la reine des soins qui n'étaient dus qu'à elle. C'était sans doute fonder sou crédit sur une base bien solide, mais c'était aussi en faire un noble usage, et le mettre à l'abri de tout reproche 3. » En histoire, on doit se borner à assigner les origines d'un fait d'une manière générale, lorsqu'il serait délicatet impru- dent de vouloir tracer de ces origines une physionomie et * Quel argumcnl! — Dira-t-on que M™" de Montespan Dépossédait rien pour attacher Louis XiV, elle qui l'enchaîna pendant quatorze ans? Le roi se détacha d'elle pourtant. Et pourquoi? parce que le tœur humain est mo- bile, parce que tout a une fin, parce que les sentiments vifs meurent comme toute chose. Donc, que le roi, d'abord attaché à la reine, s'en soit éloigné en- suite, cela ne prouve pas contre la reine ce qu'affirme M. de JNoailies. * Tous les chapitres de la présente histoire font justice de l'assertion de M. de Noailles. J Histoire de M"» de Mainlemn, t. Il, p. 18, 19. CHAPITRE ONZIÈME 767 un tableau détaillé. Pour crayonner la figure de M™^ de Mainteiion, il n'est aucunement besoin d'affirmer _que Marie-Tliérèse mérita pendant vingt ans l'abandon de Louis XIV. Ce serait là une affirmation " énorme, qu'on aurait bien de la peine à appuyer de preuves suffisamment démonstratives. Toute personne qui* lira les historiens du règne de Louis XIV regrettera leurs efforts, d'ailleurs consciencieux, pour amoindrir les torts du monarque, au point de vue de la vie conjugale. Construire un savant étalage d'érudition historique et de jurisprudence pour conclure que Louis XIV ne faisait, dans ses infidélités et dans ses adultères, que suivre les longs précédents de la tradition royale en France*, et qu'en légitimant les enfants naturels, il suivait des coutumes établies avant lui, ce n'est pas autre chose que présenter l'isolement de la reine et son abandon comme une chose toute simple; c'est abonder dans l'absurde tendance qui vou- drait diviniser jusqu'aux plus tristes sottises royales. D'autres sont loin de soutenir les assertions de M. de Noailles, et des historiens qui le suivent Louis, avec moins de penchant aux plaisirs, eût été le plus heureux des époux. Marie-Thérèse * Quand M. de Noailles rappelle, dans son Hhtoire de M'^^ de Maintenon, que l'éclat donné par le roi à des femmes illégitimes et l'éducation royale oc- troyée à des enfants naturels ne datent pas de Louis XIV, il dit vrai. Noi;s pensons que les rois, plus que les autres, ont droit à l'indulgence de l'opinion, à cause des plus grandes séductions qui les entourent, et du pouvoir dont ils jouissent. Que ceux qui s'érigent en censeurs nous donnent la certitude qu'ils n'auraient pas failli là où les autres sont tombés. Toutefois, Louis XIV mit dans les irrégularités de sa vie privée un faste et un laisser-aller qui ressemblent trop à une insolence envers la naliun et envers la reine. On peut regretter que M. de Noailles se soit donné la peine d'entasser dans huit grandes pages t. I, pages 323 à 331 des exemples des licences des rois, des existences princiéres et du rang accordé à leurs enfants naturels, dans les diffé- rents siècles de la monarchie antérieurs à Louis XIV. L'époque de Louis XiV commandait plus de respect envers les mœurs publiques, et nous pensons aveCiM. P. Clément, de I Institut, que toutes choses ne sont pas également tolérables dans tous les temps, et que la morale publique, quelles que fussent encore ses défaillances, s'était épurée au souffle de Descartes et de Pascal, de Bossuet et de Corneille. Il est vrai que M. de Noailles reconnaît que le scandale donné par les rois ne se justifie pas aux yeux de Dieu par l'exem- ple de leur race et par les adulations de leurs peuples. 763 MADAMF, DR l,A VAUJKRR réunissait tout pour fixer son co^ur. Elle ressemblaitbeaucoup à sa tante, mère de Louis XIV. Son teint était d'une blan- cheur remarquable, ses yeux très-beaux ; sa taille, pbis pe- tite que grande, était pleine de grâce. En elle brillait cette fraîcheur, que donne une santé parfaite. Marie-Thérèse sa- vait donner à toutes ses manières un charme* inexprimable. D'une douceur angélique, la bonté était la base de son ca- ractère. Son esprit juste et solide était orné; et la plus aima- ble modestie était la règle de sa conduite. Elle ne se mêla jamais du gouvernement. Ennemie de toute intrigue, servir Dieu, plaire au roi et l'aimer, là se bornaient ses vœux et ses plaisirs. La reine aimait, et si quelquefois elle espérait, quelles peines cuisantes déchiraient son cœur ! l'estime du roi, son amitié, ses égards car il rendait justice à ses ver- tus, était-ce là des liens assez forts pour une compagne qui .le chérissait? Marie-Thérèse dévorant ses larmes dans le si- lence, savait s'interdire une plainte légitime ; jamais le moindre reproche ne vint importuner son ingrat époux ; elle mettait de la discrétion jusque dans sa douleur même. * » En résumé, on ne peut méconnaître que l'éclat jeté par M™^ de Maintenon n'ait contribué à rejeter dans l'ombre Marie-Thérèse d'Autriche. On peut dire sans doute que M"^" de Maintenon eut une influence politique; mais il faut justement se demander si Marie-Thérèse eût, comme M""^ de Maintenon, signé la ré- vocation de ledit de Nantes ; il y a, par conséquent, à signaler, dans l'obscurité dont on a payé Marie-Thérèse, une sorte d'ingratitude nationale. Circonstance remarquable! tous les échos de la renommée ont redit le nom de M""" de Mainte- non, tandis qu'ils se sont tus sur cette reine de France, la seule femme vraiment libérale de cette cour qui, avec les Louvois et les Le Tellier, érigea l'inflexibilité en méthode de gouvernement. ' Histoire classique consc ence. Elle ne définissait rien. Mais l'emploi de la force, de la contrainte, dans le -iomaine de l'âme, l'étonnait, tout Espagnole qu'elle fût. TJO MADAME DE LA VALLTERE les catholiques n'y avaient même pas droit de cité. En Hol- lande, ils réclamaient en vain celui de pratiquer en secret leur religion. La Suède était encore inondée du sang des paysans de la Dalécarlie mis à mort pour la foi par le roi même à qui leur courage avait conquis le trône. Les lois sanglantes d'Elisabeth étaient en vigueur en Angleterre; l'E- cosse'était le foyer des massacres et des égorgements de toutes les sectes rivales qui, sur les ruines des églises, se livraient encore d'horribles combats. L'Irlande, faut-il le rappeler, était courbée sous la législation la plus atroce qui ait jamais été imposée à une race chrétienne *. On pouvait évoquer tout ce que Henri YIII et Elisabeth s'étaient permis envers les catholiques de l'autre côté du dé- troit, tout ce qu'avait fait l'Angleterre protestante et puri- taine, même au temps de Louis XIV ; la déportation prati- quée contre les pauvres catholiques d'Irlande, l'enlèvement, en une seule fois, de mille jeunes filles irlandaises arrachées des bras de leurs mères, en 1G55, pour être conduites à la Jamaïque , où on les vendit comme esclaves ; toutes les me- sures prises pour exterminer le catholicisme et les catholiques, le bannissement des évêques, la suppression progressive des ministres du culte, l'interdiction de toute école catholique, afin de tarir la religion dans sa source , l'exclusion des carrières et des emplois par cela seul qu'on était catholique, la défense d'être propriétaire, la déclaration de la loi disant que les catholiques d'Irlande étaient incapables d'acquérir des propriétés immobilières; et en Angleterre, toutes ces lois * Les histoires de l'Eglise au xvi On lit dans un méuioire du duc de Bourgogne t Nous avons en main les actes auiheniiques des synodes clandestins dans lesquels ils les calvinis- tes arrêtèrent de se mettre sous la protection de Cromwell, dans le temps où l'on pensait le moins à les inquiéter; et les preuves de leurs liaisons crimi- nelles avec le prince d'Orange subsistent également. • Voltaire dit aussi dans son Siècle de Luuis XIV > La politique de Louis persécutait les protest en France parce qu'il croyait devoir les mettre hors d'état de lui nuire. • Chapitre xiv, CHAPITRE ONZIÈMK 773 Enfin, on en conclut que Louis XIV avait bien le droit, au nom du principe de conservation, de réagir contre les me- sures du XVI'' siècle, qui devenaient au xvn'^ une menace et un danger pour la staljilité et l'homogénéité de la France i. De ce côté, Marie-Thérèse approuvait, comme tout le monde, les vues de Louis XIV. Mais il était permis à la reine, qui comprenait ce côté de la question, de prendre un autre point de vue, sans que, pour cela, elle contestât à Louis XIV de marcher, dans ses mesures de répression, d'accord avec l'opinion, sur laquelle agissaient deux motifs principaux l'impression qui restait des événements accomplis sous Louis XIII, et les idées géné- rales du temps qui n'admettait nullement notre tolérance universelle d'aujourd'hui. La princesse se préoccupait sur- tout de la question des voies et moyens; elle envisageait le droit de la conscience individuelle, devançant, pour ainsi dire, son temps. La tendresse lui donnait une grande âme ; elle ne pouvait avoir de l'approbation pour ces oppressions de l'âme et ce terrorisme suspendu sur l'hérésie; » elle n'ad- mettait, comme moyen de conversion, que celui employé par Bossuet pour convertir Turenne, c'est-à-dire l'exposition de la vérité et de la foi, à laquelle on doit joindre la prière. Les compressions, les intimidations administratives , les ruses qui convertissaient par'l'argent et portaient les consciences à se vendre ou à feindre, tout ce qui pouvait, en un mot, être une atteinte à la dignité humaine et à la liberté de la cons- cience, était antipathique à une reine, née cependant dans le pays de l'inquisition. Malgré l'approbation générale, 1 II est déplorable qu'un historien français veuille voir ici des questions d'estomac et de digestion. Pourquoi abaisser l'hisloire et étouffer la vérité? Le roi n'ayant plus d'amusement de femmes, dit iMichelet, devint plus âpre. Il mangea, but beaucoup {Journal des Médecins. Circonstance grave, qui explique en partie sa violence, sa politique à outrance, ses actes provo- quants contre toute l'Europe, sa guerre au Pape, sa guerre aux prolestHuts... Je vois chez ses médecin» que, dans ces deux années, il était devenu encore plus grand mangeur, faisait trois repas de viande par jour et buvait son vin pur. {Hisloire de France au xva» siècle, p. 261-272. 774 MADAME DE LA VALLIÈRE quelque chose l'avertissait qu'on faisait une faute, soit en attentant à la liberté de conscience, soit en posant des pré- cédents qui appelleraient plus tard une réaction aux dépens de l'État et des individus. ^ Est-ce à dire, pour cela, que l'épouse de Louis XIV, res- treinte à ses devoirs d'intérieur, et renfermée dans le cercle étroit de ses dévotions, demeurât insouciante à la propaga- tion de la vérité? La cause de la civilisation ne lui disait-elle rien? N'avait-elle pas le besoin de voir se répandre la lu- mière, s'éteindre les diversités et les divisions, se resserrer les ténèbres et l'erreur? On ne peut en douter, puisque l'es- prit de la religion chrétienne est un esprit de lumière qui pousse à la diffusion de cette lumière elle-même * ; puisque d'ailleurs on n'ignorait ni au Louvre ni à Versailles, que celui qui dit être dans la lumière, et qui hait son frère, demeure jusque-làdansles ténèbres ; mais que celui qui aimesonfrère, demeure dans la lumière -. Un biographe consacre un para- graphe spécial à raconter les marques d'intérêt et de zèle que la reine donna, à diverses époques, à la question des lieux saints, débattue depuis des siècles entre les Grecs et les Latins. Dans ces derniers temps, la France et la Russie veulent tour à tour y faire prévaloir leur influence ; mais au temps de Louis XIV, la question était limitée entre les schismatiques grecs et les religieux de Saint-François em- ployés dans la Palestine an service delà religion. On s'explique les sympathies chaleureuses de Marie-Thé- rèse pour cette question, d'abord à cause de son intérêt in- trinsèque. Que peut-il y avoir de plus cher à un chrétien que les lieux qui furent le théâtre des grandes scènes évan- géliques, et le sépulcre du divin libérateur du genre humain? A moins d'une foi religieuse bien tiède, qui ne voudra garder de toute profanation ces lieux sacrés? En second * • Goram Salvatore nostro Deo, qui onines houiines vult aJ agnitioncin veritalis venire. » 1 Tiiaolli., ii, ;- de Sévigné écrit au comte de Bus-i, le 23 octobre 1683 Vous avez vu sans doute l'édit par lequel le roi révoque celui de Nantes; rien n'est si beau que ce qu'il contient, el jamais aucun roi n'a lait et no fera rien de plus mémorable. » 780 MADAME DE LA VALLIEHE Fontaine!, La Bruyères, contre M"*^ de Scudôri ^, contre Bussy-Rabutin ^. La Providence lui épargna do voir le triomphe définitif de l'opinion qui n'était pas la sienne. Louis XIV, habitué à traiter les grandes mesures du gou- vernement en autocrate, n'aurait pas accordé voix délibéra- tive à la reine sur ce chapitre^. Quoi qu'il en soit, on a essayé de faire comprendre comment M"' de Maintenon contribua à faire oublier Marie-Thérèse, et si cet oubli fut mérité. Après avoir tenté d'expliquer pourquoi la célébrité s'est attachée au nom de M™• {HlUoire de France, t. XIV, p. 34. Nommons cependant les écrivains d'histoire qui, de nos jours, semblent être revenus à des idées plus équitables sur Mario-Thérèse ités à l'infini? •> Le cénie et l'esprit pétillant de M""" de Sévigné, la haute raison de M"" de Maintenon, supportaient à côté d'elles d'autres genres de talent. 782 MADAME HE LA VALLTÈRE de plus aisé, que de déclarer qu'il n'y a point lieu à s'oc- cuper de ]\Iarie-Thércse, par la superbe raison que la nièce d'Anne d'Autriche passa inaperçue, qu'elle ne fit aucune sensation, et qu'elle s'effaça, dans l'éblouissant rayonnement de tant de femmes illustres, de supériorités exceptionnelles qui remplissent le xvii" siècle. Ce qui est certain, c'est que le nom de Marie-Thérèse suscite des questions tout aussi vastes et bien plus délicates que celles de dynastie et de royauté ; des questions d'hu- manité, de philosophie, relatives aux grands principes de la société, de la famille et du mariage. On a pu voir, dans le cours des précédents chapitres, jusqu'à quel point l'une des personnes de son sexe qui fut le plus mêlée à sa vie, M"'^ de LaVallière, reste femme même dans ses fautes, et aussi jusqu'à quel point on doit rendre Marie-Thérèse res- ponsable de sa propre destinée. On demande quel grand acte politique a signé Marie-Thérèse, quelle idée elle a fait triom- pher, quelle constitution, quel mouvement national lui doit le pays \ en un mot, si elle a eu une mission. On lui re- proche de n'avoir pas eu de renommée. Mais sa mission consistait justement à n'en point avoir, à s'absorber dans la modeste et silencieuse dignité de l'épouse, à dévorer sans plainte les mécomptes de la vie privée. On l'a dit avec une justesse souveraine dans une société bien ordonnée, la femme n'est pas destinée à être la souveraine brillante d'un salon, mais la représentation la plus pure de l'idéal moral 1 M. Cousin ne pouvait pas reproclier à Marie-Thérèse de n'avoir pas de grand dessein sur elle-même et sur les outres. Dans un morceau où il est trop sévère pour M""^ do ilaiiilenon, il dit Voltaire va sucréder à Descartes, et Fleuri au cardinal de Richelieu. Voici venir les Parabère et les Pompadour, en attendant les Du Uarry; comme femmes auteurs ou présidentes de cote, ries liuéraires, les du Dtffant, l*s Graffigny, les GeoU'rin, les Duchatelet, c'est-à-dire, si vous exceptez M" Aïssé, et cette pauvre insensée W" Lespi- nasse, pas une femme véritable, un peu de savoir en matliématiques et en physiijue, quelque bel es[>iit, aucun génie, nulle âme, nulle conviction, nul grand dessein ni sur soi-même ni sur les autres telles sont les feiiimes du xviii* siècle, Ce n'est pas moi qui me propose de leur servir d'historien. » CHAPITRE ONZIEME 73 au sein de Ja famille. Aurait-il donc mieux valu, pour la famille royale et pour la France, qu'au lieu de quarante- cinq années d'une vie imperturbablement consacrée au de- voir, Marie-Thérèse eût été un grand éblouissement des yeux, » un long enivrement des cœurs, » une déesse de coquetterie, comme tant d'autres femmes, qui ont ignoré le premier mot du dévouement, beautés qu'on adore, et qui ne sont que les sèches statues de l'égoïsme ? Marie-Thérèse pensa qu'elle n'avait rien de mieux à faire qu'à s'efforcer de rester, parmi les femmes de son temps, comme un type de dévouement conjugal, et à porter haut et droit le drapeau des mœurs et de la chasteté de la fa- mille. Personne ne s'occupait d'elle, dit M. Walkenaër, parlant de Marie-Thérèse, et elle ne cherchait à occuper personnel » Et, sans doute, une société, presque toute adultère, n'avait rien à dire d'une reine, dont la conduite lui était un reproche vivant ; ce n'était pas son rôle de préco- niser celle dont le docte M. Walkenaër a dit également Au milieu de cette cour corrompue, une seule femme était chaste, l'épouse de Louis XIV. » . Pour M™" de La Vallière, ce n'est point un paradoxe, malgré sa jeunesse et sa destinée orageuses , de dire que sa vie fut une amende honorable à tout ce qu'elle avait d'abord outragé. Ses trente-six années de pénitence austère sont, au xvn*^' siècle, la profession la plus éloquente , la plus ex- pressive, du respect que méritent l'inviolabilité de la famille et le mariage. M""" de La Vallière avait, de 1662 jusqu'en 1670, trahi son éducation première; elle était infidèle à ses propres principes, et en opposition avec ses instincts eux- . mêmes; mais elle mit trente-six années à réparer les torts et les erreurs de dix ans ; elle ne se pardonna jamais d'avoir un moment attaqué cet élément de stabihté si nécessaire au progrès social. * Mémoires sur M»' de Sévigné. 784 MADAMT, DE l,.\ Au XVII'' siècle, res]ril des provinces différait encore plus de celui de Paris et de la cour, qu'il u'en diffère aujourd'hui. L'unité centralisatrice , la fréquence des communications entre la circonférence et le centre, n'avaient pas, comme de nos jours, passé le niveau sur les mœurs nationales; les pro- vinces vivaient d'une vie qui leur était propre. Si-M""^ de La Vallière fût née à Paris , si elle eût grandi à la cour, elle aurait vécu dans un certain milieu d'idées et de mœurs libres; mais il en était difï'éremment ; c'était la fille d'un gentilhomme, élevée dans les idées sévères et dans les no- bles scrupules des sociétés provinciales, auprès d'un oncle, l'abbé Gilles de La Vallière, depuis évêque de Nantes. Ar- rivée à Paris, elle succombe aussitôt; la chute fut grande, le scandale complet. Cela explique cette décision et cette té- nacité à se punir soi-même pendant trente-six ans. Ainsi, Marie-Thérèse d'Autriche et M"" de La Vallière ne sont pas, dans ce récit, de poétiques allégories, d'aimables types de voluptés délicates, des rêves capricieux du cœur et de l'esprit. Elles n'ont pas donné à l'historien l'occasicri de raconter des intrigues de cour et des misères de grande dame. S'il faut entrer dans l'histoire les yeux bien ouverts, nous n'admettons pas qu'il faille y porter une indiscrète cu- riosité. Marie-Thérèse et M""" de La Vallière sont une leçon et un exemple pour nos contemporains. Formons une sainte croisade, pour ne pas laisser s'éteindre le foyer domestique, et sachons qu'on ne touche pas impunément à la constitution naturelle et divine de la famille, telle qu'elle a été comprise chez les nations éclairées par l'Evangile, Le mariage, malgré les romans de notre siècle, reste historiquement et théologi- giquement un mystère qui contient une force secrète; » de toutes les manifestations de la justice et du devoir, la plus ancienne, la plus authentique, la plus intime et la plus sainte *, la seule réellement conservatrice des chastes joies * Expression de Prondhon. IIIAPITRE ONZIÈME 78S de riiumaiiité. On est ici du côté de Bossuet , de M. de Bo- nald, de M. de Moiitalembert , comme du côLé de MM. Gui- zot, Gariiot, Proudtion, Jules Simon. Il fallut à la reine, pour remplir sa mission, une énergie d'abnégation dont tout le monde n'est pas capable. Ce ne fut pas un programme vulgaire que la princesse espagnole se proposa, en se résignant à son propre isolement ; il faut reconnaître dans son attitude, une sorte de vertu fière, dont une fine et exacte observation du cœur humain peut seule faire comprendre toute la délicatesse. Le public est souvent injuste à l'égard des mérites et des valeurs réelles des contemporains; il ne connaît que ce qu'il voit. Mais la secrète jouissance des âmes fières, est de dédaigner de compter avec lui, et de se résigner à être méconnues. Marie- Thérèse semble s'être accordé cette fière volupté du dédain. Un bruit parti de Paris, se répandit dans la province; il n'était pas favorable à la jeune reine ; quand on étudie ce bruit dans ses tendances, on en découvre bientôt l'origine. Les flatteurs, les courtisans et les intéressés trouvèrent commode de tromper le sentiment public. Ils mirent en cir- culation, l'opinion que Marie - Thérèse laissait à désirer, pour l'amabilité dans la vie intérieure. Comme il était im- possible de rien articuler contre cette princesse, qui fût pris dans l'ordre des faits et des fautes, on exploitait les imper- fections et les défauts; on alléguait qu'elle ne maniait pas facilement la langue française, et qu'elle n'avait pas l'esprit brillant des Françaises ^ Etait-ce un crime? Etait-ce véri- * On a indiqué dans un autre chapitre quelles étaient les impressions do la classe moyenne des provinces, concernant les événements de la cour, d'a- près les mémoires qu'a laissés un bourgeois de Reims, Oudard Coquault, et dont M. Louis Paris a publié des extraits dans un petit volume intitulé Re- mensiana in-32, Reims, 1840. Oudart Coquault raconte, à la date du mois d'août i6tio, que les personnes qui avoient été exilées delà cour à cause de la dame Valiiére venoient d'y être rappellées pour oter le scandale qui couroit parmi le peuple pour telle chose frivolle. » — Cette dame Vallière, dit-il, est accorte, complaisante, et belle et gaillarde. La' reine est d'un na- turel assez pesant, de peu d'entretien, joint que l'on dit qu'elle ne parle pas 50 786 MADAME DE LA VALLIÈRE taLlement parler à la décliarge de M"'" de La Vallicre et de Louis XIV? Mais là se montrait la fierté de la jeune reine ; elle ne répond pas aux bruits de la rue ; elle ne s'a- baissait pas à redresser des opinions erronées, bien qu'elle ne pût ignorer d'où parlaient ces faussetés, et quel mobile les faisait colporter de la Cour dans les provinces; elle resta l'épouse pure et irréprochable. Il y a, on ne sait quelle mâle jouissance à se taire dans ces circonstances il y a un véritable héroïsme à railler, au dedans de soi-même, un public mal avisé qui vous méconnaît I Avoir dégagé la mission respective de Marie-Thérèse et de M"" de La Vallière, c'est par là même avoir saisi leur grandeur personnelle, intime, et leur grandeur historique. Marie-Thérèse eut-elle, pour resterdans le devoir, à com- battre de grandes et d'énergiques passions? Oui, malgré le calme de la surface, bien plus qu'on ne le croit communé- ment. Si l'histoire ne la jDrésente pas comme une sainte des âges héroïques, il y a déjà de la gloire et une utilité puis- sante, à offrir cette douce femme comme un type de la vie de devoir chez les modernes. En marchant, sous ce soleil qui éclaire nos pas, dans les sentiers épineux de sa car- rière de femme, cette princesse a montré une dignité et une résignation, elle a fait preuve d'un esprit et d'un carac- tère qui n'étaient pas, les faits l'ont montré, au-dessous de sa fortune. Fallait-il souffrir que cette mémoire féminine, cette physionomie d'un attrait particulier d'originalité douce, passât comme une ombre charmante et oubliée *? » L'auteur de cette entreprise historique ne l'a pas pensé. N'a-t-on pas vu, en déroulant l'histoire de Marie-Thérèse, les trésors de candeur, d'amour, de piété, de souffrance, de vertu qu'un cœur de femme contient? Et quelle douce victime des égare- tout a fait bien françois. C'est ce qui donne cause a toutes ces petites jalousies et distractions que le roy prend; mais ce n'est a Aire au peuple a par 1er de leur roy enmal, touchant de telles frivoles. » Hemensiana, p. 289, et M. P. Clé- ment, de l'Institut, dans sa Notice sur M"" de La Vallière, p. LXXX. • Ainsi disait le poêle Ballanche, de xM"" de llécamier. Correspond. CHAPITRE ONZIÈME 787 ments du cœur la postérité ne révère-t-elle pas dans M"" de La Valliôre? On ne sépare pas ces deux femmes, sœurs après avoir été rivales, et dont la seconde expia si chèrement les catastrophes produites par les afï'ections irrégulières aux- quelles on ne met pas un frein. Aussi l'humanité a-t-elle su faire une distinction ; elle n'a pas rangé M'"'' de La Vallière, dans le troupeau vulgaire de ces princesses d'aventure aux- quelles les amours royales firent une couronne équivoque, et qui ont laissé dans la poussière de l'histoire, dans cette poussière pétrie de sang et de larmes, on ne sait quelle odeur musquée de fard vieilli et de poudre d'iris, » C'est pourquoi, dans cette histoire, on a voulu rappeler les titres de ces deux femmes. Nul besoin de les comparer. Le repentir de la femme vaut-il jamais son innocence ? Marie- Thérèse d'Autriche nous touche-t-elle plus ou moins que sœur Louise de la Miséricorde^? Nul besoin de résoudre ici ces questions. Contentons-nous d'être justes envers ces deux femmes, qui toutes deux ont été grandes. Paul d'Ubaye, au xvii siècle, entreprit du vivant même de Marie-Thérèse d'Autriche, une étude dont le vif enthou- siasme garantit la sincérité. Cet auteur analyse, fibre à fibre, son idéal d'héroïne au point de vue des idées fournies par la morale chrétienne. Son exposition de cet idéal, savante d'ail- leurs, est empruntée généralement à saint Augustin et à * Toul'efois, il est facile de pressentir la réponse que donnent les moralis- tes. M. l'abbé Mortier, supérieur d'un établissement d'éducation, à Bavay Nord, possède un magnifique crucifix en ivoire, qui a appartenu, à ce qu'on assure, à M""' de La Vallière, et dont celte origine, autant que sa beauté ar- tistique, augmente l'importance, M. Mortier nous écrivait en i86l • Je suis effectivement le possesseur d'un crucifix en ivoire, dont la tradition attribue la provenance à M"'' de La Vallière. La note qui accompagnait ce chef- d'œuvre, annonçait que c'était un présent fait par Louis XIV à cette femme célèbre. Je tiens ce Christ des héritiers de M. Lenglet, religieux, prieur du monastère de Boiry, près Guise, qui l'emporta à l'époque de la grande révolu- tion, et le légua à sa famille résidant à Englefontaine, près le Quesnoy >'ord. . 11 est formé d'une seule pièce d'ivoire ; il mesure de la tête aux pieds 0» 38 c, et il est attribué au ciseau du célèbre sculpteur du Quesnoy. La CHAPITRE ONZIÈME 789 C'en est donc fait, dit un critique distingué, de ces royautés de bon plaisir. Elles ont eu cependant leur rôle, elles forment à travers l'histoire une sorte de dynastie élégante et frivole de la galanterie. Elles ont bouleversé parfois la politique aussi bien que l'étiquette ; elles ont eu affaire à messieurs du Parle- ment et même aux Jésuites; pour elles on a changé des lois. Elles ont eu de leur vivant leur parti à la cour, leurs amis et leurs ennemis, et après elles, quand ce bruit est déjà loin, elles trouvent encore des historiens, quelquefois des apolo- gistes. Ce qui manque le plus dans ces amours royales si complaisamment exhumées, c'est l'amour même. Tout y est, la vanité, le faste, la passion de tout faire et de tout défaire, le caprice avec ses futiles audaces, l'ardeur da plaisir, la cu- pidité quelquefois et même la rapacité; tout excepté l'amour. Une seule de ces favorites, à l'aube du grand règne, a gardé un reflet de poésie et de vraie grâce, le reflet de la petite violette qui se cache sous l'herbe » selon le mot de M™'' de Sévigné ; c'est M"'^ de La Vallière. Celle-làavait une âme, elle avait la sincérité du cœur et de la passion sans l'orgueil ba- nal du triomphe, sans la joie insultante de la faveur. Elle aima pour lui-même ce roi, ce grand roi qui ne le méritait guère, et, femme heureuse' elle semblait rougir encore d'être maîtresse, d'être mère, d'être duchesse. » Et quand elle perd l'amour du roi, elle ne veut plus rien, elle" quitte ce monde dont elle était l'idole, elle fuit tout, elle se fuit elle-même, dans sa pénitence agitée. Rien de vulgaire ne se mêle à cette vive et franche passion, qui est peut-être l'uni- que poésie de la jeunesse du grand règne et de Louis XIV * . » physionomie est des plus touchantes c'est le Sauveur mourant. L'artiste a montré dans ce travail qu'il savait parfaitement l'analomie, et particulière- ment le jeu des muscles. » Un connaisseur, qui ignorait sa valeur historique, l'a estimé 3,000 francs, pris chez le marchand. » Nous devons à M. Gabarret, président de la Société archéologique de l'ar- rondissement d'Avesnes Nord, de nous avoir mis sur la trace de ce crucifix, en 1860. ' Charles de Mazade, Revue des Deux-Mondes, janvier 1868, à propos du livre de M. Emile Campardon, sur M"" de 790 MADAME DE LA VALLIÈRE Aimer pour aimer, ajoute un des observateurs les plus fins, aimer sans orgueil, sans coquetterie, sans insulte, sans ar- rière-pensée d'ambition, ni d'intérêt, ni de raison étroite, sans ombre de vanité, puis souffrir, se diminuer, sacrifier même de sa dignité tant qu'on espère, se laisser humilier ensuite pour expier; quand l'heure est venue, s'immoler courageusement dans une espérance plus haute, trouver dans la prière et du côté de Dieu des trésors d'énergie, de ten- dresse encore et de renouvellement ; persévérer, mûrir et s'af- fermir à chaque pas, arriver à la plénitude de son esprit par le cœur, telle fat la vie de M™" de La Vallière, dont la dernière partie développa des ressources de vigueuret d'héroïsme chré. tien qu'on n'aurait jamais attendues de sa délicatesse primitive. Elle rappelle comme amante, Héloïse ou encore la Religieuse portugaise, mais avec moins de violence et de flamme ; car celles-ci n'eurent pas seulement le génie de la passion, elles en eurent l'emportement et la fureur; La Vallière n'en a que la tendresse. Ame et beauté toute fine et suave, elle a plus de Bérénice en elle que ces deux-là. Gomme religieuse, comme carmélite, et fille de Sainte-Thérèse, ce n'est point à nous à nous permettre de lui chercher ici des termes de com- paraison. Disons seulement de notre ton le moins profane, que, quand on vient de relire l'admirable chapitre v du livre III de l'Imitation^ où sont exprimés les effets de l'amour divin, qui n'est dans ce chapitre que l'idéal de l'autre amour, M""^ de la Vallière est une de ces figures vivantes qui nous l'expliquent en leur personne et qui nous le commentent le mieux *. » Circonstance remarquable ! Depuis que ces deux âmes se sont rencontrées dans le monde éternel, en 1710, il y a un groupe de personnes sur la terre, qui ne cesse de réunir leurs deux noms dans la même pensée, et de professer un même culte pour ces deux mémoires réunies. La tradition ' Causeries du Lundi, de SaiiUe-Beuve^ l. III, p. 307. CHAPITRE ONZIÈME 791 toujours vivante de M" de La Vallière embaume toujours le pieux séjour des Carmélites de la rue Saint-Jacques et d'Enfer * ; et quant à Marie-Thérèse d'Autriche, elle vit tou- jours présente, toujours vénérée chez les Carmélites de l'ave- nue de Saxe ^. En dehors de ces colonies du cloître, la reine et M"*" de La Vallière ne portèrent nulle part leurs pas, sans que leur souvenir doux et béni n'y ait laissé une inef- façable empreinte ^. Et lorsqu'on décrivait, il y a quelques années, les fêtes d'un mariage célébré à Fontainebleau ^, l'historien de cette résidence princière, théâtre autrefois des premières joies maternelles de Marie-Thérèse, a résumé la tradition de cette cité Le toit du pauvre et l'asile de la souffrance ne furent point oubliés ; et Fontainebleau, dans sa reconnaissance et dans son enthousiasme, crut avoir re- trouvé la charité de Marie-Thérèse, la bonté de Henri IV et l'hospitalité de Louis XIV ^. » Un historien qui revient sur les brillants débuts de la reine Marie-Thérèse, paraît incliner à regarder la princesse, comme responsable elle-même des grands et précoces mé- comptes, qui inaugurèrent sa carrière; il se rejette sur une ' C'est là qu'ont reposé ses cendres. Le couvent actuel des Carmélites n'est qu'une petite partie de l'ancien. Quand on creuse profondément le jar- din actuel des religieuses, on louche aux ossements de l'ancien cimetière du monastère. * Les Carmélites de l'avenue de Saxe sont les gardiennes assidues des pré- cieuses reliques que leur donna la pieuse reine. On voit encore dans la sacristie de leur église, le beau portrait de Marie-Thérèse, dont il a été question dans un chapitre, où elle tient une croix immense dont le pied repose en terre. ' Que si l'on veut étudier aux Carmélites les pieuses années de la du- chesse de La Vallière, il faudra faire un pèlerinage idéal à ce couvent ruiné et rebâti on y trouvera je ne sais quel vivant souvenir de sœur Louise de la Miséricorde. Là, elle priait; ici, elle pleurait; là, fut le réfectoire où elle écoutait les saintes lectures ici fut la cellule où si souvent les épines du cilice l'ont mordue jusqu'au sang; là fut le jardin, où, armée de la bêche, celle qui n'avait appris qu'à soulever l'éventail, remuait la terre laborieuse, non pour creuser sa fosse, mais pour donner aux pauvres le fruit de ses peines. Arsène lioussaje, ili"= de La Vullière, p. 339. * Mariage de la princesse Hélène de Mecklembourg avec le duc d'Or- léans, * Souvenirs historiques, par Vatout, 792 MADAME DE LA VALLIERE prétendue infériorité d'organisation, et revient, pour incrimi- ner Marie-Thérèse, aux journées fleuries des bords de la Bi- dassoa. Quand le roi d'Espagne, dit-il, remonte en bateau avec sa fille, le rivage de la Bidassoa présente un tableau charmant. Les seigneurs français se pressent autour de Sa Majesté Catholique dont le vêtement sévère se trouve en- châssé au milieu d'un cercle Ijrillant de dorures, de rubans, de plumes et de broderies, tandis [ue le riche costume du roi de France rayonne sui' les tristes haljits des seigneurs espagnols qui l'environnent. On se sépare, le bateau part, et Louis, le chapeau à la main, se met à courir sur le rivage, comme un amoureux de seize ans. Tous les courtisans le sui- vent. Le roi d'Espagne feint d'abord de ne pas remarquer cette course romanesque. Il se décide enfin, après réflexion, a se retourner vers la rive. Sa tête, pétrifiée par l'étiquette, paraît à la fenêtre du bateau. Il salue gravement, et rentre dans son immoilité sans plus s'occuper de Louis, qui ac- compagne encore longtemps le bateau. Si j'insiste sur ces détails, ce n'est pas pour étaler une minutieuse érudition, c'est pour mettre en relief la diffé- rence des deux cours et des deux pays. Pour exercer quel- que influence à Versailles, il faut que Marie-Thérèse com- prenne le contraste. Il est si peu de princesses étrangères qui aient su devenir françaises en passant la frontière ! L'in- fante saura-t-elle se dépayser et le voudra-t-elle ? Le sang de sa mère, qui est le sang d'Henri IV, se réveillera-t-il pour colorer d'une vive teinte la blancheur autrichienne de son visage? Tout semble le promettre. Elle aime le luxe de nos courtisans; quand la senora Molina, son assafata, lui de- mande si le roi lui convient, elle répond avec une gracieuse volubiliti' — Y como! que me agrada ! por ciento qu'es muy lindo moco, y que ha hccho una cavalcadamuy brava y muy de gahui ! i — Nous citons les mots espagnols, parce que le charme de la réplijue serait afiaibli par la traduc- tion. A partir de ce moment, son exaltation s'accroît de jour CHAPITRE ONZIÈME 793 en jour; elle publie son bonheur avec une innocence pres- que efTronlée. Elle quitte sans regret son guard-hifnnte, hor- rible machine bonne tout au plus à défigurer sa taille, et la voilà si amincie qu'elle peut faire place au roi sur un pliant, elle qui tenait à peine sous le dais avec sa sœur , en grande toilette espagnole 1 On lui essaye la couronne fermée, sa laide et grosse coiffure empêche qu'on ne puisse l'affermir sur son front. Quand les inonos ne chargeront plus sa tête, comme les cercles aplatis du giiard-infante embarrassaient sa cein- ture, quand on^aura remplacé tous ses vilains rubans et ses maigres dentelles, quand enfin, pour dernière cérémonie, on lui aura passé le corps de jupe des dames françaises, il semble qu'une transformation complète renouvellera les ha- bitudes, la physionomie, la démarche, tout l'air de la prin- cesse. Il lui sera permis d'être aussi jeune que le veut son âge et d'oublier les tyrannies d'une étiquette outrée. La fille compassée de Philippe IV deviendra peut-être une gracieuse reine de France. Ce beau titre l'enorgueillit, elle en estfière; et quoiqu'elle donne, en sortant d'Espagne, une larme au souvenir de son père et de sa patrie, elle aime déjà la France, parce qu'elle adore le roi. » Telle est la brillante aurore que l'historien s'est plu à dépeindre avec ses riches couleurs ; mais il prend un pinceau plus sombrer pour dire le déclin et le couchant de tant d'espérances, et malheureusement, il cède au pré- jugé, dans sa tentative d'explication. Anne d'Autriche, continue-t-il , avait averti sa nièce de l'humeur abso- lue de Louis XIV, elle lui avait prescrit l'obéissance comme un dogme impérieux de la religion conjugale. Aussi, Marie- Thérèse montra-t-elle de bonne heure une sorte de docilité ombrageuse, si cela peut se dire, une de ces soumissions ef- farouchées qui bronchent à chaque pas dans une route apla- nie, seulement par peur de broncher. Elle fut la première et la plus humble sujette de son royal époux, qui la souffrit à ses pieds quand elle n'osa plus se jeter dans ses bras. 794 MADAME DE LA VALLIËRE » Par déférence pour sa tante, la jeune reine abdiqua ses droits à toute influence particulière; elle se mit en tutelle comme un enfant, ne se dirigea plus par ses propres inspira- tions, et fit si Lien, en un mot, qu'au hout d'uncertain temps elle n'était plus une personne. Au lieu d'imposer sa direc- tion à ce qu'on appelait la cabale de la jeunesse, elle fut de la vieille cour, à l'exemple d'Anne d'Autriche. La froideur du roi augmentant de plus en plus, elle s'enferma dans la soli- tude, n'admettant à ses côtés que sa chère assafata , doiïa Molina, son unique confidente *. » L'histoire, vue de près, a montré ue de telles explications, malgré le talent de l'écrivain qui les présente d'une manière spécieuse, ne renferment qu'une phraséologie brillante, sans fondement solide, ou des raisonnements qui reviennent à l'explication suivante Marie-Thérèse perdit l'amour de Louis XIV, parce qu'elle ne sut pas le retenir ; ou bien encore Louis XIV se montra audacieux, parce que Marie- Thérèse ne l'empêcha pas de l'être, » comme s'il eût dé- pendu d'une princesse, douée d'une nature délicate, de vou- loir exiger du roi un amour imposé 1 Ou, comme s'il n'était pas dans le rôle d'une femme qui aime, de se rendre docile à l'époux qu'elle adore. L'enchaînement et la progression des causes réelles qui amenèrent les trahisons de Louis XIV, ont été suffisamment indiqués dans les chapitres consacrés à l'étude approfondie des faits et des caractères. On s'est parfaitement trompé sur le compte de la femme de Louis XIV, et le biographe pense qu'on lui permettra d'ouvrir ici une large parenthèse, pour restituer ce que l'on croit être la vérité. D'abord, à songer à faire de cette reine une perfection, nul n'y pense ; on ne la présentera pas même comme un monstre de perfection, » Nous n'aimons pas d'ailleurs, au xix" siècle, qu'on nous montre en his- toire des mortels dont on n'a que des merveilles à dire. Quel * Ilippolylc JSabou, Les amoureux de j1/""= de Scvignè, p. 148, 149, loi. CHAPITRE ONZIEME 793 est l'homme privilégié qui soit sans défaut I Et quel profit retirerions-nous du récit d'une vie où nous n'aurions rien à imiter, parce que nous pourrions peu y atteindre? Marie- Thérèse eut donc, avec de la grandeur, des défauts, des bizarreries plus ou moins grandes qu'on ne doit pas taire. Ne voit-on pas des hommes, très-distingués par leur grand caractère, très-considérés pour la haute situation qu'ils oc- cupent dans la société , offrir cependant à ceux qui les voient de près, le spectacle des plus étranges platitudes? Les plus incroyables alliages peuvent se rencontrer. Passons donc aux personnages de l'histoire leurs manies, quand ils en ont, et quand elles ne détruisent pas le côté vraiment grand, vraiment respectable et dominant de leur physio- nomie. On n'oubliera pas que Marie-Thérèse faisait à la cour la figure qui convenait à son rang. La cour s'était définitivement installée à Versailles depuis 1682. Marie-Thérèse tenait son cercle dans la salle appelée sa/o» de la reine ^^ où avaient lieu les présentations. Le siège de la reine était placé au fond, sur une estrade couverte d'un dais ^. A ceux qui ont dit que la reine n'aimait pas la pompe du siècle, il faut rappeler selon quelle mesure, et par quel motif elle apportait un tempérament dans la vie officielle et de pure représentation. Un témoin oculaire des plus compé- tents doit être consulté à cet égard, c'est Bossuet. Elle sut pourtant, dit-il, se prêter au monde avec toute la dignité que demandait sa grandeur. Les rois, non plus que le soleil, n'ont pas reçu en vain l'éclat qui les envi- ronne ; il est nécessaire au genre humain, et ils doivent, pour le repos autant que pour la décoration de l'univers, * Numéro 116, d'après la Notice du musée de Versailles, parEud. Soulié. ^ On distingue encore dans la corniche, en face des fenêtres, des pitons dorés qui servaient à soutenir ce dais. — Michel Corneille avait été chargé des peintures de cette salle. Le plafond représente iltrcure répandant son influence sur les arts et les sciences ; ce sont différentes figures de femmef, représentant l'éloquence, la poésie, la géométrie, etc. 736 iMADAME DE LA VALLTEKE soutenir une majesté qui n'est qu'un rayon de celle de Dieu. Il était aisé à la reine de faire sentir une grandeur qui lui était naturelle. Elle était née dans une cour où la majesté se plaît à paraître avec tout son appareil, et d'un père qui sut conserver avec une grâce, comme avec une ja- lousie particulière, ce qu'on appelle en Espagne les cou- tumes dequalitéetles bienséances du palais ; mais elle aimait mieux tempérer la majesté et l'anéantir devant Dieu que de la faire éclater devant les hommes. Ainsi, nous la voyions courir aux autels, pour y goûter avec David un humhle re- pos, et s'enfoncer dans son oratoire, où, malgré le tumulte do la cour, elle trouvait le Carmel d'Élie, le désert de Jean et la montagne si souvent témoin des de Jésus. Bossuet raconte ensuite quelles furent les vertus de la reine dès sa première jeunesse, alors que, dans une cour assez turbulente, elle était la consolation et le seul soutien de la vieillesse infirme du roi son père. Il rappelle tout le cœur, tout le respect, toute la soumission qu'elle ne cessa jamais d'avoir pour Louis XIV ; il la dit Toujours vive pour ce grand prince, toujours jalouse de sa gloire, uniquement atta- chée aux intérêts de son État, infatigable dans les voyages, et heureuse pourvu qu'elle fût en sa compagnie, » Il indi- que ses bontés pour ses domestiques, son amour pour les pauvres, ses visites aux malades des hôpitaux, ses appari- tions auprès des malheureux, son bonheur de se dépouiller un instant d'une majestée empruntée ; puis il s'écrie Que dirai-je davantage? Écoutez tout on un mot fille, femme, mère, maîtresse, reine telle que nos vœux l'auraient pu faire, plus que tout cela, chrétienne , elle accomplit tous ses de- voirs sans présomption , et fut humltle , non-seulement parmi toutes les grandeurs, mais encore parmi toutes les vertus *. ' Elo^e fun. de Marie-Thérèse. CHAPITRE ONZIRME 797 11 est regrettable ciiruu historien de notre époque, histo- rien de mérite et de conscience, ne s'en soit pas tenu à ces grandes lignes de Bossuet, et se soit laissé influencer par une page de M" de Montpensier, qui ne saurait altérer le caractère authentique de dignité et de grandeur qui appar- tient à Marie-Thérèse. Cet historien compatit aux amertumes que la reine eut à dévorer en secret; il reconnaît la pesanteur de la croix qu'eut à porter cette femme si longtemps délais- sée et si mal payée de la perte du cœur de son époux par quelques stériles hommages accordés à son rang ; mais il a l'inopportune distraction de s'inscrire en faux contre le témoi- gnage de Bossuet, attestant la dignité réelle de reine, et le ton majestueux départi à Marie-Thérèse. L'histoire, dit-il, n'a rien à retrancher de ces louanges celles données par Bos- suet , lorsqu'elles se rattachent à la piété de la reine ; c'est une touchante figure que celle de cette noLle fille de la mai- son d'Autriche retirée dans son oratoire et confiant à Dieu ses douleurs ; c'est un rôle sublime que celui qu'elle rem- plit au chevet du pauvre, asssistant de ses royales mains le Fils de Dieu fait homme dans la personne de ces petits qu'il a voulu nous léguer pour être ses images vivantes ; mais, comme reine, comme épouse du glorieux Louis XIV, la douce et résignée Marie-Thérèse n'eut point un caractère et un esprit aussi élevés que sa fortune. Elle manquait de dis- cernement, de tact, et surtout de cette intelligence active qui n'est point un mérite aux yeux de Dieu, mais qui permet de comprendre les événements, les situations et les hommes. Elle aimait à passer sa vie avec ses servantes espagnoles et une négresse naine et hideuse *. Louis XIV dut plus d'une » L'histoire ne dit pas cela. Prenons une date quelconque, l'année 1671, par exemple. Quelqu'un qui voyait de prés la reine, qui vivait à la cour, et ne flottait pas Marie-Thérèse, I\l" de Montpensier, nous apprend que la reine ne manquait aucun cercle, aucun amusement 11 y eut tout l'hiver des Lallets en 1671; je n'en manquai pas un, afin de suivre la reine pour faire mon devoir avec plus d'éclat, parce qu'elle ne m'y avoit pas obligée. Je me mettois à côté de sa chaise avec mes coiffes baissées. » {Mémoires de Jlf" de Montpensier, 4= partie, p. 457, édit. Michaud. 798 MADAME DE LA VALLIÈRE ïoisse sentir mal à l'aise et presque humilié, en voyant as- sise h ses côtés, sur le trône de France, une compagne si peu capable de lui oiïrir un conseil et d'entrer dans ses desseins *. » On ne peut considérer comme des arrêts définitifs, ce juge- ment d'un historien de notre temps, jugement plus que sé- vère et qui ne s'explique que par le manque d'examen de toutes les pièces dn procès. Ceux qui virent et jugèrent Marie-Thérèse, nous paraissent plus compétents pour nous dire si la princesse tenait gon rang 2. Nostre pieuse prin- cesse, dit un personnage du temps, estoit bien convaincue que les souveraines dignitez sont instituées pour estre des occasions de l'aire du bien. Il faudroit establir ce que c'est que d'estre reine, et reine de France, pour justifier tout le mérite de sa modération dans ce haut rang. Cet orgueil qui naist avec les souverains, qui ne se nourrit que d'en- cens et de parfums, qui ne voit qu'un grand jour et de grands objets, qui n'entend que des applaudissements et des hymnes , ne trouva point de place dans son cœur ; cette fierté si naturelle à la maison d'Austriche, soutenue par la gloire qu'y ajouloit l'alliance du plus grand des rois, voulut en vain s'emparer de son âme. Nostre princesse régna toujours sur elle-mesme, ne laissa échapper de sa grandeur au dehors que ce que pouvoit en exiger le titre de souveraine. Elle soutint partout la majesté de son rang. En fit-elle sentir à quelqu'un la fière dignité? Ses sujets l'ont vue dans les pompeux ornemens nécessaires à une reine, encore les a-t-elle négligés pendant l'absunce du roy ; mais Dieu la ' Histoirede Louis XIV, par M. Amédée Gabour. Tours, ISii, in-8, p. 2GG. ' Pourquoi l'historien aujiiel on fait allusion n'a-t-il pas reproché à Marie-Thérèse d'avoir iin{orté un autre usage de la cour d'Espagne? M" de Montpensier nous apprend que la reine avait un fou , nommé Trico- mini. Les princes et les princesses, à la cour de Madrid, avaient avec eux un fou, un bouffon. 11 arrivait à ce Tricomini de dire à Versailles, des vé- rités aussi peu gaies que celle-ci Vous autres, grands seigneurs, vous mourrez tous comme les moindres personnes. • {Mémoires, iW" de Monl- pensier, 4"= partie, p. 467, édit. Micliaud. CHAPITRE ONZIÈME 799 voyoit avec plaisir désavouer dans son cœur tout ce faste et cet appareil indispensablement attaché à la royauté. Elle a occuppé sa cour de plaisirs innocents, pour la distraire des plaisirs dangereux ; souvent dans les lieux saints pour y vivre comme les anges, souvent dans le monde pour ne pas le pri- ver des exemples de sa vertu*. > Un autre personnage du temps, celui-là même qui avait appris, de l'autre côté des Pyrénées, quelle impression unanime d'esprit fin, et de discernement juste » la princesse espagnole avoit laissé dans le monde castillan, celui-là même pour qui ce n'étoit pas un doute que l'éclat d'esprit de Marie-Thérèse luy eût at- tiré de très grands applaudissements, si elle n'eût supprimé elle-même cet éclat, » ce personnage s'est bien nettement exprimé sur le caractère de grandeur et la noblesse du main- tien de l'infante à la cour de France. Selon lui, la marque de l'esprit grand et juste de Marie-Thérèse, c'était de ne pas se laisser surprendre à la fausse lueur des choses, » » d'estimer les choses selon leur prix ; » c'était d'avoir eu assez de prétention, pour juger après son mariage, qu'il n'y » avait que trois objets dignes de faire battre son cœur. Dieu » son époux, et les intérêts du royaume; » c'était enfin de dé- passer, sans s'y arrêter et sans les regarder, tous les amuse- ments, toutes les vanités pompeuses et chimériques qu'on se dispute au sein des cours ^, On pourrait citer d'autres témoi- gnages, on y trouverait toujours cette conclusion unanime, que ce fut le soin de la reine Marie-Thérèse, de réagir contre les sentiments et les airs ailiers qu'inspirent la grandeur et la souveraineté. Là, ou d'autres mettent leur coquetterie et leur vanité à s'élever, la reine mettait, pour ain'si parler, la sienne à s'abaisser au-dessous d'elle même Elle n'a pas regardé sa grandeur pour voir ce qu'elle luy per- * Orais. funèb. prononcée à Saint-Eustache , à Paris, le 23 octobre 1683, par Denise, de la chapelle du roi, p. 23, in-8°, chez Josse. Paris, rue Saint- Jacques, M. 2 Félix Geuiliens, discours prononcé à Toulouse, le i5 septembre 1683, p. 12-13. — Chez Colomiez, imprimeur du roy. 800 MADAME DE I,A VALLIÉRE mettoit de l'aire, disait un habitant de Paris au xvii^ sièck, mais pour connoistre ce que la vertu commandoit d'éviter ; et si elle est sortie quelquefois d'elle mesme pour envisager sa gloire, ce n'a esté que pour remarquer en mesme temps qu'elle l'exposoit à de grands périls *. » On peut proposer des types de grandeur humaine, qui sembleront divers, d'après le point de vue où l'on se place; ils restent au fond, essentiellement les mêmes. Ainsi quand on dit que les vrais grands hommes dans l'histoire sont ceux qui ont eu non-seulement une volonté, mais une grande ouverture d'esprit et d'intelligence, qui ont com- pris leur temps, et les hommes qui le dirigent, et qui de plus ont laissé de leur passage une trace durable^, combat-oa pour cela, la grandeur réelle des individuahtés historiques, demeurées à l'état efl'acé * ? Nullement, si on y regarde avec attention. Deux points sont uniquement à contrôler et à éta- blir. » Discours prononcé à Paris le 7 septembre 1G83, par R. P. David, pro- cureur-général des Gordeliers, p. 11. Paris, chez Couterot, rue Saint-. Jacques. ï M. K. Hiliehrand propose une théorie de la grandeur, judicieuse en par- lie, mais qui n'obtient pas notre complet assentiment. 11 fait une trop grosse part au résultat; il néglige le droit, et dit qu'en histoire les grandes fit'ures sont uniquement celles qui se sont imprimées dans la réalité. i\ous protestons contre cette doctrine, parce qu'il y a des effacements et dos obscurités qui tiennent à la complicité et aux travers de l'absurde huma- nité • 11 faut respecter, dites-vous, il faut admirer les hommes de dévoue- ment et de conviction, de bonne foi, de mœurs pures, les hommes désinté- ressés et courageux; mais ces qualités ne suffisent pas pour leur donner la place qui, dans l'histoire, revient aux grands hommes. • Ne disputons pas sur les mots. Est-on grand, parce qu'on a fait du bruit dans l'histoire? La vraie question n' pas de savoir, non point si on a fait sensation, mais si l'on était vraiment grand? M. llillebraiid voir le chapitre Savonarole, dans ses Éludes italiennes a beau nous dire qu'il n'im- porte pas de savoir si l'action d'un génie a été heureuse ou néfaste, que l'hu- manité n'admire qu'une chose, la force, l'action produite, le succès, nous maintenons que, pour décider si une personne, homme ou femme, a été suférieure ou non, il faut considérer non-seulement la gloire, mais encore sur quel objet portèrent ses efforts, ses services, ses aptitudes, ses talents, toutes les forces de sa personne. ^ Voyez les réflexions déjà faites dans cet ordre d'idées au commence- ment de ce même chapitre. CHAPITRE ONZIÈME 801 Tel personnage était-il réellement une grande et vive nature? s'allirmait-il, dans le sens d'une idée, d'une insti- tution conservatrice? y a-t-il asservi son existence entière? n'a-t-il pas réagi sur ses contemporains, quelque lente et indirecte qne soit la manière dont il a réagi, et toujours d'autant plus lente que l'ordre d'action à exercer est plus délicat, comme par exemple pour redresser les mœurs d'une époque, d'une classe? C'est en plaçant la question dans ces termes, que l'on a cherché ici à réhabiliter une oubliée. Comment ne pas voir que Marie -Thérèse d'Autriche représenta en France la pureté des mœurs conjugales sur le trône et au sein des cours ? Que si l'on demande ce qui resta du passage de Marie- Thérèse, cinquante ans après, alors qu'on vit surgir les mœurs de la Régence, et de la société sous Louis XV, il n'est pas facile en effet de montrer des traces subsistantes de son influence ; mais on comprendra que l'influence de la reine dans cet ordre de choses, pouvait bien amener un moment de ralentissement et de halte, sans pouvoir empê- cher le torrent, un instant contenu, de reprendre sa course impétueuse. Marie-Thérèse ne transforma pas la société si licencieuse de l'époque de Louis XIV; mais il était beau de le tenter pendant vingt-trois ans. Ne craignons pas de citer en son entier un passage des mémoires de M^''^ de Montpensier, qui a tout enregistré dans ses notes, jusqu'aux détails les moins aristocratiques de la vie usuelle. Gomme elle garda toujours rancune à la reine de l'opposition que celle-ci avait faite en 1670, à sou mariage avec le duc de Lauzun, ces rancunes ont sans doute quelque- fois tenu la plume, pendant que la grande Mademoiselle transcrivait ses souvenirs*. Écoutons toutefois les défauts • M"» de Montpensier ne dissimule pas, dans ses Mémoires, la rancune qu'elle gardait à la reine, pour s'être opposée à son mariage avec M . de Lauzun. On lit dans ses Mémoires, à la date de 1670 • J'allai passer la fête de Noël dans des couvents j'allai aux Carmélites de la rue du Bouloy, aux- ol 802 MADAME DE LA VALLIftRE et les petites manies qu'elle signale dans la princesse espa- gnole. Gomme àl'époque du mariage du daupliin , M"'' deMon- tespan montrait la grande quantité de belles pierreries et de bijoux qu'on offrait en présent de noces à ladauphine, M" de Montpensier raconte que M""' de Montespan n'oflritrien à personne, pas même à la reine, qui auroit été fort aise d'en avoir, et qui avoit dit, quand on lui montra le présent Le mien n'étoit pas si beau quoique je fusse plus grande dame ; on ne se soucioit pas tant de moi comme l'on fait d'elle. » La reine avoit toujours dans la tête qu'on la méprisoit, et cela faisoit qu'elle étoitjalousedetoutle monde; et surtout quand on dinoit, elle ne vouloit pas que l'on mangeât ; elle disoit toujours On mangera tout, on ne me laissera rien *. » Le roi s'en moquoit. Au voyage que je fis avec elle, où nous demeurâmes longtemps à Arras, et celui ou l'on fit un long séjour à Tournay, je mangeai souvent chez moi, parce que quand le roi n'y étoit pas, elle ne mangeoit que des mets à l'espagnole, que l'on lui faisoit chez la Molina, une jfemme de chambre qu'elle avoit amenée d'Espagne, qui avoit été a la reine, sa mère, qu'elle aimoit beaucoup, et qui avoit une très grande autorité sur elle. Puisque l'occasion se présente d'en parler, je dirai qu'elle se donnoit de grands airs de gou^- quelles je me plaignis de la manière dont la reine avoit agi dans mon allaire. Elles me parurent beaucoup honteuses, et ne savoient que me ré- pondre, » M" de MontpensiiT ajoute, à la date de 1071 de Maintenon n'y serait pas engagée. 810 MADAME DE LA VALLIÈRE L'habileté de M"*^ de Maintenon a été vantée en cent fa- çons ; la reine que la France perdit en 1G83, n'aurait pas tenu peut-être à ce genre d'éloges. Malheur à ceux qui sont si habiles ! l'habileté est trop voisine du calcul ; et ce qui gâtera toujours dans l'histoire, du inpins à certains yeux, la haute figure de M"*^ de Maintenon, c'est que tout en elle porta trop en apparence, sinon en réalité, ce cachet du cal- cul. ' Peut-il y avoir de la vraie grandeur sans spontanéité? Ponrquoi s'opiiiiàtrer à distinguer les individualités histo- riques, seulement lorsqu'elles ont fait grand bruit? Et pour- quoi tenir si peu compte des êtres rjui ont été foncièrement bons! Oh ! quelte révolution dans l'histoire, si le sceptre re- venait, non à l'habileté, mais à la bonté qui se donne, et se dévoue, et suit modestement sa roule! Libre aux partisans de M"*' de Maintenon, de célébrer cette science patiente qui la conduisit, de sa première situation, d'abord voisine de * l'indigence, jusque sur le premier trône du monde ^. Mais ' La nature de M™* de Maintenon sera toujours très-énigmalique; il faut étudier cette femme célèbre dans ses lettres, parce que là, son personnage se reflète le mieux. Sans la traiter de prude artificieuse et dévote, sans épouser les appréciations violemment injustes de la ducliesse d'Orléans, ni la haine inexplicable de Saint-Simoo, disons qu'on doit admirer en M"" de Maintenon ses qualités éminentes, mais qu'on n'est pas tenu de l'aimer. On a fait re- marquer qu'au temps où elle était gouvernante des enfants de M"" de Mon- tespan, elle ^e plaignait toujours, n'étant jamais contente, croyant jouer en toute chose le rôle de dupe, ne laissant jamais paraître un mouvement de reconnaissance quand on faisait pour elle quelque chose d'obligeant, n'ayant qu'une satisfaction sèche. Elle sut s'arranger de façon qu'on eut chez le roi une grande idée des services qu'elle rendait, et do l'étendue de ses sacrifices. Eh bien, il est permis de ne pas aimer ces natures. Pour nous, elles nous éloignent. Nous ne croyons pas â des calculs hypocrites de M°" de Maintenon; mais n'est-ce pas trop que d'avoir fait naître l'idée que derrière chacune de ses actions il serait possible de trouver un calcul, une diplo- matie? On a reproché aussi à M"' de Maintenon " le soin continuel et l'art mer- veilleux de cultiver à la fois Dieu et le monde; . elle écrivait à son frère, après l'acquisition de la terre de Maintenon, tout en lui recommandant le soin spirituel de son àme et de son salut Adieu, mon cher frère, nous ferons grande chère à Maintenon si Dieu nous conserve. » Toutefois, il ne faudrait pas trop presser ces amalgames, dont le pauvre cœur humain, si contradictoire, offre le continuel spectacle. * IncontcslaLlement, c'est un curieux spectacle historique de voir comment M'"» de Maintenon soutint pendant plus f'e quatre années, devant toute la CHAPITRE ONZIÈME 811 libre aussi, quand on étudie l'humLle reine qui fut à côté de Louis XIV, depuis 16C0 jusqu'en 1683, d'admirer une JDonté qui ne se lassa jamais. Nous Laiserions volontiers les pages des contemporains qui racontent les faits de bonté touchante, intime, qui composent l'existence entière de Marie-Thérèse d'Autriche *, tandis que la savante et per- sévérante habileté de la fondatrice de Saint-Gyr n'a rien qui nous attendrisse; elle ne nous touche que fort mé- diocrement 2. Tous les dithyrambes qu'on a faits à la cour, et à rencontre de la rivalité haineuse et de l'orgueil agressif de M"» de Môntespan, les dernières péripéties de cette partie d'échec, dont l'enjeu était le trône. M™ de Maintenon triompha par son sang-froid habile et patient. Et quel chemin avait-elle parcouru, en reprenant les choses à son enfance? Ses parents tombés dans la gêne, les duretés succédèrent à la douceur. On la confondit avec les domestiques; on la chargea des plus vils détails de la maison • Je commandais dans la basse-cour, a-t-elle dit de- puis, et c'est par là que mon règne a commencé. » • Tous les matins, un loup sur le visage, pour conserver son teint, un chapeau de paille sur la tête, un panier au bras, une gaule à la main, elle allait garder les dindons, avec ordre de ne toucher au panier, où était le déjeuner, qu'après avoir appris cinq quatrains de Pibrac. » La Beaumelie. Il y eut de l'habileté à deve- nir l'épouse légitime du roi de France, et du plus magnifique des souverains. 'On parla beaucoup de lacréation de Saint-Gyr; Marie-Thérèse sourit plus aux gens humbles et modestes, ennemis de ces œuvres à grands fracas, où le créateur se mire lui-même. J'admire plus Marie-Thérèse avec un tablier, servant une cuillerée de soupe à un malade, que M""= de Maintenon, se pro- menant à Saint-Gyr, et faisant redire à toute l'Europe qu'elle fondait un asile pour les jeunes filles nobles. * Nous ne voudrions pas faire cause commune ^vec ceux qui, sous l'empire de préventions d'une origine suspecte, ont voué de l'antipathie à M"» de Main- tenon. Il est certain qu'elle vint dans un moment fort difficile; Louis XIV roulait vivre en famille auprès de la dauphine; le temps de M™^ de Montes- pan, qui avait fatigué le roi par ses hautaines querelles, était fini. Il y avait encore une reine qui n'abdiquait pas ses droits sur le cœur du roi. Que faire? D'ailleurs, M"» de Maintenon inspirait de la confiance au roi, qui se plaisait dans sa société, elle avait des principes religieux et de la conscience; elle voulait s'attacher aussi le cœur des deux princesses la reine et la dau- phine. Par le fait, elle eut une de ces natures souples, adroites, qui arrivent à tout concilier. Il y a des gens qui, sans en avoir la conscience, sont né> ha- biles, de cette habileté qui s'insinue dans tout. On les croirait des Machiavel qui préméditent tout. M"» de Maintenon réussissait, sans intrigue; elle était née pour réussir. On lui avait fait une mission soit son directeur, soit le clergé, celle de pousser le roi à une vie plus morale et plus exemplaire. Il se trouva que tout en remplissant un devoir, elle fit les affaires de sa fortune personnelle. Ajoutons tout ce qui servit M"»* de Maintenon, et qui dispense d'habileté. M"'' de Sévigné rappelle que, par le charme d'une conversation 812 .MADAMK 1K LA VALLliUli louange de M"'° de Maiiitcnon, pâliront, pour beaucoup de lecteurs sensés, à côté du témoignage suivant, rendu à la condescendance sincère et aiïable de Marie-Thérèse, par un contemporain des mieux informés Comme Dieu a imprimé sur le front des personnes souveraines le ca- ractère de sa majesté, les peuples ne peuvent les approcher sans estre étonnez, et à moins qu'ils ne s'abaissent et ne ca- chent cet éclat de grandeur pour se rendre populaires. Ces- toit ce que faisoit admirablement nostre incomparable reyne, elle estoit ingénieuse pour cacher la souveraineté sous les grâces de son visage, et tempérant l'austérité du comman- dement par la douceur de sa parole, elle substituoit à la place de la crainte des sentiments de tendresse et de res- pect... » Le même personnage, interpellant dans une haran- gue publique, non ceux qui ne voyaient Marie-Thérèse que de loin, mais ceux qui la voyaient de près et chaque jour, leur demande ' Vous le savez, pauvres domestiques qui l'avez servy, combien sa domination estoit douce et éloignée de l'arrogance des maîtres? Quel est celuy qu'elle a jamais repris avec aigreur? Que si sa vivacité naturelle la fait quel- quefois échapper, n'estoit-elle pas la première à s'en aperce- voir, et cherchant l'occasion de parler à la personne affligée, sa parole qui estoit un merveilleux baume pour la blessure du cœur, ne guérissoit-elle pas la playe aussi tost qu'elle l'a- spirituelle et sensée, elle fit connaître à Louis XIV ui p^i/s loul nouveau lettres du 9 janvier, 21 juin, 17 juillet 1680. Et M. Saint-Marc Girardin explique d'une manière spirituelle ot fine, comme quoi M">e de Main- tenon devait réussir; les; — la dernière partie, joignant l'église, n'était élevée que d un étage carré. Une aile en retour faisait face sur la rue d'Enfer, à côté de la porte d'entrée ; elle était de même élévation que le grand bâtiment. Il y avait, dans tout cela, grands appartements, parloirs, chapelles, tours, passage de porte cochère voûtée en pierre de taille; puis un pavillon, cour, jardin. 820 Al'PKNDlGE 2o En face du grand corps de bàliincnl, se trouvait la grande cour conventuelle ou claustrale. 30 Le bâlimenl situé entre la grande cour d'entrée ou claustrale el le cloître à gauche, avait le premier et le deuxième étage distri- bués en cellules et en corridors. 40 Le grand bâtiment à la suite avait au rez-de-chaussée le chapitre, le noviciat, et au premier étage, un grand corridor, et sur toute la longueur, de petites cellules. 5" A gauche du bâtiment précédent était un bfitiment en aile donnant sur le jardin et sur le grand mur de clôture vers la rue de Saint-Jacques; — là se trouvaient deux grandes salles d'infirmerie. G" Venait un autre corps de bâtiment joignant le mur de clôture mitoyen; il yavait,au premier étage, infirmerie, et un oratoire àcôté. 70 On avait ensuite un autre édifice entre le cloître et un petit jardin, dit jardin de Saint-Jean, au derrière de l'église ; c'est là qu'était le réfectoire, au-rez-de-chaussée. 11 y avait encore des cel- lules au premier. 80 Une partie de bâtiment entièrement en pierre de taille, ren- fermant la sacristie, — puis au premier étage se déployait le grand chœur des religieuses. 90 Nommons enfin et surtout l'église qui s'étendait en longueur sur le passage de la rue d'Enfer à la rue Saint-Jacques, el dont la porte d'entrée s'offrait en venant par la porte de la rue d'Enfer, tandis que le chevet en était vers la rue Saint-Jacques. Voir .4}t/iî- ves du domaine de l'État, à la préfecture de la Seine, ainsi que le plan de Paris, dit de Turgot. Terminons cette description par l'indication des jardins qui ve- naient après tous les bâtiments conventuels, les cours et basses- cours. Le couvent avait deux grands jardins clos, tant sur la rue d'Enfer, que vers les maisons particulières sur la rue Saint-Jacques, et séparés entre eux par de grands murs de clôture soutenus par des éperons en pierre. Dans la première partie du jardin était un bassin en pierre de taille, formant jet d'eau ; et près le grand mur de clôture vers la rue Saint-Jacques on voyait deux petits oratoires, bâtis en pierre de taille. Signalons aussi, entre le grand bassin et le mur de clôture de la rue Saint-Jaciuos, un édifice servant de cha[elle ou d"oratoirc ; il n'était élevé que d'un étage, et il portait un faux clocher au-des- sus du comble couvert en ardoises; le perron montant audit ora- toire était en pan coupé de chaque côté, composé de six marches de pierre. Quant au jardin, une partie était plantée d'une grande avenue de tilleuls; le reste était en potager, arbres fruitiers, oran- gerie, etc. Enfin la totalité du terrain était dans son pourtour entourée d'un grand mur, et garnie d'éperons et de piliers battants; on en voit une portion considérable depuis qu'on a abattu les maisons Our faire le boulevard de Port-Royal, qui est la rue de la Bourbe élargie. NOTES RELATIVES A MADAME DE LA VALLIÈRE 821 Mais quelles étaient les originos premières de ce couvent? qu'a- vait été cet enclos avant d'être aux Carmélites? Le territoire occupé par les Carmélites formait la principale par- lie de l'emplacement qu'on nomma, dans les premiers siècles, le champ des Sépultiurs, tant on y a trouvé, à diverses époques, un nombre considérable de tombeaux romains et chrétiens. Plusieurs historiens, Corrozet, qui écr'i\ Antiquités de Paris au xvi n'habitait ]as dos chambres ornées avec un luxe royal. N'oublions pas qu'une fois sortie du monde, M"'p de La Vallière ne voulut vivre que d'humilité et de pénitence, et n'avoir d'autre résidence qu'une pauvre cellule nue et délabrée. Un de ses contemporains, Gregorio Leti, qui prit ses renseignementsauprèsdu directeur spirituel de la duchesse, assure que pour rien au monde, une fois vouée à Dieu, elle n'aurait consenti à occuper des apparte- ments princiers. Écoulons-le lui-même dans son Teatro Gallico Enlrala poi nel Monaslero, quivi comincio a vivere con una vita di lanla morlificazione che le monache istesse pigliavano da Ici esempio. Veramente io ho parlalo col suo Padre confessore, che mi disse cose stupende délia vila esomplare di quesla Donna, che vive spogliata del lulto dogni qualunque cura del senza volerc sapere minima cosa di quelle si fà in Parigi, non pensando ad altro che a'digiuni, aile confessioni, aile discipline, agli alli d'humillà, et ad esser sempre la prima al choro, l'ullima a parlire. » Reste l'exlrémilé sud de l'ancien enclos des Carmélites ou la partie comprise entre la brasserie du Luxembourg et le boulevard de Port-Royal, c'est-à-dire entre le no 'i'i et le n" ol de la rue d'Enfer, et qui constituait dans sa totalité le jardin des Carmélites que divisait un mur mitoyen, avec ses diverses dépendances, serres, orangerie, réservoir des eaux d'Arcueil, bassins, etc. Les divers propriétaires de cette portion méridionale de l'ancien couvent sont M. Roussot, M. Jacquin fabrique de dragées par procédé mécani- que, Blii'eSilvain Péant, M""' Renaud, M. Marchandon, M. Michaud, M"!" Marchand, etc. Aucune des habitations qu'on voit aujourd'hui rue d'Enfer, du n" 27 au no 49, n'existait du temps des Carmélites. Ce qui nous intéresse historiquement, dans ce troisième lot, est ce lu'oii aipelle YOraloire de la duchesse de La Vallière, faisant partie de rein]lacemenl que possède M'"o Renaud, emplacement que le iercemenl de la rue Nicole vient de couper en deux. M. Silvain Péant, jardini;r-tleuristc du roi, en était propriétaire au commen- cement de la Restauration ; il jiassa ensuite à M. Trenier, Mdi Re- naud l'a acquis ensuite, et le loue maintenant à M. Trenier fils. Charpentier. Les ilans de Paris de Conibousl de \[\\-?. o[ do Turgot de 1740, NOTES RELATIVES A MADAME DE L\ VALLlfilŒ 8'29 ainsi que les papiers do l'Hôtel de Ville relatifs à la vente des biens nationaux sous la première République , indiquent rexislence de plusieurs oratoires dans l'enclos des Carmélites. Le seul qui subsiste encore est inclus dans la propriété de Mme Renaud, et se trouve habité par M, Trenier. C'est ce débris du xvii° siècle, qui a servi d'aliment à diflférents articles dans les journaux français de 1867 et de 18C9 mai et juin. Voici l'article du Moniteur de 1809 répété, nous dit-on, par YUniou, le Français, le Siècle, le Clocher, la Patrie, le Fiijaro, le Monde, etc. L'Oratoire de ilf'»c la duchesse de La Vallière. Le percement aujourd'hui terminé d'une rue non projetée, et par conséquent non indiquée sur le plan d'ensemble de la ville de Paris, a mis à découvert un monument très-ancien, et le plus inté- ressant par ses souvenirs, qui soit encore debout sur la rive gauche de la Seine. » Cette rue tient au nord à la rue du Val-de-Gràce. Elle aboutit au sud au boulevard de Port-Royal. Sa longueur est de 240 mètres seulement. Elle est établie sur une partie des terrains composant le clos de l'ancien couvent des Carmélites. Ce clos était considérable, il renfermait neuf arpents de terre et s'étendait jusqu'au clos des Chartreux, rue d'Enfer. » Sur le développement de la rue qui vient d'être percée, on remarque, sur le côté gauche et vers le boulevard de Port-Royal, une chapelle parfaitement conservée, dont la couleur noirâtre des pierres de taille qui forment la façade atteste seule l'origine antique. C'est l'oratoire sur les dalles du[uel s'est agenouillée, et a prié Dieu pendant trente-six ans, Louise-Françoise de La Baume Le Blanc de La Vallière, la favorite du roi Louis XIV, » L'édifice a quelques mètres de longueur. Le fronton est orne- menté très-simplement. Au milieu d"un branchage de palme on distingue I H S, et au-dessous M. A. L'oratoire a un dôme à pignon très-élevé et dentelé sur les deux côtés. L'intérieur a été entière- ment transformé et affecté à une habitation bourgeoise. » A l'extrémité de l'intérieur du monument et à la partie gauche de l'endroit où s'élevait l'autel, était placé dans une niche le prie- Dieu de la royale recluse. C'est là que, chaque nuit, couverte d'un cilice, les pieds nus, la maîtresse du grand roi venait chanter et réciter les versets des matines. C'est là que, presque mourante de douleur, un jour la duchesse de La Vallière, prévenue de la visite de Bossuet, reçut le grand orateur chargé de lui annoncer la nou- velle de la mort de son fils, le comte de Vermandois. C'est là enfin que la duchesse de La Vallière vint lire à haute voix devant les religieuses, ses amies les plus intimes, la lettre chrétienne et émi- nemment consolante que lui adressa de Rome, en 1673, l'illustre pape Ganganelli, Clément XIV. » L'oratoire de !a duchesse est en ce moment habité par un négo- 830 API'ENDICE ciant en bois de construclion lui lient à honneur de respecter cette intéressante habitation, laquelle ne disparaîtra que dans quelques années, lorsque le bail de l'enclos seia fini. » Cet enclos, plus large alors i\\i"i\ n'est aujourd'hui, était, sous Louis XVIII, occupé par le célèbre jardinier-ileuriste, Silvain Péant, chargé des parterres des jardins royaux et des résidences royales. De magnifiques plates-bandes de rosiers se faisaient remarquer dans cette enceinte et l'on venait admirer ces arbustes de tous les luartiers de Paris. » La duchesse de Derry, qui aimait beaucoup les fleurs, vint un jour se promener chez Silvain et fut tellement frappée de la magni- îicence de ses produits qu'elle voulut emporter au château un bou- uet sorti de ces plates-bandes. » Pour conserver le souvenir de cette visite, le jardinier de Louis XVIII fit dessiner les roses qui composaient le bouquet de la duchesse de Berry, et, de ces dessins à l'aquarelle, qu'il lit mettre sous verre, il forma l'encadrement d'une glace sans tain existant dans la première pièce de l'oratoire et que l'on voit aujourd'hui dans un état parfait de conservation. » Voir le Moniteur du 25 mai 18G9 et le Clocher du 12 juin même anni^e. Nous ne blâmerons pas l'auteur de cet article intéressant, de participer â la piété populaire envers M'^e Je La Vallière. Tou- tefois on est plus exigeant pour un livre d'histoire que pour un ar- ticle éphémère de journal. Nous dirons, dans un autre paragraphe de cet Appendice, les impossibilités que rencontre la prétendue lettre du pape Ganganelli Clément XIV à Bl'ne de La Vallière, puisque il y a une confusion de dates. Ensuite, quand du seul des oratoires nombreux que renfermaille clos des Carmélites, du seul subsistant de nos jours, on en fait l'oratoire spécial de Mme de La Vallière exclusive- ment aux autres religieuses, M'ii^ d'Épernon et tant d'autres, sur quelles indications positives se fonde-t-on pour affirmer aujourd'hui cette particularité? Passe pour la niche où était placé un prie-Dieu si c'était l'oratoire spécial de M""e de La Vallière, rien ne s'oppose, dès lors, à ce que le prie-Dieu de la royale recluse fût placé là. Au reste, en ce qui concerne la visite de la duchesse de Berry dans l'enclos des Carmélites, et le souvenir qu'en voulut garder le jardinier-fleuriste Silvain, nous n'avons qu'à nous en reposer sur l'auteur de l'article, qui a dû recueillir, à cet égard, les traditions locales. Jusqu'où ne va pas la piété aussi bien que l'imagination popu- laire ? On a prétendu, sans aucune raison, que M""-' de La Vallière avait été ensevelie dans le sol de cette chapelle désormais appelée Oratoire de M'"c de La Vallière, ce que des fouilles réjjétécs n'ont nullement confirmé. Voici ce qu'on lisait, il y a plus de quinze ans, dans un article de journal, signé Albert-Aitbert, par conséquent avant \c- percement de la rue Nicole, et pendant que les rosiers de M. Péant embaumaient encore le faubourg Saint-Jacques L'agonie de M"i'' de La Vallière fut longue et douloureuse, ce corps si charmant NOTES RELATIVES A MADAME DE LA VALLIÈRE 831 st llclrissait et périssait en détail. Elle mourut oubliée de Louis, ou- bliée de ceux qui avaient vu son bonheur ; elle mourut les yeux levés vers le ciel, et la douceur que l'on y voyait peinte remettait en mé- moire les paroles que la pénitente avait dites à Mme de Montespan Non, je ne suis pas aise, mais je suis contente. » Et maintenant elle repose sous une chapelle mortuaire, dernier reste des Carmélites au fond d'un faubourg de Paris ; elle y dort au milieu des roses, comme si le ciel avait béni la tombe de la douce repentie. Paris a respecté le saint enclos, et sur cette terre sacrée il a planté ses fleurs les plus belles et les plus suaves. Des myriades de rosiers entourent la chapelle funèbre, et l'âme de sœur Louise res- pire dans le parfum de toutes ces roses ! » Tout en contestant la sépulture déiinitive, nous ne nous opposons pas au fait de dépôt provisoire rapporté récemment par un autre journal On prétend que le corps de la sœur Louise resta long- temps déposé dans la petite chapelle, que l'ouverture de la rue Nicole vient de dégager et de mettre en lumière. » Mais les poètes eux- mêmes n'onl-ils pas payé leur tribut? On nous assure que 31. Alexan- dre Dumas, qui s'est emparé du nom de M""" de La Vallière, dans son Vicomte de Bragelonne, comme dans son Siècle de Louis XIV, mentionne aussi la chapelle du grand couvent, dont il est ici question, et qu'on voit encore, égarée au milieu de constructions profanes. Une jeune fille, une héroïne de son roman des Mohicans, ayant sa demeure dans le voisinage du Val-de-Grâce, y parle, dit-on, de cette chapelle en y évoquant les souvenirs de M"e de La Vallière. Du reste, le Monde illustré du 10 avril 1869 et la Semaine des Familles du 14 août 1869 ont donné une vue de cette chapelle, longue d'en- viron dix mètres, avec le beau pied de vigne qui marie son feuillage aux sculptures noircies par le temps. Ce qui est sûr, c'est qu'on nomme ermitages, au Carmel, de petits oratoires que sainte Thérèse veut qu'on trouve, comme des stations pieuses, en divers lieux du monastère. L'oratoire qui subsiste encore rue Saint-Jacques peut, à certains égards, s'appeler YOratoire de M'"" de La Vallière, puisque certainement elle allait, comme ses compagîies, y prier. Un de ces oratoires du couvent de la rue Saint- Jacques avait dix tableaux peints sur bois par Ph. Champagne, re- présentant la vie de Jésus, six panneaux et plafond peints par le même. C'était probablement l'oratoire que nous voyons encore, et qui était le plus important, situé, au reste, presque au milieu du grand jardin. Le nombre considérable de pèlerins, que l'article de journal eu question a conduits pendant les mois de mai, juin et juillet, vers cet oratoire, témoigne de nouveau combien tout le monde s'incline de- vant M™" de La Vallière. Pour parler comme un des personnages d'un article de M. A. îSettement, si on est assez mal-appris pour garder son chapeau devant la duchesse, on se courbe devant Louise de la Miséricorde. » 832 AI'I* II DES LKTTIIES DE M'" IpE — COLLECTION EGERTON DC Muséum de loudres. — lettre inédite, conservée a charthes. — nom- breuses DÉMARCHES POUR LA FAIRE CONNAITRE AU PUBLIC. — LETTRE AUTO- GRAPHE ET INÉDITE DE M""» DE LA VALL'ÉRE A MGR HUET, ÉVÈQUE DE SOJSSONS. — LETTRE ALTOGKAPHE ET INÉDITE DE M"'>^ DE MAINTENON. Les lettres semblent encore un prolongement de la personne. Ces lignes tracées sur le papier survivent à l'existence matérielle de l'homme, parce qu'elles ne tombent pas comme lui sous les coups directs de la mort. Telle est la raison de l'importance qu'on attache à retrouver des lettres de personnages que le temps a couchés dans le tombeau. On les voit pour ainsi dire réapparaître et respirer dans leur correspondance avec leur génie, leur âme, leur cœur et leur intelligence. Les lettres ont même cet avantage, de présenter les hommes, en dehors de toute parade, avec leurs vraies pensées, telles qu'elles se répandent, simples et spontanées, dans un entretien confidentiel. De là, l'ardeur à rechercher des lettres et des autogra- phes de M""' de La Vallière, aussitôt après sa mort. Claude Lequeux est le premier qui publia, en 1767, un recueil de lettres d'elle, au nombre de cinquante la première datée de Tournay, le 9 juin 1673; la dernière des Carmélites de la rue Saint-Jacques, du 17 novem- bre 1693. Ces lettres adressées par l'illuslre pénitente au maréchal de Bellefonds eurent une grande vogue, le public les dévora. Ce recueil fit désirer celles qui demeuraient ensevelies » et que Le- queux n'avait pu recouvrer. Les fouilles ont recommencé de plus belle, dans le xixe siècle. On aurait voulu découvrir quelques dé- brisd'épîtres, danslesquelles Mmi'deLa Vallière aurait inscritquelque vivant souvenir deson paradisde Versailles. Aussi quel empressement et quelle foule dans les ventes publiques, où l'on annonçait des au- tographes de la célèbre carmélite! combien qui espéraient retrouver dans la poétique confidence de la duchesse la chanson dts vingt ans, toujours chantante, toujours haïe et toujours douce! » Qui ne pensait mettre la main sur quelque révélation touchant le roi, les enfants de Mm^' de La Vallière, sa rivale, enfin tout ce qui disputait son cœur à Dieu? 11 y eut en 1S27, 181i, 1845, 1817, 18o2, 1855, des ventes publi- ques, où figurèrent des autographes de la duehesse. M. Pierre Clé- ment et M. Arsène Houssaye en ont publié la liste d'après les catalo- gues Sotheby, Charon, Laverdet, Soleinne, M. L...,G..., Tout ce que nous y trouvons de ]lus saillant, c'est ce mot que M"'e de La Vallière écrivait à révèue d'Avranches, Jlgr lluet Je suis sy per- » suadée que le plus grand avantage qui me puisse arriver est d'eslrc ï oubliée. " NUTES UliLATlVES A MADAME DE LA VAELIEIŒ g33 Exislc-t-il de Mme de La Vallière beaucoup d'autres lettres, outre telles qui onlélô publiées jusqu'à ce jour? S'il fallait s"en rapporter aux Mémoires de la baronne d'Oberkirch, la duchesse de La Vallière possédait, en 1782, de nombreuses lettres de la carmélite. Mais plu- sieurs des assertions de Mme d'Oberkirch ont besoin d'être contrô- lées de plus l'opinion personnelle de M. Pierre Clémentde llnsti- tut est, qu'après ce qu'on a publié de cette femme dans ces derniers temps, il doit rester d'elle peu ou point d'autres lettres inédites. Voir 7J/rao/e Monlespau, à l'Appendice, p. 362. Commençons par remarquer qu'on ne retrouve pas de lettres de Mme de La Vallière, Our la période de 1661 à 1G70, c'est-à-dire pour le temps de sa faveur à la cour. Louis XIV a-t-il tout jeté au feu? Tout ce qu'on a découvert et publié est signé Louise de la aéricorde. Nous devons à Claude Lequeux les principales lettres que 3I"'e de La Vallière a écrites quand elle méditait sa retraite, et puis quand elle fut carmélite. Là se trouve un véritable intérêt épislolaire; ià on entend vibrer le cœur de cette personne célèbre. Les lettres que nous avons données de nos jours sont à côté de celles-là bien pâles ou nulles, sous le rapport de l'intérêl. M. Arsène Houssaye a inséré deux lettres inédites dans son livre sur iiy'ie de La Vallière {appendice, p. 410, 411, dont l'une est adres- sée à M. Dodart, l'autre au Père Mabillon. Il a donné un fac-similé de celle à Mabillon. Du moins danscette lettre, M^e de La Vallière jette un coup d'œilsur son passé; elle dit qu'elle marche avec ferveur dans la pénitence qu'elle est obligée de i faire, afin de n'avoir pas à ré- pondre un jour de ses crimes passés... » M. Pierre Clément, si dévoué de cœur et d'intelligence au'pro- grès de la science historique, a reproduit aussi dans son édition des Réflexions sur la miséricorde de Dieu, imprimée en 1860, douze let- tres inédites adressées à diverses personnes, par M"ie de La Vallière, depuis son entrée aux Carmélites. Depuis ce temps, M. P. Clément a eu la bonne fortune de découvrir cinq autres lettres inédites, dont il a enrichi son récent ouvrage sur M'"e de Monlespan, à l'appendice, p. 362 et suivantes. Il y a donc presque à désespérer maintenant de trouver aucune lettre inédite de Mme de La Vallière, après MM. Feuillet de Couches, P. Clément, de l'Institut, Arsène Houssaye. Nos investigations dans le but de découvrir quelques-unes de ces lettres, ont produit moins de résultat que nos recherches sur Marie-Thérèse d'Autriche. Nous nous étions adressé au Britisli Muséum de Londres pour retrouver. dans la collection de lord Egerton la trace d'une lettre de M'^e de La Vallière, sur laquelle M. Paul Lacroix, conservateur à la biblio- thèque de l'Arsenal, nous avait fourni quelques indications. Celle lettre n'a pu être découverte dans la vaste collection britannique. On parlait dans un article de journal d'une lettre adressée à Mws de La Vallière par le pape Clément XIV. S'il y avait une lettre 83i APPE.\'DÎCF> lu pape en 1076, elle ne jjourrait élre que du doux et paciliqur Altieri, qui devint Clément X en i'>70. Nous avons recherché une lettre de Louis XIV, curieuse p;ii su date, c'est-à-dire la première leltre que le roi adressa à MU'' de Vallière. Cette lettre dont il est question dans un des cha- pitres de celte histoire, se trouve aujourd'hui à Chartres en des mains qui, pour le momcnl, se sontrefusées à nous en douuer con- naissance. Voyages, démarches de toute sorte, tous les moyens em- ployés par nous, pour en obtenir communication, ont été sans succès. L'honorable iersonne que nous avions priée de renouveler nos instances, nous écrivait de Chartres, le L'' décembre 1862. — Monsieur l'abbé, » je me suis acquitté avec plaisir de votre commission auprès dr » jL^'c veuve R..., mais j'ai le regret de vous annoncer que cette i> dame est très-décidée à ne donner communication à personne, » mitre qu'à M. de des autographes que lui a laissé son mari. » Elle veut les vendre un jour, et le moment sera venu dès que » M. de en aura fait le dépouillement avec elle. Son intention » est de les offrir diredeiuent à la famille de.... avant de les mettre publiquement en vente. M. Cousin, ami de son mari, a vu cette 1 leltre de Louis XIV et d'autres avec, mais elle ne consentira plu-s » à les faire voir ; en un mot, cette dame ne fera rien que par 1' M. de J'eusse voulu, monsieur l'abbé, vous donner de>; » nouvelles plus heureuses, mais... » Même insuccès pour quatre autres lettres autographes de 'M'no tif La Vallière, dont M. Feuillet de Couches nous avait donné infor- mation. Nous sommes arrivés trop tard, nous nous en consolons, voici pourquoi. La plupart des lettres de M"' de La Vallière, qu'on donne, depuis cellesde Claude Lequeux, sont dépourvues en général de toute valeur littéraire et de tout intérêt historique. Elles n'ont d'autre importance que celle qu'elles tirent du nom et delà main tjui les a tracées. Très-insignifiantes en elles-mêmes, elles n'apprennent absolument rien, ne disent rien au cœur ni à l'esprit, ne font allusion à quoi que ce soit qui puisse intéresser le lecteur. Ensuite pour les quatre lettres en question, hàtons-nous de dire qu'elles ont déjà été publiées par Lequeux. Seulement, comme ce sont les originaux, les autographes eux-mêmes de M"hî de La Vallière, on pourra corriger Lequeux, s'il n'était pas exact. Ce sont les lettres à Bellefonds. Nous avons cru devoir essayer de nouvelles tentatives en ces derniers jours avril 1869 à Chartres, pour la première lettre de Louis XIV à M'ie de La Vallière, elles ont échoué comme par le passé. Si nous sommes bien informé, le propriétaire de cet autographe , simple billet du grand roi , se serait même plaint amèrement de notre insistance il se méfierait de nos intentions et refuserait d'admettre que ce soit un simple motif de A'OTES RELATIVES A MADAME DE LA VALLIÉRE SXi fiuriosilé, qui nous pousse à vouloir en' prendre communication. Voilà jusqu'où a 6l6 notre zèle, pour découvrix quelque chose d'iné- dit de Mme de La Vallière ; il nous a fait encourir un reproche d'in- discrétion, qu'il est toujours désagréable de recevoir. En attendant, nous sommes une des preuves vivantes que M. P. dément s'est trompé sur un des signes du temps, quand il a écrit la remarque suivante, {ui s'adresse, nous le croyons, au billet de Louis XIV, conservé t ' . JÉSUS V MARIA Nous vous » N' allons àv% Monseigneur, avec une extrême confiance » en V"'* bonté, espérant obtenir de v^ une grâce qui n= fera un sensible plaisir, elle est en V*^ pouvoir, c'est pourqu'oy » n^ croyons n'estre pas refusée. M. de la Ghesnaye, mon ancien amy, v' dira, Monseigneur, de quoy il* s'agit; n^ ^ n'antrons pas dans le détail n' mesme, crainte de v' impor- 1 Entre 1683 et lûSQ, puisque Huet fut évéque de Soissons en lt}85 et d'Avranches en 1689. 83G APPENDICE » tuner, vous assurant, Monseigneur, que n^ sommes avec respect v""" très-humble et très-obéissante fille et servante, s"" Louisi Di la miséricorde, R^"^ G*' INDIGNE. Suscription de la lettre Y Monseigneur Monseigneur l'évéque de Soissons. M, Clément, de l'Institut, a dit que l'original de cette lettre se trouvait à la Bibl. imp., Mss. suppl. français, n^ b' Correspon- dance deHuet, t. I. — 11 est positif que nous venons d'en voir l'origi- nal chez M. Gauthier la Chapelle, et que notre vénérable secrétaire de l'Institut historique nous a gracieusement permis d'en prendre copie. Voici maintenant la lettre inédite de Mme deMaintenon, écrite à l'occasion du mariage de Louise Julie d'Hautefort avec Auguste Su- blet, marquis d'Heudicourt ; elle est adressée à la marquise de Sur- ville Anne Louise de Crevant d'Humières, femme de Louis Charles d'Hautefort, marquis de Surville, et mère de Louise Julie. Adresse A madame, madame la marquise de Surville. Le cachet représente un fil à plomb avec celte devise Rectè. , " Ce 4 may 171o. Il m'a esté impossible, Madame, de répondre plustost à la lettredont vous m'avez honorée quelque envie que j'eusse devons marquer ma' joye et ma recognoissancedu bonheur » que vous procurés à M. le marquis d'Heudicourt il ne » pourra jamais. Madame, s'acquitter de tout ce qu'il vous » doit, car certainement vous luy faittes un beau présent et la manière a esté si agréable qu'il sembloit que tout i'advan- tageestoit devoslre costé,j'en ay admiré toutes les circons- tances et je me trouverois embarrassée si j'estois à sa place de tout ce quej'auroisàfaire pourm'acquitter de si grandes » obligations, j'ay toujours regardé comme une des miennes, » Madame, d'être plus que personnes votre très humble et très obéissante servante. » Signé Maintknox. » NOTKS RELATIVES A MADAME DE LA VALLIERE 837 m LE LIVRE DES Ri'flfxions HUT la miséricorde de Dieu, par iw^ de la vallière. l'exemplaire du LOUVRE, CORRIGÉ DE LA MAIN DE COSSUET. — QUATRE FAUES DU GRAND DAUPHIN, AVEC DES CORRECTIONS DE liOSSUET, POSSÉUÉES PAR l'auteur et employées PAR LUI POUR COMPARER ET POUR JUGER DE l'authenticité des de l'exemplaire DU LOUVRE. Les Réflexions sur la miséricorde de Dieu, par une dame péîiitente, parurent en 1680 ; elles onl été attribuées à M^'o de La Vallière. Ces réflexions n'avaient pas été écrites pour être publiées ; elles portaient en tête un avertissement qui expliquait ainsi la publication du livre et l'anonyme gardé par la pénitente Sa modestie et son humilité ne veulent pas qu'on la nomme, et elle n'aurait jamais permis qu'on publiât ces saintes réflexions si elle en avait été avertie et si elles ne lui avaient été enlevées par une dame d'une grande vertu, qui aurait cru commettre une injustice en privant les fidèles d'un ouvrage {ui peut être utile aux pécheurs qui veulent se con- vertir. » L'auteur manifestait ainsi le caractère tout intime de cet écrit, a tracé de sa propre main comme un registre des miséricordes de Dieu, afin que si sa foi venait à chanceler, son espérance à se refroidir et sa charité à s'éteindre, elle put rappeler à son âme par la lecture de ce papier le souvenir et le sentiment des bontés et de la grâce de Dieu. » La bibliothèque du Louvre possède un exemplaire des Réflexions suj' la miséricorde de Dieu, qui est de l'année 1688, cinquième édi- tion, Paris, chez Dezallier; cet exemplaire a l'importante particu- larité de porter de nombreuses corrections marginales ; car voici ce [ue dit de ces corrections manuscrites, une note d'écriture ancienne inscrite sur la garde du volume que possèile le Louvre Cet ex- cellent ouvrage de M^c de La Vallière a été corrigé, comme on le voit de la» main de M. Bossuet ; ces corrections faites avec une sagacité rare, rendent cette édition bien précieuse. » Que penser de l'authenticité des Réflexions et de l'authenticité des corrections de Eossnet ? Le livre des Réflexions sur la miséricorde, vient-il de madame de La ^'allière, et les corrections de Texemplairc du Louvre sont-elles de la main de Dossuet ? En 170D, ce livre en était à-sa huitième édition. Rien ne prouvait au premier abord qu'il fût de Mm" de La Vallière, et quelques cri- tiques prétendirent qu'il pouvait aussi bien être de M"h> de Longue- ville, de M"»p de Montespan ou de quelque autre illustre pénitente. Mais ces doutes ne supportent pas l'examen ; la tradition a toujours attribué ce livre à JI>""îdeLa Vallière. Dès les premières éditions, et du vivant même de M"'»-^ de La Vallière, les journaux de Hollande la 838 iioinmèrent. Le succès extraordinaire que ce livre eut en France, indique que l'opinion n'hésilait pas sur sa provenance. 11 s'en fit à Paris cinq éditions dans l'espace de huit années, et les deux pre- mières dans moins de six mois, coup sur coup. Cette curiosité si empressée du public, tenait au nom de 3Ii"c de La Vallière, cir- culant mystérieusement de bouche en bouche. Plusieurs éditions se succédèrent de 1680 à J710 ; on en retrouve de if93 ; toutes portent le même pseudonyme Par une dame pé- nitenle, » sans un mot de plus. En 1710, sœur Louise de la Miséri- corde meurt, et presque immédiatement après, en 1712, une nou- velle édition jjaraît, enrichie celle fois d'une vie de M"ie de La Vallière, qui divulgue le secret déjà connu, au reste, de la partie informée du public. L'opinion sur le véritable auteur des Reflexiom était donc parfaitement établie du vivant de Mme de La Vallière. 3Ioreri dit dans son Dictionnaire historique 17o9 On lui a tou- jours attribué un petit ouvrage de piété qui a eu grand cours sous le titre de sur la miséricorde de Dieu. » Bayle, l'abbé Lequeux, le P. Lelong, le savant Barbier l'attribuèrent comme Moreri à la célèbre duchesse. M. le baron Ernouf cite dans un sa- vant article le passage suivant des Nouvelles de la république des lettres, de Bayle, sous la rubrique du mois de septembre 1684, deuxième édition d'Amsterdam, passage qui nous donne tout à la fois des détails intéressants sur la vogue que cet opuscule obtint dès le début, et sur plusieurs éditions de Hollande, échappées aux premières recherches de l'éditeur de 1861. Les négociations rolaiives à la délivrance des esclaves eurent moins de succès; elles furent entravées, nous devons l'avouer, par le peu d'empressement que montra Louis XIV à se dessaisir des Maures enrégimentés dans les chiourmes de ses galères. » Dix années plus tard, il la suite de nouvelles hostilitéi où Salé eut beaucoup h souffrir, nouveau traité plus a^antageux encore 0ur la France. » Muley-Ismaël voulut, lui aussi, tirer profit de la paix qui avait été signée; à la veille de commencer contre les Espagnols l'inter- minable siège de Ceuta, il eut l'idée d'intéresser Louis XIV à son entreprise. Donnez-nous, disait-il à M. Pidou de Saint-Olon qui » était venu auprès de lui en mission particulière, donnez-nous des » bombes, des armes et des ingénieurs, pi'ometlcz-nous de tenir une >' armée de mer dans le détroit, pondant que nous assiégerons la " place par terre; cela accordé de votre part, tout vous sera ac- » cordé de la nôtre. » » Les réponses évasives de M. de Saint-Olon jetèrent quelque sur- prise et quelque amertume dans le crur de son farouche interlocu- teur. » Cependant Muley-Ismaël ne songea pas à se venger, il s'em- pressa même d'envoyer à Louis XIV cette fameuse ambassade du Maroc qui amusa, sur les derniers jours du dix-septième siècle, une société déjà lasse de son antiiue simplicité, et avide de nou- veautés. » Abdalla-Ben-Aïssa, amiral de Muley-Ismaël, arriva en France le 11 novembre l!''.>8, ]ortanl avec lui de riches présents trois peaux de lion dune grandeur extraordinaire, six douzaines de peaux de maroquin, les étoffes les plus précieuses; semant ses dis- cours de mots h>urcux, de saillies aimables, de galanteries orien- tales. » A Brest, quelques dames lui ayant demandé pourquoi ses co- religionnaires prenaient jjlusieurs femmes, il répondit que c'était > afin qu'ils pussent trouver en plusieurs ce qu'on rencontre asscm- i blé abondamment en France dans chacune en jarticulier. » n A Uennes, l'intendant général de la province l'ayant prié de lui accorder quelque part en son amitié, il répliqua que ceux qui » avaient celle du roi, comme lui, devaient plutôt lui offrir leur pro- » t'^ction que lui faire une demande de si peu d'importance, » » A Paris, il ne se sentit pas assez d'admiration pour tout ce qu'il voyait; et un jour, penché sur l'un des balcons du vieux Louvre, il NOTES RELATIVES A MADAME DE LA VALLIÈRE 859 s'écria, en regardant la Seine qui coulait au-dessous Quand ces » ondes seraient de l'encre, elles ne suffiraient pas à décrire tant de » merveilles qui ne iailent que de la grandeur et de la magnificence y de Sa Majesté. » » A Versailles, devant l'un des ,jns d'eau les plus élevés, il dit Il suit la renommée de son mailre, il voudrait aller jusqu'aux » cieux. s » Abdalla ne se montra pas seulement un hôte plein de grâce cl d'esprit, digne héritier des Maures de l'Alhambra et de Grenade, il laissa le souvenir d'une âme généreuse et fidèle. » Étant à Amboise, il se fit conduire dans la plaine de Saint- Martin-le-Beau, oii quelques archéologues placent le champ de ba- taille de Charles Martel et des Sarrasins; et là, on le vit se pros- terner avec toute sa suite, réciter les prières les plus ferventes, et recueillir un peu de la terre sainte, de la terre qu'il appelait le pavé des martyrs. ï Durant son séjour à Paris, l'ambassadeur barbare sollicita l'hon- neur d'cêtc présenté à Jacques II, dont il avait été le prisonnier à Londres, et qui lui avait rendu la liberté sans rançon ; il se jeta à ses genoux en pleurant, et le monarque découronné pleura à son tour en recevant ces effusions d'une reconnaissance qui lui arrivait après tant de trahisons. » Muley-Ismaël, frappé par tous les récits d'Abdalla-Ben-Aïssa sur la cour et le pays de France, conçut un dessein plus ambitieux encore que le siège de Ceuta avec l'aide des fleurs de lys, il demanda à Louis XIV la main de la princesse de Conti, assurant qu'elle reste- rait dans su i-eli'jion, intention et manière de vivre ordinaire. » Louis XIV répondit sans sourire, que le Dieu qu'adorait la prin- cesse de Conti ne lui permettait pas de saiisfaire aux désirs de Muley-Ismaël. » Marie-Anne de Bourbon, légitimée de France, fille de M""" de La Vallière, était, on l'a dit dans le cours de cette histoire, célèbre par sa beauté ainsi que par la vivacité et la délicatesse de son esprit. Muley-Ismaël, étant devenu amoureux d'elle sur son portrait, donna lieu à ces vers de Rousseau Votre beauté, grande princesse, Porte les traits dont elle blesse Jusques aux plus sauvages lieux. L'Afrique avec vous capitule. Et les conquêtes de vos yeux Vont plus loin que celles d'Hercule. Ce même portrait, ajoute-t-on, trouvé dans les Indes au bras d'un armateur français pardon Joseph Valeïo Castillan, fils de don Alphonse, mort vice-roi de Lima, lui inspira une passion vio- lente qui divertit longtemps la cour et Paris. Voir la Déesse Monas, on l'Histoire du jortrait de la princesse de Conti, petit volume im- primé en 1698. 860 API'KNDICK C'est le lieu de reproduire ici trois lettres inédites que M. le comte Maxence de Damas d'Hautefort a eu l'obligeance de nous communiquer et dont il a l'original. Elles sont de François-Louis de l>ourhon, prince de Conti. Armand de Bourbon, auteur de la branche des princes de Conti, marié à Louise-Marie Martinozzi, nièce du cardinal Mazarin, avait eu plusieurs fils; l'ainé Louis-Armand, né en 1601, qui fil sa pre- mière campagne en ljS3, avait épousé M'i" de lîlois, fille de M™» de LaVallière, il mourut on IfiH.". Son frère, François-Louis, prit, à la mort de l'aîné, le litre de prince de Conti. Nous donnons de ce dernier trois lettres. La pre- mière est à la marquise de Surville, à l'occasion de la mort de son père, le maréchal d'Humières. La seconde, à la marquise de Sur- ville, est écrite à l'occasion de la blessure que reçut le marquis de Surville. La troisième est écrite pour la même raison à Gilles, comte d'Hautefort. PREMIERE LETTRE. Adresse A madame madame la marquise de Surville, à Paris. Le cachet séparé en deux est aux armes de Bourbon de Condé. Au camp de Courtray, ce 8 septembre. » Je prends, Madame, une véritable part à la perte que vous » venés de l'aire de M. votre père et à la douleur que vous en » avés, je vous en supplie den estre persuadée et que je suis » votre très-humble et très-obéissant serviteur. » Signé François Louis de Bourbon. » DEUXIÈME LETTRE SANS ADRESSE. Vous scavés. Madame, combien je m'intéresse à ce qui » vous regarde. Je ne doute point que M. de Surville ainsi » que vous ne soyés persuadés de ma véritable douleur; je » vous prie que cette lettre soit pour luy comme pour vous de ne point vous donner la pe^iie de me l'aires response et » destres persuadée que Ion ne peut vous honorer plus véri- » tablementqueje fais. » Signe François Louis de Bourbon. » TROISIÈME lettre SANS ADRESSE. Vous m'avez fait grand plaisir, Monsieur, de me mander NOTES RELATIVES A MADAME DE LA VALLIÈRE 861 » des nouvelles -de M. de Surville, je vous prie de me faire » scavoir en quel estât vous lq,vés trouvé, de luy faire Lien des » compliments de ma part et a AP^^de Surville aussi et destre » bien persuadée de l'estime et de l'amitié quej'ay pour » vous. » Signé François Louis de Bourbon.» A Meudon, ce 11^ novembre. On a vu que la duchesse de La Vallièrc avait un frère, Jean P^ran- çois de La Baume le Blanc, qui fut gouverneur et grand sénéchal de la province de Bourhonnais, capitaine commandant les chevau- légers de M. le Dauphin , maréchal des camps et armées du roi. Il commanda des troupes en Hollande en 1665 et 1666, en Berri, dans le Nivernais et le Bourbonnais en 1674 et 1675. C'est de ce côté que se continue la descendance. Ce marquis de La Valliôre avait épousé Gabrielle Glé de La Cotardaye, qui fut dame du palais de la reine Mario-Thérèse. Ce frère de la carmélite, qui mourut en 1696, eut de son mariage 1° Charles-François, 2° Maximilien Henri, 3'^ Maric-Louise-Gabricllc , 4° Marie-Yolande. Charles-François de La Baume le Blanc, marquis, puis duc, fut lieutenant général en 1709. 11 avait épousé, en 1698, Marie-Thérèse de Noailles, fille du maréchal de Noailles, et dame du palais de la dauphine. C'est ce cousin germain que Mi'c de Blois, fille légitimée, princesse de Conti, restée sans enfants, fit son héritier. Elle lui laissa les terres de Vaujours, tous les biens de la duché-pairie, à l'occasion de son mariage en 1698. Le roi Louis XV érigea de nou- veau le duché en faveur de Charles-François, par lettres patentes e février 1723. Quelques généalogistes mentionnent, parmi les neveux de la car- inélite, Maxi^nilien-Henri de La Baume, chevalier de La Vallière; il n'y a rien à en dire, sinon qu'il fut sous-lieutenant des gendarmes bourguignons. On cite aussi une nièce, Marie Yolande, qui fut ma- riée en 1697, au marquis du Brosset qui mourut en 1723.^^110 épousa en secondes noces, en 1726, Jean-Louis de Pontdevez, comte de Tournon, lieutenant des galères du roi. 11 n'est rien dit de sa pos- térité. On a un peu plus parlé de l'autre fille du frère de M"^e de La Val- lière, c'est-à-dire de ^.o.anros de La Baume de La Vallière, que la princesse de Conti, légitimée de France, et sa cousine, avait fait son héritier. Charles-François avait épousé Marie-Thérèse de Noailles, tille et sœur de deux maréchaux de ce nom. Celte duchesse de La Vallière, née en ICSi, mourut dans sa centième année, en l784. Le père de M. le duc d'Uzcs actuel ancien député se rappelait l'a- voir vue. De ce mariage vinrent deux cnïanis Lcuis-C tsar, duc de Vanjours, et Louis-François. Ce dernier mourut sans alliance, âgé seulement de vingt et un ans, colonel du régiment du Vivarais. Louis-César de La Baume le Blanc, né en 1701, mort en 1782. second et dernier duc de La Vallière, s'appela d'abord le duc de Vaujours. 11 fut gouverneur du Bourbonnais, brigadier d'infanterie, grand fauconnier de France et chevalier des ordres. Ce noble duc de La Vallière, Louis César, est surtout connu dans les lettres comme le bibliophile le plus distingué de l'Europe. Sa bibliothèque, qui était une des plus irécieuses qu'un particulier eût réunie, et surtout la science, le goût, l'intelligence qui présidèrent à cette magnifique collection, lui donnèrent une grande célébrité. Son nom vil toujours en un profond respect dans la mémoire des biblio- philes. Le catalogue de la bibliothèque La Vallière, fut rédigé par MM. de Bure et Van Praet; la première partie fut vendue 464, G77 livres 6 sols; la seconde partie, qu'acheta M. le marquis de Paulmy, forme, dit on, le fonds principal de la bibliothèque de l'Arsenal le comte d'Artois, bibliophile distingué dès sa jeunesse, acquit ce fonds avant la révo- lution. Ce duc de La Vallière avait épousé, en 1732, Anne-Julic-Françoise de Crus-sol, une des plus belles et des plus élégantes personnes de son temps, née en 1713 de Jean-Charles Crussol, duc d'Uzès, et de Anne-Marguerite de Bouillon. Elle tint un salon célèbre, dont parle dans ses mémoires la baronne d'Oberkirch, et où passèrent tous les souverains de l'Europe. Elle y reçut, non-seulement ce que les lettres et les arts avaient de plus distingué, mais aussi l'empereur Joseph II, les rois Gustave III, Christian VU, le grand-duc, plus tard Paul I^'' de Russie, le prince de dalles, Georges IV. Quelques lettres de cette duchesse de La Vallière, que possède M. le duc d'Uzès, nous repor- tent avec une entière exactitude à cette brillante époque de l'hôtel de La Vallière, et font foi de ce règne de l'élégance et de la gran- deur. La beauté de la duchesse de La Vallière survécut à l'âge ; NOTES UELATlVtS A MADAME DE LA VALLIÈRE 863 M'"' d'IIoudclot fit pour un de ses portraits un quatrain qui est resté célèbre La nature [jruiien^e et sage Força le temps à respecter Les clianni's de ce beau visage Qu'elle n'aurdil pu répéter. Cette duchesse de La Vallicre, née, comme on a dit, en 1713, veuve du bibliophile depuis 1782, vécut jusqu'en 1796, et ne laissa' qu'une tille unique, en qui s'éteignit le nom de La Vallière. Cette lille unique, Adrienne-Emilie-Félicité de La Baume le Blanc, née en 1740, épousa en 17oG Louis Gaucher, duc de Chalillon. Celui-ci, né en 17;]7, mourut fort jeune, en 1762, de la petite vérole qu'il avait gagnée en soignant les soldais de son régiment. Il n'eut que deux tilles; la seconde, mariée au duc de La Trémoïlle, ne laissa pas d'eiiiants; l'aînée avait épousé son cousin, issu de germains, le duc de Crussol, plus lard duc d'Uzès. Amable-Emilie de Chalillon, duchesse d'Uzès, est morte en 1840. Deux de ses enfants laissèrent une postérité. L'aîné, Emmanuel, qui avait épousé MH'^ de Mortemart, mourut du vivant de son père, veuf et duc de Crussol en 1837 c'était le père de M. le duc d'Uzès actuel, que nous avons l'honneur de connaître, et qui est resté seul, du côté de ses ascendants, depuis la mort de sa sœur la duchesse de Tourzel. La dernière survivante des enfants du duc d'Uzès et de M"" de Chalillon fut la marquise de Bougé, morte octogénaire en 1866, laissant une nombreuse lignée. C'est à sa succession, non encore partagée, qu'appartiennent la terre de Reugny el le petit château de La Vallière, dont il a été question dans les premiers chapitres de cet ouvrage. Nous avons dit que ce modeste château, qui date du xvr siècle, est en partie debout, et qu'il offre quelques jolis échan- tillons de l'archi lecture de la Renaissance. On désigne encore ce petit château du nom de Pelil-La-Vallière. Les parents de M. le duc d'Uzès vendirent après la première révolution, par nécessité, ce qui était resté des vastes domaines de la duché-pairie, duché de Vaujours. Ajoutons que Marie-Thérèse de NoaiUes, duchesse de La Vallière, — Anne-Julie-Françoise de Crussol, duchesse de La Vallière, — Adrienne E. -F. de La Vallière, duchesse de Chalillon,— Louise de Chalillon, duchesse de la Trémoïlle, — et Amable Emilie de Cha- lillon, duchesse d'Uzès, sont enterrées dans la chapelle du château de Wideville , commune de Crépières, aux environs de Paris, non loin de Saint-Germain. Cette propriété ne provient pas des successions de La Vallière, elle était personnelle à Anne-Julie-Fran- çoise de Crussol qui y lit établir sa sépulture ; elle se trouve aujour- d'hui dans la succession de son arrière-pelile-iille, la marquise de Rougé. 864 AI^PENDICE Un moderne historien parle de VHôtel dit de Châlillon, rue du Bac, habité autrefois par M™' de La Vallière » Saint Vincent de Paul, par l'abbiî Maynard, t. 4, p. 296 un édifice disparaît moins facile- ment que des liasses de papier. On lit dans les Mémoires de la baronne d Ohericirch, qui visita la duchesse de Crussol La Valliôre, vers 1782, que cette dernière possédait de nombreuses lettres de sœur Louise de la Miséricorde. Que sont devenues toutes ces lettres? » s'écr'ait devant nous, en 1868, l'un descendants de la duchesse, M. le duc d'Uzès actuel. — Hélas ! il se lève des ouragans qui emportent les frêles feuilles que la main de riiommc avait chargées de notes et de souvenirs ! Il ne nous appartient pas de dire ici comment les nobles et che- valeresques façons des La Vallière d'autrefois revivent dans M. le duc d'Uzès d'aujourd'hui; nous ne pouvons raconter les services qu'il a rendus au pays, soit à l'armée, soit à la chambre des députés. Je me tairai aussi sur son fils qui continue de servir la France suivant les nobles traditions paternelios. Il est de ces mérites qu'il serait presque indiscret d'étaler plein de gratitude pour l'hos- pitalité qui nous fut si cordialement offerte au château de Bonelle, nous craindrions qu'une appréciation dictée par un mouvement de simple juslice ne parût émaner de la reconnaissance, et qu'on ne prît un acte de jugement pour un acte de sentiment. Je ne terminerai pas celte note, sans y ajouter ici un mot sur la Guirlande de Julie, parce qu'on a paru ignorer plus d'une fois ce qu'était devenu ce célèbre manuscrit, intéressant la famille des La Vallière-d'Uzès, cet album d'autographes, cette galanterie raffinée » de M. de Montausier pour Julie d'Angennes, comme l'appelle M. Feuil- let de Couches. On n'a pas oublié que cinq ans avant son mariage, vers 1642, le duc de Montausier avait fait exécuter pour Julie Lucine d'Angennes de Rambouillet un ouvrage demeuré célèbre sous ce nom de hdrlnnde de Julif. C'étaient deux cahiers de vélin , absolu- ment pareils, dont chaque feuille contenait une lleur peinte en mi- niature par Robert, et accompagnée d'un madrigal ; les vers avaient été composés par les meilleurs poêles, et copiés par le calligraphe Jarry. Dix-neuf poètes prêtèrent leurs voix à vingt-neuf fleurs; Mon- tausier avait donné l'exemple, et Corneille lui-même s'était chargé du lys, de l'hyacinthe et de la grenade. Ainsi, quelque temps avant, M'" des Losges avail eu son album où tous les beaux esprits de l'époque, tous les pousseurs de beaux sentiments , comme dit Feuillet de Conrhes, avaient tenu à s'inscrire en prose et en vers. Ce précieux manuscrit de la Guirlande, après avoir été, dit-on, entre les mains de l'abbé de Rolhelin et de M. Rose, fut acheté par le duc de La Vallière, ]elil-ncveu de la carmélite et arrière-grand- père du duc d'l>/.cs de nos jours. Mais la vente de la bibliothè[ue du duc de La Vallière, en 1785 , a jelé de l'obscurité sur le sort du manuscrit. Un petit volume in-24 imprimé en 1818 et publié par la maison NOTES HELATIVES A MADAME DE LA VALLIEHE 803 Didot, intitulé simplement la Guirlande de Julie, reproduit la notice bien connue de Gaignières sur ce célèbre ouvrage. On y ajoute qu'il a été acheté à la vente du duc de La Vnllière par un libraire de Londres, nommé Peyne, et qu'il est resté en Angleterre. Cette asser- tion est complètement inexacte. Il semble, d'après cet opuscule, que La Guirlande a passé en pays étranger et qu'on ne sait aujourd'hui ce qu'elle est devenue. Mieux encore, la forme même du manuscrit parait être ignorée ; car dans la notice des Didot, si l'on a donné exactement le texte qui d'ailleurs a été plusieurs fois publié, la gra- vure des fleurs est toute différente de l'original. Ces erreurs répétées et propagées appellent un mot de rectification sur La Guirlande. Non, dirons-nousavec M. le duc d'Uzès, la. Guirlande de Julie, l'ori- ginal offert par le duc de Montausieren 1640 ou 1642 à Julie-Lucine d'Angennes, n'a pas été vendu à un libraire anglais et n'a pas quitté la France. A la vente des livres du duc de La Vallière en 1783, le manuscrit de Jarry a été racheté par la duchesse, sa veuve, qui a survécu quinze ans à son mari. En publiant le catalogue de la magnifique bibliothèque La Val- lière, Debure avait dit dans sa préface qu'on n'avait rien voulu » supprimer du cabinet de M. le duc de La Vallière destiné à ren- » fermer les livres les plus précieux. » • Ce que Debure avait soin d'énoncer se pratique encore aujour- d'hui aux ventesdescoUectionscélèbres, afin de nepas décourager les principaux amateurs. La Guirlande, comme tant d'autres œuvres précieuses dont quelques-unes ont également été conservées par la succession, dut subir le feu des enchères et ce fut au prix énorme alors de 14,510 francs que le manuscrit fut adjugé à la veuve du duc. M"" de La Vallière avait d'ailleurs un intérêt particulier à cou- server ce beau livre. La fille unique de Montausier et de Julie avait épousé le duc d'Uzès. La duchesse de La Vallière, Anne-Julie de Crussol-d'Uzès , se trouvait être l'arrière-petile-fille delà duchesse de Montausier dont le nom et le souvenir se trouvaient si intimement liés kLa Guirla7ide. On dit encore dans la notice de 1818 à propos du manuscrit Nous ignorons entre les mains de qui il est passé. » Cette igno- rance surprend de la part d'un éditeur qui se nomme Didot ! La Guir- lande de Julie naxa'il jamais quitté la France, ni, depuis plus d'un siècle, les mains de la famille naturellement appelée à la posséder. Après la vente du duc de La Vallière, nous avons vu qu'elle était restéeaux mains de laveuve. Elle passa ensuite à la duchesse de Cha- tillon, fille unique du duc et de la duchesse de La Vallière ; la duchesse d'Uzès à son tour la tint de sa mère ; et c'est là que se trouvait ce beau manuscrit, quand Didot publiait sa note de 1818. Aujourd'hui on suivrait mieux la trace d'une curiosité bibliographique aussi célèbre. La Guirlande de Julie appartient maintenant à M. le duc d'Uzès ; nous tenons cette gracieuse communication de celui-là même qui possède ce précieux manuscrit. NOTES RELATIVES A LA REINE MARIE-THERESE D'AUTRICHE VI LES CARMÉLITES DE l'aVENUE DE SAXE , A PARIS. — LEUR FONDATION RUE DU BOULOI. — MARIE-THÉUÈSE d'AUTKICHE , LEUR FONDATRICE. — HISTOIRE DE CES — LEUR TRANSLATION RUE DE GRENELLE AU FAUBOURG SAINT-GERMAIN EN 1689. — SUPPRESSION EN 1792. — RIXONSTITUTION RUE DE VAUGIRARD , MAISON DES CARMES, EN 1798. — TRANSLATION, AVENUE DE SAXE, EN 1854. — M"" DE SOYECOURT. — OBJETS d'aRT. — SAINTES RELI- QUES. — TABLEAUX DE LE SUEUR. LE BRUN, MIGNARD. — PORTRAITS. — MADAME LOUISE DE FRANCE. Il nous est iniiOssiblc do ne pas signaler dans tous ses dévelop- pements une des fondations de Î\larie-Tliérèse d'Autriche, qui lui fut particulièrement chère. Nous rangerons ce que nous avons à faire connaître du monastère de la rue de Grenelle, précédemment rue du Bouloi, sous deux titres l'histoire de ce pieux établissement et son personnel. Le désir de donner au public des documents la plupart inédits, surtout le liesoin de signaler une maison respectable, qui a parfai- tement conservé l'esprit de sa fondatrice, tout cela nous fait un de- voir d'insérer ici les recherches minutieuses que nous avons faites relativement au monastère des Carmélites de la rue de Grenelle, transporté aujourd'hui avenue de Saxe. On n'a pas à s'expliquer ici sur les autres couvents du même ordre, qui, tous, sont restés dignes de sainte Thérèse. En ce qui concerne le monastère de la rue de Grenelle, il y a cette remarque à faire que, depuis la fondation en lG6't jusqu'à nos jours, les carmélites qui en ont fait partie ainsi que l'ensemble du couvent, n'ont cessé de mettre en pratique cette piété cachée, cette modestie, cette simplicité qui furent si chères à la pieuse reine Marie-Thérèse d'Autriche. Il y a plus d'éclat ailleurs; mais, rue de Greneilo, on n'est jamais sorti d'une certaine pauvreté relative. Toute l'attitude historique du couvent a été, pendant deux siècles, humble, modeste, solidement évangélique. xNOTES RELATIVES A MABIE-THEHESE bAUTUlCHE 807 Un mot donc sur l'histoire et sur les choses. Nous nous occupe- rons des personnes dans le paragraphe qui suivra. Les monastères de femmes ne peuvent guère avoir d'histoire. Étrangères au monde, leur profession est justement de se mêler peu aux affaires de leur temps. Par conséquent leurs annales se rédui- sent, à l'égard des séculiers du moins, à fort peu de chose. La créa- tion du monastère, son agrandissement territorial, les vicissitudes temporelles s"il en a éprouvé, voilà le cadre de cette histoire. Le couvent a-t-il prospéré sous le rapport spirituel? Les âmes qui s'y sont renfermées, de siècle en siècle, y ont-elles, tout en participant à notre humanité, travaillé efficacement à se perfectionner? Voilà les seules jucstions qu'on peut poser à l'occasion de la maison des Carmélites, dont la reine Marie-Thérèse fut la fondatrice. La maison de la rue du Bouloi acquit dès le principe une grande réputation de sainteté. Aussi fut-elle bientôt peuplée. Nous ne répéterons pas ici les détails déjà donnés au chapitre VI sur la fondation du couvent et sur les fréquentes visites de la reine Marie-Thérèse. Mais disons aussitôt qu'il y a pour tous en ce monde à compter avec la question des ressources matérielles dans leur pro- portion avec les besoins de l'établissement. On a déjà vu au chapitre VI toutes les libéralités de la reine Marie- Thérèse envers le couvent de la rue du Bouloi, libéralités tant d'ordre temporel que d'ordre spirituel, les reliques qu'elle s'em- pressa d'offrir à ses chères filles, la sainte Face miraculeuse qu'elle tenait de la reine d'Espagne, sa mère; le Crucifix miraculeux, rap- porté de Besançon par Louis XIV. — Nous avons reproduit les dif- férentes lettres ou décrets de fondation du monastère délivrés par Louis XIV. Il faut reprendre le cours des choses et le fil de l'his- toire à la mort de la reine Marie-Thérèse. Nos documents sont empruntés des manuscrits du Garmel de l'avenue de Saxe, dans lesquels les saintes religieuses nous ont permis, avec une rare complaisance, de puiser abondamment. Nous avons joint à ces documents leur propre tradition dont nous nous sommes inspiré, et ce qu'elles ont inséré elles-mêmes, soit dans une notice, publiée à Paris en 18oi, et rédigée par la sœur Saint- Jérôme du couvent des Oiseaux, soit dans une histoire du monas- tère, parue à Troyes en 1866, imprimée chez Bertrand-Hu. Les Carmélites de la rue du Bouloi, qui n'étaient pas riches, per- dirent immensément à la mort de Marie-Thérèse. Dès l'année I680, la maréchale de Navaillcs leur vint en aide ainsi que M>»e Charlotte de Roquelaure, duchesse de Foix. La duchesse de Noailles, mère de l'archevêque de Paris, obtint d'avoir un appartement dans leur couvent, où elle mourut, en 1697. Le moment était venu de passer par les épreuves de la misère. Les dames dePolignac, de Cossé-Brissac, la princesse de Carignan, la duchesse du Lude, le duc de La Feuillade, M"e d'Espagny, le Régent, Madame Louise-Adélaïde d'Orléans, abbesse de Ghelles, la 6tW APPEN'DICK marquise de l*ompadour, tille du maréchal do Navailles, la riche I\liiio d'Esmadrvds, la marquise de Trainel, la comtesse de Brassac, la marquise de Sourcillon, la duchesse de Croy d'Havre, ainsi que la maréchale de Navailles, la duchesse de Noaillos, la duchesse de Foix et W'nc de Mainlenon, s'intéressèrent d'une manière spéciale au monastère pendant ses premières cent années. Cela n'empêcha pas les Carmélites d'en venir à l'extrémité, à deux doigts de la ruine de leur maison, dans un moment fort critique. Rue du Bouloi, on manquait d'air, inconvénient grave pour une communauté cloîtrée, et il n'y avait pas moyen d'y remédier, puis- qu'on était entouré de maisons séculières. De plus, on y était plus que jamais molesté par les vues étrangères, comme disait alors l'abhé Chanul, les maisons voisines plongeant chez les Carmélites. On acheta un terrain et des maisons qui se trouvaient rue de Gre- nelle, dans la censive de la manse abbatiale de l'abbaye de Sainl- Germain-des-Prés, à l'endroit qu'occupe aujourd'hui l'église Sainte- Clolilde, oij se trouvaient de spacieux jardins; et Ton s'y installa en 1089. Les religieuses étaient alors au nombre de trente-cinq. Les corps des religieuses cl bienfaitrices décédées à la rue du Bouloi furent rapportés à neuf heures du soir dans le nouveau monastère avec les cérémonies accoutumées pour pareils transports, au grand B déplaisir des voisins que l'on quiltoit, » disent les chroniques du Carmel ces bourgeois étant persuadés que c'étoit pour eux une » source de bénédictions, se plaignoient en disant On nous enlève » nos saintes. » La vente de la maison de la rue du Bouloi devait suffire, on l'espérait, pour couvrir les frais de l'acquisition nou- velle. Ici commencèrent les tribulations. La vente de l'immeuble de la rue du Bouloi n'eut pas lieu tout de stiite. La guerre ayant éclaté, les personnes qui s'étaient offertes pour cette acquisition, retirèrent leur parole et fermèrent leur bourse. Cependant, il fallait continuer les travaux commencés à la rue du Bouloi pour pouvoir tirer secours des loyers. De là la néces- sité d'emprunter, et les dettes s'accumulant sur les dettes. Les em- barras augmentèrent. Les maisons de la rue du Bouloi qui com- mençaient à peine à être de quelque ressource, furent taxées à 41,000 livres d'amortissement, qu'il fallut payer sans retard. Non- seulement l'argent man[uait, mais la situation présente du monas- tère mettait les religieuses dans l'impossibilité de trouver à emprunter. M. de Pontchartrain, secrétaire d'Etal, ordonna en conséquence que les susdites maisons fussent vendues. Toutefois, on échappa à celle menace de ruine. Le marquis d'Argenson, lieutenant général de police, s'était rendu au Carmel pour signifier cpt arrêt. Cet homme si dur rencontra une femme de tête; il de- manda au parloir la Prieure. C'était Ml'" de Canapvillc. Son sang- froid, sa présence d'esprit surent mettre le marquis d'Argenson dans ses intérêts. On put faire intervenir M'iic de Maintenon et l'af- faire s'arrangea pour le moment l'arrêt de vente fut suspendu. xNOTES RELATIVES A MAHIE-THERESE D'AUTRICHE 869 On ne doit pas oublier que celle maison de la rue du Bouloi avait, en se formant, contracté 91,000 livres de dettes avec le couvent de la rue de Saint-Jacques, ci que d'autre part l'accommodement avait manqué pour les maisons de la rue du Bouloi, puiscju'on n'avait abouti qu'à de nouvelles charges, qu'il avait fallu y faire, concur- remment avec les travaux de la rue de Grenelle, dos r^'parations qui les rendissent habitables. La mère Cécile s'adressa au roi, et oblmt de Louis XIV, que les biens du couvent fussent remis entre les mains d'un notaire habile et désintéressé, qui en fit une réparti- tion équitable entre les mains des créanciers. La communauté se contenta, pour sa subsistance, de quelques pensions viagères faites par les familles des religieuses et du travail actif qu'elle s'imposa. Leurs livres de comptes font foi, qu'il y eut telle année, où une communauté de trente-cinq personnes dut four- nir à son entretien avec 5,000 francs pour toute l'année. Les Carmé- lites s'occupèrent à faire des fleurs artificielles qu'on vendit. Les fleurs des Carmélites firent fureur, dit-on. Il est vrai que ces bonnes religieuses s'étaient vues obligées de vendre tout ce qu'Anne d'Autriche et Marie-Thérèse leur avaient donné de plus riche. La Providence vint en aide à leur foi et à leur patience dans la pau- vreté. Louis XIV, stimulé par Mgr l'archevêque de Paris et par M'ûe le Maintenon qui lui rappellèrent les intentions et les vœux de Marie-Thérèse, ordonna que la somme de 6,000 francs fût délivrée chaque année pour la subsistance du couvent de la rue de Grenelle 1696. Ajoutons que, en faveur des demoiselles Rosalie de Baudart, Pulchérie de Velleine et Mélanie de Lastic qui avaient été élevées à la maison royale de Saint-Cyr, et qui se firent carmélites toutes trois, le roi donna plus de 17,000 francs qui furent employés à achever de payer les amortissements de la maison de la rue du Bouloi. Plus tard, M. de Saint-Martin, gouverneur de l'hôtel des Invalides, leur fit par testament une donation, de sorte qu'elles eurent en quelques années 7,oOO fr. de rente. Sorti de ces épreuves, le monas- tère de la rue de Grenelle fournit paisiblement sa carrière durant le w'Ui" siècle, avec une réputation méritée de régularité et de sainteté. Il était tellement en renom à cet égard, que M"ie Louise de France, la fille de Marie Leczinska, fuyant le monde et la cour, résolut de se fixer dans celte maison de la rue de Grenelle. Toutefois, quand elle se fit carmélite, bien qu'elle eût choisi la rue de Grenelle, cette prin- cesse entra aux Carmélites du couvent de Saint-Denis on verra dans le paragraphe suivant, pourquoi ; le désir d'éviter les visites que le séjour de la capitale lui aurait attirées, comptera parmi les raisons de ce choix. Quand on compulse les manuscrits des Carmélites de la rue de Grenelle, on s'aperçoit que pendant le cours du xviiie siècle, aussi bien qu'au xviie, de grands noms, des personnes appartenant à de grandes familles, vinrent prendre place au monastère. La société 870 APPENDICE française présenta, sous la récjence, sous Louis XV et Louis XVI, le triste spectacle de la démoralisation des hautes classes; et cepen- dant, c'était ordinairement dans les rangs de la noblesse que se produisaient les vocations de carmélites; le couvent de la rue de Grenelle on fut la preuve pendant tout le xviue siècle. Au xviie siècle, on y avait vu entrer des Polignac, des Cossé-Brissac, des descendants des rois d'Aragon, des Saint-Gclais, des Levis, etc. Au xviiis siècle, des membres des familles de Grammont, de Croy d'Havre, deRossetde Fleury, etc., briguèrent l'honneur d'y prendre le voile, et d'y passer leurs jours, préférant une vie d'immolation aux prétendus avan- tages que leur naissance leur promettait dans le monde. IS'est-ce pas là que porta ses regards et ses premiers vœux de carmélite, cette dernière et admirable fille de Marie Leczinska, M^i'f Louise de France, à laquelle le pape Ganganelli, Clément XIV, adressa une lettre si touchante ? Pierre Leroux, le philosophe du socialisme sen- timental, dit quelque part, au sujet des ressources infinies que l'idée religieuse procure à l'âme humaine Mettez sainte Thérèse où vous voudrez, sur les rochers, dans les déserts, et rien qu'avec ses cinq sous. Cinq sous etThérèse^ ce n'est rien; mais cinq sols, Thérèse, et l'amour de Dieu, c'est tout. Avec ces trois choses, Thérèse ne sera jamais pauvre ; elle sera plus que contente; elle sera heureuse. » C'est ce que comprirent beaucoup de grandes dames du xyiii" siècle. Un point doit être signalé ; c'est que ce couvent de la rue de Gre- nelle produisit ou révéla des femmes remarquables. M'i'- de Reu- ville, la mère Françoise de Jésus, montra, pendant le xviie siècle, à la tête des Carmélites, de hautes capacités administratives. Il y a cela de particulier dans celte femme, qu'aux aptitudes gouverne- mentales que tout le monde n'a pas, elle joignait un tact exquis, et cette force d'àme qui rend l'homme intrépide et calme au milieu des événements qui déconcertent lesnaturespusillanimes et les personnes de peu de foi. MUe de Piemenecour est une autre figure intéres- sante du xvii*" siècle. Ces deux femmes, placées dans Te monde, y auraient fait une exceptionnelle et légitime sensation. Le xviiip siècle ne laissa pas s'affaiblir le saint héritage de ces femmes illustres. M'i" de Canapvillc, la mère Cécile, restée dans le siècle, aurait eu l'étoffe d'un homme politique, d'un homme d'État. M"e de La Fèrc du Bouchaud serait arrivée à un rôle saillant, si elle eût été placée dans le courant des influences de cour. Mais pourquoi conjecturer ce que la mûre Pélayie c'était son nom de religion serait devenue dans le siècle? Le cloître lui a trouvé un piédestal, même avec son habit de bure et elle y a fait une belle figure. C'était une ferme intelligence, et un robuste juge- ment. Dans un autre milieu, elle eût été femme h sonder les ques- lions économiques et financières. Mais chacun en ce monde doit rester dans sa sphère et développer ses facultés, en les appliquant ux objets pie semble indiiiuer la divine Providence. Tl nous reste NOTES RELATIVES A MARIE-THERESE D'AUTRICHE 871 des lettres de la mère Pélagie, écrites à de simples religieuses, reléguées, comme elle s'exprimait, au fond de leur désert. » Qui- conque lira attentivement ces lettres, y verra bientôt, à travers ses conseils donnés avec la droiture d'une sainte, la sûreté et la puissance du coup d'œil dont se montra douée cette carmélite, et la bienveillance affectueuse d'une mère parlant à ses filles. M. Guizot et d'autres nous vantent les livres de pédagogie, les systèmes d'éducation mis en avant par des personnages célèbres, tels que Rabelais, Montaigne, Schwartz, Fénelon, M'"e de Saussure, Jean-Jacques Rousseau, Mmn de Staël, etc. La mère Pélagie, dé- passant les théories, pratiquait la haute direction des esprits et des âmes, avec un rare talent et avec une sagacité spécialement bénie de Dieu. Du reste, l'élévation et la force de cette intelligence dis- tinguée, la fermeté de sa haute raison, sa puissance d'affirmation se peignaient sur ses lèvres et dans son regard ; témoin le portrait que ies Carmélites possèdent d'elle. M'ifi de Croy d'Havre, Mme la comtesse de Rupelmonde née de Grammont, M"e de Rosset de Fleury, par la seule démarche qui mit en contraste l'éclat de leur naissance et l'obscurité de la vie qu'elles embrassèrent, firent preuve de la grandeur de leur carac- tère, de leur force philosophique en même temps que surnaturelle, et des énergies incroyables que leur nature tenait en réserve. Les Carmélites de la rue de Grenelle, que nous verrons mêlées plus tard à laRévolution française, nousétonnerontpar leur courage. Enfin Mlle de Soyecourt, qui viendra rattacher le xixe siècle au xviiie, personnifiera éminemment la spontanéité du génie français, qu'une aimable gaieté n'abandonne pas au milieu des adversités et des aventures. Et ne faudra-t-il pas grouper autour des noms qui viennent d'être prononcés, cette phalange d'humbles carmélites, qui d'époque en époque peuplèrent le monastère de Grenelle? Que d'âmes qui n'auraient peut-être été que vulgaires dans le monde, et qui devin- rent, rue de Grenelle, des âmes transformées et choisies, qui surent assez s'élever au-dessus d'elles-mêmes, pour goûter le bon- heur si peu compris de mener une vie d'immolation! ïl fallut le rnilieii du couvent de la rue de Grenelle pour porter des esprits, médiocresensoi,sur des objets entièrement nouveaux. La seule mé- ditation du crucifix leur faisait découvrir des horizons et des idées qu'elles auraient ignorés sans lui. Point de métaphysique abstraite ni de théologie subtile, rue de Grenelle. Loin d'y perdre son temps dans un emploi oisif de la pensée, les facultés pensantes et les facul- tés pratiques s'y portaient vers des vues et des vertus liées à la vie réelle de chaque jour. Les solennités du centième anniversaire ou du premier centenaire de l'érection du monastère de la rue de Grenelle, qui durèrent trois jours, les 22,23 et 24 août 1764, furent un véritable événement. Les carmélites y mirent tout leur zèle pour remercier Dieu do 87i> AFl'ENDlCt leur vocation; ci elles en ont conservé \le souvenir par un récit où l'on retrouve cette simplicité éloquente, qui leur appartient excellemment. La marquise de Lusignan, fille de la comtesse de La Rivière, fit présent alors, au monasiôrc, de rubis et de topazes pour orner un reliquaire renfermant des reliques de sainte Madeleine de Pazzy. Le maître-autel fut orné de douze châsses de reliques; les mères de la rue Saint-Jacques en avaient prêté. Son Excellence le nonce apos- tolique, Mgr Pamphile Colonna, oflicia, M. l'abbé Bonnet pro- nonça le sermon, et fit l'éloge de la pieuse reine fondatrice, Marie- Thérèse. Il paraît que le concours du peuple fut tel, le dernier jour de la solennité, que, la petite église ne pouvant le contenir, la grande cour d'entrée et la rue même se trouvèrent remplies de personnes qui attendaient que les premières fussent sorties, afin de pouvoir satis- faire leur dévotion. On fit du reste veiller, la nuit, dans l'église de la rue de Grenelle, pour la sûreté des saintes reliques; le comte de La Serre, gouverneur des Invalides, s'était chargé du soin de fournir à celle garde. L'âme de ces fêles, comme de toutes les fêles chez les Carmélites, fut toujours la prière, mais celte grande prière des saints qui exige un certain tempérament de foi, cette prière affectueuse et contem- plative, élan du cœur autant que de l'inlelligence, essor complet de tout l'homme montant par les degrés du cœur aux saints taber- nacles, cl plongeant de là le regard sur les hauteurs qu'habite le Dieu caché, prière qui, par toutes choses et par une seule voie, s'en va droit à un seul but et avec toutes les puissances de l'àme. " On pouvait appliquer aux Carmélites de la rue de Grenelle, ce qui se lit dans un manuscrit, fait à l'occasion du centenaire de l'érec- tion de ce monastère, en 176i Livrons-nous aux doux transports d'une sainte joie, les murs mêmes de cet édifice nous l'inspirent, s'écriait l'orateur sacré. N'est-ce pas ici que l'on voit depuis un siècle ce que nous voyons encore aujourd'hui la plus haute no- blesse s'ensevelir dans la nuit de la plus profonde humilité, la plus vive ferveur se captiver sous le joug de la plus prompte obéissance, et l'amour, le saint amour qui fait le caractère propre de Thérèse et de sa réforme, donner le goût le ]lus délicieux à toutes les pratiques de la inorlilication la jilus austère?... i Mais que nous dit d'un autre côté celle solennité '?... Où sont à présent lous ceux qui contribuèrent à ce saint établissement et celles qui le commencèrent le siècle dernier? Il nous reste la bonne odeur de leurs vertus, rien davantage. La même ferveur subsiste encore uii- jourd'liui dans celte cncehitc sucrée, le incmc esprit y rèijne .. » Chro- niques manuscrites du Carmel de la rue de Grenelle, t. I't, p. 289. Toutefois n'omettons pas de signaler un détail rétrospectif qui se rallacho à l'éjioque du règne de Louis XIV. Au moment d'un jubile. NOTES RELATIVES A MARIE-THÉRESE D'AUTRICHE 873 la petite église des Carmélites avait été désignée pour l'une des stations, et comme il fallait trois autels, on transporta le crucifix miraculeux dont le roi avait gratifié cette maison à l'entrée d'un ca- veau, où fut dressé un autel plus dévot que magnifique Louis XIV, » venant faire ses stations, parut touché et charmé de revoir cet » objet si digne d'être vénéré; ses prières achevées, il fit a nos » mères, disent les chroniques du Carmel, l'honneur de monter à » la grille du chœur; la communauté s'élant approchée, le roi de- » manda celles des religieuses qui avaient été élevées à Sainl-Cyr. ï Sa Majesté leur donna mille marques de sa bonté royale, et leur » fit une exhortation sur la perfection de l'état qu'elles avaient em- X brassé. » C'étaient les mœurs du temps ; les rois, encore regardés comme les pasteurs des peuples, devaient à tous des conseils ; cela sem- blait aussi naturel que convenable. Les princes étant venus aussi à leur tour, le duc de Berri s'appro- chant dit aux religieuses — Mesdames, quoique je n'aie pas l'honneur d'être connu de vous, j'espère que vous me dominerez part à vos prières et à vos bonnes œuvres. L'une des bienfaitrices de l'ordre, M^ie la mar- quise de Pompadour, répondit au nom de toute la communauté, qui se trouvait, selon les usages, obligée de garder le silence. Les Carmélites avaient, à deux pas, un voisinage célèbre, Yhâtelde Brienne, situé sur la rue Saint-Dominique, en face de l'hôtel de Bro- glie, aujourd'hui d'Haussonville. Cet hôtel de Brienne est aujour- d'hui l'hôtel du ministre de la guerre. Là devait mourir, en 1794, Loménie de Brienne, le ministre de Louis XVI. Mais là aussi, vers la fin du siècle dernier, tandisque M'^e* de Croy d'Havre, Danican d'An- nebault, de Grammont, Camille de Soyecourt,etc., devisaient de spi- ritualité et de mysticisme, un groupe d'hommes se réunissait pour •former un cénacle littéraire et philosophique. On y voyait un grand nombre de célébrités de l'époque, parmi lesquelles on distinguait Marmontel, Chamfort, La Harpe, Buffon, de Malesherbes, Condor- cet, Turgot, Suard, Helyétius, David et Piccini ; tous hommes nou- veaux et d'initiative intellectuelle, précurseurs, à des titres divers, et avec des nuances de responsabilité fort inégales, des changements profonds, radicaux qui allaient modifier l'aspect de toute la société française. Mais on était déjà bien loin des temps paisibles du début ; et bien- tôt l'on fut jeté dans la tempête de 1793.... Dès 1789, quand il fut question de supprimer les vœux et de faire évacuer les monastères, les Carmélites de la rue de Grenelle protestèrent, avec toutes les Carmélites de France, auprès de l'As- semblée nationale » Non, disaient-elles, dans les conclusions de cette adresse, vous ne nous arracherez pas de force à ces retraites; vous les rouvrirez et à la piété qui y apporte une vocation éprouvée et à l'infortune à qui elles offrent un asile décent.... Souffririez-vous qu'une maison, où, en refusant toute distinction, la tante auguste s 4 IPPENTdCE d'un monarque ciUjyen vient de passer les plus heureuses années de sa vie, éprouvai ic malheur d'une destruction?... » Ceue adresse était si^ée par so?ut S^aihaiie àf Jèsun, prieure, eu i/Sd, des Carméliies de îa rue de Grenelie, ainsi que par les prieu- res de la rue Saint-Jacques, de Saini-I»enis-en-France, et de la rue- Chapon. ViuT-eni les^c-aïasirophes de 179^, la dispersion, les " 179éL IPif de >oyeconri, carmélite depuis i7SS, fnî susc! restaurer après la tempête, pour rallier et irrouper après ... _ _..._... les déhris de l'ancien Carmei de ia rue de Grenelie. Die fit revivrt n. règle de sainte Thérèse dans la maison des Carmes de la rue Aanfi- rard, que les Carmélites occupèrent depuis 4T9S jusqu'en Js4S. Or. demeura dans une autre maison de la rue T£.ngirarà depuis iS4^> jusqu'en lS5i. époque oii l£ ^ille expropria le terrain du monas- tère ; le monastère de la rue Grenelie ses transporté avenue de 5Naie, depuis 1S54. Avant de quiaer la période ancienne de ITHstoire des Cannéiiie? de l'aveane de Saxe, et d "aborder leur histoire au m^' s^èc^e. tîou? ùe\ ons faire remarquer quelques usages qui leur son . - n'est touchant, comme d'ouvrir k livre et reg. des pu-ofossiûvs. gui a fairout en Tesplise et eofweni à^ Garmèht^ de la rue àa. Bouioy dite de saitae Thèrèsf rojfoit Àegjtti* le 14* jour dn présent mois de mm lôôS; - nuscrit in-folio, où tSO pa^es seulement ont été jusqa'icj cmpiL yrrs et sont couvertes d'écritures et de si^aîures qui se sont suc^^éàt depuis 16ÔO jusqu'à nos jours. On y voit la ferme signature oe l'iUusire mère Françoise de la Cros^, femme de tête et de ciEur qui assista, de iÔô4 à ITdâ, aux débuts si difBeîles de cette sainte mai- son, et à l'antre extrémité de la liste, la signature de la mère Marie liahelk' de la JÇ"ajCir>ifcf , sàgnant, en qualité de prieure. l'acie de profession d'une carHiéiiie nouvelle en l'année 1S6S. Autre parôcuiarité^ non moins touchante, de ces JamiPes créées par ia religiOB. on & teuu cote, au fur ei à mesure, de toutes '^ gai quittaient ce monde, ht mï-me renferme les a. décès de chaque Carmélite. Partou aiîietirs, quand la mor; . - vient, elle efface jusqu'au nom de ceux qui ne sont plus. Le monas- tère de ia rue de Grenelle a perjtéîué le nom de la moindre ne ses pieuses haiàiattes. 5ou5 ne pouvons passer sous silence tine coutume qui i^^tarbent aux monastères ; ce sont les lettres écrites à la mort d'une religieuse. les circulaires que les mères prieures adressent à c^tte occasior à toutes les maisons de l'ordre Fépandues dans le monde eiiier. Eiie bftbii&nte de ia rue du Bouloi, ptiis de ia rue ^ venait-elle d'achever sa vie humble et pénitente; pneure en informait toutes les maisons du Carmei, et aotna.; ur exposé .sommaire de la vit- de la personne décédée- Le recneii de r-^ cir,-iinurfn- coDstitui" zn' lniéraiur\o .Jésus\>Pie de ' royou Croi dUavré. 870 AIM'ENDICI' 8 novembre 1737. — La mère Marie-Charlolte-Émilic de Jésus. ' 8 novembre 1764. — La mère Pauline-Joséphine de Jésus. " juin 17G9. — La mère Sophie de la Croix. M"e Douex de Ville- mort — il y avait deux sœurs, carmélites, de ce nom. 12 juin 177". — La mère Eiisabcth-Marie-Eustoquie de Jtsus. Miii' de Corstel, nièce. l2 juillet 1781. — La mère Marie-Louise du Saint-Sacrement. M"i' de Saint-Privé de Richcbourg. 10 juillet 1787. — La mère Nathalie de Jésus. M"e Danicant d'.Vn- nebault. 1798. — La mère Camille-Thérèse de Tenfaut Jésus. Miie de Soyecourt. 1812. — La mère Madeleine-Geneviève Thaïs. La mère Camille-Thérèse de l'enfant Jésus reçoit du nonce du pape les pouvoirs de prieure perpétuelle. "26 mai 1849. — La mère Marie-Éléonore M'Il- '*'. 29 mai 18o2. — Même prieure réélue. 15 décembre 18od. — La mère Marie St-Jean M" "*, 8 décembre 1858. — La mère Marie-Sophie de Saint-Élie. M"" "*. 8 décembre 1861 — La même réélue. 15 décembre 1864. — La mère Marie-Isabelle de la Nativité Mlle -.. 6 novembre 1867. — La même réélue. On ne peut trop admirer ce qu'il y a d'onction et de charme pieux dans les circulaires, rédigées par ces pieuses femmes et adressées à toutes les maisons de l'Ordre à la mort d'une religieuse. Elles retracent la vie de la défunte, les origines et les phases de sa vocation, la lutte du cœur entre Dieu et le monde, la résistance des parents, les déchirements occasionnés par le sacrifice des relations ordinaires. Les mères prieures, dans ces circulaires, louchent déli- catement les vertus de la défunte; on cite quelquefois des lambeaux de lettres. Quelques incidents rendent parfois ces bulletins très-al- tachants. L'une a rompu avec un brillant avenir mondain qui l'at- tendait. Ses deux frères, haut placés dans l'armée, se précipitent au parloir pour ramener leur sœur. Point du tout. Mi'e de Canapville fait une telle impression sur ses deux frères, qu'au parloir même ils jettent leur épée de côté, et tous deux quittent le monde et embras- sent la carrière ecclésiastique. D'autres n'obtiennent, que de guerre lasse, d'aller prendre le saint habit rue de Grenelle. Ces biographies, qui roulent toutes sur la sainteté, loin d'être monotones, ont cha- cune un parfum différent qui embaume. On y dit là, sans effort, des choses sullimes. Ainsi, plusieurs sœurs demandant de 'ses nouvelles à Mi' Pulchérie de Veilleine, carmélite de la rue de Grenelle, celle- ci leur répond Je m'en vais u h tout est. " Nous parlons d'égalité aujourd'hui. .\h! on la pratiquait dans ces saintes républiques des monastères, on mettait autant de soin à raconter la vie d'une humble carmélite de naissance obscure, qu'à dire celle de la corn- NdTKS HELATJVES A MARIIÎ-THÉRfSR D'AUTHIGHK 8/7 tesse de Rupelmonde ou de la duchesse de Croy d'Havre ! A travers ces circulaires des révérendes mères, il règne, avec un ton de simplicité exquise, un accent spécial tout surnaturel. Là, nulle em- phase ! mais quelle force intime pour parler avec calme des chosesles plus étonnantes ! Nous avons remarqué trois circulaires rédigées par la mère Nathalie de Jésus, prieure de la rue de Grenelle, dans les an- nées qui amenèrent et consommèrent la Révolution française ; l'une de ces circulaires est de l'année 1790, l'autre de 1791, la troisième de 1792. M"e d'Annebault ne laisse guère soupçonner, dans ces trois circulaires, l'anxiété et les angoisses qui dévoraient, en ces années, toutes les âmes, dans l'attente des plus sinistres événements. Elle raconte, d'une manière sommaire et édifiante, la vie des trois car- mélites que le couvent venait de perdre, sans que les agitations du dehors troublent en rien la sérénité de cette âme et de cette plume. A peine, dit-elle, en voyant des carmélites enlevées par des morts promptes Peut-être la tendresse du divin époux veut-il les sous- » traire à de plus grands fléaux que ceux que nous avons déjà essuyés. y> Circulaire de 1790. Quelle belle série que ces circulaires, à commencer par celles de la mère Françoise de la C»oix, fondatrice de la maison M'ie de Reu- ville, le lendemain de I6G4, jusqu'à notre siècle, jusqu'aux cir- culaires de la mère Camille de Jésus M"e de Soyecourtj, et celles des prieures qui lui ont succédé! ONous pouvons maintenant reprendre les choses au moment de la grande Révolution française. Le 19 septembre 1792, deux employés du gouvernement ayant fait enfoncer les portes du monastère, il fallut quitter ce saint asile, ouvert depuis le 12 janvier 1634. Les religieuses, au nombre de trente-une, sortirent donc. Elles se divisèrent en six bandes, à la tête de chacune desquelles était une présidente; elles allèrent habi- ter, en divers quartiers de la capitale, des logements que la mère Nathalie de Jésus dans le monde M" Danicant d'Annebault, élue prieure depuis 1787, avait eu la précaution de faire préparer. Plu- sieurs de ces carmélites moururent dès la première année de leur sortie du cloître, dans toute la ferveur de leur profession. Après cinq ans de persécutions et d'angoisses, 3Iiie de Soyecourl, autorisée par un bref de Pie VU à recueillir les grands biens de l'héritage paternel, acheta l'ancien couvent des Carmes, où un marchand de vin s'était établi pendant la Révolution. Elle rétablit les Carmélites. Plusieurs de celles qui avaient été rue de Grenelle vinrent la rejoindre, entre autres la prieure, sœur Nathalie de Jésus, la sœur Philippine, la mère Sophie de saint Jean-Raptiste Marie de Kouhla, la mère Thaïs, la sœur Rosalie, morte en 1819. Ainsi s'est renouée la chaîne des temps. Les Carmélites de la mai- son royale de la rue de Grenelle avaient été, plusieurs du moins, emprisonnées; mais elles observèrent, autant qu'elles le purent, leur règle dans les cachots. Celles à qui on permit de quitter la 878 Al^l'JvNDICE France, allèrent en Flandre, pour y cherchLT le bonlieur de suivre leurs observances. Cependant, dès le consulat et le commencement du premier Empire, les Carmélites qui avaient quitté la rue de Grenelle pour se réfugier au Carniel de Flardre, lurent les pre- mières à se réunir, à Paris, à la prieure la mère Nathalie de Jésus et à M"" de Soyecourt, malgré que tout danger n'eût pas cessé. La révérende mère Camille de Soyecourt eut à subir, en 1811, l'empri- sonnement et l'exil, sans doute parce qu'on lui reprochait son atta- chement aux cardinaux, d'autres disent à la personne des Bourbons. Depuis la reconstitution du monasl-ère, les Carmélites ont sauvé quelques épaves de leur établissement de la rue de Grenelle. Nous dirons plus bas qu'elles sont en possession du célèbre et miracu- leux crucitix, pris en Franche-Comté, ainsi que de quelques autres objets. Mais il est nécessaire d'insister sur quelques détails relatifs à l'époque de la Révolution. Les religieuses de la rue de Grenelle prouvèrent, pendant la Terreur, combien la tradition de sainte Thérèse et la mémoire de la reine Marie-Thérèse d'Autriche ont contribué à donner, à un cœur de simple Carmélite, cette grandeur d'âme qui fait les héros. Sept Carmélites du monastère de la rue de Grenelle furent incar- cérées à la prison établie, rue de la Bourbe ancienne maison de Port- Royal, qu'on appela prison de Port-Libre. Leur attitude devant les juges révolutionnaires, leur interrogatoire, leurs belles et grandes réponses, honorent le christianisme et la nature humaine. Qu'est-ce donc qui rendait si tières et si courageuses, ces humbles et timides filles du Carmel ? Demandez-le à elles-mêmes. Elles le durent à la grâce de Dieu. La conscience était tout pour elles, c'était plus que la vie, plus que les affections et les biens. On avait vu, vingt ans auparavant, les grands exemples donnés en temps calme par madame Louise de France, princesse élevée dans toutes les élégances de Versailles, et qui sut renoncer aux gran- deurs de la terre, pour mener dans le désert une vie humble et mortifiée. Ce renoncement surnaturel aux choses humaines brillait, vingt ans après, d'une manière éminente, en quelques religieuses gémissantes de se voir exilées du cloître de la rue de Grenelle. On lit dans le journal de la Prison de Port-Libre Port-Royal publié dans la collection des Mémoires sur les Prison-, à la date du 16 pluviôse an 11 On est venu interroger huit religieuses qui sont au secret. On a voulu leur faire prêter le serment de la liberté et de l'égalité , elles ont refusé en disant qu'elles ne vivaient pas sous le règne de la liberté, puisqu'elles étaient prisonnières; quant à l'éga- lité, elles ne voyaient pas que ce fût plus son règne, puisque celui qui les interpellait mettait tant de hauteur et d'arrogance dans ses interrogations. On les a menacées du tribunal révolutionnaire; elles ont répondu qu'elles iraient avec plaisir. Mais renoncez-yous à MOTES HKLATIVKS A MAlilK -THKi;f^sr' iJAUTHlCHt 879 votre pension? leur a-t-on dit. — Non, jarce qu'elle représente les biens qu'on nous a pris. — Mais la loi défend de payer ceux ou celles qui refusent de lui obéir, et comment vivrez-vous? — La Providence aura soin de nous. — Mais la Providence ne vous donne pas de pain. — Nous ne demandons rien à personne. — Comme la Répu_ blique ne souffre pas d'ennemis dans son sein, on vous déporterai Oii allez-vous aller? — En France, qui est notre patrie. » Ces religieuses étaient sept du moins des Carmélites de la rue de Grenelle ; elles se nommaient Angélique-Françoise Vitasse, Vic- toire Grevel, figée de quarante-six ans, Jeànne-Louise-Colin de la Biochaye, âgée de quarante-un ans, Anne Donon, âgée de quarante- deux ans, Adélaïde-Marie Foubert, âgée de quarante-cinq ans, Marie-Élisabeth-Ëléonore de Carvoisin, âgée de soixante-deux ans, Marie-Louise-Philippine de Lesnier, âgée de trente-six ans. L'autre religieuse qui était visitandine, âgée de cinquante-huit ans, se nom- mait Thérèse-Julienne-Hélène Chenet. Antoine-Marie Maire, juge au tribunal révolutionnaire, interrogea les Carmélites. Les deux points de interrogatoire portaient sur un écrit trouvé chez la sœur Victoire Crevel, et sur le serment ci- vique, qu'on prétendait obtenir des Carmélites. On aspirait surtout à découvrir des prêtres, on tournait et retournait les questions, pas- sant des caresses à la menace, demandant aux religieuses préve- nues si elles avaient fait des vœux contraires à la loi. L'interroga- toire était captieux. Qu'on se représente de timides femmes devant un juge qui interroge avec l'appareil de l'intimidation, et qui est exercé dans l'arl des questions embarrassantes. Raymond Josse était le commis-gretîier auprès du juge A. -M. Maire. Les réponses des Carmélites ont été consignées, dans tous leurs détails, non-seulement par un témoin oculaire, mais par une des religieuses prisonnière elle-même, par la sœur Angélique-Françoise Vitasse. Elle écrivit, à une personne dont on n'a pas su retrouver le nom, une intéressante relation de leur détention dans la prison de Port-Libre. M. Emile Campardon l'a reproduite dans son histoire du Tribunal Révolutionnaire de Paris . Ne pouvant donner en son entier cette longue relation, nous en extrairons la substance. Interrogatoire de sœur Angélique-Françoise Vitasse. Je suis juge au tribunal révolutionnaire. Il faut que vous sa- chiez que le tribunal est établi pour juger et condamner à mort tous ceux qui seront contraires à la République.... — C'est bon. — Avez-vous fait le serment? — Non. — Pourquoi? — Parce qu'il est contraire à ma conscience et à mes vœux. — Est-il venu des prêtres à la rue Cassette? — Quelquefois. — Dites-moi leur demeure ? — Je ne la sais pas. — Leur nom? — Je ne vous le dirai pas. —Pourquoi? — Parce que je ne veux pas le 880 AFPRNDIGi; dire — Jt" ne puis iiu' résoiuiic à écrire vos réponses; cela nie fait trop de peine, car je vois que vous en serez la victime, et vous irez à la guillotine. — Tant mieux, j'en irai plus tôt au ciel...,. » Voir la Relation par la sœur Vilasse elle-même. Interroj/ntoire de la sanir Victoire Crevel. Ta conscience te dit donc que tu es plus hante que moi ? — Non, dans ce moment je vous regarde comme au dessus de moi, puisque vous êtes juge, et que sous ce titre, vous avez droit de m'interroger, et que je dois vous répondre. — Tu crois donc que devant Dieu il y a des hommes plus grands que d'autres? — Non, je sais que nous sommes tous égaux devant Dieu et devant la loi, mais je ne veux pas faire le serment, parce que la loi de Dieu me défend de jurer en vain. — Ce n'est pas en vain puisque c'est pour sauver ta vie. — J'aime mieux mourir. — Eh bien, l'on se défera de toi, et de cent mille comme toi Vous ire?, au tribunal révolu- tionnaire, et vous verrez tout ce qu'il vous arrivera. — Tout ce qu'il plaira à Dieu » Interrogatoire de la sœur Louise-Thérèse, l/ilf Jeanne-Louise-Coliîi de la Biochaye. Persistes-tu dans l'approbation que tu as donnée à cet écrit intitulé Avis aux Religieuses? — Oui. — Tu renonces donc à ta pension? — En tant qu'il faudrait faire le serment pour l'avoir. — Tu ne veux donc pas être égale à un ouvrier, à un artisan? sais-tu bien qu'il y aurait un orgueil affreux à le préférer à moi? — Ce n'est pas l'égalité dont vous parlez que je refuse de maintenir ; en me faisant religieuse, je l'ai reconnue, embrassée, pratiquée. — Tu veux donc une République sans soutiens et sans lois?— Je pour- rais vivre tranquille sous le gouvernement et les lois de Constanti- nople, sans jurer de maintenir l'Alcoran. — De quoi vivras-tu? tu deviens à charge à la nation. — Je puis travailler et me rendre utile; en tous cas, si ma pauvreté me rend à charge, à qui s'en prendre? la maison dont j'étais membre navail-elle pas du bien ? la nation ne m'a-t-elle pas pris une dot qui aurait pu me faire vivre? — Tu aurais mieux fait de mettre ta dot dans le commerce; mais enfin, qui te nourrira? — La Providence. — Mais si la Providence ne t'envoie rien à manger? — Si la volonté de Dieu était que je mourusse de faim, je me soumettrais comme à toute autre chose.... — Qu'est-ce que le Pape?.... — Je défère aux sentencesdu Pape, j'en fais la règle de ma conduite en ce qui regarde la religion — Quel fanatisme! que faire d'un être comme toi? la République ne peut te garder dans son sein. 11 faudra t'en vomir ; il faut te mettre dans une barque et te faire couler à fond. Tu ne dis rien ? où veux-tu aller?... . NOTES RELATIVES A MARIE-THÉRÈSE D'AUTRICHE. 884 hiterrogatoire de sa;ur Roaalle Fouler t. Vous ne voulez donc pas faire le serment de la liberté? — Non, — Pourquoi ? — Parce qu'il est contraire à ma conscience et à mes vœux. — Qui vous a dit cela ? — Dieu et ma conscience. — Mais qui vous nourrira, et où voulez-vous aller? —J'irai oîi il plaira à Dieu de me mettre. — Vous alliez à confesse, quel était votre confes- seur? — Dieu sait ce qu'il est devenu. — Est-il un tel? — Non. » Interrogatoire de M^^*"' Marie-Élisabeth-Éléonore de Carvoisin. La sœur Joséphine de Carvoisin, âgée alors de soixante-deux ans, était très-sourde. Les juges criaient très-fort en l'interrogeant ; et plus ils criaient et moins elle voulait les entendre, en sorte qu'après leur avoir montré son horreur pour le serment, son désir d'aller en Flandre, ils lui demandèrent si elle n'allait pas à confesse; elle leur répondit qu'elle disait tous les jours son Confiteor; cl cela finit très- promptement. Interrogatoire de Marie-Philippine de Lesnier. ' Pourquoi ne voulez-vous pas faire le serment?, — Parce que je le crois contraire à ma conscience et à mes vœux. — N'avez-vous pas fait vœu dans les mains de quelque prêtre de ne point faire le serment? — Non jamais. — Est-il venu des prêtres à la rue Cassette ? — Je n'y étais pas; il n'y avait qu'un mois que je demeurais rue Neuve-Sainte-Geneviève. — Tu es bien malheureuse d'y avoir passé ce temps, il te coûtera cher Mon enfant, faites vos réflexions, il est encore temps, faites le serment. — Si je le pouvais, je le ferais; mais je ne le puis pas et ne le ferai pas. » Interrogatoire d'Anne Donon [sœur Chrétienne. Elle fut aussi très-ferme pour refuser le serment; tout ce que l'au- teur de la Relation a pu savoir de son interrogatoire, c'est que le juge lui dit qu'elle était une menteuse, parce qu'elle n'avait voulu rien avouer. Et comme elle se défendait avec force, les juges lui dirent qu'elle était la plus méchante. La sœur Victoire Crevel fut interrogée une deuxième fois; et on laissa les Carmélites un instant en repos; les juges, en descendant au greffe, ne purent s'empêcher de dire qu'ils avaient été étonnés de la constance des prévenues. Ce n'était jusque-là que des interrogatoires préliminaires et pré- paratoires. Huit jours après, les Carmélites furent conduites à la Conciergerie avec assez de brutalité, et le dimanche, 9 février, elles parurent devant le tribunal pour être jugées définitivement. L'accusateur pu- S6 882 APPENDICK blic lut les cliefs d'accubalioii , qui étaient tels, qu'elles eussent dVi aller à la guillotine, car on les accusait faussement. On interrogea la première MH" de La Biochaye. Le président lui demanda si elle voulait faire le serment ; J'aime tendrement ma patrie, je suis meilleure patriote que personne, mais je suis chré- lienue, catholique et religieuse. — Si tu veux faire le serment, nous t'écouterons, dit le président, mais si tu veux prêcher, tu n'as qu'à te taire. » Toutes les fois que M"'^ de La Biochaye voulut parler ou simple- ment nier des faussetés, on la fit toujours taire. On ne lui laissa pas dire ses moyens de défense qui étaient, dit-on, excellents. Le président demanda ensuite à la sœur Anne Donon sœur Chrétienne, si elle voulait faire le serment, — Non. » — Le prési- dent voulut ensuite persuadera la sœur Anne Donon qu'elle avait avoué dans son interrogatoire que la sœur Victoire Crcvel était pr... Llle s'en défendit beaucoup ; mais, comme il voulait toujours sou- tenir qu'elle l'avait dit, elle lui répondit avec beaucoup de vivacité i Non, mon père, je ne l'ai pas dit » Ce mot fit rire tous les assis- tants, le président lui-même fut obligé de perdre sa gravité. La sœur Victoire Crevel fut beaucoup interrogée sur Tauteur de l'écrit Avis aux religieuses; et, ses réponses étant négatives, on lui disait qu'il n'éiait pas possible de croire qu'une religieuse eût la discrétion de ne pas demander le nom d'une personne dont on lui apportait un écrit. La sœur Victoire avait la voix très-faible. On avait l'air de lui en vouloir beaucoup. Elle semblait pouvoir s'at- tendre, ainsi que M"^ de La Biocliayc, u être envoyée à la guil- lotine. On fit très-peu de questions à la sœur Rosalie M"' Adélaïde-Marie Foubert. Ils lui demandèrent si elle voulait faire le serment. Sur son refus, ils passèrent à la sanir Joséphine M"' de Carvoisin, et ne lui en demandèrent pas davantage; ils avaient l'air de se dépê- cher, comme si on les attendait, dit la Relation. Us passèrent à la sœur Philippine M"'^ de Lesnier. Le président lui dit a Quel est votre confesseur? — U y a plusieurs mois qu'il est parti. — Quoi! point de confesseur? — Quand on n'en a point, on s'en passe. — Qui vous a suggéré de ne point faire le serment? — Dieu et ma conscience. — Sont-ce vos compagnes? — U n'y avait qu'un mois que j'étais avec ces citoyennes, et j'étais parfaitement décidée à ne pas faire le serment avant de me réunir à elles. — Vou- lez-vous donc être rebelle à la loi? — Je serai toujours soumise à la loi dans tout ce qui ne sera que civil, mais — Celle-ci est théologienne, passons à une autre. » Voyant que M""-' Chenet était sourde, les juges dirent à la sœur Philippine Demandez à celle qui vous suit, si elle veut faire le serment. — Le président demande, dit la sœ^ur Philippine, si voulez faire le serment, madame Chenet? — Je ne l'ai jamais fait, >t e ne le ferai jamais, » NOTES RELATIVES A MARIE- IHÉHÉSh; D'AUTRICHE 883 Le président passa ensuite à la soeur Angélique-Françoise Vitasse iNe voulez-vous donc pas regarder tous les hommes comme vos frères? — Oui. — Vous parlez plus raison que les autres ; pourquoi ne voulez-vous donc pas faire le serment? — La liberté, telle que vous la définissez, anéantit tout engagement indissoluble ; j'ai fait des vœux qui m'engagent jusqu'à la mort; je ne puis pas faire le serment qui les anéantit — Qui vous empêche de pratiquer vos vœux? Ne voulez-vous pas être soumise à la loi? — J'aime tous les hommes comme mes frères, je veux le bien de tous, je serai soumise à la République dans tout ce qui ne sera pas contraire à ma con- science et à mes vœux; mais pour des serments, je n'en ferai pas. » Après tous ces semblants d'instruction et d'interrogatoires vint le tour du défenseur, qui se tourna lui-même contre les Carmélites. Il n'y avait pas, disait-il, de lois assez rigoureuses pour elles, il de- manda même la permission de faire aux Carmélites un sermon ré- publicain, dans lequel il mit en effet une violence extrême. Bientôt tout le monde s'en mêla successivement le défenseur, les gendarmes, le président, les juges ne cessèrent de conseiller aux religieuses de faire le serment, de renoncer à un entêtement qui leur serait funeste. De tous côtés on leur criait Faites le serment, jamais au tribunal on n'a laissé les grâces aux mains des accusés, et vous voyez que les juges veulent bien faire cela pour vous ; faites le serment et l'on vous enverra chez vous; vous serez comblées d'hon- neurs et vous recevrez vos pensions. » Les Carmélites ne se laissèrent pas fléchir par ces témoignages d'intérêt. Reconduites, peu de temps après, dans la salle du tribunal, l'ac- cusateur public les qualifia de vierges folles et lut leur jugement. Il commença par dire qu'il n'y avait pas de mort assez cruelle pour des fanatiques telles que ces huit religieuses ; que cependant comme il était prouvé qu'elles étaient fort retirées et tranquilles, elles n'auraient subi que la peine portée par la loi, qui était d'être enfermées comme suspectes, mais que n'ayant pas voulu dire la de- meure et les noms des prêtres réfractaires qui venaient chez elles, c'était comme si elles les eussent cachés ou recelés chez elles; que la loi punissait de la déportation tous les prêtres réfractaires et ceux qui les avaient cachés, et qu'ainsi elles méritaient la même peine; qu'elles étaient condamnées à la déportation selon les ter- mes prescrits par la loi; que tous leurs biens, si elles en avaient, seraient confisqués au profit de la République avec les exceptions portées par la loi. Ce jugement étant prononcé, deux ou trois voix crièrent faible- ment-. Vive la Républiquel Depuis le vendredi 7 février jusqu'au mardi soir 11 février, les Carmélites avaient été mises à la paille, deux par deux, dans de grandes chambres qui ressemblaient à des caves par leur humidité S8i APPENDICE cl leur noirceur. Lo mardi soir, on vint les chercher pour les con- duire à la Salpêtriôre, oîi, ce qui leur fit un peu de peine, fut le très-prochain voisinage des filles publiques. Là, s'arrête le Récit de la détention dans la prison de Port-Libre et du jugement de huit religieuses écrit par l'une d'entre elles, sœur Angélique-Françoise Vitasse. Voir Archives de l'Empire, carton W 175 — et le Tribunal révolutionnaire de Paris par M. Emile Campar- don, T. 1er, p. 460, aux Pièces justificatives. Le lecteur n'aura jas manqué de remarquer l'intrépidité, la fer- meté et la délicate discrétion de ces humbles filles du Carmel que les accusateurs et les juges traitèrent de fanatiques. Mais les hom- mes des tribunaux et des massacres révolutionnaires ne donnèrent- ils pas, de leur côté, le repoussant spectacle d'un fanatisme, autrement intolérant et agressif? Les Carmélites disaient qu'elles ne vivaient point sous le règne de la liberté puisqu'elles étaient prisonnières, ni sous celui de l'égalité, puisque celui qui les inter- rogeait avait un air si arrogant dans ses interpellations. Il nous semble qu'un tel langage était le langage de la raison et non celui du fanatisme. Un écrivain de 1828 était mal informé lorsque, en parlant des Carmélites de la prison de Porl-Libre, il dit dans son Histoire impartiale des Révolutions de France, t. X, p. 2;0, Paris, in-12, 1828, u {u'elles furent par la suite guillotinées. j> ^'on, on les condamna à la déportation ; et, par suite des événements subséquents, cette sen- tence ne fut pas exécutée. Au rétablissement des choses, plusieurs de ces Carmélites se réunirent à Mme de Soyecourt. Nous voici arrivés à la période moderne de l'histoire des Car- mélites de l'avenue de Saxe, mais nous devons respecter l'hu- milité des saintes filles qui ont été se réfugier au monastère de Vaugirard, depuis le commencement de ce siècle jusqu'à ce jour; nous ne détruirons pas le pieux incognito qui leur est si cher. Leurs noms pourront paraître plus tard sans inconvénient sur une liste livrée au public, lorsque le temps, ce ministre de Dieu, aura mois- sonné deux ou trois générations d'entre elles, moissons et gerbes mûries pour le ciel. Leur histoire, au xix> contribuèrent à sa vocation. Tout parut la disposer ù la vocation sainte qu'elle remplit si dignement une éducation chré- tienne qu'elle reçut dans une communauté de Paris où elle passa l'âge le plus tendre de sa vie; l'exemple et les prières d'une tante, qui, après avoir été l'admiration de la cour par sa sagesse, s'était ren- fermée dans le monastère de la rue Saint-Jacques, pour ne vivre qu'à Dieu seul, et qui lui promit en mourant quelle la demanderait à Dieu ; la mort d'un père qui avait sur elle d'autres vues et qui fut cruellement assassiné dans ses terres... » Elle était trop jeune, pour avoir eatendu de la bouche même de sa tante, la carmélite, l'histoire de son âme. On sait que celle-là, Mlle Marthe du Vigean, personne aussi charmante que modeste, avait été l'idole du vainqueur de Rocroy, et que sa destinée tou- chante avait été intimement liée à celle de M'ie de Bourbon et de M'»de Longueville. Ce n'est que plus tard, et par des confidences intermédiaires, quelle fut initiée à la vie de sa tante, de cette noble et belle personne, qui avait aimé, et avait dû résister à son cœur, et qui, sans avoir failli, trompée dans ses affections, avait voulu finir sa vie comme la sœur Louise de la Miséricorde. » Qui pourra dire l'immense variété des voies par lesquelles la Pro- vidence peut parvenir aux âmes ?La tante élait arrivée au cloître, en 1G49, après un détour fait dans la vie du monde, et en conservant son cœur digne et pur; toutefois, elle avait inspiré une passion, elle avait senti battre pour elle le cœur d'un héros, le cœur de l'ardent et impétueux duc d'Enghien qui ne pouvait la quitter sans verser des larmes et sans s'évanouir. La nièce arrivait aussi à s'enfermer rue de Grenelle, en 1672, moins la station passagère faite dans les plages scabreuses de la vie mondaine. Il est des natures de femme, dont la vocation religieuse est une sorte d'à priori, et se produit, par anticipation, avant d'avoir goûté la vie mondaine. Ces êtres privilégiés sont dans la logique de l'absolu. L'amour s est imprimé de bonne heure dans leur âme. Mais, tandis que celles-là retournent de la créature au Créateur, celles-ci vont, dès le. début, et comme d'un bond, au Créateur, sans s'adresser à la créature qu'elles dépassent; et, une fois à cette hauteur, elles ne sont plus d'avis d'en redescendre. N'est-ce pas ainsi queprocédaM'ie du Vigean, reçue pro- fesse, rue de Grenelle, en 1672? Les du Vigean étaient une très-ancienne maison du Poitou. Les deux tantes de notre carmélite, Anne du Vigean et Marthe du Vigean, avaient eu de la célébrité sous Louis XllI, et sous la régence d'Anne d'Autriche; l'éloge des deux sœurs était dans toutes les poésies 8P0 APPENDICE galantes de cette époque, on les vantait à l'égal de Mi'e de Boute- ville et de Mi'i' de Bourbon. Voiture les avait mises dans une Revue des beautés de la cour de Chantilly. L'aînée, Anne du Vigean, mariée, en 1644, à M. de Pons, veuve en 1048, était parvenue à se taire épou- ser par le jeune duc de Richelieu. Elle avait été nommée dame d'honneur de la jeune reine Marie-Thérèse, à la place de Mn'c de Montansier , lorsque celle-ci devint gouvernante ; plus tard , elle passa en la même qualité auprès de la dauphine. Chose mystérieuse ! Étrange loi des réactions! C'est quelquefois l'éclat et le succès, dont on est environné, qui produit le précoce désenchantement, et fait aspirer vers les réalités solides et immor- telles. D'autres fois, on ne se pardonne pas à soi-même, de n'avoir plus son père sur la terre, et l'on veut de suite aller vivre dans les désertes vallées, là où les sentiers sont plus sûrs. Le père de M" du Vigean avait suivi la carrière militaire, il s'y était distingué, et il était maréchal de bataille .à Lens. Condé avait été aussi utile au frère que M'"e de Longucville à la sœur; mais, au lieu de sui- vre le parti des princes, il paraît être resté fidèle au roi et à Mazarin. Le P. Anselme dit qu'il mourut le 28 mars 16G3, et Lenet ajoute qu'il périt assassiné ; il fut assassiné dans son pays, allant dans son car- rosse visiter quelqu'un de ses amis. » C'est tout ce qu'on sait de la mort prématurée de son père. Pour- quoi cet assassinat? Une autre douleur atteignit M"'" du Vigean. Sa mère, devenue veuve, se remaria; mais comment se conduisit-elle? Lenet raconte, dans ses Mémoires première partie, une histoire étrange de la mère de MUo du Vigean, devenue veuve. Elle se rema- ria, lamêmeannéc, le 11 octobre 1603, à Charles-Achille Mouchet de Battefort, comte de lAubespin, gentilhomme de la Franche-Comté. A peine les mariés étaient-ils arrivés en Bourgogne pour visiter leurs terres, que la comtesse de l'Aubespin pressa son mari de retourner à Paris, ce qui eut lieu au mois de mars 1664. M"""^ de Richelieu et du Vigean se seraient adressées à Lenet, pour obtenir d'étouffer une affaire, qui aurait porté le trouble et la honte sous le toit conjugal du comte de l'Aubespin. L'ambassadeur d'Espagne, le marquis de las Fucntès , la reine Anne d'Autriche, la duchesse de Monlausier, le roi lui-même, furent mis au courant de cette affaire. Il y allait du déshonneur des fa- milles du Vigean et de Richelieu. Après avoir discuté différents moyens pour éloigner momentanément le mari, on s'arrêta à pédient, que favorisa le concours du roi, et qui était d'envoyer quel- que temps le mari, comte de l'Aubespin, prisonnier à la Bastille, sous un prétexte imaginé pour la circonstance. Lorsqu'à la faveur de l'absence du mari, on eut la solution de la dilliculté, et que M. de l'Aubespin fut mis dans l'impossibilité de constater la faute dont son épouse s'était rendue coupable, on ouvrit les portes de la Bastille, et on allégua au mari, rendu à la NOTES RELATIVES A MARIE-THÉRÈSE D'AUTRICHE 891 liberté, qu'il avait été victime d'un quiproquo, et qu'on l'avait con- fondu avec un comte de Laubespine, gentilhomme limousin, qui avait battu des oflliciers des [gabelles du roi. Marthe du Vigean avait-elle eu bruit de ces tristesses sur le compte de sa mère ? Nous terminerons cet aperçu historique en nous bornant à suivre les dernières vicissitudes de la propriété des établissements qu'ont occupés successivement les saintes religieuses, fondées par Marie- Thérèse d'Autriche. Le Couvent de la rue du Bouloi occupait l'emplacement où sont aujourd'hui les maisons no 17, 19, et 21 surtout. Cette grande mai- son, no 21, appartenant aujourd'hui, si nous ne nous trompons, à l'administration du chemin de fer du Nord, se reliait au n» 17. On y remarque une grande porte d'entrée, au haut de laquelle un ancien concierge nous disait, il y a une dizaine d'années, qu'il avait vu, dans les derniers temps, un signe indiquant une maison religieuse. Certaines fouilles, faites dans le sol, avaient amené la découverte de plusieurs ossements humains, provenant sans doute du cimetière des premières carmélites. Toutefois, observons que, dans le court intervalle de 1660 à 1689, il ne s'y était pas fait de nombreuses inhumations.. Qu'était-ce que l'hôtel considérable, voisin des Carmélites, qu'elles ne purent songer à acquérir, disent les chroniques, à cause de la cherté relative du terrain ? Le couvent était entouré de maisons séculières. Un assez vaste hôtel, qui se trouvait proche, aurait mis au large, mais le terrain de ce quartier était hors de prix. i> Quoi qu'il en soit, divers bureaux de voilures, jpour les environs de Paris, ainsi qu'un des bureaux du chemin de fer du Nord, ont suc- cédé à l'ancien emplacement des Carmélites. Les entreprises d"expé- dilif transport et de rapide locomotion sont installées, à l'endroit même oîi, au xviie siècle, une colonie d'humbles femmes deman- daient et trouvaient ce repos et cette immobilité corporelle, qui permettent et facilitent la locomotion pieuse des âmes, dans leur essor vers Dieu. 11 n'est resté, dans cette rue du Bouloi, que le vague souvenir de l'existence d'un ancien couvent. Les Carmélites ne sont plus en possession de la maison de la rue du Bouloi depuis 180 ans. Nous avons dit par quelles circonstances elles furent amenées, à l'époque de la Fronde, à acquérir ce terrain et comment la proximité du Louvre y avait conduit la reine Marie- Thérèse. La rue était une rue fort étroite désignée en 1359 sous le nom de rue aux Bouliers, dite la cour Basile. [Y. Bues de Paris, par MM. F. et L. Lazare. On avait raison de quitter une maison resser- rée, où l'on étouffait, pour aller respirer plus librement dans le quartier de Grenelle, aéré et vaste, éloigné des habitations de la capitale, et tirant son nom de Grenelle d'une fjarenne que possédait antérieurement l'abbaye Sainte-Geneviève, et qui était située près de l'emplacement sur lequel on construisit l'École militaire, c'est- 8!l-2 AI>PEA'D1CE à-dire dans le quartier de lavenue de Saxe, où sont maintenant les Carmélites de la rue de Grenelle. A part les souvenirs qui s'attachent aux lieux, théâtre de la vie de ceux qui nous sont chers, les Carmélites n'avaient plus, à la fin du xviiip siècle, autant de raisons de regretter l'habitation de la rue de Grenelle, qu'elles en auraient eu au xviic siècle, parce que la physionomie du quartier avait considérablement changé. Un des dignitaires de l'h^lglise de Paris écrivait, au mois de septembre 1689 Nous avons vu et visité exactement la maison de la rue de Grenelle, la chapelle, les cloîtres, dortoirs, ollices, parloirs, et autres lieux, même les jardins, tant pour le dedans que pour le dehors de la maison, et l'avons trouvé en suffisant état d'y loger les re- ligieuses et les mettre en clôture, les parloirs bien grillés, les portes fermant bien à clos, les jardins entourés de bonnes murailles, les cloîtres, les dortoirs, les réfectoire, cuisine, lieux réguliers bien disposés; et comme nous avons trouvé que la grande chajjelle ou l'église pour le dehors n'était pas encore achevée, jusqu'à ce qu'elle le soit, nous en avons trouvé une petite bien ornée et propre. > 11 y avait plus que ces avantages, dans les premiers temps que les Carmé- lites furent rue de Grenelle; la positmi eUe-7nèine du lieu était pré- cieuse. La maison de la rue de Grenelle était, loinde toute autre habi- tation ; les constructions, qui l'ont environnée, ne s'étaient élevées que depuis, au grand regret des Carmélites. On n'y entendait, pour ainsi dire, que les ramages des oiseaux. La vue s'y étendait sur ta Seine, sur les campagnes environnantes et sur celte hauteur de Montmartre oîi l'Ordre avait en quelque sorte pris naissance dans ce royaume. Un grand jardin, planté d'arbres fruitiers, offrait aux saintes habitantes de ce lieu assez d'espace pour jouir du grand air et pour se faire quelque illusion sur l'isolement de ce nouveau dé- sert. » {Chroniques du Carmel. Quand on consulte, en effet, le plan de Paris de 1632, par Goni- boust, on voit quelle physionomie encore rustique présentait le faubourg Sainl-iermain, ressemblant à ces villages composés de quelques rues dont les maisons sont séparées les unes des autres par des vignes, des prés et des jardins. En sortant de la porte de Nesles quartier actuel de l'Institut , on entrait là déjà à la cam- pagne. La rue Saint- Dominique, qui n'était pas bâtie, s'ajjpelait chemin aux vaches. Les rues du Bacq, de l'Université, de Verneuil, de Bourbon, n'existaient point encore du temps du grand Corneille, comme on le voit d'après une de ses comédies [le Menteur, scène v. Môme au premier tiers du xvui siècle, les Carmélites n'avaient entre elles et la Seine que peu de maisons, l'hôtel d'Agenois et l'hôtel de Conti. Les rues Saint-Dominique et de l'Université n'étaient pas complètement bâties. La irairie, au bord de la rivière, appelée le grand pré aux Clercs, où une grande partie de l'armée de Henri IV était campée en lo89, quand il assiégeait Paris, n'avait pas disparu en totalité. Voyez Essais historiques sur Pans, par de Saintfoix, NOTES RKLATIVKS A MAKIE-THÉRÈSR D'AUTRICHE 89j Paris, 17G3, tome I, pago 61. Des chantiers de bois ilotté étaient marqués par le plan de Goinboust pour l'endroit où Ton a élevé le quai d'Orsay; et la rive de la Seine, où l'on a construit le palais du Conseil d'État et la Cour dos comptes, était et s'appelait la Grenouillère L'église du monastère de la rue de Grenelle, qui n'avait rien d'ar- cbitectural, était petite et modeste. Le Plan de Parix de Timjot, do 1740, qui donne le détail et la physionomie du quartier et du cou- vent, en des proportions assez grandes, n'indique rien au dehors ui révèle une chapelle. Et cependant, une belle église, c'étaitTobjel capital que la reine Marie-Thérèse se proposait d'accorder aux Carmélites de sa fondation. Elle avait même fait un vœu formol d'élever cette église, après que son fils le dauphin eut échappé à une grande maladie. Elle avait déposé entre les mains des reli- gieuses, rue du Bouloi, l'acte de ce vœu écrit en espagnol. La mort prématurée de la reine empêcha ce vœu d'avoir son exécution et, rue de Grenelle, on ne sortit guère de la modestie de la rue du Bouloi. On voyait, dans l'église de la rue de Grenelle au-dessus du maître-autel, un grand tableau de Mignard représentant une Extase de sainte Thérèse. Les Carmélites l'ont encore, avenue de Saxe, dans leur chapelle. On y voyait également un tableau de Lebrun, c'était Jésus-Christ ressuscité. Les religieuses ont pu le retrouver après les dispersions de 1793; elles Font acquis à la condition d'acheter ce qui leur avait été enlevé. Quand mourut M™e Charlotte de Roquelaure, duchesse de Foix on 1710, au couvent de la rue de Grenelle où elle avait suivi les Carmélites, on plaça son cœur à côté de la grande grille du chœur, avec les vers suivants, faits par l'abbé Tiberge. Durant sa vie, elle aima ce saint lieu; A la mort, elle crut que son cœur devant Dieu Y trouverait dans le silence Le repos que produit une humble pénitence; Mais il est juste encore qu'elle y trouve à jamais, Pour son amitié tendre et pour tous ses bienfaits, Une vive reconnnissatice. Qu'est devenue cette partie de la dépouille mortelle de la du- chesse de Foix, et la place où étaient inscrits ces vers ? Une loi du 13 mai 1825 ordonna la vente des terrains qui prove- naient du couvent des religieuses carmélites, et de celui des reli- gieusesde Bellechasse. La vente fut effectuée les 3,4 et 9 juin 1828, et l'on put procédera la formation de rues et places nouvelles, par les percements projetés. Les rues actuelles, désignées Martignac, Cham- jjagny. Las Gazes, Casimir -Pcrrier ainsi que l'église Sainte-Clotilde, sont sur le terrain qu'occupèrent les Carmélites jusqu'en 1792. Les religieuses de Bellechasse, Ordre de religieuses chânoinesses du Saint-Sépulcre, avaient acheté, depuis 1635, le clos de Bellechasse ; 894 APPENDICE elles élaioiil voisines desCarniolilcs, ainsi que les religieuses béné- dictines le Nolre-Uame de Pentémont. L'enclos des Carmélites, dont la communauté fut supprimée en 1792, devint propriété nationale. Les bâtiments et terrains furent alïectés au service du ministère de la guerre. On y établit la garde des consuls, puis un dépôt de fourrages. Vis-à-vis les Carmélites et sur la rue Saint-Dominique-Saint-Ger- main se trouvaient les bâtiments de l'ancien couvent des filles de Saint-Joscpb ou de la Providence ainsi que l'hôtel de Brienne ; ils furent, comme l'enclos des Carmélites, convertis en propriété na- tionale, et affectés aussi, dès le commencement de ce siècle, aux bureaux du ministère de la guerre. Lucien Bonaparte avait acquis VHôtel de Brienne, où. il forma une magnifique collection de ta- bleaux; il céda ensuite cet hôtel à M'i'e Lœtilia, sa mère, en 1804. Cette propriété est devenue, de nos jours, l'hôtel du ministre de la guerre. L'enclos des Carmélites occupait-il tout l'espace compris entre la rue de Grenelle et la rue Saint-Dominique ? ou bien n'allait-il que jusque vers la hauteur de la rue actuelle de Las Cases? — 11 n'y a pas dans les documents assez de clarté pour trancher la question. Voici d'abord ce qu'on lit dans les manusciits des Carmélites. i L'année 1720, la construction d'une nouvelle rue, de la rue de Bourgogne, ayant nécessité un prodigieux exhaussement de terrain, le mur de clôture du couvent se trouva n'avoir en dehors que la hauteur d'un mur d'appui; de plus, la ville exigea que la commu- nauté élevât à ses frais un bâtiment pour former le coin de la rue Saint-Dominique et de la rue de Bourgogne. C'est au sujet de cette nouvelle dépense que Madame engagea le Régent, son fils, à faire délivrer aux Carmélites, par ses ordres, 37,000 francs, avec un arrêt d'amortissement pour toutes les maisons qu'elles auraient pu bâtir à l'avenir sur la rue de Bourgogne, et exemption des gens de guerre et de toutes charges de ville. » En eifel, dès 1707, un arrêt du con- seil, relatif aux améliorations à exécuter dans le faubourg Saint- Germain, ordonnait la création de la rue, qui serait nommée rue de Bourgoijne, partant de la rue de Varennes, et se terminant au nou- veau quai d'Orsay, et devant avoir pour point de vue le nouveau cours près la porte Saint-llonoré. Et cependant, d'autre part, un passage du Dictionnaire des rufs et des moniiinents de Paris, par des hommes compétents sur le chapi- tre de l'édilité parisienne, MM. Lazare, ne semblerait pas admet- tre que l'enclos du Carmel de la rue de Grenelle s'étendit jusqu'à la rue Saint-Dominique. Comment résoudre la contradiction ? A consulter le plan de Turgol, de 1740, le principal corps de bâti- ment des Carmélites était sur la rue de Grenelle, formant trois façades et trois ailes, une aile sur la rue, une aile parallèle sur les jardins, une autre aile, reliant les deux premières. Venaient, après le bâtiment, les jardins s'étendant dans la direction de la rue Saint- NOTES RELATIVES A MAHIE-THEHESE D'AUTRICHE 893 Dominique. Au côt6 Est du bâtiment principal, se développait égale- ment sur la rue de Grenelle un corps de logis plus petit, n'ayant qu'un premier étage. Là se trouvait probablement l'église ou la chapelle. Ce petit bâtiment avait une cour, qui, était sans doute le cimetière ; une porte grillée empêchait de passer dans les jardins. La porte d'entrée du couvent se voyait, d'après le plan de Turgot, à l'endroit de la rue de Grenelle qui est aujourd'hui l'entrée de la rue Martignac. Cette porte d'entrée était flanquée, à droite et à gauche, de deux corps de logis, n'ayant qu'un étage. Mais le plan de Paris de Turgot ne résout pas la question des limites du couvent. On voit, dans ce plan, qu'un hôtel, désigné Hôtel de Brogtie, qui est aujourd'hui l'Hôtel du comte d'IIaussonvi'llc, formait déjà le coin de la rue Saint-Dominique là même où le côté méridional se rencontre avec la rue de Bourgogne. Comment donc les religieuses furent-elles obligées par la ville à rehausser leur mur au coin de la rue Saint-Dominique et de la rue de Bourgogne ? j — Le jardin des Carmélites est, dans ce même plan, partagé par un mur, qui semble se trouver sur la ligne de la rue actuelle de Las Cases. Ce mur était-il la limite réelle ? Ce mur se retrouve, dans le plan de Paris, donné en 172o, par les bénédictins Félibien et Lobineau, dans leur Histoire de Paris, in- folio, t. 1er. La limite des Carmélites est nettement accusée, au Sud, par la rue de Grenelle, à l'Ouest par la rue de Bourgogne, à l'Est par l'hôtel de Villars et par les religieuses de Bellechasse. La difficulté n'est que pour la limite du côté du Nord. Allait-on jusqu'à la rue Saint-Domi- nique ? ou bien s'arrêtait-on à 60 ou 100 mètres avant cette rue au mur qui partageait les jardins ? 11 y a soixante-dix-huit ans que les religieuses fondées par la reine Marie-Thérèse ne possèdent plus l'établissement de la rue de Grenelle, passé en plusieurs mains, telles que M. d'Haussonville coin de la rue Saint-Dominique, M. le prince de Ligne coin de la rue de Bourgogne et de Grenelle, M. Moulin de la Tour, M. dEstour- mel, M. de Belissens, etc., côté gauche de la rue Casimir-Périer. Elles ont pu s'établir sur les terrains, d'abord déserts, qui s'éten- daient entre l'École militaire et le faubourg Saint-Germain. Un homme de bien, l'honorable M. Riant, l'un des notaires les plus estimés de la capitale, doué d'une fortune considérable, membre du conseil municipal de la Seine, l'âme et l'instigateur d'un grand nombre d'œuvres utiles à la religion et à la patrie, M. Riant, di- sons-nous, vint en aide aux Carmélites pour les négociations préa- lables relatives à l'acquisition d'un terrain avenue de Saxe ! Nommons aussi l'honorable et brave général de Bourgon, qui s'employa pour hâter une solution difficile à obtenir, c'est-à-dire le remboursement immédiat, par la ville de Paris, des 400,000 francs offerts aux Carmélites, pour l'établissement de la rue de Vaugirard qu'elles avaient cédé. Cette somme leur était indispensable pour 896 APPKNDICE subvf'iiiraux trais de la nouvelle construction. M. do Hourgoii, beau- père d'une des religieuses, ayant vivement pressé M. le préfet de l;i vSeine, obtint que la somme fût versée sans retard. Du reste, si l'on a quitté la maison des Carmes, on sest, en quelque sorte, rapproché du local de l'ancien monastère de la rue de Grenelle. L'emplacement actuel des Carmélites, qui se glorifient toujours de leur fondation parla reine Marie-Thérèse, se trouve presque au centre du carré que forment quatre avenues, les deux avenues parallèles de Lowcndall et de Bre'euil, les deux autres avenues parallèles de Saxe et de Suft'ren. L'ancien monastère de la rue de Grenelle se trouve ainsi reconstitué dans un quartier, méritant éminemment le nom de Grenelle ; on y est, comme à l'entrée de la plaine de Gre- nelle et de la commune de Grenelle, au centre d'un cercle d'établis- sements militaires, religieux et industriels. Au sens de ceux qui ont le sentiment de certaines convenances et de certaines harmonies, il était convenable qu'une prière quelconque, à plus forte raison celle des Carmélites, montait vers le ciel, du centre de cet endroit même, entre l'Ecole militaire, le puits de Grenelle, Thospice Necker et l'Hôtel des Invalides. Les âmes doivent faire contrepoids aux corps, les labeurs de l'esprit aux agitations de la matière. Le temps doit se mêler à l'éternité, et il était bon que des groupes solitaires, recueillis et silencieux, tissent équilibre aux foules immenses, tu- multueuses et bruyantes. Qu'est-il resté de la rue de Grenelle aux mains des Carmélites de l'Avenue de Saxe? — Rien ou presque rien! Elles n'ont pas même un plan des bâtiments, une vue ancienne du monastère, de l'église cl des jardins. Placées dans cette médiocrité qui épargne les ennuis de l'indio-enceetlesdangersdelarichesse, nosCarmélites nepossédaient o-uère'd'objets d'art, rue de Grenelle. Aucune princesse deCondé, au- cune duchesse de Longueville, aucune demoiselle d'Épernon, n'y avait apporté des richesses exceptionnelles, comme à la rue Sainl-Jacques. Ce quisubsisted'avantl789,cesontque!ques tableaux, les portraits de quelques prieures, une toile de Lebrun, une de Le Sueur, une autre de Mic-'nard, un autre tableau qui représente l'ensemble delacommu- nauté de la rue de Grenelle, au temps de la comtesse de Rupelmonde. Enfin et surtout on a conservé les précieuses reliques, les précieux objets que le couvent tenait de la munificence de Louis XIV et de la piété de la reine. Nous allons faire l'énumération des choses anciennes qu'on pos- sède, à l'avenue de Saxe. Commençons par les tableaux • do Une nativilé, de Le Sueur; â'i L'Enfant Jésus sur les junoux de la Sninte Vierge, de Mignard ; ;{f» Sninte Thérèse, de Mignard, qui se voyait au maître-autel de la rue de Grenelle, et qui se trouve aujourd'hui dans une chapelle latérale de l'avenue de Saxe ; 40 Jésus ressuscité, montrant la cicatrice de son cœur percé, de Lebrun. Racheté par M""' de Soyecourl ; - NOTES RELATIVES A MARIE-THÉRÈSE D'AUTRICHE. 897 ?0 Une Vue des religieuses composant la comviunauté de la rue de Grenelle, vers l'année 17oi2. Ce tableau ayant 2 mètres de largeur, et 1 mètre 73 de hauteur, est dû à un peintre de talent, à une femme, à une carmélite elle-même, qui peignit sur place les portraits des habitantes du couvent. Ce tableau représente l'émission des vœux de la sœur Thaïs de la Miséricorde, née de G ranimant, puis comtesse de liupelmonde, cl qui fit sa prolession religieuse en 1752, entre les mains de la révérende mère Pauline-Joséphine de Jésus M»"! de Croï d Havre, devant la communauté réunie en chapitre, comme il est d'usage. Le point qui domine dans cette peinture, c'est que Mme de Rupelmonde paraissait attacher une importance extrême à témoigner sa gratitude pour la grâce qui lui était faite d'être reçue et de compter parmi les humbles filles du Carmel. Une pieuse pensée a représenté, au-dessus des reli- gieuses, qui sont au nombre de trente, le glorieux saint Joseph, protecteur de l'ordre du Carmel, bénissant avec une tendre et pater- nelle aft'ection la nouvelle professe et toutes ses mères et sœurs, dont les physionomies expriment une sainte joie, un affectueux attendrissement, et une admiration, mélange d'étonnement et de re- connaissance, pour les miséricordes de Dieu sur la sœur Thaïs. Il est possible que la critique d'art trouvât à reprendre, dans une peinture qui n'a pas la prétention d'être un chef-d'œuvre, quelques détails de conception et d'exécution. Mais, en tout état de cause, il y a un souffle du bienheureux Jean de Fiesole dans cette loile, on y sent cette manière que donne, seul, le sentiment religieux, le sens de la foi, le don d'une piété vive. Ne recherchons pas si le ta- bleau de l'avenue de Saxe a été exécuté par une main sûre d'elle- même, avec toutes les adresses du métier, si les mouvements en sont expressifs et variés, si les groupes s'agencent bien, si la physionomie des attitudes, gestes et démarches, seconde celle des visages et com- plète l'expression morale que le peintre a dû se proposer d'atteindre. Le tableau de l'avenue de Saxe est tout à la lois un groupe et un paysage, une juxtaposition de trente portraits, et le vœu d'un cœur qui s'épenche en actions de grâces et qui veut perpétuer sur une toile la reconnaissance qui déborde de tout son être. Le tableau est placé dans la salle de communauté à gauche en entrant. La scène est représentée à ciel découvert ; on aperçoit quelques arbres et, du côté gauche du tableau, dans le fond, comme l'église du monastère. La sœur Thaïs, à genoux, les mains jointes et assez profondément inclinée , paraît abîmée dans le recueillement et la reconnaissance ; l'attitude des autres religieuses est variée, comme l'expression de leur visage. Saint Joseph est comme assis dans le ciel, bénissant de sa main droite ; sa gauche tient le lis. Sa pose exprime très-bien son action. Il paraît vouloir couvrir la com- munauté entière de sa protection et de son amour. Il est certain que le costume de la Carmélite ne vise pas à l'élé- gance ; sainte Thérèse n'a pas établi sa réforme pour susciter, parmi 898 APPENDICE SCS saintes lillcs , dos Cliristophe Colomb pour la découverte do modes nouvelles, de toilettes inconnues et d'éblouissantes parures. Par conséquent, l'artiste de la rue de Grenelle n'avait pas précisé- ment, dans son tableau, à faire des tours de force pour bien obser- ver lanatomic et la perspective, pour nous montrer s'il excellait dans les moindres détails des étoffes, de l'arcbitecture, des paysages. L'important, le vif intérêt historique de ce tableau consiste dans les trente religieuses qui composaient la communauté en 1752, et que l'on voit figurer dans cette toile. 0" Comme objets précieux dautrcfois, les Carmélites possèdent en- core la sainte Face, donnée par la reine Marie-Thérèse, tableau de trente centimètres de hauteur etvingt de largeur. Au point de vue de l'art, cette sainte Face rend bien la douleur du regard du divin crucifié. Le sang coule sous sa couronne d'épines. Le haut du nez porte la trace de qua re coups de couteau, donnés, dit-on, par les Maures. Un autre coup de couteau a labouré le front et l'œil gauche. La reine Marie-Thérèse avait donné à ces dames avant de mourir celte marque de son attachement, en leur léguant cette sainte Face miraculeuse qu'elle avait apportée d'Espagne. La pieuse princesse avait enrichi le tableau d'un cadre en or garni de diamants. Les deux commissaires qui se présentèrent rue de Grenelle, le 14 septembre 1792, commencèrent par dépouiller cette sainte image de ses orne- ments, et la remirent ensuite à la mère Nalhalir, prieure, qui la fit encadrer simplement, après en avoir fait constater l'authenticité par M. de Floirac, avant qu'il émigràt. 7° Le Crucifix miraculeux rapporté de Besançon par Louis XIV, et donné aux Carmélites de la rue du Bouloi, subsiste aussi ave- nue de Saxe. Le bois en est vieux et usé ; ce crucifix, largo de douze centimètres, avait été construit par quelque ermite de la Franche- Comté, il a une longueur de cent cinquante centimètres environ. 11 est en grande vénération dans l'église de nos Carmélites. On se souvient que ce bois symbolique était resté intact, au milieu des ravages de la flamme, qui dévorait tout autour de lui. 8" On a converti en ornement, pour la célébration de la sainte Messe, la brillante robe que la comtesse de Rupelmonde portait lors de la cérémonie île la prise d'habit; cotte robe rappelle ces riches et anciennes étoffes de nos vieux fauteuils Louis XV. 90 On conserve avec un soin non moins pieux un ornement complet, que la reine Marie-Thérèse donna rue du Bouloi, pour la célébration du divin Sacrifice. Cet ornement en drap d'or, servant depuis deux cents ans, est encore un beau reste de la munificence de la reine. La croix qui s'y encadre est un travail en couleur, pro- duisant le menu; effet que nos tapisseries. 10" Mentionnons aussi un précieux reliquaire avec dos reliques de la vraie croix, que la reine Marie-Thérèse donna à ses chères Carmélites; ce reliquaire, en forme de croix, mesure soixante centi- mètres de hauteur; il est en métal doré, et Irès-orné; il porte les NOTES RELATlVIiS A AlAHlK-THtUKSE D'AUTRICHE. 899 armes de la reine Marie-Thérèse. Mais les diamants dont il était en- richi, ont disparu pendant la lîévolution. Heureusement, les mor- ceaux de la vraie croix sont restés. llo Enfin, l'avenue de Saxe possède quelques portraits, qu'elle a sauvés de la dispersion D'abord, le portrait de la reine Marie-Thérèse d'Autriche, que nous avons essayé d'étudier dans les jjremiers chapitres de cet ou- vrage, peinture dans laquelle l'artiste a eu le loisir d'étaler un riche coloris avec des tons purs et pleins, de nuancer les plis d'un manteau royal semé de fleurs de lis d'or, de suivre capricieusement les enfoncements d'une longue robe traînante, et de faire miroiter sur les blonds cheveux de la princesse un magnifique diadème fleu- ronné et éblouissant. Ensuite le portrait de Mgr Hachette des Portes, évêque de Glan- dèves, supérieur des Carmélites. Le portrait de M. l'abbé de Floirac, vicaire général de Paris, à la fin du siècle dernier. Le portrait de M'''»- de Croy d'Havre. Celui de M'np la comtesse de Rupelmonde, née de Grammont. Celui de la mère Pélagie madame de La Fère du Bouchant. Celui de M'i'^ Eusloquie de Borstel, et celui de sa tante. Le portrait de Madame Louise de France. Celui de M^^e de Soyecourt la mère Camille. Enfin un buste, en cire, de Madame Louise dOiFrancc. Ici s'achèvent nos recherches historiques concernant le monas- tère de Grenelle, fondé par la reine Marie-Thérèse d'Autriche, et transféré avenue de Saxe. Nul doute que toujours cette pieuse colo- nie n'attire, dans ses rangs, les jeunes femmes, qui ont le désir d'al- ler travailler dans la solitude au salut de leur âme. Là, on entend plus facilement la voix de Dieu, on s'y forme aux vertus de Jésus- Christ, on y conquiert pied à pied les diamants de la future cou- ronne du ciel. Là aussi, dans ce pieux et silencieux asile de l'a- venue de Saxe, avec les imperfections attachée^ à toutes choses ici-bas, et certaines épreuves inévitables, on g^te, relativement, un repos et une tranquillité d'âme qu'on ne saurait rencontrer ailleurs. En ce qui concerne la vie temporelle et les moyens de subsistance, les Carmélites continueront, avec leurs modestes ressources, à compter sur la Providence. Bien des pages de leur histoire contribuent à consolider leur confiance. Que de fois, n'ayant pas le strict néces- cessi^ire, n'ayant pas même de quoi donner à manger à la commu- nauté, quelques moments avant l'heure du repas , n'ont-elles pas vu arriver subitement des secours mystérieux, qui les mettaient à même d'échapper à la faim et de faire honneur à des affaires pres- santes ! Nous ne rappellerons que le trait suivant, qui est des der- nières années du xviie siècle Cependant, tous ces secours ne suf- » fisant pas pour les dépenses que l'on était obligé de faire, la mère 'JOO APPENDICE ' Thérèse M^'' de Kemenecour, alors dépositaire, se trouva, à la tin » d'une semaine, avec une seule et unique pistole, pour payer les » ouvriers et nourrir la communauté. Dans cette circonstance, il » vint au tour une femme dont la pauvreté était connue et si ex- y Irême, qu'elle lui avait fait prendre l'horrible résolution d'aban- » donner au crime ses trois lilles d'une rare beauté, afin d'avoir, » par ce moyen détestable, de quoi les nourrir. Notre sainte reli- » gieuse, connaissant cet affreux dessein, fut pénétrée de douleur, » et courut demander la permission à notre révérende mère » prieure de donner la pistole en question à cette misérable pour » l'engager à prendre patience, et empêcher un si grand mal, ajou- » tant qu'elle prêtait cette somme à Notre-Scigneur. La divine » bonté la lui rendit avec usure et sans retard. Centécus se trouvè- » rentdans le tour le jour suivant qui était celui où il fallait payer » les ouvriers, sans qu'on pût savoir comment ils y avaient été X mis. Longtemps après, on découvrit qu'une religieuse de Saint- » Thomas, que nous ne connaissions pas, avait découvert la néces- » site où nous nous trouvions, et obtenu cette bonne œuvre de M"'f la » chancelière Séguiej'. » Quant à nous, nous souhaitons vivement et pour l'intérêt général du bien , et pour la dévotion que nous professons envers Marie- Thérèse d'Autriche, nous souhaitons que cette sainte maison de l'avenue de Saxe prospère de plus en plus, et que Dieu continue de la bénir. S'il y a aujourd'hui le libre positivisme des athées, lais- sons aux Carmélites leur positivisme spirilualiste, avec le droit de chercher le bonheur et la liberté, là où elles sont convaincues qu'ils se trouvent. Nous proclamons l'émancipation des esprits et le droit aux jouissances du corps et de la matière; laissons aux Carmélites l'émancipation de l'âme, et le droit d'assurer, comme elles l'entendent, les intérêts et les devoirs spirituels, laissons-les poursuivre [les choses qui ne passent pas. Disons maintenant un mot des personnes qui ont vécu dans cette maison au xvu'' et au xviiii' siècles. VII LISTK INÉDITE DE TOUTES LES RELIGIEUSES CARMÉLITES QUI ONT VÉCU DEPUIS LE MILIEU DU XVII" SliOCLE JUSQU'AU MX, DANS LE MONASTÈRE FONDÉ PAR MAhlE-THLllÈSE d'aUTUICHE, RUE DU HOULOI, ET TRANSFÉRÉ AVENUE DE SAXE. — MANUSCRITS DU CAnMEL, COMPLÉTÉS PAR QUELi^lUES RECHERCHES GÉNÉALO- GIQUES ET BIOGRAPHIQUES. 1. — 1G35. — Année delà réception aux Carmélites. D"*^ Rover , veuve de M. Chantemesle , sœur Elisabeth de Sainte-Croix. Veuve à 22 ans, elle reprit un ancien projet d'être carmélite. NOTES RELATIVES A MARIE-TIIËRÈSE D'AfTRIGHE. 901 et entra, à l'âge de 30 ans , en 1635 , au couvent de la rue Saint-Jacques. Lorsqu'on 1664, on érigea en monastère la mai- son de la rue du Bouloi, sœur Elisabeth y fut placée par les supé- rieures. Elle s y absorba dans des vertus obscures et sublimes. Ayant de grands biens, élevée délicatement, elle sut vivre, rue du Bouloi, dans les austérités les plus grandes. Décédée à 73 ans , rue du Bouloi, en 1670. 2. — 1645. — D"" Morice, s"" Louise de la Mère-Dieu. Femme de chambre de Marie de Médicis, elle renonça aux espé- rances que lui pouvait assurer la faveur royale, et entra, en 1645, à l'âge de 34 ans, an couvent de la rue Saint-Jacques. Son bonheur fut de vivre en anachorète, de bêcher la terre en toute sai- son, ne s'étant rendue au parloir que deux ou trois fois dans vingt années, de marcher absolument nu-pieds en véritable carmélite- déchaussée. Elle demanda et obtint de rester ensuite conventuelle à la nouvelle fondation de la rue du Bouloi.'et vécut jusqu'à 73 ans. Morte en 1684. 3. — 1649. — ^ D"'' Le Seigneur de Reuville, révérende mère Françoise de la Croix. Originaire de Rouen, elle était fille de messire Le Seigneur, cheva- lier seigneur de Reuville, président des trésoriers de France, de la généralité de Rouen, et de Mme Cécile de Colmoulins. Toute jeune, elle aimait déjà le monde, et était touchée de ses amusements. Néan- moins, il y avait dans sa conscience une rectitude infinie; et lagrâce divine lui réservait une destinée exceptionnelle. Malgré un certain goût pour les vains amusements, elle s'était acquis l'estime du monde, à cause de sa solidité de conduite. Un petit recueil assure que les mères les plus vertueuses sachant leurs filles en la com- pagnie où Mi'e de Reuville se trouvait, disaient ordinairement qu'elles étaient sûres que tout y serait dans l'ordre. » Il y avait dans toute sa personne quelque chose qui sortait des conditions ordinaires. Le duc de Longueville l'avait remarquée, pendant qu'il était gouver- neur de Normandie. Organisation supérieure faite pour de gran- des choses, esprit élevé, jugement pénétrant et juste , fort agréable de sa personne, on devinait que la Providence avait des desseins sur elle. Elle rompit elle-même un mariage avantageux, qui pouvait flatter son ambition, fit, à quelque temps de là, une dangereuse maladie, et resta indécise sur sa véritable voie. Enfin, en 1649, après la mort de son père, elle vint à Paris, et entra, à 23 ans, au couvent de la rue Saint-Jacques, oii elle reçut l'habile et sainte direction de la marquise de Bréauté. Envoyée sous-prieure, rue du Bouloi, et sachant l'espagnol, Marie- Thérèse d'Autriche l'eut bientôt distinguée, et la demanda, en 1665, comme prieure et fondatrice. Elle fut presque constamment à la. 902 APPENDICE lêtc de la maison, pendant près de 40 ans, et, au moment des crises les plus difficiles. Sa foi et sa confiance ne faillirent pas un seul instant ; elle imprima cette aspiration vers les vertus de sainte Thdrèse, qui ne s'est démentie, ni rue de Grenelle, ni Avenue de Saxe. Quand elle décéda, en 1702, rue de Grenelle, elle était âgée de 7G ans, et en avait passé '4 au Carmel. Lon avait pu admirer en elle ces qualités indispensables à un chef, à un supérieur, cette sage prudence, cclW, largeur de cœur, et cette charité infatigable dont doivent être doués tous ceux qui ont l'iionneur de se trouver à la lête d'un groupe de leurs semblables, et que la mère Françoise de Reuville possédait dans une large mesure. Mil'' de Reuville, à sa dernière maladie, conserva sa connaissance et ses facultés jusqu'à la fin ; elle suivit avec beaucoup d'application les prières dos agonisants, qu'elle demanda. Elle mourut, le malin, à huit heures. Malgré son grand âge et ses longues et extrêmes souffrances, dit la circulaire de 1702, elle est devenue si belle après sa mort, que nous ne nous lassions point de la regarder. Les per- sonnes de dehors qui l'ont vue exposée, ne pouvoient croire qu'elle eût plus de quarante ans, et se sont empressées pour avoir des fleurs qui avoient esté sur son corps, la regardant comme une sainte. • La grandeur et la simplicité de sa dévotion avaient tellement frappé les anciennes carmélites, que la tradition s'en est conservée dans les manuscrits. 4. — 1651. — D"'-' Toinexoii de Hemeuecoar, révérende mère Thérèse de Jésus, Antoinette de Tomexon était fille de messire Charles de Tomexon, chevalier et seigneur de Remenecour, premier gentilhomme de la chambre de Son Altesse Mgr le duc de Lorraine, et de madame .Judith de Mouron. Nous la voyons iille d'honneur de S. A. R. madame Marguerite de Lorraine, duchesse d'Orléans , lorsqu'elle prit le parti de quitter le monde et d'entrer au grand couvent de la rue Saint- Jacques. Il est dans la destinée des grandes âmes de rencontrer de forts obstacles sur leur chemin. Ils ne manquèrent ioint à MH^' de Remenecour. On sait peu de particularités des premières années de sa vie. Née, croyons-nous, en Lorraine, venue au monde complète- ment aveugle, les yeux dans leplusdéplorable état, elle retrouva plus tard la vision presque par miracle; et sa vue, tant au physique, que sous le rapport intellectuel, devint des plus perçantes. Lorsqu'elle se sentit appelée, à l'âge de 23 ans, à la vocation de carmélite, elle rencontra d'abord la forte opposition de son illustre famille, ainsi que celle de Monsieur, frère du roi Gaston, duc d'Orléans. Elle en triompha cependant. Remarquons que W^^ de Remenecour avait une vivacité d'esprit, et les agréments naturels qui expliquent qu'on l'ait aimée et recherchée dans le monde. Une fois enrôlée sous la bannière de Marie-Thérèse, elle porta, dans sa nouvelle cxistenoo, NOTES RELATIVES A MARIE-THÉRÈSE D'AUTRICHE. 903 toute son ardeur, toutes les qualités de son esprit, de son cœur et de sa foi. M"c deRemenccour était, ainsi que la mère Françoise de Reu- villc, une nature organisatrice. Étant toute jeune, elle avait su trouver dans le génie de sa charité le moyen de faire élever huit ou dix petites orphelines, auxquelles elle procura dans la suite des éta- blissements considérables. Le père Eudes voulant faire construire une chapelle, et se trouvant sans ressources, reçut d'une grande princesse, à la recommandation de Mi'e de Remenecour,la somme de 12,000 livres. Elle procura aussi des secours considérables aux Mis- sions étrangères. Femme d'une haute intelligence, elle ne put cacher longtemps ses capacités et ses vertus. D'abord sous-prieure à Blois , elle fut rappelée au gj-and couvent. Et lorsque Marie-Thérèse créa le monas- tère de la rue du Bouloi, la reine comprit bien, avec son discerne- ment ordinaire, de quelle ressource serait la mère Thérèse de Jésus. Miii' de Remenecour et MUe de Reuville furent les deux co- lonnes de l'établissement nouveau. Miif de Remenecour exerçait un grand ascendant par ses riches facultés intellectuelles et par sa conversation à la fois solide et bril- lante. Nous avons dit, dans un chapitre, le mot de M. Cousin à son égard, après avoir lu d'elle des lettres fort agréables. On raconte qu'elle parlait de la religion d'une manière si digne, si forte et si pénétrante, que deux des plus grands génies du xviic siècle furent touchés par ses discours; ils confessèrent lui devoir leur retour à la religion catholique. Une fibre vibrait puissamment et toujours dans cette âme d'élite, c'était la compassion pour les malheureux. Elle fit, pendant la cons- truction des bàtimentsdu monastère, habiller plusieurs pauvres ou- vriers. En même temps, elle était profondément vertueuse et sin- cère. Ayant renoncé au monde, elle crut devoir s'imposer de n'aller au parloir, lorsqu'on l'y demandait, qu'armée d'une cein- ture de fer. Elle expiait une visite par une mortification volontaire et spontanée. On peut dire qu'elle se distingua par la grandeur de son caractère, elle pardonnait à ses ennemis avec magnanimité d'âme et d'une manière héroïque, car la bienveillance dont le roi et d'autres personnes de la cour l'avaient entourée, lui en avait suscité passagèrement. Elle mourut rue du Bouloi, le 19 juin 1685, âgée de 60 ans, après en avoir passé 34 en religion. 5, — 165i. — D"e Jessé, s^ Marie de Saint-Benoît. Cette carmélite n'ambitionnait qu'austérités, emploi aux ouvrages les plus laborieux et les plus pénibles de la maison. Elle obtint permission, pendant 14 ans, de ne se point déshabiller. En Avent et en Carême, elle ne couchait que sur des planches. 3Iorte rue du Bouloi, en 1670, âgée de 31 ans seulement. 904 Al^l'KNDlGE G. — 1665. — La inaivjuise de Boury. s'' Claude de Saint-Michel. Cette pieuse veuve eut l'énergie, à 49 ans, d'embrasser la vie pé- nible des Carmélites. Anne d'Autriche fut très-loucliée de la céré- monie de la vêture. M""' de Boury, ayant été obligée d'attendre huit années entières que les aifaires de ses entants fussent réglées, ne put' faire profession qu'au lit de la mort. Aussi son petit-fils lui disant un jour avec l'ingénuité de l'enfance Maman, pourquoi donc avez-vous toujours le voile blanc? la vénérable novice répondit en souriant Mon filx, ^'est que votre papa ne veut pas m'en donner tin noir. Il semblait que Mi'" de Boury, qui n'avait pas consacré spécialement à Dieu les helles années de sa jeunesse, voulût rega- gner par sa ferveur le temps donné au monde. Son esprit do pé- nitence ne cédait en rien à sa charité. Les jours consacrés à la les- sive, ceux où il s'agissait de faire quelque ouvrage fatigant et péni- ble, comme de porter le bois, elle ne manquait pas d'ajouter de nouvelles rigueurs à ces exercices déjà assez rudes pour une per- sonne de- son âge et de son rang; elle avait soin alors de se revêtir d'un ciliée, de bracelets et d'une ceinture de fer. Elle ]orta un an entier ce dernier instrument de pénitence, qui entra si avant dans sa chair, qu'il fallut une espèce de miracle pour l'en arracher. Morte en 1673, âgée de 57 ans. 7. — 1665; 1667. — D"'' de Flavigny d'Aniansart. s" Marie-Thérèse de Jésus, et sa sœur, Gabrielle d'Aruan.'^art, s'' Gabrielle de Sainte-Thérèse. Elles étaient de la Picardie. La terre de Renansartou d'Arnansart. seigneurie et vicomte en Picardie, était entrée depuis le xvf siècle, dans la maison de Flavigny, première noblesse du Cambrésis. Ces deux Carmélites étaient filles de messire César François de Flavigny, chevalier, seigneur de Ribauville, vicomte de Renansart ou d'Ar- nansart et do Surfontaine, et de M"'!" Suzanne de Vielchastel, dont le père était premier capitaine lieutenant des mousquetaires, lieute- nant général des armées du roi et gouverneur de Barrois. Le comte d'Arnansart, leur père, étant venu à Paris, rendit visite, rue du Bouloi, à Ml''' de Remenecour, sa parente. La mère Thérèse de Jésus eut on ne sait quelle inspiration de dire au comte, qui avait plusieurs lillcs, et qui allait établir l'aînée Monsieur, donnez- nous les deux plus àijèes. Dieu les veut Carmélites. Les deux demoiselles d'Arnansart eurent connaissance de cette parole. Et, tandis que leur frère, Anne-Claude de Flavigny, épousait Marie-Anne laFitte, fille de la Fitte, lieutenant général des armées du roi, et gouverneur de Guise, pour elles, à demi engagées dans le monde, mais travaillées par la grâce, elles surent renoncer à tout, et entrèrent, toutes deux, à doux ansde distance IGO-J et 1067, rue du Bouloi, aux Carmélites, nfi elles furent, jusqu'à la tin de leur vie, de saintes religieuses. Sœur NOTES RELATIVES A iMAHlE-THÉRÈSE DAUTRICHE. OOo Marie Thérèse mourut, on 1722, âgée de 77 ans, après 08 ans passés auCarmel. SœurGabriellcde Sainte-Thérèse mourut, en 1727, âgée de 80 ans. Elles étaient nées au château dArnansart, en Picardie. Elles souscrivirent sur les registres la formule de profession consacrée Je, sœur...., fais ma profession et promets chasteté, pauvreté et obéissance à Dieu , et à notre révérend Père supérieur, selon la réforme de... .- 8, — 1G66. — D"'' d'Ardenne, s*" Marie-Louise-Élisabeth le Jésus. Elle fit sa profession à dix-neuf ans; elle était née à Barcelone, et y demeurait. Devenue fille d'honneur de la reine Marie-Thérèse, elle se sentit attirée au cloître. Elle était fille de très-haut et puissant seigneur don Joseph d'Ardenne et d'Arnius, seigneur et comte d'ille, lieutenant général des armées du roi, et de très-haute et très- puissante dame dona Louisa-Élisabeth d'Aragon. Cette descendante des rois d'Aragon, que les reines honoraient de leur amitié, et à qui les alliances les plus illustres étaient offertes, aima mieux pren- dre le voile rue du Bouloi. n'étant plus propre à former des âmes religieuses à toute la per- " fection de leur état dont elle était un si parfait modèle, ses pa- » rôles n'étaient pas moins eflicaces que ses exemples; s'exprimant » d'une manière solide el élevée, avec force et onction, n'employant » la supériorité de son esprit que pour la gloire de celui qui lui avait » donné de si grands talents, elle s'efforçait d'ailleurs d'en cacher » l'éclat, el ne cherchait qu'à s'anéantir, fuyant tout ce qui la pou- D vait faire connaître et distinguer. Sa profonde humilité lui a fait » demander et obtenir de n'être jamais à la tête de la communauté > comme prieure, charge dont son mérite la rendait digne, et où » nous l'aurions sûrement élevée, malgré ses précautions pour l'évi- » 1er, si Dieu n'eût exaucé sa prière, en faisant obstacle à nos » désirs par l'extrême faiblesse de sa vue. » Décédée, à 84 ans, en 1733. 23. — 1G72. — D"'' de Fors du Vigean, révérende mère Marthe de Jésus. Les du Vigean étaient, on l'a déjà vu, une très-ancienne maison du Poitou. 31. Cousin nous a dispensé, par ses recherches sur celle famille, d'en faire nous-même. 11 s'est occupé de la tante qui vécut aux Carmélites de la rue d'Enfer, et qui avait pour' sœur, Anne du Vigean, duchesse de Richelieu. 11 s'agit ici de la nièce et de la filleule de celle-là, d'une autre sœur Marthe du Vigean, née en 16oo, qui entra aux Carmélites de la rue du Bouloi, dès l'âge de 17 ans, avant qu'elle cherchât à se faire applaudir sur ce théâtre du monde où elle aurait pu voir briller tant de personnes qui n'avaient ni sa naissance, ni son esprit, ni sa figure. » Le poète Voiture aurait pu dire de la nièce ce qu'il dit de la tante Vigean est un soleil naissant, [Jn bouton s'épanouissant. II s'épanouit au Carmel, malgré les sollicitations de sa famille i\m voulait lapousserà la cour du grand Roi. La distinction de son esprit et de son cœur parurent excellemment, quand elle eut la charge de prieure. Une jeune et grande princesse l'honora de ses fréquen- tes visites. Nous croyons avoir dit ailleurs que la reine d'Espagne, Madame, belle-sœur du roi, elle régent, avaient pour celte digne mère une estime et une confiance inexprimables. Elle mourut en à 75 ans. Sa mémoire est demeurée chère au Carmel, qu'elle édifia pendant près de 60 ans par ses vertus, les honneurs et les distinc- tions ne l'ayant élevée jamais. 24. — 1673. — D"*^ Pezé, s' Isabelle du Saint-Sacre- ment. Celle sainte fille, d'une naissance obscure, trouva, dans sa posi- tion de femme de chambre de M'ik" de Cossé - Brissac, l'occasion 911 AiMM concert avec une autre jeune novice, sa compagne, pour s'entre- » tenir dans l'humililé, elles s'entrenommaient les habUanles de » desaom les carreaux, voulant se rappeler par ce petit mot de » guerre qu'elles devaient se mettre non^seulement aux pieds de » tout le monde, mais au-dessous. Ces deux ferventes novices se i congratulaient de toutes les petites peines et humiliations qui ; leur arrivaient, les regardant comme autant de bonnes fortunes » pour le ciel. » Décédée à 52 ans par suite d'une infirmité prise dans l'hiver de 1709, en 1714. \'i. — 179. — D"" -0611111, s'' Marie de la Croix. Née à Engiens, en Normandie. De condition obscure. Ame géné- icuse qui s'occupait sans cesse des besoins de l'Église et de l'État. Vécut presqu'un siècle. Décédée, à 89 ans, en 1714. ;^.-. — ircS;\ — D"»^ Talion, s*" Marie-Claude de Saiiit- Bouaveiiture. Fille de Jean Talion, capitaine ordinaire des chariots du roi, cl rKlicnneUe Legncdois. Née à Paris. Décédéc à 66 ans, en 1724. 'j. — ICiS;'. — D"'' da BouclieL, b'' Marie-Louise des Auges. Son père était messire Jean du Bouchet, conseiller du roi, doyen des chevaliers de l'ordre militaire de Saint-Michel et premier gen- darme de France. Née à Paris. Morte, à 48 ans, en 1709. ;]7. — 1hS"2. — D"*^ de Cornouailies , s' Marie-Anue du Saint-Sacrerueut. Née à Paris. Pierre de Cornouailies, son père, était payeur"des rentes. Décédée, à 70 ans, en 17;J5. ;8. — 1683. — l"" Godard, s' Chrisliue de Saiule- Tliérèse. Originaire de la Picardie. 76 ans. Décédée en 1730. NOTES RELATIVES A MARIE-THÉRÈSE D'AUTRICHE 913 39. — 1683. — D" Moyreau, s^ Gertrude de laPassion. De Paris. 44 ans. Décédée en 1703. 40. — 1683. — D" De Levis, la Révérende mère Marie- Elisabeth de Jésus. Marie-Élisabetli de Levy ou Levis, religieuse à 24 ans, était iille de très-haut et très-puissant seigneur messire Roger de Levy, marquis de Pouligny, comte de Cliarlus et de Saigne, lieutenant général du roi en la province du Bourbonnais, et de dame Louise de Beauxon- cles. Elle était née au château de Pouligny, en Berry. La famille de Levis est illustre et ancienne; les seigneurs de Levis étaient en grande considération dans le xie et le xiie siècle leur famille s'est divisée en plusieurs branches, qui onteu toutes de grandes alliances, les Levis-Mirepoix, les Levis-Ventadour, les Levis-Châteaumorand, les Levis-Charlus-Poligny. Marie-Elisabeth de Levis descendait de cette dernière branche, elle était née en 1638. Moreri a-t-il brouillé les dates et les noms? Ce généalogiste cite Roger de Lecis, marié en 1642 avec Jeanne de Mont-Jouvant? Était- ce le père de la carmélite? Aurait-il épousé en secondes noces celle qui, d'après les chroniques et les actes du Carmel de la rue de Gre- nelle, fut la mère de la carmélite, c'est-à-dire Louise de Beauxon- cles? Y aurait-il quelque erreur dans les dates, puisque M"e Elisa- beth de Levis ne naquit qu'en 1658, tandis que, d'après Moreri, Roger de Levis était déjà marié en 1642 ? La Mère Marie-Elisabeth, disent les manuscrits, âgée seulement de 32 ans, s'attirait un respect unanime, une confiance absolue. Son air de sainteté et de bonté, la gravité de son port et de ses manières, la faisaient également aimer et admirer. On ne pouvait la regarder sans voir Dieu présent en elle, qui dirigeait toutes ses ac- tions. Sage, prudente, vigilante, s'oubliant elte-même pour mieux penser aux besoins des autres charitable, compatissante, toujours attentive à tout ce qui pouvait nous faire plaisir, nous trouvions en elle un cœur de mère, un esprit droit, éclairé, doux et ferme tout ensemble; elle faisait aimer le joug du Seigneur, portait à la régula- rité, dont elle était un exemple accompli. » Décédée à 57 ans, en 1715. 41. — 1686. — D" Faverolles,s'- Emmanuel de Saint- Jean de la Croix. Son père, Laurent Faverolles, auditeur des comptes, demeurait sur le quartier Saint-Eustache. Carmélite à 24 ans. Décédée à 40 ans, en 1702. 42. — 1687. — D" Ollivier, s"- Geneviève Thérèse de la Résurrection. Née à Paris sur le quartier Saint-Germain-l'Auxerrois, elle fut un S8 914 APPENDICE exemple des vocations inattendue?. Elle semblait ieu taile pour la vie religieuse. Grand amour de la liberté, idole d'une famille dont il semblait impossible de la séparer, enfin éloignement naturel, très- prononcé, pour le cloître. Pourtant elle se fit carmélite, et fut une sainte. Décédée à 45 ans, en 17U0. 43. _ 1089. — D"*' dette, s"" Claude de la Passion. Née à Villejuif, entrée rue du Bouloi, à 2o ans. Décédée à 63 ans, en 1723. 44. _ 1689. — D'io Larché, s'' Thérèse de l'Assomp- tion. îSée à Pontoise. Entrée à 21 ans. Décédée à 65 ans, en 1727. 45. — 1690. — D^'^Lescureur, s' Marguerite-Thérèse de Saint-Gaëtan. Son père, Gabriel Lescureur, était architecte du roi. ISée en 1657 à Paris, carmélite à 32 ans. Décédée rue de Grenelle à 60 ans, en 1717. 4G. — 1691. — D" Meaugeays, s"" Virginie de Sainte- Thérèse. Son père Etienne Maugeays, originaire de la Provence, était con- seiller et secrétaire du roi. Carmélite à 30 ans. Décédée à 78 ans, en 1734. 47. — 1691. — D" Le Brest, s'' Marie-Élisabeth de Saint-Charles. Fille d'un bourgeois de Paris. Décédée à 81 ans, en 1753. Avait été 62 ans carmélite. 48. — 1691. — D" Hideux, s'' Marie-Augustine de Jésus. Son père était avocat au Parlement. 3Iorte à 60 ans, en 1736. 49. — 169-2. — D"" de La Fère du Bouchant, la Révé- rende mère l*élagie de Sainte-Thérèse. Fille de messire Chaude de la Fère, seigneur un Bouchaut, et de dame Marie de Simonoi, famille du Poitou. Élevée dans la maison royale de Saini-Cyr, elle suivit bientôt la vocation religieuse, et en- tra rue de Grenelle. Ses grands talents la firent bientôt choisir pour les plus hautes charges. M'io de la Fère fut une grande àme ; elle eut des lumières exceptionnelles et des vertus éminentes. Elle vécut jusqu'à 89 ans, dont 60 passés au Carmcl. Jai vu son portrait, avenue de Saxe. On la peignit, quand elle était dans un âge très-avancé, NOTES RELATIVES A iMAHIE-TIIERÉSE D'AUTRICHE 915 au moins à 80 ans. On admire, dans ce visage, cette fraîcheur de teint que la vie du cloître prolonge et maintient. La Mère Pélagie, octogé- naire, y est plus fraîche et plus rose, qu'on ne l'est quelquefois au- jourd'hui à vingt ans. La limpidité de son intelligence se reflète jusque dans l'assurance tranquille de son regard, et dans un certain mouvement des lèvres, qui semble le signe de l'aftirmalion paisible. Ses lettres de spiritualité, écrites à ses bien-aimées filles et sœurs, sont remarquables. Elle fut comblée, disent les chroniques, de grâces très-particulières, qui, sans se traduire par des extases ou autres ravissements extérieurs, étaient marquées néanmoins du sceau de l'Esprit-Saint. » Décédée à 89 ans, en 1757. 50. — 1696. — D"Gonhaut, s^ Marguerite du Saint- Esprit. Parente, nièce probablement des deux autres carmélites, du même nom, reçues en 1671. Décédée à 71 ans, en 1736. 51. — 1697. — D»" De Baudart , s' Elisabeth-Rosalie de Sainte-Thérèse. Originaire de la Normandie, mais née à Paris. Son père Jean- Baptiste de Baudart, écuyer, seigneur de Montfleuri, la fit élever à Saint-Cyr. Elle entra aux Carmélites à 21 ans. Douée de vrais ta- lents, elle sut se tenir complètement cachée. De continuelles maladies l'éprouvèrent; elle vécut cependant 48 ans, rue de Grenelle. Décé- dée à 69 ans, en 1744. 52. — 1697. — D^'^Du Pont de Veilleine, s'' Pulchérie de Jésus. Fille de mcssire Giles-François du Pont de Veilleine, chevalier, seigneur de la Mothe, et de dame Marguerite Archambault de Mar- mogne. Nous avons dit ailleurs qu'elle avait été élevée à Saint-Cyr, et que Mme de Maintenon l'aimait spécialement. Entre les vertus » qu'elle a pratiquées parmi nous, lisons-nous dans une petite note » ajoutée à sa circulaire, sa douceur inaltérable avait quelque chose » de frappant, et elle l'a conservée jusque dans les infirmités de son » grand âge. Personne n'était plus reconnaissante des services qu'on » lui rendait » Née au château de la Mothe, diocèse d'Orléans, en 1675. Décédée à 81 ans, en 1756. 53. — 1697. — D" La Boucherie de Lastie, s'' Marie Mélanie de la Miséricorde. Fille de Jean-Baptiste de la Boucherie de Lastie, chevalier et sei- gneur de laNoiie, et de dame Madeleine Mongeville de Ncyret. Néu au château de Peschcsulcn Anjou, elle entra aux Carmélites laméme année que Mlle* de Baudart et de Veilleine, après avoir été élevée, comme elles, à Saint-Cyr. Décédée à 74 ans, en 1746. 916 APPENDICE 54. _ 1697. — D"» Le Jeune, s'' Marie-Élisabeth de l'Incarnation. Née e d'Esmadys. Modèle des Carmélites pen- dant 39 ans. Décédée à 62 ans, en 1763. 75. — 1728. — W Maillard, s^ Félicité de Sainte- Thérèse„ Originaire de la Champagne. Née à Versailles. Fille d'un architecte du roi. Décédée à 73 ans, en 1776. 7G. — 1728. — D'-i^ Valon de Boisroger, s'' Anastasie de Sain te- Anne. Fille d'un bourgeois de Paris famille venue de Chartres. Décédée à 65 ans, en 1771. 77. — 1729. — D""^ Thibault, s'^ Julienne de la Provi- dence. De Chartres. Décédée à 7o ans, en 1784. 78. _ 1730. — D" Troufflau, s'' Marie-Jeanne de la Résurrection. Fille d'un laboureur du pays de Chartres. Décédée à 62 ans, en 1769. 79. — 1731. — W^ De Gua, s' Marguerite-Pélagie de Jésus. Fille de messire Jean de Gua, seigneur de la baronnie de Malves Carcassoune. Décédée à 56 ans, en 1763. !»20 APPENDICE 80. — 1732. — D"" Boiirbonne, s' Marie-Louise de Saint- Augustin. Fille d'un officier du roi. Née à Paris. Décédée à 61 ans, en i776. 81.— 1733. — D'i*' De Léère , s-" Thérèse-Clémence Eulalie de la Croix. Originaire de Chaumont. Son père était seigneur de Marnay, lieu- tenant de Sa Majesté, commandant au gouvernement de Phalsbourg et Sarrcbourg. Décédée on 1781. 82. — 1734. — D"j les lonlaut-Biion. Nous avons raconté comment elle se décida à se faire carmélite et à quel âge. Elle prit l'habit en 1751. L'évcque de Chartres fit la cérémonie, la reine Marie Leczinska lui mit elle-même le voile blanc. Quand sœur Thaïs de la Miséricorde signa soit l'acte de vêture, soit l'acte de profession dans les registres du couvent, elle mit sa signature que nous avons lue, avec une décision et une solidité remarquables. On possède, avenue de Saxe, plusieurs lettres de la reine de France à la sœur Thaïs. Nous ne sommes dans ce monde que pour l'autre, » lui écrit un jour la reine. On a aussi un portrait de M"" de RupelmondiP devenue sœur Thaïs, portrait de 58 centimètres de hau- teur et de 48 centimètres de largeur. Sa figure porte l'empreinte de cette vie visitée par les malheurs terrestres et transfigurée par la reli- gion. Le regard exprime le contentement d'une âme résignée qui reprend des forces en Dieu. L'œil gauche se ferme un peu, et semble indiquerun être fatigué de ce monde. Le front est haut; maisl'ensem- ble de la figure est petit. Encadré comme il est sous le voile noir et dans sa guimpe blanche, le visage de Mme de Rupelmonde rappelle un personnage de notre temps qui a brillé chez les Dominicains. Lorsque M"e de Grammont mourut en 1784, quoique ce fût l'heure du grand silence au couvent, on ne put s'empêcher de crier Ma sœur Thaïs est morte! ah! quel malheur! » De tous côtés, dans Paris, on vint demander quelque chose qui eût appartenu à la sainte carmélite. 105. — 1752. — D". — D" Caaavas, s"' Pauline-Thaïs de Saint- Louis. Née d'une famille piémontaise en 17io. Fille de Gabriel Canavas, de la musique de la reine, et de Henriette Bertolio. Décédée près l'abbaye Saint-Germain, en 1808. 112. — 17Gi. — D"*' Chauvelin, s"" Louise-HenrielLe de la Croix. Née à Paris en 1746, fille de Jacques-Bernard Chauvelin, con- seiller d'Etat, intondant des finances, et de dame Marie Oursin. Mgr Christophe de lU'aumonl, archevêque de Paris, présida à la prise d'habit. 113. — 17G7. — M""' lie Boauiré, D'"' Marie- François- Bertault de Chantrêne. Fille de M. Claude Bertault de Chantrêne, écuyer, conseiller du roi, trésorier de France, et de dame Pcirine Salmon, née en 1730. Elle fut mariée à Nicolas-François Roses de Beaupré, conseiller du roi, lieutenant parliculior au bailliage cl siège piésidial de Senlis. Devenue veuve, elle entra aux Carmélites, àlàge de 3i ans, en 1707. Le duc de Croï d'IIavré, cl le curé de Saint-André-des-Arcs signèrent comme témoins à la prise d'habit. La veuve de Beaupré sortit ensuite du couvent, pour raison de santé, probablement. NOTES RELATIVES A MARIE-TIIERÈSE D'AUTRICHE 9-27 111. _ 1769. — D"-^ des Landes \le Lancelot, s'' Marie- Emmanuel. Née à Paris. Fille de messire Guillaume-Bernard des Landes de Lancelot, écuyer, ancien avocat au Parlement et conseil du roi, et de dame Marie Vata. Décédée à 76 ans, en 1812. 115. _ 17G9. — D"" Godefroy, s'' Marie de l'Annon- cialion. Fille d'un officier de la garde de la ville de Paris. Décédée à Sainle-Périnne de Chaillot, à 73 ans, en J814. 11 G. — 1769. — D'Je de Rosset de Fleuri, s"" Marie- Joseph. Parente du ministre d'Étal, de l'archevêque de Tours, abbé de Royaumont, et de l'évêque de Chartres. très-haute et très-puissante demoiselle Marie-Victoire de Rosset de Fleuri, était fille de très-haut et très puissant seigneur Mgr An- dré Hercule de Rosset, duc de Fleuri, pair de France, premier gen- tilhomme de la chambre du roi, chevalier de ses ordres, lieutenant général dès armées de sa majesté, gouverneur et lieutenant général de la Lorraine et du Barrois, gouverneur particulier des ville et ci- tadelle de Nancy, et de très-liaute et très-puissante dame madame Anne-Madeleine-Françoise de Monceaux d'Auxy, duchesse de Fleuri, dame du palais de la feue reine. Née à Paris en 1743, M"e de Rosset de Fleuri fut reçue carmélite en 1769. La cérémonie de la prise dhabil fut faite par Mgr Pierre Augustin Bernardin de Rosset de Fleuri, évêque de Chartres, et pre- mier aumônier de feue la reine; et, en 1770, le voile noir lui fut donné par Mgr Henri Marie de Rosset de Ceilhes de Fleuri, arche- vêque de Tours. Décédée à l'âge de o7 ans, à Paris, rue Mézières, en 1803. 117. — 1770. — D'i^^Crevel, s' Marie- Victoire. Fille d'un bourgeois de Paris. Son père, Jean Crevel. ;Sa mère, Marie-Anne de La Maitairie. La cérémonie de sa vèture fut faite par messire Jean-Joseph de Tersac, vicaire de Sainl-Sulpice. Conduite au tribunal révolutionnaire, pendant la république, elle refusa le serment et passa quinze mois en prison. Nous avons rapporté son interrogatoire dans le précédent paragraphe. Décédée en Flandre, aux Carmélites de Termondc, à 79 ans, en 1827. 118. — 1770. — Madame Louise de France, s'' Thérèse de Saint- Augustin. Née en 1737, Madame Louise de France était la dernière des filles de_, Louis XV et de Marie Leczinska. La reine sa mère venait 928 AFPKNDICE de mourir, quand cette princesse entra aux Carmélites. Naturelle- ment, elle avait dû surmonter bien des obstacles et bien examiner sa vocation avant de consommer son sacrifice ; elle l'accomplit à l'âge de 33 ans. Sa vie est une grande et sainte vie. M. de Quincorot, ancien présfdent à la cour royale de Paris, pos- sède l'ordre donné par le roi à la sollicitation de la princesse sa iille, ordre que M. d'Haranguier de Quincerot, son père, écuyer de Madame Louise, avait reçu d'elle à son entrée au Carmel, et qui est religieusement conservé dans cette respectable famille on a pu en avoir copie cet ordre était ainsi formulé I' Les dames qui suivront ma fille Louise, lors de son déjiart pour » le couvent, oîi elle désire se retirer avec mon agrément et per- > mission, lui obéiront ainsi que l'officier de mes gardes, et les » gardes du corps 9t écuyers, sur tout ce qu'elle leur comman- » dera, comme si c'était moi-même qui le leur disais. A Versailles, » ce 6 avril 1770. » Signé Lons. » Entrée rue de Grenelle avec la reine sa mère, pour la profession de la comtesse de Rupelmonde, elle contractait dès ce moment pour ce couvent une affection qui ne devait pas mourir. Désireuse de connaître ce qui constitue la vie d'une carmélite, elle se fit donner par les mères de la rue de Grenelle un exemplaire des saintes constitutions du Carmel ; elle le serra sous clef, dans une cassette d'argent en forme de reliquaire, sur laquelle on li.'^ait Reliques de sainte Thérèse. Ce petit livre lui était plus cher que tous les trésors du monde; elle ne l'ouvrait que lorsqu'elle était seule dans son ap- partement. Le monde a admiré ce qui advint, l'Europe entière s'émut de la détermination de la princesse. Clément XIV la félicita dans une lettre dont on a publié récemment une traduction française et dont l'accent était autrement pénétré et touchant dans l'original italien. Les princes étrangers de passage à Paris s'empressaient d'aller visi- ter la princesse carmélite. Ils demandaient à voir sa chambre, dans laquelle il n'y avait, comme dans les autres, que sa chaise de paille et le /'aH/eut/ i roi, fauteuil qui n'était dans sa cellule que lorsqu'on avait annoncé la visite du roi. Gustave III, roi de Suède, et Henry, frère du roi de Prusse, Frédéric II, firent ce pèlerinage et s'en revinrent émerveillés. L'archiduchesse d'Autriche, 3Iarie-Antoinette, appelée à devenir l'épouse de Louis XVI, quittant Compiègne pour venir à Versailles, ne manqua point, l'année même de son ma- riage, en 1770, d'aller saluer et embrasser la nouvelle carmélite. Ce qui est beau, c'est que Madame Louise fut, toute sa vie, exacte au moindre de ses devoirs et humble entre les humbles. On peut dire qu'elle a appartenu à deux maisons à la fois, aux Carmélites de la rue de Grenelle et à celles de Saint-Denis, à la mai- son de la rue de Grenelle, qui fut la cause occasionnelle de sa dé- termination de quitter la cour, à la maison de Saint-Denis, où NOTES RELATIVES A MARIE-THÉRÈSE D'AUTRICHE 929 s'écoulèrent les dix-sept dernières années de sa vie, si saintement belles, maison qu'elle embauma de ses vertus. Nous avons raconté, dans le paragraphe précédent, que dans la crainte de mourir dans les chaînes qui la retenaient à la cour, la princesse avait fait un testament, dans lequel elle suppliait le roi d'ordonner qu'elle serait enterrée au couvent des Carmélites de la rue de Grenelle. C'est dans ses conversations, rue de Grenelle, qu'elle disait à une prieure i J'ai comparé l'état de princesse à létat de carmélite, et toujours j'ai prononcé que celui de carmélite valait mieux. » C'était le temps des tristes exemples que donna la cour. La princesse se flattait peut-être de la conversion de Louis XV Moi carmélite, et le roi tout à Dieu, quel bonheur! » s'écriait-elle, rue de Grenelle. Libre de choisir, pour sa retraite, telle maison de Carmélites qui lui plairait le plus, il paraissait naturel, dit son premier historien, ;\ qui les mères communiquèrent leurs documents, qu'elle donnât la préférence à celle de la rue de Grenelle de Paris. On sait que Madame Louise n'alla pas, rue de Grenelle, parce qu'elle y connaissait plusieurs religieuses, parce que cette maison étant dans la capitale, pouvait lui attirer des visites préjudiciables à l'esprit de retraite, surtout parce que, comme on tirait le canon toutes les fois que le roi entrait dans Paris, cette bruyante annonce deviendrait, pour elle et pour sa communauté, un sujet de distraction à chaque visite que lui ferait le monarque. Les religieuses de l'avenue de Saxe ont un- portrait de Madame Louise de France, de 70 centimètres de hauteur et de SO centimètres de lar- geur, portrait que M^edeSoyecourt tenait de l'un de ses oncles, 31. de Bérenger. Cette belle âme se reflète dans ce portrait ; les yeux sont un peu creusés par la solitude et par la rude pénitence, que faisait cette princesse. Son nez est très-accusé dans le sens du type bourbonien. Le mouvement des lèvres révèle une bienveillance infinie. Madame Louise de France paraît encore jeune dans cette pein- ture. On sait qu'elle ne se prêtait pas beaucoup à laisser prendre son portrait, et un écrivain du xviiie siècle rapporte que les religieuses profitèrent d'une visite faite par Louis XV au monastère, pour obtenir, par le père , le consentement de sa fille à se laisser dessiner. Les Carmélites de l'avenue de Saxe possèdent également un buste en cire. C'est là surtout que la princesse, qui est plus âgée, rappelle singulièrement, par sa physionomie, le type de figure de Louis XVI et de Louis XVIII. Somme toute, la vue de ces portraits fait beau- coup penser. On songe aux idées qui traversèrent cette tête de prin- cesse, et la conduisirent au sacrifice si beau des grandeurs terrestres. On ne peut oublier davantage cet oracle des livres divins, d'après lequel le don d'une hilarité charmante est presque toujours dé- parti à ceux qui se consacrent à Dieu, dans la totalité d'un sacrifice sincère. 930 APPENDICE Nous avons vu d'elle, à la maison des Carmélites de Saint-Denis, deux autres portraits non moins intéressants. Dans l'un, la princesse est 1res- jeune. Elle a, dans le second, environ 30 ans. Dans le portrait qui la représente jeune, les yeux sont moins creusés et le nez moins saillant que dans le de l'avenue de Saxe. Elle est prise des trois quarts, presque de face. Ses yeux, ses sourcils noirs et abon- dants, l'expression de son visage rappellent étonnamment Louis XV t mais la lille possède, dans cette peinture, cette auréole et cette splendeur calme que donne une sainteté réelle, et à laquelle le roi son père n'osait prétendre. Cette figure est toute jeune; mais on y sent cette maturité céleste que donnent de grands sacrilices accom- plis. Son expression de bonté infinie révèle à merveille celle qui se préoccupa constamment des pauvres du dehors, et fit recueillir en France les religieuses expulsées des Pays-Bas autrichiens, sous le règne de l'empereur Joseph II. Avec l'expression de la bonté, on trouve, dans le portrait de Saint-Denis, l'expression d'une grande fermeté, digne de cette fille d'un puissant roi, qui sut préférer au faste du trône l'obscurité d'un monastère, dans ce siècle où les ordres religieux n'étaient en butte qu'au mépris public. Elle mourut le i23 décembre 1787, à l'âge de oO ans. M. de Sancy fit à cette princesse l'épilaphe suivante Du sommet des grandeurs au sommet du Carmel, Et des marches du trône aux marches de l'autel, Louise avait franclii cet immense intervalle. Préférant le calice à la pompe royale. Mais Dieu la fait monter, en ce jour glorieux. Des ténèbres du cloître à la splendeur des cieux. Le monastère de la rue de Grenelle, qui regardait Madame Louise de France comme un membre de la communauté, fit prononcer, dans l'église de la rue de Grenelle, l'oraisou funèbre de la princesse, par M. François, prêtre de la mission. Il parut une Histoire de la vie édifiante de la princesse, Paris , 1788. L'abbé Proyart a publié aussi la Vie de Madame Louise, Bruxelles, 1793, in-12. Lyon, 1818, 2 vol. in-12, édition augmentée d'anecdotes, lettres, etc. Le Journal historique et littéraire 1er novembre 1788, p. 332, et 15 mai 1789 mentionne l'éloge funèbre de la princesse, par l'abbé Amalric, aux Carmélites de Saint-Denis, et par labbé du Serre- Figon, à Pontoise. Ces notices sur la princesse sont très-imparfaites. Une autre vie d'elle a paru en 1807, 2 volumes in-12, elle est plus complète; on s'y est servi d'un mémoire qu'avait rédigé une carmélite, contem- poraine de Madame Louise de France, nommée Sophie de Beaujeu, sœur Louise-Marie. Quant à ses restes mortels, un journal de l'ex- traction des tombeaux de Saint-Denis, en 1793, dit que le vendredi, 25 octobre 1793, les ouvriers, avec le commissaire aux plombs, furent NOTES UELATIVES A MARIE-THÉRESE D'AUTRICHE 931 aux Carmélites enlever le cercueil de plomb de Madame Louise de France, huitième et dernière fille de Louis XV, morte carmélite en 1787; qu'ils apportèrent ce cercueil dans le cimetière des Valois; que ce corps lut tiré du cercueil et jeté dans la fosse commune à gauche; que ce corps était tout entier, maison pleine putréfaction ; que néanmoins les habits de carmélite étaient assez bien conservés. {Funérailles des liais et des Reines, par de Roquefort, p. 404, Paris, 1824. 119. _ 1772. — D"e Laiiglois, s' Catherine de la Ré- surrection. Née à Sens. Décédée à 75 ans, en 1817. 120. — 1772. — D"^^ Petit, s'' Rose de Jésus. Originaire de Reims. Morte sur le quartier Saiut-Jacques-du-haut- pas, à 86 ans, en 1837. 121. — 1773. — 11'^ Foubert, s^ Marie-Rosalie du Saint- Sacrement. Son père était chirurgien du roi. Nous avons donné son interro- gatoire au tribunal révolutionnaire. Décédée à 79 ans, en 1819. 122. — 1773. — D"'' Houle, sœur Marie-Claudine-Cécile de la Providence. Originaire de Màcon. Décédée dans une pension, faubourg Saint- Marceau, à 76 ans, en 1822. 123. — 1775. — D" Mignot, révérende mère Marie-Thé- rèse de la Croix. Originaire de la Normandie. Décédée à 72 ans, en 1823. 124. — 1775. — D"* Stewart, s^' Marie-Charlotte des Anges. D'une famille anglaise distinguée. Reçue rue de Grenelle. Décédée à 79 ans, aux Carmélites d'Angleterre, à Lanhorn Saint-Columb, en 1832. 125. — 1775. — D"'' Bailletet, s'' Marie-Anne de Saint- Barthélemi. Fille d'un laboureur. Originaire de Langres. Décédée à 7G ans, en 1831. 126. — 1777. — D" Spfculum Theologiaim, Thercsiœ christianissimœ Galliarum re- Pompeo Abbate, 1681. ln-12. Porté sur le catalogue de la bibliothèque de Sainte-Geneviève. Nous n'avons trouvé ni à l'arsenal, ni à la bibliot. impériale, ni à Sainte-Geneviève, ce livre qui était sans doute une règle, un résumé théologique à l'usage de la reine. 12'^ Les nombreux articles de la Gazette de France, dans les an- nées 1660 et suivantes jusqu'en 1683 inclusivement. — Ceux du Mercure Galant. 13° Les Mémoires de M'"e de Motteville, de Mi'fi de Montpensier, de M'ne de Lafayette,du duc de Saint-Simon. —Le Journal d'Olivier d'Ormesson, — les Lettres de Mme de Sévigné. 14" LHÉROÏNE chrétienne ou la princesse achevée sous LE TRÈS-AU- GCSTE NOM DE MARIE-THÉRÈSE d'aDTRICHE, REINE DE FRANCE ET DE NA- VARRE, — divisée en deux parties, qui contiennent toutes les perfeclîbns du christianisme, avec des applications à la fin de chaque discours, où Sa A^Iajeslé paraît la preuve vivante de chaque proposition de ce livre parle R. P. Paul d'Ubaye, religieux Minime. Lyon, chez Jacques Guerrier. ln-4. — La bibliothèque Impériale en possède un exemplaire vraiment princier ; belle édition, reliure en maroquin rouge, doré sur tranche avec fleurs, papillons, oiseaux. Cet exem- plaire devait appartenir à quelque personnage de la cour. 150 Abrégé de la vie de très-auguste et très- ver timise princesse Marie-Thérèse d'Autriche, reine de France et de Navarre, par le R. P. Bonaventure deSoria, son confesseur, in-18 de 108 pages. Paris, chezLambert-Roulland, libraire ordinaire de lareyne. — Traduit en espagnol, in-12. Madrid 1684 et 1689. — On lit pa- raître aussi, en 1683, le portrait de la reine Ritrato de Maria-The- resia d'Austriu, in-4, 1683. 16" Les nombreuses Oraisons funèbres prononcées aux funérailles de la reine Marie-Thérèse d'Autriche. On en a indiqué, au cha- pitre vu, une vingtaine. Les principales sont celles de Bossuet, Flé- chier, l'abbé des Alleurs, l'abbé de La Chambre, etc. Paris, etc., 1683 et 1684. On en trouve des collections plus ou moins complètes à la bibliothèque de l'Arsenal, et à la biblioth. Imp. 17° Memorias de las reynaf cathoUcas, historia genealorfira de la casa iNOTES RELATIVES A MARIE-THÉRESE D'AUTRICHE 943 real de Castilla Y de Léon, etc., por el P. Mro. F. llenrique Florez, dcl ordcn de — En Madrid. Por Antonio Marin. Ano de - 2 tomes in-4. Voir au tome II, p. 920 à 933, D. Isa- bel de Dorbon, prima muger dcl rey D. Phelipe IV. 180 Mémoires historiques, critiques, et anecdotes des Reines et Ré- gentes de France, par Dreux du Radier. In-12. Amsterdam, chez Michel Rey, édition de t. VI, p. 303 à 33i. 19o La correspondance de la mère du Régent, désignée dans l'histoire du nom de Princesse Palatine. Traduction française de quelques-unes de ses lettres allemandes. Paris, 1788, chez 3Iaradan, libraire. — Edition très-mutilée. — La vie et le caractère d'Élisabeih- Charlotte, duchesse d'Orléans, 1 vol. in-8, publié en 1820, à Leipsick, par Schûtz. — Mémoires sur la cour de Louis XIV et de la régence, extraits de la correspondance allemande de la- mère du régent. Paris, 1823, in-8, Ponthieu, libraire. — Correspondance complète de la princesse Palatine, publiée par M. G. Brunet. Paris, 1854. — Fran- zÔsische Gesc/iichte vornehmlich im sèchzehnten und siebzehnten Jah- rhundert, \on Léopold Ranke. Stuttgard, 1861» Les lettres inédites de la Palatine, que M. Ranke a données dans le tome cinquième de cette histoire de France au xvi et xviie siècle, ont été traduites en français par A. A. Rolland, et imprimées par Firmin-Didot. 20-J Vies des justes dans les plus hauts rangs de la société, par l'abbé Carron, in-12. Paris, 1827, t. 1er, p. 334 à 371. Ce qui frappe dans cette notice, c'est un beau passage de Massillon, que l'auteur appli- que à Marie-Thérèse, et qui peint en eftet trait pour trait les œuvres de la reine. 2I0 Histoire classique des reines de France, par Alvarés Levi. Paris 1838, petit in-18, p. 249 à 2o4. 22o Bistoria delai-epublica Mejicana,por don Lucas Alaman. — En Mejico, 1849. Imurentade Lara, calle de la Palma. Voir le tome III. 23" Vie de iW^e de Soyecourt carmélite, et notice sur le monastère dit de Grenelle, fondation royale de Marie-Thérèse 1664, par une re- ligieuse du couvent des Oiseaux, rue de Sèvres. Paris, chez Pous- sielgue-Rusand, 1851. — In-12. Voir l'introduction , p. XIII à LXXXVI. 240 Mémoires touchant la vie et les écrits de Jlfme de Sévigné, par le baron Walckcnaer. Paris^ 1856, édition in-12, 5 volumes; chez F'ir- min-Didot. • 25" La sœur Marie d'Agréda et Philippe IV, roi d'Espagne, corres- pondance inédite traduite de l'espagnol, d'après un manuscrit de la bi- bliothèque Impériale, avec une introduction et des développements histo- riques^ par A. Germond de Lavigne. Paris, 1855. In-12, chez Vaton, libraire. 26» Les Reines de France nées Espagnoles, par A. Noèl, officier de rUniversité. In-8. Parts, 1858, chez F. Didot. 270 Louis XIV et la Révocation de l'édit de Nantes, par Michelel. Paris, 1860, Chamerot, libr., in-8. 944 APPENDICE 28o Histoire de France d'après les documents originaux sous la di- rection do MM. Henri Bordier cl Edouard Cliarlon, 2 volumes grand in-8. Paris, I808-I8GO. 290 Les Amoureux de M"»' de Sévigné, les Femmes vertueuses du grand siècle, par M. Hinpolvle Babou. ln-8. Paris, 1862, p. 145 \ 164. 300 Histoire du Monastère des religieuses Carmélites de l'Avenue de Saxe, à Paris. 1 Volume iu-4", de o24 iages. — Troyes, 1866, impri- merie de Bertrand-Hu. tV. GOUT DC JEU qu'on A REPROCHÉ A MARIE-THÉRÈSE COMME UNE PASSION. — M. LITTRÉ. — SES RÉFLEXIONS SÉVÈRES A l'ÉGARD DE LA REINE, PANS LK Journal des Savants. — observations présentées a m. littré par l'auteur. On a incriminé un point du caractère de Marie-Thérèse , son amour pour le jeu. Il est certain que s'il faut de la mesure quelque part, c'est dans le goût du jeu; il est peu séant de voir sur le trône une joueuse passionnée. Marie-Thérèse en était-elle à ce point? N'est-ce pas un scandale de voir une souveraine engloutir dans le jeu des sommes folles, représentant les fatigues et les pri- vations d'un peuple qui s'épuisait à doter ses princes? Ce qui est sûr, c'est que sous Louis XIV le jeu devint une fièvre à la cour ; on perdait des sommes énormes. Le Journal de Danjeau fait voir quelle place les jeux tenaient dans les amusements du roi et de la cour. Les pertes de 100,000 écus au jeu étaient communes pour M""" de Montespan. On a pu lire les lamentations de M""' de Sévigné à propos de sa fille et de son gendre qui se laissaient entraîner à ce coupe-gorge de Versailles, à ce chien de hoca, » jeu importé d'Italie par Ma/.arin. M. Littré a repris de nos jours, dans le Journal des Savants, les légitimes doléances de M""' de Sévigné, et a concentré ses réflexions sur Marie-Thérèse d'Autriche a les simjj^es libéralités de nos rois, a-t-il dit, et à plus forte raison leurs prodigalités étaient fort oné- reuses au peuple, surtout à. une époque où les taxes, épargnant le clergé et la noblesse, retombaient de tout leur poids sur le popu- laire. El n'était-ce pas de folles, de cruelles prodigalités que ce jeu effréné qui se jouait dans les appartements de Louis XIV ? Voilà, dit M°" de Sévigné, où l'on' voit perdre ou gagner tous les jours deux ou trois mille louis. T, IV, p. 525. La reine n'y était pas la moins ardente. La reine, dit encore M"" de Sévigné, perdit la messe l'autre jour et 20,000 écus avant midi. Le roi lui dit Ma- dame, supputons un pou combien c'est par an... et M. de Montau- sier lui dit le lendemain Eh bien, madame, perdrez-vous encore xNOTES RELATIVES A MARIE-THËRÈSE D'AUTRICHE a4o aujourd'hui la messe pour l'hoca ? Elle se mit eu colère. " T. IV, p. 247. Supputons en effet, ou plutôt, Colberl supputa pour elle. Cet économe ministre, effrayé des sommes qui s'en allaient par là, crut qu'on trichait les deux reines; car Anne d'Autriche n'était pas moins joueuse que sa bclle-fille. 11 en parla au roi avec quelque soupçon. Le tricheur, s'il y en avait un, devait être le marquis de Danjeau, qui faisait la partie des reines, les divertissait, et, comme dilFontenelle, regagnait leur perte. Le roi trouva'moyen d'être un jour témoin de ce jeu, et placé derrière le marquis sans en être aperçu, il se convainquit par lui-même de son exacte fidélité, et il fallut le laisser gagner tant qu'il voudrait au reste, son talent au jeu et son succès avaient fixé l'attention de M""' de Sévigné ï Je voyais jouer Danjeau, et j'admirais combien nous sommes sots au- près de lui. Il ne songe qu'à son affaire et gagne où les autres per- dent; il ne néglige rien, il profite de tout, il n'est point distrait ; en un mot sa bonne cond-uile défie la fortune; aussi les deux cent mille francs en dix jours, les cent mille écus en un mois, tout cela se met sur le livre de la recette. » T. IV, p. 544. Devant un tel étal de choses, il est nécessaire de faire l'examen de conscience de la reine, et l'on est tenté de voir dans ses habitudes de jeu un manquement choquant à cet idéal de modération et de sagesse auquel elle avait dévoué sa vie. Tant il est vrai que les meil- leurs d'entre nous ont leurs taches et que nul n'est parfait en ce monde. On ne peut qu'applaudir aux sentiments de l'écrivain dis- tingué qui a franchement infligé un blâme sévère à Marie-Thérèse. Ce blâme serait complètement mérité, si l'écrivain, en se plaçant au point de vue démocratique, prouvait que les choses se passèrent suivant toutes les circonstances alléguées; et nous pensons juste- ment que le milieu, où vécut la princesse, est une raison d'atténuer le blâme encouru. Voici le reproche avec les antécédents et conséquents dont il est entouré. On le formule au sujet des deux discours que prononcèrent Fléchier et l'évêque de Meaux en l'honneur de la reine. Il ne faut se fier qu'a demi aux oraisons funèbres. Fléchier, après avoir loué la charité de la reine, s'écrie a Admirez, femmes riches, et tremblez , dit le prophète, vous qui, par des dépenses folles et excessives , con- traignez vos maris à chercher dans l'oppression des pauvres de quoi fournir à votre vanité et à votre luxe. » Mais avec un jeu qui engloutissait des sommes énormes, la reine n'était-elle pas une de ces femmes riches dont les maris oppriment les pauvres ? et s'était- elle jamais demandé d'où venaient ces 20,000 écus qu'elle perdait si facilement en une matinée? La France souffrit cruellement des lon- gues prodigalités du grand roi ; et M°"= de Sévigné, sans y prendre garde, cite elle-même des faits navrants de détresse et de déses- poir que présentait par suite des impôts la gent taillable à merci Un pauvre passementier, dans le faubourg Saint-Marceau, était taxé à dix écus pour un impôt sur les maîtrises. Il ne les avait pas, 60 un APPENDICE on le presse et represse il demande du temps, on lui refuse ; on prend son pauvre lit et sa pauvre écuelle. Quand il se vit dans cet état, la rage s'empara de son cœur ; il coupa la gorge à trois enfants qui étaient dans sa chambre ; sa femme sauva le quatrième et s'en- fuit. Le pauvre homme est au Châtelet, il sera pendu dans un jour ou deux. Il dit que tout son déplaisir c'est de n'avoir pas tué sa femme et l'enfant qu'elle a sauvé; songez que cela est vrai comme si vous l'aviez vu, et, que depuis le siège de Jérusalem, il ne s'est point vu une telle fureur. » T. III, p. 534. I De telles situations font saigner le cœur, et ce qui est triste à penser, c'est que de telles énormités, de tels excès de zèle, dus uni- quement à la brutalité de quelques fonctionnaires subalternes, plus royalistes que le roi, n'arrivent que rarement à la connaissance des souverains. Du moins, dans les âges précédents, il était plus pos- sible de se faire illusion, parce qu'on ne remontait pas assez, eu ce qui regardait l'administration du royaume, à la liaison des causes et des effets. » Si d'ordinaire les hommes n'ont que trop de penchant à amnistier la grandeur et le succès, sachons cependant, en histoire, n'incliner que vers la justice et suivons jusqu'au bout l'accusation portée contre Marie-Thérèse, à raison de sa manie du jeu et de ses grosses pertes d'argent. Il s'agit d'un passage de Bossuet, alors qu'il van- tait Icxquise beauté et pureté d'âme de la reine de France. Quoi que puisse dire à l'cncontre une rigoureuse histoire , poursuit M. Littré, dans les admirables morceaux qui sont sortis de la main de Bossuet, louer provisoirement ce qu'il loue est le plus expé- dient pour ne pas troubler le charme. Mais cette louange môme est relative comme le type moral auquel elle s'adresse. On va le voir. Dans son oraison de Marie-Thérèse, Bossuet s'écrie Que je hais ta vaine science et ta mauvaise subtilité, âme téméraire, qui prononces si hardiment ce péché que je commets sans crainte est véniel ! l'âme vraiment pure n'est pas si savante. La reine sait en général qu'il y a des péchés véniels car la foi l'enseigne ; mais la foi ne lui enseigne pas que les siens le soient. Deux choses vous vont faire voir l'émi- nent degré de sa vertu. Nous le savons, chrétiens, et nous ne don- nons pas de fausses louanges devant ces autels. Elle a dit souvent dans cette bienheureuse simplicité qui lui était commune avec tous les saints, qu'elle ne comprenait pas comment on pouvait commettre volontairement un seul péché, tout petit qu'il fût. Elle ne disait donc pas il est véniel ; elle disait il est péché ; et son cœur inno- cent se soulevait. Mais comme il échapje toujours quelque jiéché à la fragilité humaine, elle ne disait pas il est léger ; encore une fois, il est péché, disait-elle. Alors, pénétrée des siens, s'il arrivait quel- que malheur à sa personne, à sa famille, à l'État, elle s'en accusait seule. Certes il est impossible de retracer en touches plus pures la délicatesse d'une conscience catholique ; et, je la respecte, pourvu que je la mette en ce temps, en ce lieu, en ce rang. Autrement il NOTES RELATIVES A MARIE-TIIERÈSE D'AUTRICFIE 947 me souvicnJrail que cette même reine n'a jamais porté au compte de ses péchés véniels ou autres le jeu terrible oii elle prodiLÇuait des sommes énormes arrachées aux pauvres gens. Sans doute elle dut, suivant le beau langage de Bossuet, se prêter au monde avec toute la dignité que demandait sa grandeur. Les rois, non plus que le soleil, n'ont pas reçu en vain l'éclat qui les environne; il est néces- saire au genre humain et ils doivent pour le repos autant que pour la décoration de l'univers soutenir une majesté qui n'est qu'un rayon de celle de Dieu. » Mais dans un gouvernement où le trésor de l'État était confondu avec celui du monarque, les prodigalités royales coûtaient cher à ceux qui les payaient. Combien de larmes, de souffrances, de détresses, de dénûments, de maladies, de morts, étaient représentés par ces milliers de louis dont Mme de Sévigné nous dépeint le va-et-vient sur' les tables! la reine n'y a jamais pensé, ni Bossuet non plus; que dans cette dévorante splen- deur de la royauté, ils n'y pouvaient penser ni l'un ni l'autre. Mais aujourd'hui que la solidarité entre le prince et les citoyens, entre les riches et les travailleurs, est sentie et fait partie de l'équité sociale, la conscience moderne, peut-être plus facile pour les pé- chés véniels et plus indifférente aux observances, murmurerait contre cette insouciance à consumer, en de futiles amusements, la substance populaire. C'est ainsi que change le type moral et que la louange change avec lui. » Voilà le réquisitoire de M. Littré dans le Journal des Savants décembre 1867. On ne peut que s'associer à toute généreuse protestation contre les prodigalités du règne de Louis XIV, à Tendroit des finances pu- bliques, et l'historien ne peut comprendre qu'une reine, sincè- rement pieuse, et vraiment préoccupée des souffrances des classes gênées ou indigentes, ait pu, en sûreté de conscience, s'adonner au jeu dans les proportions que M"' de Sévigné raconte. Y a-t-il eu, de la part delà spiriluellej correspondante, une exagération produite par la vue des extravagances réelles de la cour à cette époque en semblable matière? On l'ignore. Ce n'est certes pas par les Franciscains, ses éducateurs, que la reine aurait appris à faire bon marché du sang, des fatigues et de l'argent du peuple. Il nous paraît si grave de supposer que ni la reine, ni Bossuet, ne pensèrent jamais à ce qu'un jeu excessif offrait d'irrégulier de la part d'une reine vénérée pour son amour du devoir; cela est telle- ment contre les probabilités, qu'il est peut-être plus rationnel de dire que M"" de Sévigné a signalé un fait isolé et transitoire de grosses pertes au jeu, plutôt qu'une habitude prononcée et persistante pendant des années entières. Comment concilier ces goûts delà prin- cesse espagnole, avec les leçons qu'elle reçut de ses initiateurs, les Jean de Palme, André de Guadaloupe? Les Franciscains chargés par Philippe IV de la direction intellectuelle et morale de la jeune in- fante, lui tirent-ils une philosophie de l'histoire et un cours de politique sur les causes de la décadence de l'Espagne, de la misère V>48 AHPENUICK jui dévora la Péninsule à la suite des désastres qu'entraîna la guerre conimoncée'en 1621 ? Ce qui est sur, c'est que André de Guada- loupe, qui connaissait le siècle, avait bien inculqué à l'infante que ceux qui appartiennent à des familles régnantes, doivent, comme les plus obscurs citoyens, placer Dieu au bout et à la fin de tout, et faire rayonner sa pensée dominatrice et régulatrice dans le monde intime de la vie privée. Les Franciscains devaient aller plus loin ils rappelèrent que le devoir est plus impérieux à mesure u'on est plus liaut placé. C'est l'idée souveraine que Marie-Thérèse apporta dans sa vie; elle savait qu'une princesse est tenue plus strictement que les autres à tout ce qui est juste, honnête et noble. Kt d'ailleurs, la jeune reine n'avait-elle pas à se rappeler que les Franciscains, ses maîtres, avaient été dans le moyen âge les instigateurs des progrès populaires et des libertés publiques, les pro- moteurs les plus ardents de la fraternité chrétienne ? N'avait- oUe pas été élevée dans cette idée élémentaire, qu'il y a profanation, lorsqu'on ne ménage pas la partie de la nation qui travaille, féconde la terre, fournit les bras à l'agriculture, à l'industrie? Voyez le livre italien Cristoforo Colombo edil P. Giovanni Ferez di Marchent, ossia la cooperatione deW ordine Franrescano netla scopevta d' America. L'auteur, le P. d'Osimo rappelle que partout, au moyen âge, les Franciscains imposaient un frein salutaire à la férocité des tyrans du peuple. Voir aussi la Vie de saint François d'Assise par F. Morin. On serait complètement dérouté, s'il fallait se représenter comme joueuse, une femme que les contemporains sont unanimes à donner comme un modèle de vertu et comme l'incarnation de Tespril de cha- rité H de piété. Un écrivain du xvir siècle n'hésite pas à faire l'appli- lion à Marie-Thérèse d'Autriche, du mot de saint Grégoire de Nysse, à propos d'une grande princesse des temps anciens, savoir qu'elle fut l'exemple de la pudeur et de la modestie, l'image de la douceur et de l'humilité, le modèle de l'amour conjugal, le trésor des pau- vres, la gloire des autels, la splendeur et l'ornement de l'Empire. » S. Grégoire de Nysse, orat. fanèbr. de Flacilla. — Oraison funèbre de Marie-Thérèse, par M. de ***, page 22. Paris, Dezallicr, rue Saint- Jacques, MDCLXXXUl. Le même écrivain, émerveillé de la tenue de la jeune reine, dans les rues de Paris, quand elle suivait à pied une irocession, ne peut s'empêcher d'admirer cet air modeste, grave et humble, digne d'une grande reine; » il lui applique cette exclamation du livre des Cantiques c. 7. v. 1 Uue tes démarches sont belles, ù tille, éjjouse de roi, quam pulchri sunt gressus tui, lilia principis. » Ibidem, p. 18. Il ne s'agit pas de discuter l'état comparé de la conscience mo- derne et d'une conscience d'autrefois ; mais nous voyons une femme, noble nature, distinguée et indulgente, absorbée dans ses devoirs d'épouse, éprise dos joies du foyer, si bien douée physiquement qu'elle pouvaitcommamler le promptallachcment, si pure, ttsi digne, NOTES RELATIVES A MARIE-THlîRKSE D'AUTRICHE 943 qu'il ne pouvait se lever autour d'elle que le respect, obscure et glorieuse femme dont le regard, comme le charbon du prophète, purifiait autour d'elle les cœurs elles lèvres, et dont la médisance n'osa jamais s'approcher, » qui eut une de ces piétés profondes, éclairées, sincères, se préoccupant de la justice exacte et clair- voyante de Dieu, à qui rien ne peut échapper, » oraison fu7ièbre de Marie-Thérèse, par M. Bauyn, docteur de Sorbonne, pages 35, 36, Paris, 1863, dont la conscience enfin fut formée par ces Francis- cains dont le primitif esprit fut éminement démocratique ,et libéral. Comment, dans une semblablesituation, se représenter une reine, recherchant l'ivresse oisive, fébrile et inquiète du jeu, deve- nant une joueuse de profession, se livrant à cette passion ter- rible qui abrutit l'esprit, foulant aux pieds les épargnes du labeur populaire, et cela, sans qu'il lui vînt jamais à la pensée d'examiner si ces pratiques offensaient en rien sa conscience? Sans doute , bien des obscurcissements sont possibles ; il y a des consciences singulièrement enténébrées; mais les principes, les antécédents, la piété si connue de Marie-Thérèse, ses lumières et sa délicatesse d'âme, jettent de l'obscurité dans la question de fait. La reine mérite peut-être un blâme; il est difficile de dire jusqu'à quel degr6. Ouvrons ici une par

Dulundi au jeudi : de 8 heures à 12 heures et de 13 heures à 17 heures ; vendredi : de 8 heures à 12 heures et de 13 heures à 16 heures ; samedi : permanence de 10 heures à 12 heures (uniquement pour les urgences de l’état civil. Accès rue Annet-Farnoux). MARIE DÉCENTRALISÉE 2, avenue Georges-Clemenceau, tél. .70. Du lundi au jeudi : de / Émissions / ActuElles Publié le 17/09/2021 - 1255 1052 Actuelles. © France 24 Pour les Journées du patrimoine, nombre de bâtiments et d'institutions ouvrent leurs portes au public. En parallèle, de plus en plus de visites sont proposées autour du "matrimoine" en France, en Belgique et en Suisse. Leur but faire redécouvrir les créatrices du passé et revaloriser leur contribution à la culture. L'invitée d'ActuElles engagée dans ce projet, la metteuse en scène Aurore Evain, explique comment les femmes de théâtre ont été invisibilisées. Elle revient sur la définition de ce concept qui, loin d’être un néologisme, trouve ses racines au sommaire aussi À Mexico, la statue de Christophe Colomb, premier européen à découvrir le continent américain, sera remplacée par celle d'une femme olmèque. Un changement symbolique très fort annoncé par la maire de la capitale pour les 200 ans d’indépendance du pays. En Afghanistan, les Taliban veulent rendre les femmes invisibles dans l'espace public. Cela passe notamment par l'imposition de la burqa. Sur les réseaux sociaux, de nombreuses Afghanes, dont beaucoup vivent en exil, contre-attaquent. Vêtues de tenues traditionnelles, elles soulignent en photo la richesse, la diversité et la gaieté de leur culture. Mafemme de ménage est.. un homme Une comédie de Magali Meylan et Thierry Pahud Par la troupe de théâtre Côté Cour Mise en scène de Vincent Dumoulin Le vendredi 23 septembre 2022 à 20 h Salle Paroissiale, Rue Curiale 5, 7700 Luingne au profit de La Passerelle et de notre clu b Les cartes sont en vente auprès de Robert Duponcheel et Anne Bovyn . La session (0 - 5 km)

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HenriIII naquit au château de Fontainebleau le zo Septembre r55r, mais au cours de son règrre, attristé par les Guerres de Religion, il en abandonna le séjour, et certains bâtiments non RÉSUMÉ Une femme disparait. Comment? Pourquoi? La vague d’incompréhension suscitée devient un appel lancé. Son absence rassemble un petit groupe d’individus écorchés et résilients qui ne se seraient peut-être jamais rencontrés autrement et les témoignages livrés créent une fresque des identités possibles de la disparue. Après le succès de Chiennes en 17/18, les autrices Marie-Ève Milot et Marie-Claude St-Laurent, réaffirment leur engagement féministe avec ce spectacle sensible et militant. À travers des fragments documentaires et fictifs, Guérilla de l’ordinaire s’attaque aux manifestations visibles et invisibles des violences sexistes ordinaires, alliant humour, colère et poésie. Plus les histoires se démêlent, plus elles prennent des allures de manifeste. texte et mise en scène Marie-Ève Milot texte et interprétation Marie-Claude St-Laurent interprétation Jonathan Caron, Maxime Maxime De Cotret, Myriam De Verger, Pascale Drevillon, Soleil Launière, Sarah Laurendeau musique sur scène Mathilde Laurier assistance à la mise en scène et régie Josianne Dulong-Savignac scénographie Marie-Pier Fortier, Marzia Pellissier costumes Cynthia St-Gelais éclairages Martin Sirois assistance aux éclairages Chantal Labonté vidéo et projection Caroline St-Laurent, Mélanie Martin direction technique et de production Éric Le Brec'h texte et mise en scène Marie-Ève Milot texte et interprétation Marie-Claude St-Laurent interprétation Jonathan Caron interprétation Maxime interprétation Maxime De Cotret interprétation Myriam De Verger interprétation Pascale Drevillon interprétation Soleil Launière interprétation Sarah Laurendeau musique sur scène Mathilde Laurier assistance à la mise en scène et régie Josianne Dulong-Savignac scénographie Marie-Pier Fortier scénographie Marzia Pellissier costumes Cynthia St-Gelais assistance aux éclairages Chantal Labonté vidéo et projection Caroline St-Laurent vidéo et projection Mélanie Martin direction technique et de production Éric Le Brec'h Finaliste du Prix Michel-Tremblay 2019 Les Affamées s’investissent à recréer et à faire revivre une culture des femmes en mettant en lumière leurs expériences dans les sphères privée, sociale, politique et artistique. C’est par une analyse féministe des sujets et du processus créateur qu’elles affirment leur engagement. Fondé en 2011, le collectif-à-deux du Théâtre de l’Affamée a signé dix pièces, dont Débranchée/ Unplugged, finaliste au prix Louise-Lahaye en 2017 et Guérilla de l’ordinaire, finaliste au prix Michel-Tremblay en 2019. Marie-Ève Milot et Marie-Claude St-Laurent sont artistes en résidence à la salle Jean-Claude-Germain du CTD’A en 2018 et 2019. Membres du Comité directeur du Chantier féministe de l’Espace Go, elles sont collaboratrices à l’étude menée par les chercheuses du Réseau québécois en études féministes RéQEF. Avec la doctorante Marie-Claude Garneau, elles ont coécrit La coalition de la robe, un essai publié aux Éditions du remue-ménage, et à trois, elles occupent la codirection littéraire de la nouvelle collection théâtre La NEF. Nouvelle Publié le 04/12/19 Marie-Ève Milot et Marie-Claude St-Laurent, finalistes du prix Michel-Tremblay 2019 Remis par la Fondation du Centre des auteurs dramatiques, le Prix Michel-Tremblay récompense depuis 2009 un auteur ou une autrice toutes catégories confondues pour le meilleur texte porté à la scène lors de la saison précédente. Marie-Ève Milot et Marie-Claude St-Laurent sont finalistes du Prix Michel-Tremblay 2019 pour leur texte Guérilla de l'ordinaire. Nouvelle Publié le 20/03/19Guérilla de l'ordinaire en langue des signes québécoise Le 30 mars prochain, la représentation de Guérilla de l'ordinaire sera interprétée en langue des signes québécoise. On est très heureux de cette initiative forte portée par le Théâtre de l'Affamée. Il reste quelques billets! Médias Publié le 11/03/19 Maxime au Téléjournal! Maxime est à l'honneur du Téléjournal Saguenay-Lac-Saint-Jean pour Guérilla de l'ordinaire! Un très beau reportage où elle nous en dit plus sur cette création et son parcours artistique. Marie-Ève Milot, Marie-Claude St-Laurent et France Geoffroy reviennent aussi sur leurs collaborations avec cette artiste aux talents multiples. À écouter à partir de 12m20! Médias Publié le 08/03/19 Marie-Ève Milot et Marie-Claude St-Laurent à on dira ce qu'on voudra Marie-Ève Milot et Marie-Claude St-Laurent en entrevue à On dira ce qu'on voudra! Elles reviennent sur le processus de création de Guérilla de l'ordinaire et échangent sur le sexisme ordinaire, le militantisme, la colère et la libération de la parole des femmes. À écouter absolument! Album Publié le 06/03/19Guérilla de l'ordinaire en photos! Voyez toute la distribution de Guérilla de l'ordinaire de Marie-Ève Milot et Marie-Claude St-Laurent sous l'objectif de Mikael Theimer! Médias Publié le 06/03/19 Marie-Ève Milot et Marie-Claude St-Laurent en entrevue dans La Presse + On a voulu aborder le fait que la militance n’est pas toujours désirée, que des fois, on n’a pas le choix, parce qu’on est une femme, de militer.» Une excellente entrevue de Marie-Ève Milot et Marie-Claude St-Laurent qui reviennent sur la création de Guérilla de l'ordinaire, à lire dans La Presse. Vidéo Un avant-gout vidéo pour Guérilla de l'ordinaire! Découvrez un avant-gout de Guérilla de l'ordinaire, avec les mots de Marie-Ève Milot et Marie-Claude St-Laurent et les images de la vidéaste Caroline St-Laurent! Album Publié le 15/01/19Découvrez le visuel de Guérilla de l'ordinaire! Maxime s'est prêtée au jeu de la séance photos pour les visuels de Guérilla de l'ordinaire! La distribution de cette nouvelle création de Marie-Ève Milot et Marie-Claude St-Laurent est complétée par 6 autres interprètes et une musicienne sur scène. Vidéo Guérilla de l'ordinaire en LSQ La représentation du 30 mars prochain de Guérilla de l’ordinaire sera interprétée en langue des signes québécoise LSQ. Geneviève Bujold, Nico Bonin-Gauthier, Charline Savard et Jennifer Manning vont interpréter la création du théâtre de l’Affamée en LSQ ! DURÉE 1 h 45 sans entracte RELATIONS DE PRESSE PRODUCTION Une création du Théâtre de l'Affamée PARTENAIRE DES ARTISTES EN RÉSIDENCE
Formatde téléchargement: : Texte Vues 1 à 268 sur 268. Nombre de pages: 268 Notice complète: Titre : Souvenirs de la marquise de Créquy de 1710 à 1803.T. 6. Auteur : Créquy, Renée Caroline de Froulay (1714-1803 ; marquise de).Auteur du texte. Éditeur : Garnier frères (Paris) Date d'édition : 1873 Contributeur : Cousin de Courchamps, Pierre-Marie-Jean (1783
Sortir Publié le 23/10/17 mis à jour le 08/12/20 Partager Lizzie Sadin pour le prix Carmignac La photoreporter Lizzie Sadin a assisté pendant 4 mois au cauchemar quotidien subi par près de 20 000 jeunes filles dans les boîtes de Katmandou. Ce travail, récompensé par le prix Carmignac 2017 du photojournalisme, est exposé à Paris jusqu’au 12 novembre. Retour sur les images les plus marquantes en compagnie de leur auteure. Les couleurs sont chatoyantes, mais la fête n’est jamais au rendez-vous. La centaine d’images qu’expose Lizzie Sadin vous prennent à l’estomac les unes après les autres, elles dressent le désespérant tableau de la situation qui frappe de plus en plus de jeunes Népalaises. Viols, abus, exploitation, esclavage, il ne fait pas bon être pauvre et femme au Népal. D’après les ONG, 20 000 d’entre elles seraient exploitées dans l’industrie du sexe ; et 300 000 contraintes à des emplois » de bonnes à vraiment tout faire dans les pays du Golfe. Ces jeunes filles sont dupées par des trafiquants qui traînent dans les villages. Souvent des amis ou même des membres de leur propre famille, qui leur font miroiter l’espoir d’une vie meilleure. Le plus souvent, elles sont cédées contre de l’argent par l’un de leurs proches », explique la photographe Lizzie Sadin, qui depuis vingt-cinq ans travaille sur les droits humains et, tout particulièrement, la condition des femmes dans le monde. “Ces filles qui vivent dans la peur” La plupart de ces jeunes femmes n’ont même pas conscience de la gravité de la situation dans laquelle elles se trouvent », raconte-t-elle. Pourtant, les photos montrent bien la cruauté de cet univers où elles se font exploiter, maltraiter, abuser restaurants, bar-dancings ou dohoris sorte de cabarets / maisons closes. Je n’ai pas pu faire la moindre photo pendant les premières semaines de mon séjour au Népal, le temps de gagner la confiance de ces filles qui vivent dans la peur. De même, il a fallu user de stratagèmes pour ne pas trop attirer l’attention des tenanciers des bars où elles travaillent. J’ai dû prendre certaines photos à la volée ou en caméra cachée ». Pour Lizzie Sadin revient sur certaines scènes qui l’ont marquée et qui font partie de la centaine de photos exposées à Paris. Dans l’enfer de l’esclavage des femmes au Népal. Lizzie Sadin pour le prix Carmignac J’ai rencontré Rita dans la région de Pokhara, à la frontière avec l’Inde. C’est une ancienne esclave revenue de l’enfer des pays du Golfe. Elle s’était faite leurrer par une amie de son village qui lui avait proposé de partir pour l’Inde avec des promesses d’argent et de bijoux. La pauvreté est telle au Népal qu’elle n’a pas une fois arrivées, l’amie a disparu et Rita s’est retrouvée dans un bordel. On lui a dit “tu vas travailler”, mais sans lui dire en quoi cela consistait. Quand elle a compris, elle a refusé. On l’a aussitôt malmenée et enfermée pendant une semaine avec juste assez de nourriture pour survivre. Contrainte, elle n’a pu faire autrement que de se prostituer. C’est un raid fortuit de la police qui l’a libérée. Et, grâce à une ONG, elle est finalement revenue au Népal. » Dans l’enfer de l’€esclavage des femmes au Népal. Lizzie Sadin pour le prix Carmignac A Katmandou, les filles qui se font piéger passent leur journée à travailler dans des gargotes miteuses, des cabarets ou des salons de massage. Ces filles sont là à la merci des clients dont elles doivent accepter les avances. Ici, on peut voir Kopila dans une cabine, petit espace à l’intérieur du restaurant à l’abri des regards. Ce qui m’a frappée, c’est que l’homme qui abuse d’elle n’a pas du tout le sentiment de faire quelque chose de répréhensible… » Dans l’enfer de l’esclavage des femmes au Népal. Lizzie Sadin pour le prix Carmignac Parfois, les trafiquants sont les parents eux-mêmes. Cela pourrait être le cas de cette dame accompagnée de plusieurs très jeunes filles qui tente de passer la frontière avec l’Inde à bord d’une charette. Seulement, la police soupçonne que ce ne sont pas ses enfants, et qu’elle cherche sans doute à aller les livrer en Inde pour une destination encore plus lointaine. Aidés par des bénévoles d’une ONG, qui sont d’anciennes victimes du trafic, les policiers l’assaillent de questions. Mais toutes se taisent, la dame comme les fillettes, lesquelles, du reste, ne savent pas forcément où on les emmène ni pour quoi faire. » Dans l’enfer de l’esclavage des femmes au Népal. Lizzie Sadin pour le prix Carmignac Cette photo est l’une de celles que j’ai prises à la dérobée. La jeune fille à droite est chanteuse d’un dohori, une sorte de bar-dancing. Elle a reçu des avances d’un client. En attendant de passer à la casserole, elle est obligée de lui tenir compagnie sous le regard du patron du cabaret qui contrôle ses moindres faits et gestes. Les filles qui travaillent dans ces dohoris doivent tout accepter attouchements, grossièretés... » A voir Exposition photographique “Le Piège – Traite des femmes au Népal”, du 20 octobre au 12 novembre, Hôtel de l’Industrie, 4 place Saint-Germain des Prés, 6e. Gratuit. Prix Carmignac Photographie droits des femmes Népal Partager Contribuer Sur le même thème Postez votre avis Pour soutenir le travail de toute une rédaction, abonnez-vous Pourquoi voyez-vous ce message ? Vous avez choisi de ne pas accepter le dépôt de "cookies" sur votre navigateur, qui permettent notamment d'afficher de la publicité personnalisée. Nous respectons votre choix, et nous y veillerons. Chaque jour, la rédaction et l'ensemble des métiers de Télérama se mobilisent pour vous proposer sur notre site une offre critique complète, un suivi de l'actualité culturelle, des enquêtes, des entretiens, des reportages, des vidéos, des services, des évènements... Qualité, fiabilité et indépendance en sont les maîtres mots. 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UneElfe courtement vêtue de vert fait un premier pas hors de sa forêt, tandis qu’un Nain négocie âprement avec un sorcier Ailleurs, au fond d’une charrette, une Magicienne accompagnée d’un Ogre émerge d’une sieste cahoteuse. Enfin, un jeune Ranger ambitieux révise le manuel des aventuriers Ils ne se connaissent pas encore, mais ils vont affronter ensemble
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